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Date : 20210708


Dossiers : T‑271‑20

T‑582‑20

T‑583‑20

Référence : 2021 CF 727

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2021

En présence de madame la juge Strickland

Dossier : T‑271‑20

ENTRE :

TREVOR MUNROE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ET ENTRE :

ANTHONY VEINOT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‑582‑20

ET ENTRE :

TREVOR MUNROE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‑583‑20

ET ENTRE :

ANTHONY VEINOT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Munroe et M. Veinot ont tous deux présenté une demande de contrôle judiciaire (dossiers de la Cour T‑271‑20 et T‑339‑20, respectivement) contestant la décision du ministère des Pêches et des Océans [le MPO] de modifier le calcul de l’allocation de quota pour le groupe X, un groupe de titulaires de permis de pêche du poisson de fond de Nouvelle‑Écosse établi aux termes des Lignes directrices opérationnelles relatives à la gestion communautaire Scotia‑Fundy, Flotilles de moins de 45 pi à engins fixes, région des Maritimes, datées de décembre 1998 [les Lignes directrices opérationnelles]. Ces demandes de contrôle judiciaire ont par la suite été réunies (T‑271‑20). Les mêmes demandeurs ont également chacun présenté une demande de contrôle judiciaire visant des décisions rendues par des conseils de gestion communautaires [les CGC ou les conseils], constitués aux termes des Lignes directrices opérationnelles. M. Munroe a contesté la décision par laquelle un CGC a refusé sa demande visant à transférer son permis et son historique de capture à un autre CGC (T‑582‑20). M. Veinot a contesté la décision d’un CGC de ne pas tenir de réunion visant à examiner sa demande d’adhésion (T‑583‑20).

[2] Compte tenu des points communs entre les parties, leurs avocats et une grande partie des faits essentiels, ainsi que du chevauchement considérable des questions en litige et des éléments de preuve, les dossiers ont été réunis dans un seul dossier, à savoir T‑271‑20, et cette affaire a été entendue le 16 juin 2021. Le 17 juin 2021, à la suggestion des avocats, les dossiers T‑582‑20 et T‑583‑20 ont été plaidés conjointement. Les motifs ci‑après traitent de chacune des trois demandes de contrôle judiciaire.

Le contexte factuel général

[3] Les demandeurs sont deux pêcheurs de la Nouvelle‑Écosse qui sont titulaires de permis de pêche du poisson de fond. M. Munroe a obtenu son permis (no 101220) le 16 mai 2018 après que le MPO eut approuvé la demande formulée par la personne qui était alors titulaire du permis de délivrer un permis de remplacement à un autre pêcheur admissible, soit M. Munroe. M. Veinot a obtenu son permis (no 102309) dans des circonstances semblables le 23 mars 2017. Les deux permis se rapportent à la « flottille de pêche du poisson de fond de moins de 45 pi utilisant des engins fixes dans la région des Maritimes » [la flottille de moins de 45 pi à engins fixes], qui désigne une flottille de pêche côtière composée de bateaux de moins de 45 pi de long appartenant à des propriétaires‑exploitants pratiquant la pêche du poisson de fond.

[4] Les parties conviennent que cette pêche est régie par un système de gestion communautaire établi initialement aux termes des Lignes directrices opérationnelles. Les parties conviennent également que les Lignes directrices opérationnelles n’ont pas été révisées ni mises à jour depuis 1998 et qu’elles ne reflètent pas nécessairement l’évolution du système de gestion communautaire au cours des 25 dernières années.

[5] En résumé, à l’heure actuelle, dans le système de gestion communautaire, tous les permis que le MPO a délivrés aux titulaires d’un permis de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes sont « associés à » l’un des sept groupes géographiques communautaires désignés. On compte dix CGC au sein des sept groupes communautaires. Le MPO a désigné les groupes communautaires géographiques en fonction de ses registres sur l’enregistrement du port d’attache du titulaire de permis au 31 décembre 1996. Les titulaires d’un permis doivent soit rejoindre le CGC qui régit le groupe communautaire auquel leur permis est associé, soit rejoindre ce que le MPO appelle le « groupe X », qui est géré par le MPO. Le groupe X est accessible à tous les titulaires d’un permis qui ne veulent pas rejoindre un CGC ou qui ne remplissent pas les critères d’admissibilité pour le faire.

[6] Le MPO ne fixe pas de quotas individuels, d’allocations de quota, ni de limites de capture aux permis de pêche des titulaires de permis individuels de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes. Le MPO fixe plutôt un total autorisé des captures [le TAC] des stocks de poisson de fond pour chaque saison, et à partir du TAC, il accorde une allocation de quota à chaque flottille en fonction de « parts de pourcentage ». Le MPO divise ensuite le TAC attribué à la flottille de moins de 45 pi à engins fixes afin d’accorder une allocation de quota à chaque CGC, là encore en fonction de parts de pourcentage. Le MPO détermine la part de pourcentage de l’allocation de quota pour un stock de poisson de fond donné pour chaque CGC de la façon suivante :

  • - il détermine l’historique de la capture moyenne de 1986 à 1993 (période de référence) pour chaque titulaire d’un permis faisant partie d’un CGC;

  • - il additionne les historiques de la capture moyenne de tous les titulaires d’un permis du CGC en question afin d’obtenir l’historique total de la capture moyenne du CGC en question;

  • - il divise ensuite l’historique total de la capture moyenne de chaque CGC par l’historique total de la capture moyenne de tous les CGC, et obtient ainsi la part de pourcentage de chaque CGC.

[7] Le pourcentage attribué à un CGC demeure généralement le même chaque année, mais le nombre de tonnes attribué à un CGC varie en fonction du TAC annuel, qui fluctue.

[8] Ce système de gestion communautaire fonctionne selon un modèle de pêche dans lequel chaque titulaire de permis d’un groupe communautaire pêche de façon concurrentielle avec les autres titulaires de permis du groupe jusqu’à ce que le quota attribué à leur CGC pour le stock et la saison en question soit atteint.

Contexte factuel – Allocation de quota au groupe X

[9] Jusqu’en 2020, la façon de calculer l’allocation de quota pour le groupe X était semblable à celle utilisée pour les CGC. Le MPO déterminait dans quelle mesure l’historique de la capture du permis en question (au cours de la période de référence) avait contribué à la part de pourcentage du CGC auquel le permis était associé pour chaque stock de poisson de fond. Si le titulaire du permis avait rejoint le groupe X, le MPO transférait cette partie du quota, rajustée en fonction du TAC, au groupe X. Tous les membres du groupe X pêchaient aussi de façon concurrentielle jusqu’à l’atteinte du quota alloué.

[10] En 2018 et en 2019, M. Munroe a décidé de pêcher dans le groupe X, et non dans le CGC auquel son permis était associé, à savoir la division 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse [le CGC ENS]. Comparativement à d’autres permis du CGC ENS, l’historique de la capture de flétan de son permis était élevé. Lorsque M. Munroe a rejoint le groupe X, le MPO a attribué cet historique de capture au groupe X aux fins de l’allocation de quota. La décision de M. Munroe de rejoindre le groupe X a entraîné le transfert d’environ 4,5 % de l’historique de capture du CGC ENS au groupe X.

[11] En 2019, M. Veinot a lui aussi rejoint le groupe X. Selon le dossier, l’historique de capture associé à son permis est très faible. M. Veinot et M. Munroe étaient les deux seuls membres du groupe.

[12] En octobre 2018, au cours d’une réunion du comité consultatif de pêche du poisson de fond au moyen d’engins fixes de Scotia‑Fundy [le comité consultatif], un représentant du CGC ENS a soulevé des préoccupations quant à la capacité d’un seul titulaire de permis auquel est associé un historique de capture important d’entraîner le transfert d’une grande partie du quota au groupe X. Ce comité consultatif a été établi par le MPO et son mandat consiste à formuler des recommandations au MPO sur différentes questions se rapportant à la gestion de la pêche du poisson de fond au moyen d’engins fixes. Le comité consultatif est composé de représentants du MPO, de chaque CGC, du gouvernement provincial et des peuples autochtones. Il a été question de la formule d’allocation de quota au groupe X lors des réunions du comité consultatif tenues en mars 2019 et en mai 2019.

[13] Au cours d’une réunion tenue le 24 octobre 2019, la présidente, Mme Penny Doherty, du MPO, a souligné qu’un groupe de travail du comité consultatif avait recommandé d’utiliser tout au plus 5 % de l’historique de capture d’un titulaire de permis pour calculer le quota du groupe X. Cependant, la haute direction du MPO estimait que ce pourcentage était arbitraire et n’était pas justifié. Mme Doherty a proposé une autre solution, à savoir de plafonner le quota du groupe X en utilisant la capture moyenne par permis pour chaque stock. Cette solution a été revue lors d’une réunion tenue le 14 novembre 2019, au cours de laquelle le comité consultatif a recommandé que la capture moyenne par permis (de 1986 à 1993, soit la période de référence), par CGC et pour chaque stock, calculée au prorata du quota annuel, serve de plafond pour le calcul du quota du groupe X.

[14] Le 26 novembre 2019, Mme Doherty a informé le groupe X, à savoir les demandeurs, de la recommandation du comité consultatif. Elle a également invité les demandeurs à formuler des observations sur cet éventuel changement. L’avocat de M. Munroe a fourni une lettre exprimant leur opposition aux changements le 10 décembre 2019.

[15] Le 24 janvier 2020, le directeur du MPO responsable de la gestion des ressources régionales a recommandé que le directeur régional de la gestion des pêches approuve le changement indiqué au calcul du quota du groupe X. La recommandation et les facteurs pris en compte ont été décrits dans une [traduction] « Note de service à l’intention du directeur régional – Changement de la méthode de calcul du quota du groupe X (pour décision) » [la note de service]. Le directeur régional était d’accord avec cette recommandation.

[16] Le 30 janvier 2020, Mme Doherty a envoyé un courriel aux demandeurs, qui étaient alors les seuls membres du groupe X, pour les informer de ce changement.

[17] M. Munroe a présenté un avis de demande dans le dossier T‑271‑20 le 21 février 2020, et M. Veinot a présenté un avis de demande dans le dossier T‑339‑20 le 4 mars 2020. Ils contestaient tous deux le message de Mme Doherty du 30 janvier 2020. Par une ordonnance datée du 28 août 2020, les dossiers ont été réunis en application de l’alinéa 105a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, et ils ont instruits conjointement dans le dossier T‑271‑20.

Le régime législatif

Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, LRC 1985, c F‑15

4 (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;

b) aux ports de pêche et de plaisance;

c) à l’hydrographie et aux sciences de la mer;

d) à la coordination des plans et programmes du gouvernement fédéral touchant aux océans.

Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 [Loi sur les pêches]

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches — ou en permettre la délivrance —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

43 (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi, notamment :

a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes, notamment à des fins sociales, économiques et culturelles;

[…]

c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l’écoulement du poisson;

d) concernant l’exploitation des bateaux de pêche;

[…]

f) concernant la délivrance, la suspension et la révocation des licences, permis et baux, notamment : […]

g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux;

g.01) concernant l’utilisation et le contrôle des droits et privilèges conférés par un bail, un permis ou une licence délivré sous le régime de la présente loi, notamment l’interdiction de transférer l’utilisation ou le contrôle de ces droits et privilèges sauf à certaines conditions réglementaires;

[…]

l) prescrivant les pouvoirs et fonctions des personnes chargées de l’application de la présente loi, ainsi que l’exercice de ces pouvoirs et fonctions;

m) habilitant les personnes visées à l’alinéa l) à modifier les périodes de fermeture, les contingents, les engins ou l’équipement de pêche ou les limites de taille ou de poids du poisson fixés par règlement pour une zone ou à les modifier pour un secteur de zone;

[…]

p) prévoyant toute mesure d’ordre réglementaire prévue par la présente loi.

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prévoir les conditions d’exercice par le ministre du pouvoir de prendre un règlement en vertu du paragraphe (3).

Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53

22 (1) Pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, le ministre peut indiquer sur un permis toute condition compatible avec le présent règlement et avec les règlements énumérés au paragraphe 3(4), notamment une ou plusieurs des conditions concernant ce qui suit :

a) les espèces et quantités de poissons qui peuvent être prises ou transportées;

[…]

c) les eaux dans lesquelles la pêche peut être pratiquée;

Lignes directrices opérationnelles pour la gestion communautaire dans la flottille de moins de 45 pi à engins fixes de Scotia‑Fundy, région des Maritimes

[18] Bien que cela ne soit pas précisé, les Lignes directrices opérationnelles sont vraisemblablement prises en vertu du pouvoir du ministre des Pêches et des Océans de gérer les pêches, comme le prévoit le paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, LRC 1985, c F‑15.

[19] Les lignes directrices opérationnelles n’ont pas force de loi. Il ressort des éléments de preuve présentés par le défendeur que malgré des changements apportés aux politiques des Lignes directrices opérationnelles, les Lignes directrices opérationnelles en soi n’ont pas été mises à jour depuis leur publication en 1998.

