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Date : 20001024

IMM-417-00

E n t r e :

                                      GERON ATWELL

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                                     

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 6 octobre 1999 par laquelle William Sheppit (le représentant du ministre) s'est dit d'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada au sens du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). L'autorisation d'introduire la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée le 19 juin 2000.

Genèse de l'instance

[2]                Le demandeur, Geron Atwell, est un citoyen de Trinidad âgé de 26 ans. Il a obtenu le droit de s'établir au Canada à l'âge de 17 ans.


[3]                Le 12 avril 1999, le demandeur a été reconnu coupable d'importation d'une substance réglementée, en l'occurrence de la cocaïne, et a été condamné à une peine d'emprisonnement de 30 mois. Il avait essayé de faire entrer clandestinement au Canada 800 grammes de cocaïne à son retour d'un voyage à Trinidad en juillet 1997. Il avait dissimulé la drogue dans ses chaussures. Une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur sur le fondement de cette déclaration de culpabilité.

[4]                Le 12 juillet 1998, le demandeur a été accusé de voies de fait causant des lésions corporelles et d'avoir pris un véhicule automobile sans le consentement de son propriétaire. Ces accusations découlaient d'un incident mettant en cause la petite amie du demandeur. Le demandeur et sa petite amie se disputaient alors que celle-ci conduisait la voiture de son père. Le demandeur avait pris une quantité excessive d'alcool ce soir-là à l'occasion d'un repas de noces. Il a commencé à frapper sa petite amie et à lui donner des coups de poing. Elle a immobilisé la voiture, elle lui a cédé le volant et ils ont continuer à se disputer. Le demandeur a continué à frapper sa petite amie. Prise de peur, elle s'est jetée de la voiture en marche et a subi d'autres blessures.

[5]                Le demandeur a été condamné avec sursis le 20 juillet 1998 et a fait l'objet d'une probation de 18 mois.


[6]                Le demandeur a été informé par une lettre datée du 28 juillet 1999 que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) avait l'intention de solliciter l'avis du ministre au sujet du danger que constituait le demandeur. Cette lettre précisait que les documents suivants seraient soumis au ministre : visa d'immigrant et fiche relative au droit d'établissement, mandat d'incarcération en date du 12 avril 1999, rapport no N904396673, compte rendu détaillé des antécédents criminels, rapport du SCC sur l'évaluation initiale, rapport d'évaluation préliminaire du SCC, plan correctionnel du SCC, rapport d'enquête communautaire du SCC et évaluation de la décision du SCC. La lettre précisait que ces pièces étaient annexées. Le demandeur était également invité à formuler ses observations par écrit.

[7]                L'avis de danger pour le public a été émis le 6 octobre 1999 et le demandeur a été renvoyé du Canada le 15 février 2000.

Thèse du demandeur

[8]                Le demandeur, invoquant l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, affirme que les décisions prises en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi doivent être motivées. Or, CIC a indiqué au greffe de la Cour fédérale, dans une lettre en date du 7 février 2000, qu'elle ne motivait pas sa décision (dossier de la demande du demandeur, à la page 12).


[9]                Le demandeur soutient par ailleurs qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale, étant donné que deux documents, à savoir les documents intitulés « Demande en vue d'obtenir l'avis du ministre » et « Danger pour le public - Rapport sur l'avis du ministre » ne lui ont pas été communiqués avant la prise de la décision.

Thèse du défendeur

[10]            Le défendeur maintient qu'il n'est pas nécessaire de motiver la décision en raison de l'arrêt Williams c. Canada (M.C.I.), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F) de la Cour d'appel fédérale, mais qu'en tout état de cause, si la décision doit être motivée, les rapports ministériels constituent les motifs exigés dans le cas des décisions visées au paragraphe 70(5). Selon le défendeur, le défaut de divulguer les rapports ne constitue pas un manquement à l'équité procédurale si les rapports en question ne reposent pas sur des éléments de preuve extrinsèques ou sur des renseignements erronés, ce que le demandeur ne prétend pas.

