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Date : 20210709


Dossier : T‑1315‑18

Référence : 2021 CF 728

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

CHRIS HUGHES

demandeur

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

TRANSPORTS CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Dans une requête introduite aux termes de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], le demandeur sollicite une ordonnance annulant l’ordonnance du 21 mai 2021 [l’ordonnance de mise en suspens] par laquelle la protonotaire Ring, responsable de la gestion de l’instance [la protonotaire Ring] a mis en suspens les deux requêtes en outrage qu’il avait présentées [les deux requêtes en outrage]; il demande aussi à la Cour d’ordonner que ces deux requêtes soient instruites sans délai.

II. Faits

[2] Le 1er juin 2018, le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] a rendu une décision sur les mesures de redressement en faveur du demandeur [l’ordonnance sur les mesures de redressement] après avoir conclu que Transports Canada avait fait preuve à son endroit de discrimination illicite en 2014. Le Tribunal a ordonné en gros deux séries principales de mesures de redressement : des dommages pécuniaires et l’intégration du demandeur à un poste précis chez Transports Canada, laquelle était conditionnelle à son obtention de l’autorisation de sécurité requise.

[3] Il a été ordonné à Transports Canada de verser cinq années de salaire, moins les retenues obligatoires, y compris toutes les retenues sur la pension qui devaient être versées dans les régimes de rente. Le demandeur fait valoir que Transports Canada l’a payé avec neuf mois de retard, sans verser de retenues à l’Agence du revenu du Canada, au Régime de retraite ou au Régime de pensions du Canada [le RPC]. Il affirme que les retenues sur la pension sont versées dans le RPC et le Régime de retraite au moyen de feuillets de renseignements fiscaux, feuillets que Transports Canada ne lui a pas fournis malgré les demandes répétées qui lui ont été présentées en ce sens, et qui ont été soumises à l’ancien ministre des Transports, M. Marc Garneau et à l’actuel ministre des Transports, M. Alghabra.

[4] Pour le demandeur, Transports Canada, le ministre Garneau et le ministre Alghabra ne se sont pas conformés à l’ordonnance sur les mesures de redressement et il s’agit donc à première vue d’un outrage au tribunal. Il explique que c’est ce qui l’a amené à présenter les deux requêtes en outrage, ainsi qu’une requête fondée sur l’article 431 des Règles demandant à ce qu’une autre personne délivre les formulaires d’impôt requis – T4, T5 et T1198 [formulaires d’impôt], comme je l’explique ci‑après.

[5] Le défendeur a exposé l’historique procédural de la présente affaire, sur lequel je m’appuierai à moins d’une indication expresse à l’effet contraire.

[6] Le 9 juillet 2018, le demandeur a enregistré auprès du greffe de la Cour fédérale l’ordonnance sur les mesures de redressement aux termes du paragraphe 424(2) des Règles et de l’article 57 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi sur les droits de la personne].

[7] Le 7 août et le 13 novembre suivant, il a signifié des requêtes alléguant un outrage au tribunal contre le Canada et quatre fonctionnaires de la Couronne pour défaut d’exécution de l’ordonnance sur les mesures de redressement.

[8] Le 8 novembre 2019, la protonotaire Ring a instruit une requête sollicitant une ordonnance de justifier.

[9] Le 28 novembre 2019, elle a rejeté cette requête que le demandeur avait présentée en invoquant le prétendu manquement à l’ordonnance sur les mesures de redressement [l’ordonnance établissant l’absence d’outrage]. Le demandeur a interjeté appel de cette ordonnance aux termes de l’article 51 des Règles devant notre Cour.

[10] Le dossier de la Cour comprend une ordonnance de la juge Heneghan datée du 15 janvier 2019, dans laquelle la juge établit que l’obligation du défendeur de respecter le jugement du Tribunal n’avait pas été suspendue, contrairement à ce que le défendeur avait prétendu.

[11] Un peu plus d’un an après (ce retard n’est pas expliqué) en février 2020, il affirme que Transports Canada a finalement versé au demandeur ce qui semble correspondre à la plupart la somme adjugée par le Tribunal – plus de 500 000 $ – moins les retenues obligatoires, soit une somme nette de 352 970,07 $.

[12] Cependant, pour une raison ou pour une autre, Transports Canada n’a fourni au demandeur aucun des formulaires dont il avait besoin pour déposer ses déclarations de revenus personnelles; c’est sans doute pour cette raison qu’il a prétendu (comme il le fait à présent) que le ministre n’a pas versé les retenues requises à l’Agence du revenu du Canada, au Régime de retraite ou au RPC. Rien au dossier n’indique si ces versements ont été faits ou pas.