[20] Voici les parties les plus pertinentes en l’espèce :

Plans de pêche axés sur la conservation en gestion communautaire

Autorité

Les politiques et principes courants de gestion communautaire sont principalement établis par l’intermédiaire du comité de la flottille à engins fixes de la région de Scotia‑Fundy, qui formule des recommandations aux fins de mise en œuvre par le MPO. En vertu des lois et règlements actuels, aucun pouvoir n’est délégué aux différents conseils communautaires : le Ministère reste le détenteur du pouvoir législatif. En vertu du système actuel, les conseils de gestion soumettent leurs plans de pêche pour approbation et mise en œuvre par le MPO, à condition qu’ils n’entrent pas en conflit avec la loi en vigueur et qu’ils respectent les conditions de conservation. Un PPAC propre à toutes les flottilles de moins de 45 pi à engins fixes est élaboré et tous les conseils de gestion doivent y adhérer. Outre ce PPAC générique, le PPAC communautaire relatif à la flottille de 45 pi à engins fixes peut contenir des mesures de gestion supplémentaires, notamment des quotas saisonniers, des limites par sortie et des sanctions qui ne sont pas mises en application par le MPO. La plupart des groupes exigent également des membres qu’ils signent un accord autorisant le MPO à envoyer les déclarations des prises individuelles hebdomadaires des titulaires de permis au conseil de gestion désigné, aux fins d’examen. Cela permet aux conseils de gestion de veiller à ce que les participants de leurs groupes respectent les mesures de gestion énoncées dans leur plan.

Le MPO alloue les quotas aux groupes de gestion communautaires géographiques approuvés avec le soutien et en fonction des recommandations du comité de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes. Toute sous‑allocation et tout quota saisonnier sont mis en œuvre en fonction des recommandations formulées par un conseil de gestion donné dans un PPAC communautaire. Les conseils de gestion sont ensuite tenus de surveiller les quotas disponibles de tous les groupes de leur communauté.

[…]

Changement de communauté des titulaires de permis

Bien que chaque permis soit associé, à des fins d’administration et de gestion des quotas, à l’une des sept communautés géographiques, cela n’affecte pas la présente politique de réémission des permis à une autre personne à la demande du titulaire de permis d’origine. Chaque titulaire de permis devrait cependant être conscient des conséquences en matière de quotas ou de pêche. La désignation communautaire se fonde sur l’enregistrement du port d’attache du titulaire de permis d’après les registres du MPO au 31 décembre 1996. De ce fait, tout pêcheur dont le permis de pêche du poisson de fond est réémis est concerné par le plan communautaire initial du lieu où le permis a été délivré, sauf les conseils de gestion négocient entre eux un changement de communauté.

Les politiques adoptées par le comité de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes permettent aux titulaires de permis de changer de communauté géographique, à condition que les deux conseils de gestion concernés y consentent. Le changement de désignation géographique d’un permis signifie qu’une communauté perd ou gagne un permis, ce qui a des conséquences sur les quotas et l’effort. Actuellement, les deux conseils de gestion doivent appuyer le changement de communauté et approuver le volume de quota à transférer, puis en informer le MPO. Les différents conseils de gestion n’ont pas à adopter des formules de quotas précises, mais jusqu’à aujourd’hui, lorsque des titulaires de permis ont changé de communauté, les communautés du port d’attache ont accepté uniquement de transférer des quotas dont le volume était égal ou inférieur à la part en pourcentage attribuée au permis, sans pourcentage défini comme non identifié. Si les conseils ne parviennent pas à un accord, le nouveau titulaire de permis pourra choisir de pêcher en vertu du plan du conseil initial ou en vertu du plan du groupe X.

Désignation communautaire et accès aux zones de stock

La désignation communautaire et la zone dans laquelle le pêcheur est autorisé à mener ses activités sont associées de manière permanente au numéro de permis de pêche et ne changent pas en cas de transfert à un autre pêcheur. Après un transfert de permis, le nouveau titulaire de permis est lié à la communauté et à la désignation de la zone de pêche, à moins que les conseils de gestion communautaires concernés consentent à une modification.

CONSEILS DE GESTION

Cadre de référence et procédure d’exploitation à élaborer par le comité de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes, avec pour objectif d’établir un processus transparent assurant au Ministère qu’un conseil de gestion donné représente clairement les titulaires de permis d’une zone donnée et que les recommandations du conseil de gestion représentent clairement la position majoritaire de la communauté.

T‑271‑20

La décision faisant l’objet du contrôle

[21] Le courriel de Mme Doherty du 30 janvier 2020 est formulé en ces termes :

[traduction]

De : Doherty, Penny […]

Date : 30 janvier 2020 16:08

Madame, Monsieur, membre du groupe X,

Le présent courriel vise à vous informer que le MPO imposera une limite de prises pour le groupe X en 2020‑2021. Actuellement, la limite de prises du groupe X équivaut à la somme de l’historique de la capture de 1986 à 1993 (1997 à 2006 pour le flétan de l’Atlantique dans les divisions 4X5), sous forme de pourcentage, des titulaires de permis qui choisissent d’être dans le groupe X. À compter de 2020‑2021, la capture moyenne de chaque stock par titulaire de permis, déterminée en fonction de l’historique de la capture et mise à jour pour le quota annuel, sera utilisée comme limite de prises par titulaire de permis, laquelle s’ajoute au quota alloué pour la pêche concurrentielle au sein du groupe X. Cette méthode ne s’applique pas au conseil de gestion de Shelburne. Les colonnes surlignées en jaune dans le document ci‑joint indiquent la limite de prises par stock par titulaire de permis (en fonction du quota de 2019‑2020) qui s’ajouterait à la limite de prises globale du groupe X, selon le conseil de gestion auquel le permis est associé. Il convient de souligner que la limite de prises pour le flétan de l’Atlantique dans les divisions 4X5 s’applique à tous les titulaires de permis ayant déjà pêché du flétan dans les divisions 4X5, peu importe leur conseil de gestion. Par exemple, la limite de prises par titulaire de permis (2019‑2020) qui s’ajoutera au quota alloué pour la pêche concurrentielle au sein du groupe X sera de 0,27 t à 1,36 t de flétan.

Veuillez consulter le document ci‑joint, où vous trouverez des exemples de la façon dont la limite de prises sera appliquée. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

Bonne journée, Penny

Penny Doherty

Conseillère principale/Gestion des pêches

Pêches et Océans Canada/Gouvernement du Canada

[22] Je souligne qu’il ressort du dossier certifié du tribunal que la décision de modifier l’allocation de quota du groupe X a été prise par le directeur régional le 24 janvier 2020. Toutefois, comme l’ont précisé les demandeurs, ce n’est qu’après le dépôt du dossier certifié du tribunal qu’ils ont reçu la note de service, en réponse à leurs demandes de contrôle judiciaire.

[23] En effet, ils ont été informés de la décision du directeur régional par l’entremise du courriel de Mme Doherty du 30 janvier 2020, résumant cette décision.

Les questions en litige

[24] À mon avis, les questions relevées par les parties peuvent être reformulées ainsi :

  1. La décision est‑elle de nature administrative, ou plutôt de nature législative ou stratégique?
  2. S’il s’agit d’une décision de nature stratégique, a‑t‑elle été prise en fonction de facteurs arbitraires, non pertinents ou erronés, ou a‑t‑elle été prise de mauvaise foi et est‑elle par conséquent déraisonnable?
  3. S’il s’agit d’une décision administrative, est‑elle raisonnable?

La première question : La décision est‑elle de nature administrative, ou plutôt de nature législative ou stratégique?

Les observations des demandeurs

[25] Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si une décision est considérée comme législative ou administrative dépend essentiellement des personnes à qui elle s’applique. Les décisions législatives sont d’application générale. Elles ne se rapportent pas à une affaire en particulier et ne s’appuient pas sur des faits concernant des personnes en particulier. À cet égard, pour ce qui est d’établir une décision est de nature législative ou administrative, la substance l’emporte sur la forme (citant Homex Realty & Development Co c Wyoming (Village), [1980] 2 RCS 1011). Les demandeurs font valoir qu’en l’espèce, la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est de nature administrative, car elle vise les demandeurs et s’applique précisément à eux. Plus précisément, la décision visait M. Munroe, son permis et l’historique de capture de son permis. Les demandeurs font valoir, d’une part, que la décision n’aurait pas été prise si M. Munroe n’avait pas rejoint le groupe X, et d’autre part, qu’elle s’appuie entièrement sur une affaire et une personne en particulier. Aucun changement de politique connexe n’a été apporté aux Lignes directrices opérationnelles. Le MPO a plutôt pris une décision administrative, énoncée dans un courriel, car d’autres pêcheurs étaient insatisfaits de la nouvelle répartition des quotas découlant de la décision de M. Munroe de rejoindre le groupe X.

[26] Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives, comme celle‑ci, est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Subsidiairement, si la décision est considérée comme législative ou stratégique, l’objectif du contrôle doit être d’établir si elle a été prise de mauvaise foi, si elle est contraire aux principes de justice naturelle, si elle est arbitraire ou si elle a été prise à des fins inappropriées par rapport à la loi habilitante (citant Comeau’s Sea Foods Ltd c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 RCS 12 au para 36 [Comeau]; Maloney c Bande indienne de Shubenacadie, 2014 CF 129 au para 57; Maple Lodge Farms Ltd c Canada, [1982] 2 RCS 2 au para 7 [Maple Lodge]).

Les observations du défendeur

[27] Le défendeur soutient que la décision de limiter l’allocation de quota du groupe X est de nature stratégique. Il fait valoir que la Cour d’appel fédérale a conclu à maintes reprises que les décisions concernant l’allocation de quota et la gestion des pêches sont des décisions discrétionnaires de nature stratégique et non des décisions administratives (citant Carpenter Fishing c Canada, [1998] 2 CF 548 [Carpenter]; Malcolm c Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130 au para 34 [Malcolm]; Mainville c Canada (Procureur général), 2009 CAF 196 au para 5 [Mainville]; Canada c Arsenault, 2009 CAF 300 aux para 41‑42). En outre, la décision touche toutes les personnes qui décident de pêcher, et non exclusivement les demandeurs. Bien que les Lignes directrices opérationnelles aient été modifiées en raison de la décision des demandeurs de rejoindre le groupe X, le changement n’a pas été apporté dans l’objectif de viser précisément les demandeurs, mais bien dans celui de remédier à des résultats imprévus découlant de l’application des Lignes directrices opérationnelles. Le fait que le changement touche les demandeurs ne modifie pas la nature ni le type de la décision qui a été prise.

[28] Le défendeur soutient que les décisions de nature politique sont susceptibles de contrôle judiciaire uniquement pour certains motifs : la mauvaise foi, le non‑respect des principes de justice naturelle et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi (citant Carpenter au para 34; Maple Lodge au para 7). Bien que la légalité d’une politique puisse être contestée devant un tribunal, la sagesse ou le bien‑fondé ne peut l’être (citant Fortune Dairy Products Limited c Canada (Procureur général), 2020 CF 540 aux para 105‑106 [Fortune Dairy]; Moresby Explorers Ltd c Canada (Procureur général), 2007 CAF 273 au para 24 [Moresby]). Les décisions discrétionnaires de nature stratégique entrant dans cette portée limitée sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov).

Analyse

[29] La décision faisant l’objet du contrôle consiste en un changement apporté à l’allocation de quota du groupe X. À mon avis, il ressort clairement de la jurisprudence que les décisions relatives à l’allocation de quota de pêche sont de nature stratégique.

[30] Les politiques encadrant les quotas de pêche ne sont pas des lois. Elles ne sont pas obligatoires et n’ont pas force de loi (Campbell, aux para 18‑22). Et, comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Carpenter au para 28, « [l]a mise en œuvre d’une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d’un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d’un permis ne sont pas des règlements; elles n’ont pas force de loi non plus. »

[31] Dans l’arrêt Malcolm, la Cour d’appel fédérale a jugé que le ministre des Pêches dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en matière de répartition du TAC entre les divers secteurs des pêches. Elle s’est exprimée en ces termes :

[32] Le régime de contingents individuels restreints instauré au début des années 1990 par suite de l’introduction, à la même époque, du nouveau régime de CIT, a été contesté devant les Cours fédérales, ce qui a abouti à la décision rendue par la Cour à l’occasion de l’affaire Carpenter Fishing. Dans cette affaire, le juge Décary souligne, après avoir confirmé que le système procédait d’une décision de principe valide du ministre et avoir invoqué la jurisprudence Maple Lodge Farms, que la mise en œuvre d’un régime de contingents individuels est une décision ministérielle discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique et qui ne peut être modifiée au stade du contrôle judiciaire que s’il est démontré que la décision était entachée de mauvaise foi, que les principes de justice naturelle n’ont pas été respectés ou que des facteurs inappropriés ou étrangers à l’objet de la loi ont été pris en compte : Carpenter Fishing, aux paragraphes 28 et 37.

[33] Déjà, la Cour suprême du Canada avait retenu la même approche en matière de contrôle judiciaire des décisions de gestion des pêches par l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12 (Comeau’s Sea Foods), au paragraphe 36. La Cour d’appel fédérale a aussi confirmé cette approche dans des arrêts postérieurs à l’arrêt Dunsmuir : Mainville c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 196, 398 N.R. 249, au paragraphe 5; Arsenault, aux paragraphes 38 à 42.

[34] En l’espèce, la décision du ministre est discrétionnaire et tient de la mesure stratégique. […]

[32] Les demandeurs ne contestent pas ces précédents, mais font valoir que leur situation est différente, car la décision de modifier la méthode de calcul du quota du groupe X les visait. Ils soutiennent que cette décision a été prise parce que M. Munroe – titulaire d’un permis auquel est associé un historique de capture important – a rejoint le groupe X.

