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Date : 19981110


Dossier : DES-3-95

     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 10 NOVEMBRE 1998
     DEVANT : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM
             AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation
             concernant Manickavasagam SURESH;
             ET le renvoi d"une attestation à la
             Cour fédérale du Canada conformément à
             l "alinéa 40.1(4)c ) de la Loi sur l"Immigration,
             L.R.C. (1985), ch. I-2

ENTRE


MANICKAVASAGAM SURESH,


demandeur,


et


LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeurs.


ORDONNANCE

     Pour les motifs énoncés dans les motifs de l"ordonnance, la demande est rejetée. L"audition relative à la question ou aux questions que la Cour d"appel fédérale m"a renvoyées aura lieu à Toronto le 24 novembre 1998 à 10 h.

                                         " Max M. Teitelbaum "             

                             _______________________________

                                     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19981110


Dossier : DES-3-95

             AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation
             concernant Manickavasagam SURESH;
             ET le renvoi d"une attestation à la
             Cour fédérale du Canada conformément à
             l "alinéa 40.1(4)c ) de la Loi sur l"Immigration,
             L.R.C. (1985), ch. I-2

ENTRE


MANICKAVASAGAM SURESH,


demandeur,


et


LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM :

[1]      Il s"agit d"une demande présentée par le demandeur, Manickavasagam Suresh, ci-après appelé M. Suresh, visant à l"obtention d"une ordonnance par laquelle je me récuserais de l"affaire que la Cour d"appel fédérale m"a renvoyée pour audition.

[2]      Dans son avis de requête, M. Suresh énumère les motifs suivants à l"appui de la demande :

                 [TRADUCTION]                 
                 a) Monsieur le juge Teitelbaum a tiré au sujet de la crédibilité du demandeur une conclusion générale telle que s"il continuait à examiner les conditions de mise en liberté s"appliquant au demandeur, cela donnerait lieu à une crainte raisonnable de partialité.                 
                 b) Le demandeur s"est plaint au Conseil de la magistrature de la décision de Monsieur le juge Teitelbaum, de façon qu"il donne des détails au sujet des conclusions de fait sur lesquelles il s"est fondé pour confirmer l"attestation de sécurité visée à l"article 40.1; en soi, cela n"empêcherait pas le juge Teitelbaum de continuer à entendre l"affaire et à examiner les questions qui se posent au sujet de l"examen des motifs de garde, mais il s"agit d"un facteur additionnel qui, compte tenu des conclusions tirées au sujet du manque de crédibilité du demandeur, autorise le juge présidant l"audience à se récuser et ne pas poursuivre l"examen des conditions de mise en liberté.                 

LES FAITS

[3]      Il faut dans ce cas-ci examiner brièvement les faits. Le 29 août 1997, après une audience qui a duré plus de 50 jours, j"ai conclu, en me fondant sur l"ensemble de la preuve qui m"avait été présentée pour examen, qu"il existait des motifs raisonnables pour le solliciteur général et pour la ministre de l"Emploi et de l"Immigration (la Couronne) de faire en sorte que soit délivrée une attestation conformément à l"article 40.1 de la Loi sur l"immigration (la Loi), c"est-à-dire qu"il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Suresh était une personne appartenant à l"une des catégories visées aux dispositions 19(1)e )(iv)(C), 19(1)f)(ii) et 19(1)f)(iii)(B) de la Loi et qu"il appartient donc à une catégorie non admissible.

[4]      Dans ma décision du 29 août 1997, voici ce que j"ai dit :

                 D'après la preuve qui m'a été soumise, je ne peux pas faire autrement que d'arriver à la conclusion que, d'après la preuve qui m'a été soumise au cours des audiences publiques et à huis clos, les ministres pouvaient raisonnablement conclure que M. Suresh est une personne non admissible au Canada.                 
                 J'ai l'intention de prononcer des motifs plus complets à une date ultérieure. J'ai décidé de rendre une décision peu motivée à ce moment-ci parce que M. Suresh est retenu depuis le mois d'octobre 1995 et parce qu'il continuera de l'être, en vertu du paragraphe 40.1(7), jusqu'à ce qu'il soit renvoyé du Canada. Selon moi, ce renvoi devrait se faire le plus rapidement possible pour ne pas que M. Suresh demeure retenu inutilement et pour éviter les longues procédures prévues au paragraphe 40.1(8) de la Loi.                 