Analyse

[11]            Le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration porte :



70(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be mposed.

70(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre_ :

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

                               


[12]            La principale question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si les décisions visées au paragraphe 70(5) doivent être motivées.

[13]            Dans le jugement Ip c. Canada (M.C.I.) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 77 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé a examiné la décision rendue par le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, et notamment le raisonnement qu'elle a suivi à la page 43, et il a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 25 à 27 :

Je partage l'avis du demandeur qu'il se peut que des motifs écrits soient aussi nécessaires dans le contexte d'un avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. Il est clair que nous avons ici un cas où la décision a une signification extraordinairement importante pour la personne en cause et aura un impact fondamental sur son avenir. Le demandeur laisserait sa femme et son enfant au Canada et recevrait vraisemblablement une réception hostile des autorités chinoises auxquelles il a échappé en se réfugiant ici. Dans ces circonstances très particulières, le délégué du ministre avait l'obligation d'expliquer pourquoi sa décision, fondée sur un seul crime, semble ne pas tenir compte du tout de la preuve actuelle qui donne à penser que le demandeur n'est plus un danger pour le public.

Dans un arrêt très récent de la Cour d'appel fédérale,Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) [renvoi omis], l'avocat du ministre n'a pas contesté le fait que des motifs écrits soient nécessaires. Les parties étaient toutefois en désaccord sur le caractère suffisant des motifs présentés par le ministre (une note de service présentée par un analyste du ministère, M. Gauthier). Au sujet de cette question, la Cour a déclaré que « le caractère suffisant des motifs peut être soulevé valablement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, dans la mesure où ces motifs ne rendent pas compte de l'examen des facteurs pertinents » .


En l'instance, il n'y a pas de motifs écrits du ministre ou de son délégué. L'avocat du ministre a soutenu qu'en l'instance, l'arrêt Baker n'imposait pas l'exigence de motifs écrits, puisque [traduction ] « un avis de danger n'enfreint pas la Charte et n'est pas une décision qui a des conséquences significatives pour la personne qui en fait l'objet » . Subsidiairement, il a soutenu que si des motifs devaient être présentés, ce que le ministre nie expressément, alors le document » Demande en vue d'obtenir l'avis du ministre « répond aux exigences fixées dans l'arrêt Baker.

[14]            Le juge Dubé a qualifié la demande en vue d'obtenir l'avis du ministre de « rapport sommaire » et a estimé qu'elle ne constituait des motifs. L'avis du ministre a par conséquent été annulé pour cause de motivation insuffisante.

[15]            Il convient à ce moment-ci de signaler que, bien que le ministre défendeur ne contestât pas, dans l'affaire Suresh c. Canada (M.C.I.), [2000] F.C.J. No. 5 (Q.L.) (A-415-99, 18    janvier 2000), la nécessité des motifs, la Cour d'appel fédérale a tout simplement pris acte de cette concession et n'a pas expressément statué que tous les avis de danger devaient être motivés. Qui plus est, l'affaire Suresh portait sur une décision rendue en vertu de l'alinéa 53(1)b), c'est-à-dire sur une décision portant qu'un réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada.


[16]            Dans le jugement Gonzalez c. Canada (M.C.I.) (IMM-2333-99 et IMM-2334-99, 23 mai 2000), le juge Campbell a appliqué le raisonnement suivi par le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker et a statué que l'importance des avis donnés en vertu des paragraphes 70(5) et 53(1) était aussi « profonde » que celle des décisions reposant sur des considérations humanitaires et que les avis devaient donc être motivés. Le juge Campbell a poursuivi en concluant que la demande en vue d'obtenir l'avis du ministre constituait des motifs.

[17]            La question de savoir en quoi consiste l'obligation d'agir équitablement qui incombe au ministre lorsqu'il émet un avis sur le « danger » en application des dispositions du paragraphe 70(5) a été examinée dans l'affaire Qazi c. Canada (M.C.I.), [2000] F.C.J. No. 1222 (Q.L.) (IMM-5317-99, 26 juillet 2000). Le juge Hugessen a estimé qu'il y avait eu manquement à l'obligation d'agir avec équité parce que deux rapports, sur lesquels le ministre se fondait, n'avaient pas été divulgués au demandeur. Le juge Hugessen a toutefois expressément refusé de tirer une conclusion sur la question de l'obligation de motiver la décision et sur la question de savoir si ces rapports équivalaient à des motifs.