[33] Le défendeur reconnaît que la décision d’apporter un changement de politique découle du fait que M. Munroe a décidé de pêcher dans le groupe X. Il a déposé l’affidavit de Penny Doherty, signé le 6 août 2020 [l’affidavit de Mme Doherty]. Cet affidavit décrit l’adhésion de M. Munroe au groupe X et précise qu’en 2018, le CGC ENS s’était vu allouer un quota de 517,5 tonnes de flétan de l’Atlantique. Lorsque M. Munroe a rejoint le groupe X, une partie de ce quota, à savoir 23,3 tonnes, a été transférée au groupe X. En 2019, un quota de 27 tonnes de flétan de l’Atlantique a été transféré au groupe X dans des circonstances semblables. Mme Doherty affirme que ces transferts de quota sont survenus en raison d’une [traduction] « faille imprévue dans la politique de calcul de l’allocation de quota à l’époque ». Elle s’exprime aussi en ces termes :

[traduction]

23. La décision du demandeur de rejoindre le groupe X en 2018 et en 2019 a entraîné d’importantes conséquences négatives pour les titulaires de permis du conseil des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse, à savoir la réduction d’environ 5 % de l’allocation de quota concurrentiel de flétan de l’Atlantique de ce groupe dans son ensemble. Le quota de flétan de l’Atlantique du conseil des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse a été abaissé à 518 t pour 160 titulaires de permis en 2018 et à 601 t pour 155 titulaires de permis en 2019. Il convient de souligner que chaque titulaire de permis a l’occasion de pêcher les stocks de différents poissons de fond; cependant, le flétan de l’Atlantique est l’espèce dont la pêche est la plus rentable pour la flottille de moins de 45 pi à engins fixes.

24. Le groupe X a été créé afin de permettre aux titulaires de permis de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes de pêcher à l’extérieur du système de gestion communautaire. Le MPO n’avait pas l’intention de faire en sorte que la décision d’un titulaire de permis de rejoindre le groupe X entraîne le transfert du quota d’un conseil. Le MPO était très préoccupé par le fait que, si un titulaire de permis auquel est associé un historique de capture important décidait de rejoindre le groupe X, cela entraînerait un transfert de quota important en raison de la méthode de calcul des quotas utilisée à l’époque. Un transfert important de quota au groupe X va à l’encontre des objectifs du MPO en ce qui a trait à la gestion de la pêche.

[34] Il est donc évident que c’est la décision de M. Munroe de rejoindre le groupe X qui est à l’origine du changement de politique touchant la méthode de calcul du quota du groupe X.

[35] Cependant, je ne suis pas convaincue que le fait que le changement apporté à la politique découle du choix de M. Munroe, à titre de titulaire d’un permis auquel est associé un historique de capture important, de rejoindre le groupe X, entraîne comme conséquence que la décision est de nature administrative, et non de nature stratégique ou législative.

[36] Dans la décision Barry Group c Canada, 2017 CF 1144 [Barry Group], le juge Southcott a conclu que la décision de fermer la pêche du maquereau dans l’Atlantique était de nature législative et non administrative. Dans cette affaire, les demanderesses ont soutenu que la décision était de nature administrative, car de tous les participants dans la pêche commerciale du maquereau, seules les demanderesses avaient été touchées par cette fermeture. Par conséquent, elles estimaient que la décision avait été prise en référence à un cas en particulier et qu’elle devrait être caractérisée comme une décision de nature administrative (au para 22). Après avoir examiné la jurisprudence, le juge Southcott a conclu que « […] le fait qu’une ordonnance de modification d’application générale entraîne une conséquence particulière sur un participant en particulier ou un ensemble de participants à la pêche, ou entraîne des conséquences sur certains participants plus que d’autres, ne change pas en soi la nature de la décision de sorte qu’elle puisse être qualifiée de mesure administrative » (Barry Group au para 28).

[37] Je suis de cet avis. En l’espèce, le directeur régional, suivant les conseils du directeur responsable de la gestion des ressources régionales, a accepté de changer la méthode de calcul du quota du groupe X. Bien que ce changement ait une incidence sur les demandeurs, il s’applique de façon générale et uniforme à tout titulaire de permis décidant de rejoindre le groupe X, et il s’applique à tous les stocks que peuvent pêcher les titulaires de permis. Il ne s’applique pas précisément aux permis de M. Munroe ou de M. Veinot. Il a plutôt pour effet de créer et de promulguer « une règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers » (R v Corcoran, 181 Nfld & PEIR 341 aux para 12‑15, 20‑21; Gulf Trollers Assn c Canada (Ministre des Pêches et Océans) [1987] 2 CF 93 (CAF) aux pp 743‑44).

[38] Comme j’ai conclu qu’il s’agit d’une décision de nature stratégique, je dois déterminer les limites acceptables du contrôle judiciaire d’une décision de nature stratégique. Là encore, à mon avis, la loi est claire à cet égard.

[39] Je me suis déjà penchée sur cette question dans la décision Elson c Canada (Procureur général), 2017 CF 459 [Elson] (conf par 2019 CAF 27) :

[50] Dans la décision Carpenter Fishing, la Cour a conclu que l’imposition d’une politique sur les quotas, plutôt que l’octroi d’un permis particulier, constituait une décision discrétionnaire de la nature d’une politique ou d’une mesure législative. De plus, tant que le ministre n’entrave pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en considérant les lignes directrices comme contraignantes, il peut dûment et valablement indiquer le genre de considérations sur lesquelles il se fonde de manière générale pour l’attribution des quotas. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sous réserve (Maple Lodge Farms c Gouvernement du Canada, 1982 CanLII 24 (CSC), [1982] 2 RCS 2 (Maple Lodge Farms)) des exceptions suivantes : la mauvaise foi, le non‑respect des principes de justice naturelle, lorsque leur application est prescrite par la loi, et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi (paragraphe 28). Lorsque la Cour a abordé les considérations inappropriées, elle a affirmé que les objectifs autorisant de prendre des mesures en application de la Loi sur les pêches sont interprétés de manière particulièrement large, citant les arrêts Gulf Trollers, à la page 106, et Comeau’s Sea Foods, aux pages 25 et 26 et le paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, et elle a conclu ainsi :

37 Il s’ensuit que les tribunaux qui sont saisis de la question de l’exercice par le ministre de ses pouvoirs et fonctions et de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique en matière de quotas de pêche devraient reconnaître l’intention exprimée par le législateur et le gouverneur en conseil de donner au ministre la plus grande marge possible de manœuvre, et y donner effet. C’est uniquement lorsque le Ministère prend des mesures, par ailleurs autorisées par la Loi sur les pêches, qui outrepassent manifestement les buts généraux autorisés par la Loi que les tribunaux devraient intervenir.

[Non souligné dans l’original.]

(Voir aussi Anglehart c Canada, 2018 CAF 115 aux para 47‑48 [Anglehart]; Campbell au para 21; Carpenter au para 28; Barry Group au para 30.)

[40] Il ressort clairement de l’arrêt Malcolm (aux para 32‑33) et des précédents cités ci‑dessus que les politiques discrétionnaires, comme les allocations de quota, sont susceptibles de contrôle judiciaire uniquement pour les motifs suivants : la mauvaise foi, le non‑respect des principes de justice naturelle lorsque leur application est prescrite par la loi, et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi.

[41] Dans l’arrêt Malcolm, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable, qui est d’une portée limitée, est celle de la décision raisonnable :

[34] En l’espèce, la décision du ministre est discrétionnaire et tient de la mesure stratégique. Comme il s’agit d’une décision ministérielle stratégique prise en vertu de la Loi sur les pêches, elle est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable dont il est question dans la jurisprudence Dunsmuir. La question qui se pose en l’espèce est donc de savoir ce qu’impose la norme de la décision raisonnable en pareil cas.

[35] La décision discrétionnaire stratégique prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs inappropriés ou étrangers à l’objet de la loi est par le fait même déraisonnable. Elle est également considérée comme déraisonnable si elle est jugée irrationnelle ou incompréhensible ou si elle découle de l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire. Dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire visant la décision rendue par le ministre en l’espèce, au final, il faut rechercher si cette décision s’inscrit dans un éventail d’issues raisonnables, compte tenu du contexte dans lequel elle a été prise et du fait qu’elle porte sur des questions de politique générale à l’égard desquelles la cour réformatrice doit se garder d’intervenir pour substituer sa propre opinion à celle du ministre. C’est en ayant ces considérations à l’esprit qu’il convient d’apprécier le caractère raisonnable de la décision du ministre.

[42] De même, dans la décision Barry Group, le juge Southcott a souligné ceci :

[30] Les parties conviennent que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable et que dans le contexte des décisions de nature législative, cette norme nécessite d’être examinée afin de déterminer si la décision a été prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs non pertinents ou qui n’ont rien à voir avec l’objectif législatif (voir Maple Lodge Farms c Canada, 1982 CanLII 24 (CSC), [1982] 2 RCS 2). Je suis d’accord avec cette formulation de la norme à appliquer par la Cour dans le présent cas.

[43] L’arrêt Malcolm a été rendu avant l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada. Cependant, l’arrêt Vavilov ne traite pas de la portée du contrôle des décisions de nature stratégique, et par conséquent, il n’a aucune incidence à cet égard. Toutefois, il indique comment appliquer la norme de la décision raisonnable, ce qui a une incidence sur la dernière partie du paragraphe 35 de l’arrêt Malcolm.

[44] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême s’est penchée sur ce qui était attendu d’une cour qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux para 73‑142). Une cour de révision qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable « ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’“éventail” des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution “correcte” au problème » (au para 83). La cour de révision doit se demander « si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). En outre, une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov au para 85).

[45] Par conséquent, à mon avis, l’état actuel du droit en ce qui a trait à la norme de contrôle des décisions de nature stratégique est énoncé dans la décision Fortune Dairy, où la juge Kane s’est exprimée en ces termes :

[105] Il est établi dans la jurisprudence qu’une décision politique appelle un degré élevé de retenue et ne sera considérée comme déraisonnable que si elle a été prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs étrangers à l’objet de la loi ou que si elle est irrationnelle ou incompréhensible ou qu’elle découle de l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire (Malcolm, au par. 35). Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’une décision est raisonnable lorsqu’elle est intrinsèquement cohérente et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, dont le contexte législatif et ses objectifs (au par. 85).

[46] En résumé, la décision de modifier l’allocation de quota du groupe X était de nature stratégique. Ainsi, la portée ou les motifs du contrôle judiciaire sont limités à la question de savoir si la décision a été prise de mauvaise foi, dans le non‑respect du principe de justice naturelle imposé par le législateur ou en fonction de facteurs non pertinents ou qui n’ont rien à voir avec l’objectif législatif. La norme de contrôle qui doit être appliquée à ce contrôle d’une portée limitée est celle de la décision raisonnable.

La deuxième question : S’il s’agit d’une décision de nature stratégique, a‑t‑elle été prise en fonction de facteurs arbitraires, non pertinents ou erronés, ou a‑t‑elle été prise de mauvaise foi et est‑elle par conséquent déraisonnable?

Les observations des demandeurs

[47] Les demandeurs font valoir que la décision était arbitraire en ce qui a trait non seulement au processus, car elle a été prise sans justification objective raisonnable, mais aussi au résultat, car elle a donné lieu à un résultat contraire à celui que le MPO soutient qu’il voulait obtenir. Les demandeurs soutiennent que la décision a été prise en réponse aux préoccupations du comité consultatif concernant le fait que le choix de M. Munroe de pêcher dans le groupe X, et la nouvelle répartition des quotas en découlant, était inéquitable pour d’autres pêcheurs. Cependant, il n’y a eu aucune iniquité, car les membres du CGC ENS n’ont pas rempli leur quota au cours des deux saisons de pêche pertinentes. Par conséquent, les plaintes du comité consultatif n’avaient pas de fondement objectif. Les demandeurs soutiennent que la décision du MPO n’est pas objectivement justifiable, car celui‑ci n’a pas tenu compte de ce renseignement, pas plus que des conséquences découlant de la décision ayant pour effet de rendre le groupe X économiquement non viable. Le MPO a suivi un processus arbitraire qui s’est traduit par l’incapacité des demandeurs à pêcher dans le groupe X.

[48] Les demandeurs soutiennent également que le résultat de la décision était arbitraire, car le changement apporté à la méthode de calcul n’a pas entraîné une répartition plus équitable des avantages économiques. Bien que le quota de flétan du groupe X ait été réduit drastiquement et que les moyens de subsistance des demandeurs aient été limités, aucun autre groupe communautaire ni pêcheur n’en a profité.

[49] Les demandeurs affirment que la décision s’appuyait sur des facteurs non pertinents ou étrangers à l’objet de la loi. Au cours des discussions du MPO avec le comité consultatif, il a été soulevé à maintes reprises que la modification de l’allocation de quota du groupe X devrait servir à dissuader les pêcheurs de pêcher à l’extérieur d’un CGC. Il s’agissait d’un facteur non pertinent et étranger à l’objet de la loi. La raison d’être du groupe X n’a jamais été d’avoir un effet dissuasif. Il ressort clairement des Lignes directrices opérationnelles et de la preuve fournie par le MPO que le groupe X existe pour tout pêcheur qui ne peut pas ou ne veut pas se joindre à un CGC. Les demandeurs soutiennent également que les déclarations du comité consultatif voulant que le fait que M. Munroe pêche dans le groupe X ait eu une incidence négative sur le CGC ENS ne sont pas pertinentes, car elles ne reposent pas sur des faits.