[5]      Dans la décision que j"ai rendue le 14 novembre 1997, où j"ai donné des motifs plus détaillés, j"ai également dit ceci, à la page 12 :

                 Il m'est très difficile de rédiger des motifs circonstanciés et de me référer à la preuve en l'espèce. Une bonne partie de la preuve que l'intimé m'a soumise a été présentée au cours des audiences à huis clos et, dans un certain nombre de cas, cette preuve pourrait, m'a-t-on dit, être dangereuse s'il était appris que certaines personnes ont témoigné pour les LTTE et en leur nom, ou en faveur de la cause tamoule. Quand je dis " dangereux ", je veux dire " dangereux " pour le témoin ou pour les membres de sa famille qui vivent encore au Sri Lanka.                 
                 Pour ce motif, j'ai décidé de ne nommer aucun témoin, expert ou autre, sauf que je vais parler de l'intimé Manickavasagam Suresh (M. Suresh).                 

[6]      En ce qui concerne la crédibilité de M. Suresh, j"ai fait la remarque suivante, à la page 14, paragraphe 24 :

                 Après avoir entendu M. Suresh et après avoir examiné certains documents qui ont été portés à ma connaissance, force m'est de conclure que M. Suresh n'a absolument aucune crédibilité. À mon avis, il est suffisant de dire que je suis convaincu que M. Suresh a obtenu le statut de réfugié au Canada en donnant [TRADUCTION] " délibérément de fausses indications sur des faits " et que, pis encore, il a menti à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié alors qu'il déposait sous la foi du serment puisqu'il a juré que les renseignements contenus dans son feuillet de renseignements personnels (FRP) étaient tous exacts (voir la pièce C-25). J'ai examiné la documentation que M. Suresh a produite afin d'obtenir le statut de réfugié et je suis convaincu que ce dernier n'a pas écrit grand-chose de vrai.                 

[7]      J"ai reproduit les remarques précitées parce qu"il est tout à fait clair, compte tenu de la preuve, que M. Suresh n"a pas dit la vérité dans les documents qu"il a soumis afin d"obtenir le statut de réfugié.

[8]      Après qu"il eut été conclu que l"attestation délivrée conformément à l"article 40.1 de la Loi était raisonnable, M. Suresh a continué à être retenu.

[9]      Le 23 décembre 1997, M. Suresh a déposé une demande visant à l"obtention d"une ordonnance de mise en liberté conformément au paragraphe 40.1(8) de la Loi sur l"immigration. Dans ma décision du 20 mars 1998, voici ce que j"ai dit à la page 6, au sujet de la demande susmentionnée :

                 Il a été ordonné que le requérant soit renvoyé du Canada le 17 décembre 1997, mais, à ce jour, l'ordre n'a pas encore été exécuté, et ce, à cause d'une injonction prononcée par le juge Lane, de la Cour générale de l'Ontario, qui empêche de renvoyer M. Suresh du Canada dans l'avenir immédiat.                 
                 Je suis convaincu aussi que M. Suresh ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable, et ce, pour des raisons qui seront explicitées lorsque je rendrai une décision plus détaillée.                 

[10]      Monsieur le juge Lane, de la Cour de l"Ontario, a prononcé l"injonction empêchant le renvoi de M. Suresh du Canada à la demande de celui-ci.

[11]      Par suite du dépôt de la demande de mise en liberté, j"ai décidé de faire droit à la demande aux conditions que je jugeais appropriées compte tenu des circonstances. J"ai encore une fois remis en question la crédibilité de M. Suresh mais, comme auparavant, en me fondant sur les documents que ce dernier avait signés afin d"obtenir le statut de réfugié.

[12]      Au moment de l"audition de la demande de mise en liberté et pendant que je dictais ma décision, j"ai dit ceci : " Si M. Suresh accepte par écrit de se conformer à ces conditions pendant sa période de mise en liberté, il pourra être libéré. "

[13]      M. Suresh a accepté les conditions.

[14]      Après avoir accepté les conditions de sa mise en liberté, vers le 1er avril 1998, M. Suresh a interjeté appel devant la Cour d"appel fédérale contre le jugement que j"avais rendu.