[18]            En revanche, dans le jugement Tewelde c. Canada (M.C.I.) (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 86 (C.F. 1re inst.), le juge Muldoon a statué, aux paragraphes 24 et 25, qu'il n'est pas nécessaire de motiver un avis formulé en vertu du paragraphe 70(5) :

[TRADUCTION]


L'argument du demandeur que l'obligation d'agir avec équité exige que les deux avis de danger soient motivés repose sur le jugement du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S.. 817, (no 25823, 9 juillet 1999) (C.S.C.). Dans ce jugement, le juge L'Heureux-Dubé J. confirme que l'importance que revêt la décision pour le requérant ou les incidences qu'elle peut avoir sur lui constituent un facteur significatif pour décider le degré d'équité procédurale qu'il convient de respcter dans le cas d'un processus décisionnel déterminé. Ainsi que le défendeur le fait toutefois remarquer, le juge Strayer n'a pas perdu de vue cette observation dans le jugement Williams, précité, dans lequel il a conclu qu'il n'est pas nécessaire de motiver un avis de danger donné en vertu du paragraphe 70(5). Le juge Strayer écrit [au paragraphe 12] :

Qu'a donc perdu l'intimé du fait de la formulation par le ministre de l'avis selon lequel l'intimé constitue un danger pour le public au Canada ? Il a perdu le droit d'interjeter appel en vertu de l'alinéa 70(1)a) sur une question de droit ou de fait, ou sur une question mixte de droit et de fait. À la place, il a obtenu le droit de demander un contrôle judiciaire, recours qui serait au moins aussi efficace à l'égard d'une question de droit, mais qui ne permettrait peut-être pas un examen aussi complet des conclusions de fait. L'intimé n'a pas exercé ce droit, et il n'est pas donné à entendre qu'il a vraiment le désir non partagé de soutenir que l'arbitre a commis une erreur de fait ou de droit en prenant la mesure d'expulsion. Quoi qu'il en soit, la substitution d'un contrôle judiciaire à un droit d'appel, du fait de l'avis donné par le ministre, ne me paraît pas constituer une atteinte grave aux droits de l'intimé.

Un autre raison qui justifie d'établir une distinction entre l'analyse que le juge L'Heureux-Dubé fait des décisions visées au paragraphe 114(2) avec à tout le moins les avis émis en vertu du paragraphe 70(5) est que, dans ce dernier cas, il y a lieu de mettre en balance la situation de l'intéressé avec le droit des Canadiens de préciser le degré de danger qu'ils sont prêts à tolérer. De fait, la nature de l'avis et la procédure suivie pour le formuler font en sorte que nous sommes en présence d'une décision rendue par un tribunal à caractère beaucoup plus administratif que celui qui rend une décision en vertu du paragraphe 114(2). Ainsi donc, on ne saurait considérer que l'arrêt Baker a supplanté l'analyse solide du juge Strayer, d'autant plus que le demandeur ne se fonde sur cet arrêt que jusqu'à un certain point. Il n'est donc toujours pas nécessaire de motiver les avis émis en vertu du paragraphe 70(5). Le fait qu'il faille motiver d'autres décisions, telles que celles qui sont prévues à l'alinéa 53(1)d) de la Loi - ce que le défendeur reconnaît -, n'a aucune importance. Quant à la question de la nécessité d'une audition, la Cour conclut que, compte tenu des facteurs pertinents, dont les incidences sur le demandeur de l'avis formulé par le représentant du ministre en vertu du paragraphe 70(5), une telle audition n'est pas nécessaire.   