[50] Enfin, les demandeurs soutiennent que la décision a été prise de mauvaise foi. Ils soulignent que le MPO les a informés que le changement avait été apporté dans l’objectif d’assurer une répartition plus équitable des avantages économiques. Cependant, l’objectif réel était de dissuader les pêcheurs de pêcher dans le groupe X et de forcer les demandeurs à pêcher dans un CGC ou à abandonner la pêche. Les demandeurs font valoir que ces objectifs sont inappropriés et que le MPO savait, lorsqu’il a pris la décision, que les demandeurs ne pouvaient pas ou ne voulaient pas rejoindre un CGC. Les demandeurs soutiennent qu’une décision prise de bonne foi aurait permis de veiller à ce que les demandeurs puissent continuer de gagner leur vie grâce à la pêche.

Les observations du défendeur

[51] Le défendeur soutient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est limité uniquement par les exigences en matière de justice naturelle. C’est‑à‑dire que la décision doit s’appuyer sur des facteurs pertinents, ne pas être arbitraire et être prise de bonne foi. Selon l’arrêt Malcolm, la décision discrétionnaire prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs inappropriés ou étrangers à l’objet de la loi est déraisonnable.

[52] Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas établi que le changement avait été apporté de mauvaise foi ou s’appuyait sur des facteurs inappropriés ou étrangers à l’objet de la loi. Il souligne que les demandeurs ont été informés de l’éventuel changement et ont été invités à formuler des observations à ce sujet. En outre, le changement de politique s’appuyait sur des facteurs pertinents, soit les objectifs de faciliter la gestion communautaire et de maintenir une répartition équitable des avantages économiques, comme le démontre la note de service. Cette décision respectait aussi l’objet de la Loi sur les pêches et de sa politique sur la gestion communautaire, soit d’allouer des quotas à des groupes communautaires et à des CGC en tenant compte de la situation socioéconomique. En outre, le défendeur souligne qu’il n’existe pas de droit acquis à un quota.

Analyse

[53] Il ne fait aucun doute que le ministre dispose de vastes pouvoirs afin de gérer la pêche dans l’intérêt public, et que ce vaste pouvoir appelle à la retenue lors du contrôle judiciaire.

[54] Par exemple, dans l’arrêt Malcolm, la Cour a fait la déclaration suivante :

[52] Comme je l’ai déjà mentionné, la Loi sur les pêches confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de gérer les ressources halieutiques dans l’intérêt public. Comme l’ont déclaré la Cour dans Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 1986 CanLII 4034 (CAF), [1987] 2 C.F. 93, à la page 106 (confirmé par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. c. Huovinen, 2000 BCCA 427, 188 D.L.R. (4 th) 28, au paragraphe 24), et la Cour suprême du Canada dans Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569, aux paragraphes 39 à 41, le ministre peut tenir compte de considérations sociales, économiques ou autres dans la gestion et la répartition des ressources halieutiques.

[53] Par ailleurs, conformément à ce qu’a en outre conclu la Cour, au paragraphe 43 de l’arrêt Arsenault et dont il a été fait état plus haut, le ministre n’est pas lié par les décisions stratégiques de ses prédécesseurs et peut prendre de nouvelles décisions et modifier les politiques actuelles de manière à répondre, notamment, à des considérations émergentes sur les plans social et économique. Il n’est pas non plus tenu d’indemniser les pêcheurs touchés par une nouvelle répartition du TAC ou la réduction des contingents : Arsenault, au paragraphe 57, Kimoto.

[55] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Robinson, 2021 CAF 39, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes dans le contexte d’une requête visant à surseoir à l’exécution de la décision de la Cour fédérale jusqu’à l’issue de l’appel :

[27] J’ai examiné les éléments de preuve dont je disposais à la lumière des fonctions et pouvoirs que la Loi accorde à la ministre. Il est incontesté que la ministre s’est vu conférer un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet de gérer les pêches dans l’intérêt public. Elle doit pour l’exercer tenir compte notamment de facteurs sociaux et économiques dans la gestion et l’allocation des ressources halieutiques en application de la Loi (Elson c. Canada (Procureur général), 2017 CF 459 au para. 51, conf. par 2019 CAF 27, autorisation de pourvoi refusée, 38584 (le 25 juillet 2019) [Elson CF].)

[28] Par conséquent, la ministre et ses délégués au MPO gèrent les pêches et en assurent la conservation et le développement au nom de tous les Canadiens et dans l’intérêt public. Au Canada, les ressources halieutiques sont un bien commun appartenant à la population entière. Les permis et les autorisations de pêcher sont des outils dans la panoplie des pouvoirs dont disposent la ministre et le MPO pour gérer les pêches. Il incombe à la ministre et au MPO d’exercer ces pouvoirs et d’utiliser ces outils pour gérer les pêches au nom de tous les Canadiens et dans l’intérêt public afin de réaliser les objectifs de la Loi.

[56] Ainsi, le ministre et ses délégués sont investis d’un pouvoir étendu pour gérer les pêches, y compris en ce qui a trait à la poursuite d’objectifs et à la mise en application de politiques de nature sociale, culturelle ou économique. Il s’agit là des fins de nature législative en fonction desquelles convient de trancher la question de savoir si la décision était arbitraire, a été prise à des fins inappropriées ou s’appuyait sur des facteurs étrangers à l’objet de la loi.

[57] Une décision arbitraire est [traduction] « une décision prise sans tenir compte des faits, des circonstances, des règles établies ou des procédures » (Black’s Law Dictionary, 11e édition). Autrement dit, une décision peut être arbitraire s’il n’y a aucun lien rationnel entre les faits sous‑jacents et la décision. Les demandeurs soutiennent que la décision est arbitraire, car elle n’a pas été inéquitable pour d’autres pêcheurs. Le groupe communautaire associé au CGC ENS n’a pas rempli son quota, et par conséquent, le changement apporté à la méthode de calcul du quota du groupe X n’a pas, en fait, entraîné des résultats plus équitables.

[58] À mon avis, il ne s’agit pas réellement d’un argument concernant le caractère arbitraire de la décision, mais plutôt d’un désaccord avec le raisonnement du MPO. En outre, la décision n’est pas arbitraire, car elle est liée à l’objectif d’assurer la répartition équitable des avantages économiques. Bien que les demandeurs affirment que le groupe communautaire n’a pas rempli son quota au cours des deux saisons de pêche pendant lesquelles M. Munroe pêchait dans le groupe X, je souscris à l’observation du défendeur qu’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. Il en est ainsi, parce que le changement apporté à la méthode de calcul du quota du groupe X vise à empêcher le transfert d’un quota important, occasionné par une seule personne, qui entraîne une incidence négative sur l’ensemble d’un groupe communautaire. Bien que le groupe communautaire du CNG ENS n’ait pas rempli son quota au cours des deux saisons de pêche en question, le changement apporté à la méthode de calcul est axé sur l’avenir et vise à assurer une allocation équitable; il ne porte pas sur la quantité de poisson réellement pêchée. Cela signifie que le changement de politique n’a pas entraîné de résultat arbitraire; il a atteint l’objectif fixé, soit de maintenir une répartition équitable entre les groupes communautaires.

[59] Je ne souscris pas non plus à l’observation selon laquelle la décision est fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi ou a été prise de mauvaise foi. Les demandeurs affirment que, malgré le fait que le MPO soutienne que le changement visait à favoriser une répartition équitable des quotas, il visait en fait à dissuader les pêcheurs de rejoindre le groupe X. À mon avis, cette affirmation n’est pas corroborée par le dossier.

[60] Le courriel du 30 janvier 2020 informant les destinataires du changement apporté à la méthode de calcul de l’allocation de quota au groupe X ne précise pas l’objectif du changement. Cependant, la note de service souligne que le comité consultatif était préoccupé par le fait qu’une grande partie du quota de flétan du CGC ENS avait été transférée au groupe X en raison de la façon dont était alors calculé le quota du groupe X et que cela avait eu une incidence négative sur ce groupe communautaire auquel le quota était alloué par le passé. Le comité consultatif a recommandé de modifier l’allocation de quota du groupe X afin de limiter la partie du quota d’un titulaire de permis qui serait transférée d’un groupe communautaire au groupe X. La note de service situe le contexte du système de gestion communautaire et explique son fonctionnement. La partie de la note de service portant sur l’analyse et les facteurs pris en compte indique que la modification qu’il est proposé d’apporter à la méthode de calcul du quota du groupe X changera la façon dont les quotas des CGC sont calculés depuis 1997. Elle précise aussi que les deux titulaires de permis faisant actuellement partie du groupe X pourraient être touchés par la décision de modifier la méthode de calcul pour l’exercice 2020‑2021 s’ils choisissent de rester dans le groupe X, et que ces deux titulaires de permis ont exprimé leur forte opposition au changement proposé. La note de service indique que, bien que le groupe X ait été conçu pour permettre aux titulaires de permis de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes de pêcher à l’extérieur du système de gestion communautaire, il ne visait pas à entraîner le transfert de parties importantes du quota des CGC au groupe X lorsque des titulaires de permis rejoignent le groupe X. En outre, elle précise que le fait de [traduction] « limiter le transfert de quota par permis à un maximum de 0,271 à 1,361 t de flétan pour le calcul du quota du groupe X (exception faite du conseil de gestion de Shelburne) (onglet 2) respecte l’esprit et l’objet de la gestion communautaire, et assure une répartition équitable des avantages économiques dans l’ensemble des groupes communautaires ». Elle indique également que [traduction] « la mise en œuvre du changement proposé à la méthode de calcul du quota du groupe X corrigera une faille imprévue dans la politique régissant la flottille de moins de 45 pi à engins fixes, assurera une répartition plus équitable des avantages économiques et respectera davantage l’esprit et l’objet de la méthode de gestion communautaire ».

[61] La note de service se conclut ainsi :

[traduction]

La modification de la méthode de calcul du quota du groupe X devrait avoir une incidence positive sur les activités de tous les titulaires de permis de pêche commerciale communautaire de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes qui font partie d’un conseil de gestion communautaire, car le quota alloué au groupe X serait moindre et la différence serait donc à la disposition des pêcheurs faisant partie d’un plan communautaire.

[62] À mon avis, rien dans la note de service n’indique que le changement vise à dissuader les pêcheurs de rejoindre le groupe X. Plutôt, comme le soutient le défendeur, le changement s’appuie sur des facteurs pertinents et compatibles avec l’objet de la Loi sur les pêches et de la politique du MPO sur la gestion communautaire.

[63] Les demandeurs ont raison d’affirmer que le procès‑verbal de la réunion du comité consultatif indique que des représentants du CGC ENS et d’autres membres de l’industrie estimaient que le groupe X visait ou devrait servir à dissuader les pêcheurs de rejoindre le groupe X, et qu’il serait possible de provoquer cet effet de dissuasion en modifiant l’allocation de quota du groupe X. D’autres membres du comité consultatif jugeaient que le groupe X ne devrait plus exister. Cependant, il ne ressort pas des Lignes directrices opérationnelles que le groupe X visait à provoquer un effet de dissuasion ou devrait le faire. Les Lignes directrices opérationnelles indiquent plutôt que le groupe X est accessible aux pêcheurs qui ne veulent pas rejoindre un CGC ou qui ne remplissent pas les critères d’admissibilité pour le faire. Mme Doherty, à titre de présidente, a souligné cet objectif au cours des réunions du comité consultatif.

[64] Ainsi, bien que l’effet dissuasif puisse être immédiatement venu à l’esprit de certains membres du comité consultatif, cela n’établit pas que le MPO visait la dissuasion lorsqu’il a modifié la méthode de calcul du quota du groupe X. En fait, le directeur régional a pris la décision en s’appuyant sur les facteurs et les objectifs énoncés dans la note de service. C’est‑à‑dire que le changement vise à préserver à gestion communautaire et à assurer la répartition équitable des allocations de quota. L’objet de ce changement respecte la capacité du MPO à gérer les pêches conformément à ses objectifs sociaux, culturels ou économiques, et n’est pas étranger à cette capacité.

[65] Enfin, les demandeurs n’ont pas établi que la décision avait été prise de mauvaise foi. Une décision prise de mauvaise foi est une décision prise dans un objectif qui n’est pas autorisé par une loi. La mauvaise foi est aussi assimilée au fait d’agir « de façon malhonnête, malveillante ou frauduleuse ou avec mala fides » ou à celui de faire montre d’une inconduite grave qui frise la corruption, tandis que dans d’autres cas on semble avoir jugé que la mauvaise foi s’apparente à la conduite arbitraire (voir Morton c Canada (Pêches et Océans), 2019 CF 143 au para 231 [Morton 2019]). La décision des demandeurs de faire partie du groupe X a entraîné le changement de la méthode de calcul du quota et les demandeurs ont été touchés par cette décision. Comme ils le soulignent, avant le changement de politique, le quota annuel du groupe X pour le flétan (en 2018 et en 2019) était légèrement supérieur à 27 tonnes, tandis qu’après le changement, il était d’un peu plus de 1,5 tonne, ce qui représente une baisse du quota d’environ 95 %. Cependant, cela ne signifie pas que la décision a été prise de mauvaise foi.