[15]      Le 21 juillet 1998, la Cour d"appel fédérale a rendu son jugement ((1998) 229 N.R. 240). À la page 243, en parlant des conditions de mise en liberté, Monsieur le juge McDonald fait la remarque suivante :

                 Toutes ces conditions ont été acceptées par l'appelant et par son avocate, Mme Barbara Jackman, laquelle avait d'ailleurs pris une part active dans leur formulation. L'appelant conteste maintenant l'ordonnance de remise en liberté par ce motif que les paragraphes 9, 10 et 11 portent atteinte à la liberté d'expression et d'association que la Charte canadienne des droits et libertés garantit à lui-même et à d'autres. Il ne s'était pas opposé aux dispositions de l'ordonnance devant le juge de première instance, mais Mme Jackman s'est réservé le droit d'en contester la constitutionnalité. On ne sait cependant pas trop si cette réserve portait sur la constitutionnalité des dispositions de la Loi elle-même ou sur les conditions imposées par l'ordonnance.                 

[16]      Il vaut la peine de noter qu"au moment où il a été question des conditions de mise en liberté, j"avais clairement exprimé mon avis au sujet de la crédibilité de M. Suresh dans ma décision du 14 novembre 1997.

[17]      Pendant l"audience relative à la mise en liberté, dans le cadre de laquelle les conditions de mise en liberté ont été débattues, la question de la crainte raisonnable de partialité n"a jamais été soulevée, que ce soit à l"égard de la crédibilité de M. Suresh ou pour un autre motif, comme elle semble maintenant l"être.

[18]      Quoi qu"il en soit, au paragraphe 15, à la page 246, Monsieur le juge McDonald dit ceci, dans les motifs du jugement de la Cour d"appel :

                 Je me prononce pour l'accueil de l'appel par le renvoi de l'affaire au juge délégué de la Section de première instance pour qu'il examine si les conditions attachées à l'ordonnance de remise en liberté sont conformes à la Charte. Dans l'intervalle, l'ordonnance de remise en liberté demeure en vigueur afin que l'appelant ne retourne pas en prison, sauf modification par le juge délégué. Les mots " que cette activité ait un rapport ou non avec " figurant au paragraphe 11 des conditions de remise en liberté sont remplacés par les mots " laquelle activité a un rapport avec ", et dans le texte anglais, le mot " contact " est ajouté à la première ligne du paragraphe 9, immédiatement après le mot " indirect " (comme convenu par l'intimé). La Cour ne se prononce pas sur les frais et dépens.                 

[19]      Monsieur le juge McDonald m"a donc renvoyé l"affaire pour que je détermine si M. Suresh a renoncé aux moyens fondés sur la Charte en ce qui concerne les conditions attachées à l"ordonnance de mise en liberté ou si je puis maintenant les examiner et, dans l"affirmative, pour que je détermine si ces conditions sont conformes à la Charte (voir le jugement du 21 juillet 1998).

[20]      Il importe de noter que pendant l"audience qui a été tenue devant la Cour d"appel, l"avocate de M. Suresh, Me Jackman, n"a jamais fait quelque observation que ce soit au sujet du fait qu"il y avait raisonnablement lieu de craindre que j"avais été partial pendant l"audience relative à la mise en liberté de son client.

[21]      À la demande de la Cour, on devait organiser une réunion à Toronto pour discuter de la date de l"audition relative à la question renvoyée au juge délégué.

[22]      Au cours d"une conférence téléphonique, un jour ou deux avant la réunion, l"avocate de M. Suresh a déclaré qu"elle avait " oublié " qu"une réunion devait avoir lieu mais que, de toute façon, elle avait l"intention de déposer une demande [TRADUCTION] " en vue de l"obtention d"une ordonnance enjoignant au juge présidant l"audience de se récuser [...] ".

[23]      Comme je l"ai dit, l"avocate de M. Suresh invoque deux motifs à l"appui de la demande, à savoir qu"il existait une crainte raisonnable de partialité fondée sur le fait que j"avais tiré une conclusion au sujet de la crédibilité de M. Suresh et que M. Suresh [TRADUCTION] "s"[était] plaint au Conseil de la magistrature de la décision [que j"avais rendue] à l"égard de l"attestation de sécurité visée à l"article 40.1 ".