[19]            Pour décider si un avis de danger doit être motivé, il faut d'abord examiner la nature et l'importance d'une telle décision. Dans l'arrêt Williams, au paragraphe 15, le juge Strayer déclare ce qui suit :


L'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) a donc pour effet de substituer le droit de demander un contrôle judiciaire au droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion, de substituer l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire dont elle est investie de dispenser une personne d'une expulsion légale à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire semblable conféré à la section d'appel par l'alinéa 70(1)b), et de substituer le droit de demander un sursis judiciaire au droit d'obtenir un sursis d'origine législative. Il me paraît donc difficile de considérer l'avis du ministre comme la cause véritable de l'expulsion de l'intimé. Il n'est même pas possible d'affirmer que l'avis du ministre est une cause sine qua non parce qu'on ne peut pas présumer qu'en son absence la section d'appel aurait relevé une erreur de fait qu'un contrôle judiciaire n'aurait pas permis de relever ou aurait exercé, en application de l'alinéa b), un pouvoir discrétionnaire plus favorable à l'intimé que celui qu'aurait exercé le ministre dans le cadre de son examen des raisons d'ordre humanitaire.

[20]            Le juge Strayer a également statué qu'un avis de danger ne pouvait être assimilé à une mesure d'expulsion. L'avis de danger vise en effet une personne qui est déjà sous le coup d'une mesure d'expulsion légitime. Ce fait est, selon le juge Strayer, significatif, parce que les exigences procédurales de la justice fondamentale varient selon le contexte dans lequel elles sont invoquées.

[21]            Pour ce qui est de la question précise de la nécessité des motifs, le juge Strayer a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 42 et 43 :

J'ai du mal à comprendre pourquoi une décision non motivée est nulle pour la seule raison que son examen par un tribunal siégeant en appel ou exerçant des pouvoirs de contrôle judiciaire peut être difficile. Je reconnais une fois de plus qu'il est très souhaitable que des motifs soient fournis, mais il est tout à fait possible qu'un tribunal, ou un juge du reste, rende une décision légitime sans fournir de motifs. L'expérience démontre que les cours de justice le font quotidiennement. Pourquoi devrait-il en être autrement pour les tribunaux ? C'est particulièrement vrai lorsque les tribunaux exercent des pouvoirs en grande partie discrétionnaires, comme le ministre qui, en vertu du paragraphe 70(5), n'est pas tenu d'appliquer des principes juridiques existants à des conclusions de fait précises comme le font les cours de justice ou de nombreux tribunaux.


Je ne sais absolument pas pourquoi les cours de justice peuvent, de droit, rendre une décision non motivée, mais peuvent insister pour que les tribunaux ne puissent, de droit, le faire. Selon l'arrêt Doody et le juge des requêtes en l'espèce, cette affirmation s'explique par le fait que si le décideur ne motive pas sa décision, une cour de justice qui siège en révision ne peut pas savoir si la décision est correcte. Il me semble que cette approche est fondée sur la prémisse selon laquelle les décisions rendues par les tribunaux et les hauts fonctionnaires sont présumées erronées tant que leur bien-fondé n'a pas été établi. Toutefois, la séparation des pouvoirs et les principes ordinaires de retenue judiciaire exigent qu'il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présumant la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale. Cela ne diminue nullement l'opportunité pour le décideur de fournir des motifs, mais je ne vois pas comment on peut en faire une obligation légale en l'absence d'une exigence législative.


[22]            Le demandeur invoque l'arrêt Baker au soutien de son argument que les décisions doivent désormais être motivées et que l'arrêt Williams de la Cour d'appel fédérale ne tient plus. Je ne puis souscrire à cet argument. L'arrêt Baker portait sur des questions de partialité et des intérêts des enfants nés au Canada du requérant dans le contexte d'une décision fondée sur des considérations humanitaires relevant du paragraphe 114(2). Il n'est nulle part déclaré dans l'arrêt Baker que la décision du juge Strayer dans l'affaire Williams doit être écartée. D'ailleurs toutes les observations que la Cour a pu formuler dans l'arrêt Baker qui ne concernent pas la partialité et l'intérêt supérieur des enfants nés au Canada dans le cadre d'une décision reposant sur des considérations humanitaires ne sont que des observations incidentes qui ne lient pas notre Cour. À l'instar du juge Muldoon dabns le jugement Tewelde, j'estime qu'on ne peut considérer que l'arrêt Baker a supplanté l'analyse solide à laquelle le juge Strayer s'est livré dans l'affaire Williams. En outre, l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Williams a été refusée ([1997] S.C.C.A. No. 332 (Q.L.) (dossier no 26059 C.S.C.). Il n'est donc pas nécessaire de motiver les avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5).