[66] La note de service précise que le changement de politique corrigerait une [traduction] « faille imprévue » dans les Lignes directrices opérationnelles, ce qui laisse entendre que les pêcheurs exploitent ces lignes directrices. À mon avis, l’effet de la décision d’un titulaire de permis auquel est associé un historique de capture important de rejoindre le groupe X – et le transfert subséquent d’une partie importante du quota au groupe X – est plutôt une conséquence imprévue des Lignes directrices opérationnelles telles qu’elles ont été initialement conçues. Essentiellement, la même méthode de calcul du quota du quota s’appliquerait à tous les CGC et au groupe X.

[67] Cela ressort de la note de service, selon laquelle en 2018‑2019, le MPO a transféré au groupe X un quota de 23 tonnes de flétan, parce qu’un titulaire de permis auquel est associé un historique de capture de flétan de l’Atlantique particulièrement important dans la zone des divisions 4VsW a décidé de rejoindre le groupe X. C’était la première fois que le groupe X avait un quota de flétan dans les divisions 4VsW et il s’agissait du quota le plus élevé attribué au groupe X en de nombreuses années. La même situation s’est produite en 2019‑2020. Ainsi, le changement de politique était motivé par une circonstance à la fois nouvelle et imprévue. Comme il est précisé dans l’arrêt Malcolm, le ministre « peut prendre de nouvelles décisions et modifier les politiques actuelles de manière à répondre, notamment, à des considérations émergentes sur les plans social et économique. Il n’est pas non plus tenu d’indemniser les pêcheurs touchés par une nouvelle répartition du TAC ou la réduction des contingents » (Malcolm au para 53). Je ne suis pas convaincue que le changement a été apporté de mauvaise foi.

[68] Je ne souscris pas non plus à l’observation des demandeurs selon laquelle une décision prise de bonne foi aurait permis de veiller à ce qu’ils puissent continuer de gagner leur vie grâce à la pêche. Je reconnais que, d’un point de vue pratique, la nouvelle méthode de calcul du quota, ou du plafond du quota, peut rendre le groupe X peu intéressant sur le plan économique – particulièrement pour les titulaires de permis auquel est associé un historique de capture important lorsque le groupe X compte peu d’autres membres. Toutefois, le groupe X demeure une option. Les intérêts commerciaux d’un pêcheur individuel ne sont pas non plus déterminants dans les décisions relatives aux politiques. Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans l’arrêt Anglehart :

[46] Les appelants ont aussi fait grand cas à l’audience du fait que leurs intérêts commerciaux peuvent être affectés par l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et qu’en conséquence, cela peut donner droit à une indemnisation. Or, le pouvoir discrétionnaire du ministre s’exerce en fonction de la répartition de la ressource halieutique et bien que le secteur des pêches comporte une réalité commerciale – à laquelle ne participe pas le MPO – l’obligation du ministre en vertu de la Loi sur les pêches n’est pas de gérer les intérêts commerciaux mais la ressource halieutique, une ressource, qui plus est, n’est pas infinie.

[47] Certes, le ministre pourra prendre en compte certains facteurs sociaux, économiques et aussi commerciaux en gérant les pêches (Malcolm c. Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130, [2014] A.C.F no 499 (QL) aux paragraphes 52‑53) mais il n’a pas d’obligation à cet égard et rien n’empêche le ministre de favoriser un groupe de pêcheurs par rapport à un autre dans l’exercice de sa discrétion (Carpenter Fishing). La tâche colossale qui incombe au ministre de gérer, de développer et de conserver les pêches pour l’ensemble de la population canadienne l’oblige à prendre des décisions stratégiques qui auront forcément un effet sur des intérêts commerciaux divergents. Le ministre doit effectivement réagir à certaines préoccupations variées et, à l’occasion, apporter les ajustements requis pour répondre à de nouvelles réalités imposées. Tel que noté précédemment, ce fut notamment le cas à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans Marshall.

(Voir aussi Campbell au para 44; Malcolm aux para 24, 53; Giroux c Canada (Procureur général), 2016 CAF 299 au para 9.)

[69] En l’espèce, le directeur régional savait que les demandeurs s’opposaient au changement de politique et il en a tenu compte. La note de service reconnaissait que le changement proposé pouvait avoir une incidence sur les demandeurs si ceux‑ci décidaient de rester dans le groupe X, mais mentionnait aussi que le changement ne toucherait pas la majorité des titulaires d’un permis de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes si ceux‑ci décidaient de rejoindre le groupe X. En fin de compte, le MPO a conclu que le changement assurerait une répartition plus équitable des avantages économiques et respecterait davantage l’esprit et l’objet de la méthode de gestion communautaire. Il était loisible au ministre de prendre cette décision discrétionnaire, et celle‑ci ne démontre aucune mauvaise foi.

[70] Pour conclure sur cette question, la décision de nature stratégique de changer la méthode de calcul de l’allocation du quota du groupe X ne s’appuyait pas sur des facteurs non pertinents ou erronés, n’était pas arbitraire et n’a pas été prise de mauvaise foi. Elle était raisonnable.

[71] Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la troisième question en litige, car la décision n’était pas de nature administrative.

T‑582‑20 (Munroe) et T‑583‑20 (Veinot)

Contexte factuel supplémentaire

[72] Le permis de M. Munroe est associé au groupe communautaire géographique des divisions 4VsW et le CGC ENS est le conseil pertinent. Le CGC ENS est composé de trois conseils de gestion communautaires qui travaillent de concert : la Guysborogh County Inshore Fishermen’s Association 4VN, la Halifax West Commercial Fishermen’s Association 4X et l’Eastern Shore Fishermen’s Protective Association [l’ESFPA].

[73] En janvier 2019, M. Munroe a écrit au CGC ENS afin de lui demander de transférer son permis et l’historique de capture qui y est associé de l’ESFPA au groupe communautaire du comté de Shelburne. Le CGC ENS a répondu à la demande du demandeur le 28 février 2019 et a indiqué qu’il [traduction] « ne soutient pas la libération » du permis ni de l’historique de capture, et qu’en raison du fait qu’il [traduction] « s’agit d’une pêche communautaire offrant des possibilités de pêche équitables, nous ne libérerons pas le quota pour un autre groupe communautaire ». La lettre précise que le CGC ENS a officiellement rejeté la demande.

[74] M. Munroe, par l’entremise de son avocat précédent, a écrit au MPO le 25 avril 2019 pour lui demander d’examiner la décision du CGC ENS. Dans une lettre du 11 juin 2019 rédigée en réponse à cette demande, Mme Doherty a indiqué que conformément aux conditions du permis de M. Munroe, le permis no 101220 est associé au groupe communautaire de l’Est de la Nouvelle‑Écosse. Cette lettre précisait également que tout quota s’appuyant sur l’historique de capture de ce permis est géré par le CGC ENS. Mme Doherty a affirmé que bien que les titulaires de permis puissent rejoindre d’autre CGC, [traduction] « il revient au conseil de gestion (en l’occurrence le conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse) de trancher la question de savoir si le conseil peut libérer un quelconque quota ». Elle a cité deux paragraphes des Lignes directrices opérationnelles indiquant qu’à l’heure actuelle, les deux conseils de gestion concernés par une telle demande [traduction] « doivent appuyer le changement touchant les désignations communautaires, approuver le volume de quota à transférer et informer le MPO […] Si les conseils ne parviennent pas à un accord, le nouveau titulaire de permis pourra choisir de pêcher en vertu du plan du conseil initial ou en vertu du plan du groupe X. »

[75] Le 21 février 2020, M. Munroe a écrit de nouveau au CGC ENS pour lui demander d’approuver le transfert de son permis au conseil communautaire du comté de Shelburne. Le 24 mars 2020, le CGC ENS lui a répondu qu’il n’appuierait pas cette demande. M. Munroe sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

La décision faisant l’objet du contrôle

[76] La lettre de décision est rédigée en ces termes :

[traduction]

Conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse

C.P. 55

Musquodoboit Harbour (Nouvelle‑Écosse) B0J 2L0

Bureau : 902‑889‑3185 Téléc. : 902‑889‑3403

Le 24 mars 2020

Monsieur Munroe,

La présente lettre répond à votre courriel du 21 février 2020, dans lequel vous avez demandé au conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse de libérer votre permis de pêche de poissons de fond (numéro de permis de pêche 101220) afin de le transférer au groupe communautaire du comté de Shelburne.

Le conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse a décidé à l’unanimité de ne pas appuyer la libération du permis de pêche de poissons de fond no 101220 ni de l’historique de capture qui y est associé pour le transférer au groupe communautaire du comté de Shelburne. Comme il s’agit d’une pêche communautaire offrant des possibilités de pêche équitables, nous ne libérerons pas le quota pour un autre groupe communautaire.

Nous sommes ravis de continuer d’être à votre service et à celui de votre entreprise de pêche de poissons de fond par l’entremise du conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse.

Respectueusement soumis au nom de Lori Baker, coordonnatrice du conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse.

c.c. : Peter Connors, président de l’ESFPA

Donny Hart, président de la HWCFA

Eugene O’Leary, président de la GCIFA

Les questions en litige dans les dossiers T‑582‑20 et T‑583‑20

[77] Les questions en litige dans les dossiers T‑582‑20 et T‑583‑20 se recoupent largement. Je les examinerai dans le contexte de la demande de M. Munroe, mais les questions en litige et l’analyse s’appliqueront également à demande de M. Veinot, que j’examinerai par la suite.

[78] À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées de la façon suivante :

  1. Le CGC ENS est‑il un « office fédéral » pour les besoins de l’application de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi sur les Cours fédérales]?
  2. La décision du CGC ENS de refuser la demande de M. Munroe visant à transférer son permis et son historique de capture à un autre CGC est‑elle susceptible de contrôle en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?
  3. Dans l’affirmative, le ministre a‑t‑il délégué irrégulièrement un pouvoir au CGC ENS?
  4. Dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du CGC ENS?
  5. La décision du CGC ENS est‑elle raisonnable?

Première question : Le CGC ENS est‑il un « office fédéral » pour les besoins de l’application de la Loi sur les Cours fédérales?

Les observations de M. Munroe

[79] M. Munroe (et M. Veinot dans le dossier T‑583‑20) fait valoir que les CGC sont des décideurs fédéraux, car ils exercent le pouvoir expressément conféré au ministre en application de la Loi sur les pêches et du Règlement de pêche (dispositions générales). Les CGC accomplissent une grande partie du mandat du ministre consistant à contrôler et à réguler la pêche, et le ministre a implicitement sous‑délégué son pouvoir.

[80] M. Munroe soutient que, pour trancher la question de savoir si un décideur est un office fédéral, il convient d’appliquer le critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Anisman c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 [Anisman]. Premièrement, il faut déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer, puis la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir. La source du pouvoir exercé est le principal facteur.

[81] M. Munroe affirme que le pouvoir qu’exerce le CGC ENS est celui de refuser le transfert du permis de M. Munroe d’un CGC à un autre, et que ce pouvoir constitue un aspect accessoire du pouvoir plus général du CGC de gérer et d’exploiter les pêches et les permis de pêche.

[82] Les demandeurs soutiennent tous deux que la Loi sur les pêches confère au ministre un pouvoir étendu et un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la gestion des pêches au Canada, et que le Règlement de pêche (dispositions générales) accorde au ministre le pouvoir d’établir les conditions des permis, y compris l’établissement des quotas des permis, l’emplacement des activités de pêche et les dates auxquelles la pêche est permise. Les demandeurs font valoir que les CGC exercent de nombreux aspects du mandat du ministre prévu par la loi. En particulier, les CGC ont le pouvoir d’accepter ou de refuser des membres, ce qui a une incidence directe sur leurs quotas de pêche. Les CGC établissent également des quotas internes et saisonniers, ainsi que des limites par sortie. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit de pouvoirs que la loi confère au ministre et que cela fait en sorte que les CGC gèrent et contrôlent la pêche, et établissent les conditions des permis.

[83] Les demandeurs font valoir qu’en raison du fait que les CGC sont responsables de la gestion de la pêche au quotidien, le ministre a sous‑délégué le pouvoir qui lui est conféré en application de la Loi sur les pêches et du Règlement de pêche (dispositions générales). Bien que les CGC ne mènent pas leurs activités conformément à des pouvoirs que leur confère expressément une loi ou un règlement, ils prennent des décisions relevant expressément du pouvoir du ministre. Les demandeurs soutiennent que la seule source de pouvoir des décisions des CGC découle de la Loi sur les pêches et du Règlement de pêche (dispositions générales).

[84] Les demandeurs soulignent également qu’en raison du fait qu’il n’est pas rentable de pêcher dans le groupe X, les titulaires de permis sont forcés de conclure un contrat avec un CGC pour pêcher conformément à leur permis et que cette absence de choix indique que les CGC exercent un pouvoir découlant d’une loi fédérale, et non d’un contrat.

Les observations du défendeur

[85] Le défendeur soutient que les CGC ne sont pas des offices fédéraux, renvoyant à l’arrêt Oceanex Inc c Canada (Transports), 2019 CAF 250 [Oceanex]. Il souligne que le MPO gère la pêche conformément aux rôles et aux responsabilités énoncés dans la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans et que le ministre et ses délégués ont un pouvoir étendu à cet égard, y compris le pouvoir de délivrer des permis en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches et d’établir les conditions des permis conformément au Règlement de pêche (dispositions générales). Le défendeur fait valoir que les demandeurs déforment la source et la nature des pouvoirs des CGC. Il est inexact d’affirmer que les CGC gèrent les pêches, délivrent des permis et modifient les conditions des permis. Au contraire, le MPO possède un pouvoir législatif et réglementaire exclusif à cet égard. Le défendeur souligne que le MPO n’a pas délégué aux CGC son pouvoir de délivrer des permis, d’établir les conditions des permis ou de désigner des groupes communautaires. Les CGC exercent uniquement des pouvoirs de nature privée.