[24]      Je suis convaincu que ni l"un ni l"autre de ces motifs, tels qu"ils sont énoncés, ne m"autorisent à me récuser lorsqu"il s"agit de savoir si M. Suresh a renoncé aux moyens fondés sur la Charte en ce qui concerne les conditions attachées à l"ordonnance de remise en liberté ou si je puis maintenant les examiner et, dans l"affirmative, déterminer si ces conditions sont conformes à la Charte .

[25]      Premièrement, en ce qui concerne la question de la crédibilité, comme je l"ai déjà dit, je m"étais prononcé sur la crédibilité de M. Suresh avant de déterminer les conditions de mise en liberté. Si une question de crainte raisonnable de partialité s"était posée par suite de la conclusion que j"avais tirée au sujet de la crédibilité, elle aurait dû être soulevée pendant l"audience ou avant l"audition de la demande de mise en liberté ou, tout au moins, devant la Cour d"appel.

[26]      Je ne puis voir comment il peut maintenant exister une crainte raisonnable de partialité à cause de la conclusion que j"ai tirée au sujet de la crédibilité alors que, le 19 mars 1998 ou auparavant, il n"existait aucune crainte raisonnable de ce genre. Les mêmes conditions existent maintenant.

[27]      En second lieu, M. Suresh, par l"entremise de son avocate, dit maintenant qu"il a déposé une plainte devant le Conseil de la magistrature au moyen d"une lettre datée du 19 octobre 1998, pour les motifs énoncés dans l"avis de requête.

[28]      M. Suresh lui-même dit que le dépôt de la plainte à lui seul [TRADUCTION] " n"empêcherait pas le juge Teitelbaum de continuer à entendre l"affaire et à examiner les questions qui se posent au sujet de l"examen des motifs de garde, mais [qu"]il s"agit d"un facteur additionnel qui, compte tenu des conclusions tirées au sujet du manque de crédibilité du demandeur, autorise le juge présidant l"audience à se récuser [...] ".

[29]      Si la conclusion tirée au sujet du manque de crédibilité, qui l"amène à avoir une crainte raisonnable de partialité, avait préoccupé M. Suresh, je suis convaincu qu"il aurait dû soulever la question le plus tôt possible, c"est-à-dire avant l"audience relative à la mise en liberté.

[30]      Étant donné que j"ai tiré la conclusion susmentionnée au sujet de la crédibilité, le fait que M. Suresh n"est pas satisfait de la conclusion que j"ai tirée au sujet de l"attestation de sécurité et qu"il a déposé une plainte auprès du Conseil de la magistrature ne permettrait pas à une personne raisonnablement bien informée d"avoir une crainte raisonnable de partialité.

[31]      Le simple fait que M. Suresh a déposé la plainte auprès du Conseil de la magistrature ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. M. Suresh lui-même dit que le dépôt de la plainte en soi [TRADUCTION] " n"empêcherait pas le juge Teitelbaum de continuer à entendre l"affaire et à examiner les questions [...] ".

[32]      Je n"ai pas l"intention de faire des commentaires au sujet du grand nombre de cas qui m"ont été soumis pour examen. Les faits de l"espèce, y compris la conclusion que j"ai tirée au sujet de la crédibilité de M. Suresh ne permettent pas à une personne raisonnablement bien informée, à mon avis, d"avoir une crainte raisonnable de partialité.

[33]      La demande est rejetée. L"audition de la question ou des questions qui m"ont été renvoyées par la Cour d"appel fédérale aura lieu à Toronto le 24 novembre 1998 à 10 h.

                                       " Max M. Teitelbaum "

                            

                                 J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 10 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      DES-3-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MANICKAVASAGAM SURESH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 9 novembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Teitelbaum en date du 10 novembre 1998

ONT COMPARU :

     Barbara Jackman      pour le demandeur
     Normand Vaillancourt      pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Jackman Waldman et associés      pour le demandeur

     Avocats

     Toronto (Ontario)

     M. Rosenberg      pour les défendeurs

     Sous-procureur général

     du Canada

     Ottawa (Ontario)

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