[23]            Le second point litigieux à trancher est celui de savoir si le défendeur était tenu de divulguer les rapports ministériels au demandeur.        

[24]            En l'espèce, le dossier authentique du tribunal contient un document intitulé « Danger pour le public - Rapport sur l'avis du ministre » (dossier authentique du tribunal, aux pages 16 à 18, avec pièces jointes ; aucun document intitulé « Demande en vue d'obtenir l'avis du ministre » n'a été versé au dossier). Le rapport en question s'apparente davantage à un formulaire qu'à un résumé ou à une analyse. Voici le texte de la partie F, intitulée « Recommandations » :

[TRADUCTION]

VU LES RENSEIGNEMENTS QUI PRÉCÈDENT ET COMPTE TENU DE TOUS LES FACTEURS PERTINENTS, JE RECOMMANDE QUE, CONFORMÉMENT À (AUX)

ARTICLE(S)                                           46.01                        x

53(1)

70(5)                        x


DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION, IL SOIT DEMANDÉ AU MINISTRE DE SE DIRE D'AVIS QUE LE SUSMENTIONNÉ CONSTITUE UN DANGER POUR LE PUBLIC.

[25]            Dans le jugement Bahrami c. Canada (M.C.I.) (1999), 168 F.T.R. 190 (C.F. 1re inst.), le juge Sharlow a déclaré, au paragraphe 46 :

Les faits énoncés dans ces deux rapports, qui se limitent à résumer les documents déposés au dossier, sont assez exacts sauf pour ce qui est de l'exception déjà mentionnée. Suivant l'obligation imposée par l'équité et l'impératif de la justice fondamentale, il n'était pas essentiel de rencontrer le demandeur ou de lui donner l'occasion de réviser ces rapports. Ce qui importe, c'est que le demandeur a pu examiner les documents qui ont servi à la rédaction de ces rapports et présenter des observations à leur sujet.

[26]            Le juge Hugessen adopte le point de vue contraire dans l'affaire Qazi. Dans cet arrêt, la Cour a statué que le défaut du ministre défendeur de fournir au demandeur le rapport local de l'agent d'immigration et le rapport sommaire de l' « Administration centrale » constituait un manquement à l'obligation d'agir avec équité.


[27]            Dans le jugement Bhagwandass c. Canada (M.C.I.), [2000] 1 C.F. 619 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson s'est fortement appuyé sur l'analyse du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker pour conclure que l'obligation d'agir équité à laquelle le ministre était tenu lorsqu'il donne son avis au sujet du danger que représente une personne n'est pas négligeable. Le juge Gibson a estimé que l'arrêt Williams de la Cour d'appel fédérale, de même que d'autres décisions de la Cour avaient été supplantées par l'arrêt Baker de la Cour suprême. Il a conclu que le fait de ne pas divulguer les rapports ministériels à l'expulsé et de ne pas accorder à ce dernier la possibilité de répondre constituaient un manquement à l'obligation d'agir avec équité.

[28]            La décision du juge Gibson dans l'affaire Bhagwandass a été citée et approuvée ou suivie dans les jugements Andino c. Canada (M.C.I.), [2000] F.C.J. No. 1023 (Q.L.) (IMM-2208-99, 27 juin 2000) et Gonzalez, précité ; elle a été implicitement critiquée et écartée dans les décisions Tewelde, précitée,et Siavashi c. Canada (M.C.I.), [2000] F.C.J. No. 1132 (Q.L.) (IMM-1942-99, 12 juillet 2000). L'affaire Bhagwandass a été portée devant la Cour d'appel fédérale (A-850-99).