[86] Le défendeur soutient que les CGC administrent le pourcentage du TAC que le MPO leur attribue, établissent les critères d’admissibilité des membres, les limites par sortie et les périodes de pêche, et élaborent un plan de pêche axé sur la conservation. Le défendeur qualifie ces activités de tâches administratives internes. Il fait valoir que le MPO conserve ses responsabilités en matière de gestion de la pêche, car il délivre les permis, établit les conditions des permis, alloue les quotas et désigne les groupes communautaires.

[87] Le MPO a délivré les permis des demandeurs et déterminé les groupes communautaires auxquels ils étaient associés. La lettre du CGC ENS indiquant qu’il n’appuyait pas la demande de M. Munroe portant sur le transfert de son permis et de son historique de capture à un autre groupe communautaire n’a aucune incidence sur les conditions du permis de M. Munroe et avait uniquement la nature d’une recommandation. Bien que les CGC puissent établir leurs propres règlements administratifs et critères d’admissibilité, cela n’a aucune incidence sur le pouvoir discrétionnaire du ministre de désigner en définitive les groupes communautaires auxquels les permis sont associés.

Analyse

[88] La question en litige en l’espèce consiste à savoir si la Cour a la compétence d’entendre ces demandes. Si les CGC ne sont pas des offices fédéraux, notre Cour n’a pas la compétence de le faire, ce qui, bien entendu, est déterminant.

[89] Dans l’arrêt Oceanex, la Cour d’appel fédérale a résumé le droit applicable en ce qui concerne la question de savoir si un décideur est un office fédéral :

[26] En vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les décisions d’un « office fédéral » (sauf les tribunaux à l’égard desquels notre Cour a compétence en vertu de l’article 28 de la Loi) : voir l’arrêt Girouard, au paragraphe 31.

[27] L’expression « office fédéral » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi. Sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, ce terme s’entend notamment d’un organisme qui a, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale :

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[…]

[29] Notre Cour a établi dans l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CAF 52, paragraphes 29 et 30, [2010] A.C.F. no 221 (QL), une analyse en deux étapes pour déterminer si une entité constitue un « office fédéral » : la cour doit d’abord déterminer la nature de la compétence ou le pouvoir en cause, puis déterminer la source ou l’origine de cette compétence ou de ce pouvoir. Dans l’arrêt Anisman, notre Cour a cité avec approbation un passage de l’ouvrage des auteurs D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), paragraphe 2:4310, dans lequel les auteurs affirment que c’est [traduction] « la source de la compétence d’un tribunal – et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l’office l’exerçant – [qui] est le premier facteur permettant de déterminer si elle relève de la définition [du paragraphe 2(1)] ». Notre Cour a réitéré le critère de l’arrêt Anisman dans l’arrêt Girouard (aux paragraphes 34 et 37).

[30] La Cour suprême a récemment examiné le droit régissant le recours au contrôle judiciaire dans l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750, une affaire qui a été tranchée après que la Cour fédérale eut rendu la décision visée en l’espèce et qui ne concerne pas la Loi sur les Cours fédérales. Dans cet arrêt, la Cour suprême a souligné (au paragraphe 14) que le contrôle judiciaire n’est possible que lorsque deux conditions sont remplies – « lorsqu’un pouvoir étatique a été exercé et que l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique » (non souligné dans l’original). Elle a souscrit à l’observation formulée par mon collègue le juge Stratas dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347, paragraphe 52, [2013] 3 R.C.F. 605, selon laquelle même les organismes publics peuvent prendre des décisions de nature privée – la Cour suprême a donné en exemple la location de locaux et l’embauche d’employés – et que ces décisions privées ne sont pas assujetties au pouvoir de contrôle des tribunaux.

[90] Par conséquent, en l’espèce, il faut se poser les questions suivantes : quel est le pouvoir en cause et quelle est la source de ce pouvoir? La source du pouvoir, et non la nature de l’organisme décisionnel, est le principal facteur déterminant.

[91] Le pouvoir en cause dans la demande de M. Munroe, dans son sens le plus strict, est celui de décider d’autoriser ou de refuser le transfert du quota associé à un permis à un autre CGC.

[92] M. Munroe soutient que la source de ce pouvoir décisionnel devrait être considérée comme accessoire au pouvoir du CGC de gérer et d’exploiter les pêches et les permis de pêche. M. Munroe renvoie à la décision Archer rendue par notre Cour pour étayer cette position. Dans cette affaire, le demandeur sollicitait l’annulation de la décision rendue par une administration portuaire de ne pas renouveler son bail concernant un local de stockage. L’administration portuaire était une société à but non lucratif, constituée en personne morale sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, qui exploitait et gérait le port aux termes d’une convention de bail conclue avec le ministre. Le juge Rennie, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, s’est exprimé en ces termes au paragraphe 13 de ses motifs : « Interprété dans son sens le plus strict, le pouvoir que l’APFC cherchait à exercer en l’espèce était celui de décider s’il convenait ou non de renouveler le bail d’un local de stockage de matériel, ce qui constitue un aspect accessoire du pouvoir plus général dont elle dispose d’exploiter et de gérer le port. »

[93] À mon avis, les faits dans l’affaire Archer sont différents de ceux de l’affaire dont je suis saisie. Dans la décision Archer, le Canada a concédé que le ministre était légalement tenu de contrôler et d’administrer l’usage, la gestion et l’entretien de tous les ports inscrits, mais que le ministre ne le faisait pas. L’administration portuaire exerçait plutôt tous les aspects du pouvoir du ministre. Le Canada a également admis que le ministre n’exerçait aucun pouvoir résiduel sur les activités du port (au para 24). Le juge Rennie a souligné que rien dans la Loi sur les ports de pêche et de plaisance, LRC 1985, c F‑24, n’autorisait expressément le ministre à déléguer son pouvoir. Cependant, les dispositions législatives pertinentes accordaient au ministre un certain nombre d’options lui permettant d’exercer son pouvoir de délégation, y compris par voie de bail (au para 20). Ces dispositions, quand on les lit ensemble, laissent supposer que le ministre est autorisé à sous‑déléguer à son preneur à bail le pouvoir dont il dispose en matière d’usage, de gestion et d’entretien d’un port (au para 22).

[94] Comme je le précise plus loin, les circonstances en l’espèce sont différentes de celles de l’affaire Archer, dans laquelle il a été concédé que le ministre avait délégué en totalité le pouvoir que lui conférait la loi en ce qui a trait à la gestion et à l’exploitation d’un port, dans une situation où le règlement autorisait implicitement la sous‑délégation du pouvoir. En l’espèce, le pouvoir qu’exerçait le CGC ENS lorsqu’il a pris la décision de ne pas libérer l’historique de capture ni le quota associés au permis de M. Munroe pour les transférer à un autre CGC n’était pas accessoire à une délégation générale du pouvoir aux CGC en ce qui a trait à la gestion de la pêche, comme le font valoir les demandeurs.

[95] M. Munroe s’appuie sur la décision Morton c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2015 CF 575 [Morton] pour étayer son opinion selon laquelle le CGC ENS exerçait un pouvoir délégué. Cette affaire concernait le transfert de saumoneaux d’une écloserie à des fermes piscicoles. Les conditions du transfert étaient régies par les conditions du permis. La question en litige était de savoir si certaines conditions du permis satisfaisaient aux conditions préalables et aux exigences réglementaires régissant les transferts établis par l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) ou si elles étaient compatibles avec ces conditions et exigences. Le juge Rennie a conclu que les conditions en question étaient déraisonnables, car elles étaient incompatibles avec l’article 56 et contraires à celui‑ci. Il a aussi conclu que l’une de conditions ne résistait pas au contrôle pour un second motif, à savoir que le ministre n’avait pas délégué régulièrement ses pouvoirs au pêcheur.

[96] Le juge Rennie s’est exprimé en ces termes au sujet de la sous‑délégation :

[79] La sous‑délégation est [traduction] « l’octroi par un délégataire à un autre […] d’une partie quelconque du pouvoir que le Parlement lui a accordé » (Robert W. Macaulay et James L.H. Sprague, Practice and Procedure before Administrative Tribunals (feuillets mobiles) Toronto, Carswell, 1988 (mise à jour de 2012), à la page 5‑20). Il existe en droit administratif une présomption générale à l’encontre de la sous‑délégation, qui trouve son expression dans la maxime latine delegatus non potest delegare : qui est délégataire ne peut pas déléguer (John Willis, « Delegatus Non Potest Delegare », (1943) 21 Rev. du Bar. can. 257).

[80] La présomption contre la sous‑délégation ne s’applique toutefois pas lorsque l’acte est purement administratif ou ne suppose aucun degré important d’exercice de discrétion ou de jugement indépendant. La présomption s’applique uniquement aux décisions discrétionnaires, aux décisions législatives ou aux décisions qui statuent sur des droits ou des obligations : voir Forget c Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 90. En l’espèce, la sous‑délégataire, Marine Harvest, s’est vu conférer un pouvoir législatif sous la forme d’un pouvoir discrétionnaire d’exercer un jugement indépendant concernant le transfert de poissons en vertu de la condition 3.1(b) du permis. Puisque Marine Harvest est habilitée à exercer sa discrétion lorsqu’elle décide de transférer ou non des poissons, la présomption contre la sous‑délégation s’applique. Toutefois, la présomption contre la sous‑délégation n’est que cela, une présomption. Il ne s’agit pas d’une règle de droit, et cette présomption peut être repoussée au moyen d’une autorisation législative expresse ou implicite (Brown and Evans, à la page 13‑17). Ainsi, le ministre peut déléguer à son tour le pouvoir que lui a conféré le Parlement aux termes de l’article 56 du RPDG s’il y est autorisé expressément ou implicitement. Le RPDG n’autorise pas expressément le ministre à sous‑déléguer à l’industrie de l’aquaculture le pouvoir prévu à l’article 56. Aussi, la question qui se pose est celle de savoir si le RPDG peut être interprété comme autorisant implicitement la sous‑délégation du pouvoir du ministre.

[81] Je ne pense pas que la portée de l’article 56 soit étroite au point d’empêcher le ministre de sous‑déléguer des pouvoirs à l’industrie de l’aquaculture. L’article 56 peut être interprété comme autorisant implicitement la sous‑délégation de responsabilités administratives et opérationnelles si l’on applique une approche pragmatique et fonctionnelle. Je souscris à l’analyse du juge Dymond dans la décision R v Cox, 2003 NLSCTD 56, au paragraphe 70, selon laquelle l’envergure et la complexité du mandat du MPO commande la délégation de fonctions administratives, pourvu que les critères soient objectifs, discernables et clairs.

[82] Par conséquent, je conclus que le RPDG autorise implicitement le ministre à déléguer des pouvoirs à Marine Harvest. Toutefois, bien que la sous‑délégation soit permissible, la question demeure de savoir si le ministre a délégué régulièrement des pouvoirs à Marine Harvest.

(Non souligné dans l’original.)

[97] En l’espèce, comme je le précise plus haut, il est évident que le ministre dispose de vastes pouvoirs en ce qui a trait aux pêches et à la délivrance de permis. En outre, l’affidavit de Jennifer Ford, directrice intérimaire responsable de la gestion des ressources et des pêches autochtones du MPO, signé le 9 octobre 2020 [l’affidavit de Mme Ford dans le dossier T‑582‑20] (un affidavit semblable de Mme Ford a été déposé dans le dossier T‑583‑20 [l’affidavit de Mme Ford dans le dossier T‑583‑20]), indique que le ministre détermine le TAC pour le stock de poissons de fond pour chaque saison de pêche. À partir du TAC, le MPO accorde une allocation de quota à chaque flottille. Le MPO divise ensuite le quota attribué à la flottille de moins de 45 pi à engins fixes afin d’accorder une allocation de quota à chaque CGC. Ainsi, les CGC n’exercent aucun pouvoir sur le quota qui leur est attribué.

[98] L’affidavit de Mme Ford dans le dossier T‑582‑20 indique que, depuis environ 1998, le MPO utilise une méthode de gestion communautaire pour gérer la flottille de moins de 45 pi à engins fixes. La désignation du groupe communautaire géographique d’un permis se fonde sur l’enregistrement du port d’attache du titulaire de permis d’après les registres du MPO en 1996. Tous les permis de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes sont associés à l’un des sept groupes géographiques communautaires désignés.

[99] Par conséquent, il ne s’agit pas d’une situation comme celle dans l’affaire Morton, où le juge Rennie a conclu que la demanderesse s’était vu conférer par la loi un pouvoir discrétionnaire d’exercer un jugement indépendant concernant une condition précise du permis, ce qui entraînait l’application de la présomption générale à l’encontre de la sous‑délégation. Dans la décision Morton, cette présomption était réfutée par le fait que l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) autorisait implicitement la sous‑délégation de responsabilités administratives et opérationnelles. En l’espèce, nul ne prétend que le CGC s’est vu conférer le pouvoir discrétionnaire d’exercer un jugement indépendant – et d’assurer le respect du règlement – au moyen d’une condition du permis. M. Munroe ne renvoie pas non plus à une disposition réglementaire pouvant confirmer qu’il existe une sous‑délégation implicite du pouvoir d’autoriser le transfert d’un quota associé à un permis à un autre CGC.

[100] Le dossier indique plutôt que les CGC ont été établis aux fins d’appliquer les Lignes directrices opérationnelles. À cet égard, ils ont été créés aux termes d’une politique. Ils sont aussi constitués en personne morale à l’échelle provinciale aux termes de la Loi sur les associations, RSNS 1989, c 435 [la Loi sur les associations], et ils établissent leurs propres règlements administratifs, exigences en matière d’admissibilité des membres et conventions des membres, qui peuvent varier d’un conseil de gestion à un autre. Les CGC ont pour objectif de faciliter la gestion communautaire de la partie du quota que le ministre attribue à chaque CGC, et ils atteignent cet objectif. Fait important, les Lignes directrices opérationnelles traitent précisément du pouvoir des CGC et prévoient que le ministre reste le détenteur du pouvoir législatif :

Les politiques et principes courants de gestion communautaire sont principalement établis par l’intermédiaire du comité de la flottille à engins fixes de la région de Scotia‑Fundy, qui formule des recommandations aux fins de mise en œuvre par le MPO. En vertu des lois et règlements actuels, aucun pouvoir n’est délégué aux différents conseils communautaires : le Ministère reste le détenteur du pouvoir législatif. En vertu du système actuel, les conseils de gestion soumettent leurs plans de pêche pour approbation et mise en œuvre par le MPO, à condition qu’ils n’entrent pas en conflit avec la loi en vigueur et qu’ils respectent les conditions de conservation. Un PPAC propre à toutes les flottilles de moins de 45 pi à engins fixes est élaboré et tous les conseils de gestion doivent y adhérer. Outre ce PPAC générique, le PPAC communautaire relatif à la flottille de 45 pi à engins fixes peut contenir des mesures de gestion supplémentaires, notamment des quotas saisonniers, des limites par sortie et des sanctions qui ne sont pas mises en application par le MPO. La plupart des groupes exigent également des membres qu’ils signent un accord autorisant le MPO à envoyer les déclarations des prises individuelles hebdomadaires des titulaires de permis au conseil de gestion désigné, aux fins d’examen. Cela permet aux conseils de gestion de veiller à ce que les participants de leurs groupes respectent les mesures de gestion énoncées dans leur plan.

(Non souligné dans l’original.)

[101] L’affidavit de Mme Ford dans le dossier T‑582‑20 (l’affidavit de Mme Ford T‑583‑20 comprend des paragraphes presque identiques) indique qu’en raison du fait que les CGC sont constitués en personne morale à l’échelle provinciale, ils sont indépendants du MPO et le MPO n’est pas partie à la convention que les membres signent avec leur CGC.

[102] L’affidavit indique également ce qui suit :

[traduction]

10. Chaque conseil de gestion détermine les critères d’admissibilité que doit remplir un pêcheur pour devenir membre […] Comme chaque conseil de gestion établit ses propres critères d’adhésion, les critères varient d’un conseil de gestion à un autre. Comme les conseils de gestion sont indépendants, le MPO n’établit pas de critères d’admissibilité. Cependant, le MPO a informé les conseils de gestion des attentes suivantes en ce qui a trait aux critères d’admissibilité :

· il faut fournir aux membres un préavis suffisamment détaillé en ce qui concerne les changements qu’il est proposé d’apporter aux critères d’admissibilité afin qu’ils puissent en comprendre les répercussions avant les consultations ou les réunions;

· il est nécessaire de documenter clairement les réunions et les autres processus, et les procès‑verbaux doivent être mis à la disposition du MPO et des parties intéressées;

· les critères d’admissibilité doivent être clairs et appliqués de façon équitable;

· il doit exister un processus d’appel (lui aussi décrit et documenté clairement);

· le MPO doit approuver les changements apportés aux critères d’admissibilité; par conséquent, il doit disposer d’un préavis suffisant.

11. Le conseil de gestion informe le MPO lorsqu’il a rempli son quota pour la saison de pêche. Il assure également le suivi des prises accessoires, notamment dans le cas des espèces en déclin. Certains conseils établissent des quotas saisonniers entre eux et des limites par sortie surveillées par l’industrie. Le MPO n’assure pas le respect de ces exigences internes des conseils de gestion (car elles ne font pas partie des conditions des permis).

12. Les conseils aident le MPO à effectuer la surveillance de la pêche du poisson de fond pour la flottille de moins de 45 pi à engins fixes dans l’ensemble de la région des Maritimes. En outre, le MPO exige que chaque conseil de gestion élabore un plan de pêche axé sur la conservation pour assurer le bon déroulement de la saison de pêche et la prise en compte de facteurs propres à chaque conseil de gestion et communauté. Ces plans ne font pas l’objet de négociations entre les conseils de gestion et le MPO. Cependant, tous les plans de pêche axés sur la conservation sont assujettis à l’approbation et aux exigences réglementaires du MPO, car ils ne doivent pas aller à l’encontre des dispositions législatives en vigueur et ils doivent respecter les exigences en matière de conservation.

[103] Je reconnais que les CGC participent à la gestion quotidienne des pêches. Cependant, ils le font uniquement dans l’objectif d’appliquer la politique de gestion communautaire du MPO, et cette gestion porte uniquement sur les quotas que le MPO alloue à chaque groupe. Ainsi, les CGC s’occupent de la gestion interne des ressources que leur attribue le MPO. Contrairement à ce que font valoir les demandeurs, les CGC n’établissent pas les conditions des permis.

[104] La décision contestée en l’espèce est celle par laquelle le CGC ENS a refusé d’appuyer la libération du permis de pêche de poissons de fond no 101220 et de l’historique de capture qui y est associé pour le transférer au groupe communautaire du comté de Shelburne. Le CGC ENS soutient que comme il s’agit d’une pêche communautaire offrant des possibilités de pêche équitables, il ne libérera le quota pour le transférer à un autre groupe communautaire. Cependant, en fin de compte, qu’on interprète que le CGC ENS ait décidé de ne pas appuyer la demande ou de refuser de libérer le quota, seul le ministre peut changer la communauté géographique à laquelle est associé le permis, et seul le ministre peut répartir le quota en question si les CGC en conviennent ou appuient une telle mesure.

[105] À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi qu’il s’agit d’une situation similaire à l’affaire Morton, où le règlement pertinent autorisait implicitement la sous‑délégation à condition qu’elle soit effectuée convenablement.

[106] En outre, comme la Cour le précise dans la décision Morton, la présomption à l’encontre de la sous‑délégation ne s’applique pas lorsque l’acte est purement administratif ou ne suppose aucun degré important d’exercice de discrétion ou de jugement indépendant. Elle s’applique uniquement aux décisions discrétionnaires, aux décisions législatives ou aux décisions qui statuent sur des droits ou des obligations.

[107] Il est vrai que les CGC ont le pouvoir discrétionnaire d’accueillir ou non une demande de transfert du quota rattaché à un permis de pêche associé au groupe communautaire qu’ils représentent. En pratique, il est très peu probable qu’un CGC accueille une telle demande, car cela entraînerait une diminution du quota pour les membres de sa communauté. Cet élément est énoncé clairement et reconnu dans les Lignes directrices opérationnelles :

Les politiques adoptées par le comité de la flottille de moins de 45 pi à engins fixes permettent aux titulaires de permis de changer de communauté géographique, à condition que les deux conseils de gestion concernés y consentent. Le changement de désignation géographique d’un permis signifie qu’une communauté perd ou gagne un permis, ce qui a des conséquences sur les quotas et l’effort. Actuellement, les deux conseils de gestion doivent appuyer le changement de communauté et approuver le volume de quota à transférer, puis en informer le MPO. Les différents conseils de gestion n’ont pas à adopter des formules de quotas précises, mais jusqu’à aujourd’hui, lorsque des titulaires de permis ont changé de communauté, les communautés du port d’attache ont accepté uniquement de transférer des quotas dont le volume était égal ou inférieur à la part en pourcentage attribuée au permis, sans pourcentage défini comme non identifié. Si les conseils ne parviennent pas à un accord, le nouveau titulaire de permis pourra choisir de pêcher en vertu du plan du conseil initial ou en vertu du plan du groupe X.

Désignation communautaire et accès aux zones de stock

[…]

La désignation communautaire et la zone dans laquelle le pêcheur est autorisé à mener ses activités sont associées de manière permanente au numéro de permis de pêche et ne changent pas en cas de transfert à un autre pêcheur. Après un transfert de permis, le nouveau titulaire de permis est lié à la communauté et à la désignation de la zone de pêche, à moins que les conseils de gestion communautaires concernés consentent à une modification.

(Non souligné dans l’original.)

[108] Ainsi, dans le contexte des Lignes directrices opérationnelles, le pouvoir discrétionnaire des CGC est limité. À mon avis, il s’agit d’une situation dans laquelle la présomption à l’encontre de la sous‑délégation ne s’applique pas, car la décision du CGC ENS était « purement administrati[ve] ou ne suppos[ait] aucun degré important d’exercice de discrétion ou de jugement indépendant ». Le CGC refusait simplement d’abandonner une partie du quota que le MPO avait alloué à son groupe communautaire. Lorsqu’une demande de transfert est rejetée, le pêcheur peut rejoindre le groupe X, bien que cette option puisse être peu intéressante s’il est titulaire d’un permis auquel est associé un historique de capture important.

[109] Quoi qu’il en soit, et plus important encore, la source du pouvoir des CGC est, à mon avis, les Lignes directrices opérationnelles. Toutefois, les politiques ne sont pas des lois – elles ne sont pas contraignantes et ne créent pas de droits juridiquement exécutoires. Par conséquent, la question consiste à savoir si la source du pouvoir d’un organisme peut être un instrument non contraignant, en l’espèce, un qui précise explicitement que le ministre n’a sous‑délégué aucun pouvoir aux CGC. Je suis d’avis que ce ne peut être le cas. Il a été conclu que le passage « prévus par une loi fédérale » à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales signifie qu’une loi fédérale est la source de la compétence ou des pouvoirs conférés (Southam Inc c Canada (Procureur général), [1990] 3 CF 533 (CAF) à la p 13). Les Lignes directrices opérationnelles ne sont pas une loi fédérale, et par conséquent, elles ne peuvent pas être la source du pouvoir des CGC.

[110] Dans l’arrêt Jada Fishing Co Ltd c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 103 [Jada Fishing], la Cour d’appel fédérale a conclu que la décision d’une commission d’appel, créée par une politique, n’était pas susceptible de contrôle judiciaire.

[11] Le ministre prétend que les recommandations de la formation ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire parce que celle‑ci n’est pas un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi et qu’elle n’a pas rendu de décision. Le ministre affirme aussi que la recommandation de la formation n’est pas susceptible de contrôle parce que celle‑ci n’a fait que formuler des recommandations et n’a pas rendu de décisions susceptibles de porter atteinte aux droits des appelantes et parce que les recommandations auraient joué un rôle insignifiant.

[12] Il est clair que le ministre a le pouvoir, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, de rendre, à discrétion, des décisions au sujet des licences d’exploitation de pêcheries. En revanche, la formation n’avait pas cette compétence en vertu de la loi et elle a simplement formulé des recommandations que le ministre était en droit d’accepter ou de rejeter. À première vue, les recommandations de la formation ne sont donc pas, de par leur nature, susceptibles de contrôle. En l’espèce, en raison de l’ampleur de l’avis de demande de contrôle judiciaire présenté au juge Pelletier, je suis convaincu que la Cour peut contrôler une décision discrétionnaire du ministre qui se fonde, en partie, sur une recommandation de la formation.

[13] Dans le présent appel, les appelantes cherchent à faire annuler l’ordonnance du juge qui a siégé en révision et elles ne font référence qu’à la « décision » de la formation et à la conduite de cette dernière; il n’y est pas fait mention du ministre. La décision du ministre, en date du 3 avril 1998, est cependant toujours valide. De toute façon, la décision ou recommandation de la formation, qui est inexorablement liée à la décision du ministre, est sans effet juridique, à moins que le ministre ne l’« adopte » en tant qu’un des fondements de sa décision. Je suis d’avis que le présent appel ne peut se poursuivre qu’en tant que contrôle de la décision du ministre fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi, bien que l’appel soit présenté sous le couvert d’une contestation de la recommandation de la formation. La Cour contrôle donc, dans le présent appel, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[111] En l’espèce, les Lignes directrices opérationnelles ne prévoient pas explicitement que les CGC formulent une recommandation concernant une demande de transfert. Plutôt, comme je le mentionne plus haut, les Lignes directrices opérationnelles prévoient qu’il est possible de transférer un permis entre des communautés géographiques avec l’accord des CGC concernés.

[112] M. Munroe fait valoir que le rôle du CGC ENS n’est pas que consultatif. À cet égard, il renvoie à une lettre du 25 avril 2019 que son avocat a envoyée au MPO afin de demander à celui‑ci d’examiner le refus d’une demande d’adhésion au groupe communautaire du comté de Shelburne formulé le 28 février 2019. Dans sa réponse, Mme Doherty s’est exprimée en ces termes :

[traduction]

Comme le précisent les conditions du permis de M. Munroe, le permis no 101220 est associé au groupe communautaire de l’Est de la Nouvelle‑Écosse. Le MPO alloue un quota à chaque conseil de gestion en fonction de l’historique de capture associé aux permis relevant de ce conseil de gestion. Tout quota s’appuyant sur l’historique de capture du permis no 101220 est géré par le conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse.