[29]            Ainsi que je l'ai déjà déclaré, je suis d'avis que l'arrêt Baker n'a pas supplanté l'arrêt Williams et que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale régit toujours le contrôle judiciaire des avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5). Je ne puis par conséquent me ranger à l'analyse que le juge Gibson a fait du raisonnement suivi par le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, qui portait sur une demande fondée sur des considérations humanitaires, ou retenir l'application qu'il fait de ce raisonnement aux affaires portant sur un avis de danger. Les avis de danger n'ont rien en commun avec les décisions fondées sur des considérations d'ordre humanitaire : ils ont une portée totalement différente et s'inscrivent dans un contexte entièrement différent.


[30]            Il ressort à mon avis de la jurisprudence pertinente qu'il n'est pas nécessaire de divulguer les rapports ministériels au requérant lorsque ceux-ci sont fondés sur des renseignements et des éléments que le requérant connaît déjà et lorsque ce dernier a eu l'occasion d'y répondre (voir les jugements Canada (M.C.I.) c. Davis (1997), 132 F.T.R. 176 (C.F. 1re inst.), Jarrett c. Canada (M.C.I.) (1997), 139 F.T.R. 31 (C.F. 1re inst.), Bayani c. Canada (M.C.I.) (1998), 156 F.T.R. 119 (C.F. 1re inst.), Helm c. Canada (M.C.I.), [1998] F.C.J. No. 1940 (Q.L.) (IMM-4668-97, 16 décembre 1998) et Bahrami c. Canada (M.C.I.), précité).

[31]            À mon avis, le courant jurisprudentiel suivant lequel la divulgation des rapports n'est obligatoire que lorsqu'ils renferment des renseignements ou des éléments que le requérant ne connaît pas est raisonnable. En l'espèce, le rapport contenant l'avis du ministre au sujet du danger pour le public ne renferme aucun renseignement que le demandeur ne connaissait pas déjà. Qui plus est, le demandeur avait obtenu des copies des annexes de ce rapport et a eu l'occasion de formuler des observations par écrit. Le demandeur ne conteste pas le contenu de ce rapport en raison des présumées erreurs, inexactitudes ou fausses qualifications qu'il contiendrait.

[32]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[33]            Les questions suivantes soumises par l'avocat du demandeur seront certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration en tant que questions graves de portée générale :

Les avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5) doivent-ils être motivés et, dans l'affirmative, existe-t-il des motifs en l'espèce ?

Le RAPPORT SUR L'AVIS DU MINISTRE CONCERNANT LE DANGER POUR LE PUBLIC établi conformément au paragraphe 70(5) doit-il être divulgué à la personne visée par l'avis de danger avant qu'une décison soit prise ?

« Max M. Teitelbaum »

                                                                     

J.C.F.C.

Calgary (Alberta)

Le 24 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L. Trad. A.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               IMM-417-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             GERON ATWELL c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                15 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                                  24 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU:

Me Michael Crane                                             POUR LE DEMANDEUR

Me Ian Hicks                                                     POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Michael Crane

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR


Date : 20001024

IMM-417-00

     CALGARY (ALBERTA), LE MARDI 24 OCTOBRE 2000

    EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

E n t r e :

                                      GERON ATWELL

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                                     

                                   O R D O N N A N C E

Pour les motifs exposés dans les motifs de mon ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La Cour certifie que la présente affaire soulève les questions graves de portée générale suivantes au sens du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration :

Les avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5) doivent-ils être motivés et, dans l'affirmative, existe-t-il des motifs en l'espèce ?


Le RAPPORT SUR L'AVIS DU MINISTRE CONCERNANT LE DANGER POUR LE PUBLIC établi conformément au paragraphe 70(5) doit-il être divulgué à la personne visée par l'avis de danger avant qu'une décision soit prise ?

« Max M. Teitelbaum »

                                                                                                                                                                            J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L. Trad. A.                                                                                    

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