Bien que les titulaires de permis puissent rejoindre d’autres conseils de gestion communautaires, il revient au conseil de gestion (en l’occurrence le conseil de gestion des divisions 4VsW de l’Est de la Nouvelle‑Écosse) de trancher la question de savoir si le conseil peut libérer un quelconque quota.

[113] Quant à cette dernière déclaration, au cours de son contre‑interrogatoire, Mme Ford a affirmé que cette position est erronée et a ajouté ceci :

[traduction]

Cette décision ne relève pas vraiment du conseil de gestion. Il s’agit d’une décision du MPO, mais généralement, nous nous appuyons sur une recommandation du conseil de gestion pour prendre une telle décision. Je pense que cela signifie en fait que nous demandons aux conseils de formuler une recommandation au MPO à ce sujet, et généralement, nous acceptons cette recommandation.

[114] Le défendeur est d’avis que la décision du CGC ENS est de la nature d’une recommandation, et qu’en raison du fait que les CGC n’ont aucun pouvoir sur le permis et les conditions du permis de M. Munroe, cette décision ne peut être rien de plus qu’une recommandation.

[115] À mon avis, la décision du CGC n’est pas présentée comme une recommandation formulée à l’intention du MPO. Rien dans le dossier n’indique que le CGC ENS a présenté sa décision comme une recommandation ou autre au MPO. Cependant, les Lignes directrices opérationnelles traitent des recommandations; elles précisent que les recommandations du conseil de gestion visent à représenter clairement la position majoritaire d’une communauté. En fin de compte, je reconnais que la décision du CGC ENS peut être considérée comme étant de la nature d’une recommandation, car la politique, comme le précisent les Lignes directrices opérationnelles, n’est pas une loi, n’est pas contraignante et, fait important, ne peut pas entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des permis, d’établir les conditions des permis ou d’allouer des quotas. Si la décision du CGC était définitive, cela entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[116] En conclusion, la décision du CGC ENS de ne pas appuyer le transfert du permis et de l’allocation fondée sur l’historique de la capture du permis de M. Munroe était une décision administrative prise aux termes des Lignes directrices opérationnelles, qui sont une politique, et non une loi. La source du pouvoir du CGC de prendre cette décision ne découlait pas d’une loi, car elle ne découlait pas d’une sous‑délégation implicite du pouvoir du ministre aux termes de la Loi sur les pêches et du Règlement de pêche (dispositions générales). En fin de compte, la décision définitive relève du MPO, car seul le ministre peut délivrer des permis, établir les conditions des permis ou transférer des quotas entre des CGC. Comme le CGC prenait une décision administrative interne, ou une décision de la nature d’une recommandation, il n’agissait pas à titre d’office fédéral. Par conséquent, la Cour n’a pas la compétence d’examiner la décision du CGC ENS contestée par la présente demande de contrôle judiciaire.

[117] Je tiens finalement à souligner que j’ai tenu compte plus haut des observations des parties sur ce qui constitue un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Cependant, à cet égard, les parties n’ont pas traité de l’incidence, le cas échéant, du fait que les CGC sont constitués en personne morale à l’échelle provinciale aux termes de la Loi sur les associations. D’après la jurisprudence de notre Cour, les organismes constitués ou établis par une loi d’une province ou sous le régime d’une telle loi sont exclus de la définition d’« office fédéral », même s’ils peuvent exercer ou prétendre exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi fédérale.

[118] Dans ces affaires, la Cour a conclu que le contrôle judiciaire des décisions des administrateurs provinciaux doit se faire par les tribunaux de la province et non par la Cour fédérale. Par exemple, dans la décision 9037‑9694 Quebec Inc c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 849 au para 25, la Cour s’est exprimée ainsi : « En termes très clairs, le Parlement a créé une exclusion dans sa définition d’”office fédéral” bien que l’organisme où la personne exerce une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou une personne… nommée aux termes d’une loi provinciale… sont exclus. » Voir aussi Saugeen Band of Indians c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1992] 3 CF 576; Canadian Pacific Express & Transport Ltd c Motor Carrier Commission [1986], 1 CF 59; Able and Penetanguishene Mental Health Centre (Re) (1979), 97 DLR (3d) 304). Cependant, comme j’ai conclu plus haut que le pouvoir du CGC ne découle pas de la Loi sur les pêches, je n’ai pas à trancher cette question.

[119] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle le CGC ENS n’agissait pas à titre d’office fédéral, et qu’en conséquence, la Cour n’a pas la compétence d’examiner la décision contestée, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par les parties.

T‑583‑20 (Veinot)

Faits contextuels supplémentaires

[120] Le permis de M. Veinot est associé au groupe communautaire de l’Ouest d’Halifax et la Prospect Area Full Time Fishermen’s Association [PAFFA] est le CGC pertinent [CGC PAFFA].

[121] Il ressort des éléments de preuve produits par M. Veinot qu’il a présenté une demande d’adhésion au CGC PAFFA en 2019, demande qui a été rejetée (affidavit d’Anthony Veinot signé le 26 août 2020), et qu’il a présenté d’autres demandes d’adhésion au CGC PAFFA [traduction] « à maintes reprises », en vain. Il a transmis par courriel, le 6 mars 2020, sa dernière [traduction] « demande officielle » pour rejoindre la PAFFA et a été informé par M. George Zinck, le dirigeant du CGC PAFFA, que sa demande ferait l’objet d’un vote.

[122] Le 1er mai 2020, en réponse à un courriel de M. Veinot visant à effectuer un suivi, M. Zinck a affirmé qu’il n’y avait eu aucune réunion depuis le début de l’année en raison de la pandémie. M. Veinot sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

La décision faisant l’objet du contrôle

[123] La décision faisant l’objet du contrôle est le courriel du 1er mai 2020 du CGC PAFFA indiquant ceci : [traduction] « En raison du virus de la COVID‑19, il n’y a eu aucune réunion depuis le début de l’année ».

[124] Dans son avis de demande, M. Veinot affirme que le contrôle judiciaire porte sur le refus ou l’omission du CGC PAFFA d’accomplir une action administrative, ou sur le retard mis à exécuter cette action afin de déterminer l’état de sa demande d’adhésion du 6 mars 2020. Le refus est le courriel du 1er mai 2020 du CGC PAFFA. Il demande une ordonnance de mandamus afin de contraindre le CGC PAFFA à agir immédiatement et à prendre une décision concernant sa demande d’adhésion.

Questions en litige

[125] Comme je le mentionne plus haut relativement à la demande de M. Munroe (T‑582‑20), les questions en litige en l’espèce se recoupent largement, tout comme l’analyse visant à trancher la question de savoir si le CGC PAFFA est un office fédéral.

[126] M. Veinot soutient que le pouvoir que le CGC PAFFA exerce est celui de refuser de lui donner accès à la pêche, même s’il est titulaire d’un permis. Il fait valoir que le ministre a sous‑délégué implicitement aux CGC le pouvoir qui lui est conféré en application de la Loi sur les pêches et du Règlement de pêche (dispositions générales). Comme les CGC sont responsables de la gestion de la pêche au quotidien, l’exercice du pouvoir du CGC PAFFA est accessoire à son pouvoir plus général de gérer et d’exploiter les pêches et les permis de pêche dans sa zone géographique. Le CGC PAFFA est par conséquent un office fédéral.

Analyse

[127] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas d’avis que le CGC PAFFA est un office fédéral.

[128] À mon avis, le pouvoir exercé par le CGC PAFFA est celui de décider de tenir ou non une réunion pour examiner sa demande d’adhésion. M. Veinot n’a pas établi que le pouvoir du CGC PAFFA de décider de ne pas tenir une réunion afin de soumettre sa demande d’adhésion à un vote est accessoire à un pouvoir plus général du CGC PAFFA de gérer et d’exploiter les pêches et les permis de pêche. Il n’a pas non plus établi qu’en prenant cette décision, le CGC PAFFA exerçait un pouvoir du ministre délégué par la Loi sur les pêches. Cela suffit pour trancher la demande.

[129] Cependant, j’ai quelques autres commentaires à formuler.

[130] Premièrement, je ne souscris pas à l’affirmation de M. Veinot selon laquelle le pouvoir que le CGC PAFFA exerçait était celui de refuser de lui donner accès à la pêche. Le permis de M. Veinot a été délivré par le ministre, qui est le seul autorisé à délivrer des permis, ainsi qu’à mettre en place et à modifier les conditions des permis. Même si le CGC PAFFA tarde à confirmer l’adhésion de M. Veinot ou refuse sa demande d’adhésion, M. Veinot conserve la possibilité de pêcher dans le groupe X. Cette option, qui n’est peut‑être pas celle qu’il privilégie, lui permet tout de même de pêcher.

[131] Je souscris à l’observation de M. Veinot (et de M. Munroe) selon laquelle le rôle de surveillance relativement aux CGC n’est pas défini dans les Lignes directrices opérationnelles. En fait, les Lignes directrices opérationnelles auraient dû être mises à jour il y a longtemps. Cependant, je ne suis pas convaincue que M. Veinot (et M. Munroe) a démontré, comme il le fait valoir, que les CGC fonctionnent comme un [traduction] « club privé » et disposent de pouvoirs non supervisés – ce qui étayerait la conclusion selon laquelle la délégation du pouvoir du ministre est implicite. Par exemple, en 2017, M. Veinot, par l’entremise de l’avocat qui le représentait à l’époque, a demandé au MPO de répondre à ses préoccupations relatives au permis. Dans sa réponse, Mme Doherty a expliqué le système de gestion communautaire. Quant à la décision du CGC de l’Ouest d’Halifax de rejeter la demande d’adhésion de M. Veinot, elle a expliqué que ce CGC a depuis longtemps comme politique de ne pas accepter les permis qui sont inactifs depuis plus de cinq ans, comme c’était le cas du permis de M. Veinot. Elle a ajouté que [traduction] « le MPO appuie les conseils de gestion en ce qui a trait à l’établissement des critères d’adhésion, tant que ces critères sont transparents, raisonnables et appliqués d’une manière juste et équitable ». Ainsi, le MPO a répondu aux préoccupations de M. Veinot concernant le refus de sa demande d’adhésion.

[132] Bien entendu, le CGC PAFFA doit répondre aux demandes d’adhésion. S’il rejette une demande d’adhésion, il doit expliquer les motifs de son refus et respecter les Lignes directrices opérationnelles, les règlements administratifs du PAFFA et tout autre facteur pertinent. Il ne peut pas non plus faire preuve de discrimination; dans son affidavit, M. Veinot affirme qu’il s’était déjà fait dire que sa demande d’adhésion avait été rejetée en raison de son âge. Ainsi, toute décision du CGC PAFFA relative à l’admissibilité doit être raisonnable. Dans son affidavit, Mme Ford a indiqué qu’elle croyait que le MPO interviendrait dans une décision fondée sur des critères discriminatoires.

[133] Enfin, je souligne qu’à l’audience, le défendeur a fait valoir que cette affaire était désormais théorique, car le mandamus demandé par M. Veinot en guise de solution – que la Cour ordonne au CGC PAFFA d’examiner sa demande – avait été rendu et qu’il s’était fait offrir une adhésion conditionnelle. L’avocat de M. Veinot s’est opposé à l’allégation concernant le caractère théorique de l’affaire. Il a affirmé, entre autres, qu’une lettre de l’avocat de la PAFFA soumise par le défendeur n’avait pas été déposée en preuve et qu’elle ne représentait pas avec exactitude la nature de certaines discussions entre la PAFFA et M. Veinot. À mon avis, en l’absence de documents à l’appui, il est impossible d’évaluer l’allégation concernant le caractère théorique de l’affaire. En outre, compte tenu de ma conclusion selon laquelle le CGC PAFFA n’est pas un office fédéral, cette affirmation en soi est théorique.

[134] De même, compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions.

Dépens

[135] À l’audience, les parties ont indiqué qu’elles n’avaient pas discuté des dépens et qu’elles ne s’étaient pas entendues à cet égard, mais qu’elles le feraient et reviendraient à la Cour. Les parties ont par la suite indiqué qu’elles n’arrivaient pas à s’entendre sur la question des dépens et ont soumis des mémoires de frais individuels, s’appuyant sur la colonne III du tarif B, et ce, pour chaque demande. La différence entre les sommes demandées par les demandeurs et le défendeur était petite et je suis convaincue que les montants attribués sont raisonnables. J’accorderai des dépens au défendeur conformément aux montants indiqués dans le mémoire de dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑271‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le défendeur a droit à la somme globale de 5 702,29 $ au titre des dépens.

  3. Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers de la Cour suivants : T‑271‑20, T‑582‑20 et T‑583‑20.

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑582‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le défendeur a droit à la somme globale de 5 280,70 $ au titre des dépens.

  3. Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers de la Cour suivants : T‑271‑20, T‑582‑20 et T‑583‑20.

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑583‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le défendeur a droit à la somme globale de 5 287,08 $ au titre des dépens.

  3. Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers de la Cour suivants : T‑271‑20, T‑582‑20 et T‑583‑20.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑271‑20

 

INTITULÉ :

TREVOR MUNROE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‑271‑20

 

INTITULÉ :

ANTHONY VEINOT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‑582‑20

 

INTITULÉ :

TREVOR MUNROE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‑583‑20

 

INTITULÉ :

ANTHONY VEINOT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 JUIN 2021 (T‑271‑20) ET LE 17 JUIN 2021 (T‑582‑20 ET T‑583‑20)

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 8 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Richard Norman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Melissa A. Grant

Jessica Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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