[13] Le 20 octobre 2020, le juge Little a rejeté l’appel interjeté par le demandeur contre l’ordonnance établissant l’absence d’outrage dans la décision Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986 [Hughes 2020]. Le demandeur a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale.

[14] Le 29 décembre 2020, le demandeur a introduit une deuxième requête, dans laquelle il allègue que Transports Canada, M. Marc Garneau, ministre des Transports de l’époque, et l’avocat auprès du ministère de la Justice ont commis un outrage au tribunal. Il alléguait cette fois que Transports Canada était passé outre l’ordonnance sur les mesures de redressement en ne lui délivrant pas les formulaires d’impôts – T4, T5 et T1198 [les formulaires d’impôt] – relatifs à la somme que le ministère lui avait versée en février 2020 au titre de l’ordonnance sur les mesures de redressement. La Cour n’a pas autorisé le dépôt de cette requête.

[15] Dans une autre requête datée du 22 février 2021, M. Hughes a sollicité une ordonnance au titre de l’article 431 des Règles pour forcer Transports Canada à produire ces mêmes formulaires d’impôt conformément à l’ordonnance sur les mesures de redressement [la requête fondée sur l’article 431 des Règles].

[16] Le 6 mars 2021, le demandeur a introduit une troisième requête intitulée [traduction] « Accusation no 3 d’outrage au tribunal », dans laquelle il formule des allégations d’outrage au tribunal à l’encontre de l’actuel ministre des Transports, M. Omar Alghabra et de l’avocat du ministère de la Justice, également au sujet des formulaires d’impôt.

[17] Le 13 mars 2021, M. Hughes a introduit une version modifiée de sa requête du 29 décembre 2020, maintenant datée du 6 mars 2021 et intitulée [traduction] « Nouveau dépôt de l’accusation no 2 d’outrage au tribunal ». Il affirme que la Commission canadienne des droits de la personne a pris acte de la signification, mais pas le procureur général; il demande donc à la Cour de valider la signification aux termes de l’article 147 des Règles.

[18] D’après le demandeur, le procureur général a envoyé une lettre à la Cour le 24 mars 2021, où il y précise ses disponibilités en vue d’une conférence de gestion de l’instance durant laquelle les trois requêtes ainsi que les questions de signification seraient abordées. Le demandeur affirme que le procureur général ne mentionnait pas dans cette lettre de requête en déclaration de plaideur quérulent. Le procureur général déclarait aussi dans sa lettre : [traduction] « [N]ous avons contacté M. Hughes et n’avons reçu aucune réponse ». Le demandeur soutient que cette déclaration est fausse et ajoute que la requête en déclaration de plaideur quérulent n’était pas à l’ordre du jour, attendu qu’elle n’était pas mentionnée dans la directive de la protonotaire Ring concernant l’inscription au rôle de la conférence de gestion de l’instance.

[19] Le 24 mars 2021, Transports Canada a déposé une requête au titre de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi], par laquelle l’organisme sollicitait une ordonnance qui visait notamment à faire déclarer le demandeur plaideur quérulent [la requête en déclaration de plaideur quérulent]. Le demandeur affirme que cette requête était censée être instruite dans le cadre d’une autre conférence de gestion de l’instance. Je m’arrête ici pour noter qu’il revenait à la juge responsable de la gestion de l’instance d’inscrire cette question au rôle. Le demandeur affirme qu’il a demandé sans succès au greffe de la Cour de retirer la requête en déclaration de plaideur quérulent en raison de caviardages effectués au titre des articles 72 et 74 des Règles. Encore une fois, je m’arrête pour faire remarquer que l’on ne peut reprocher au greffe d’avoir refusé de se plier à la demande du demandeur.

[20] Lors de la conférence de gestion de l’instance du 30 mars 2021, l’avocat du procureur général a déclaré qu’il souhaitait ajouter une requête en déclaration de plaideur quérulent à l’ordre du jour; le demandeur précise qu’il s’y est [traduction] « vigoureusement opposé », mais que la protonotaire Ring a autorisé l’ajout et l’instruction de cette requête. Comme je l’ai déjà indiqué, c’est à la juge responsable de la gestion de l’instance qu’il revenait d’inscrire cette requête au rôle; à l’évidence, elle n’a pas été convaincue par les motifs que le demandeur faisait valoir en vue de la tenue d’une autre conférence de gestion de l’instance.

[21] Le 31 mars 2021, la protonotaire Ring a ordonné que le dépôt des deux requêtes en outrage soit autorisé, mais elle les a laissées en suspens, en attendant l’issue de la requête en déclaration de plaideur quérulent présentée par le défendeur aux termes de l’article 40 de la Loi, ainsi que celle de la requête du demandeur fondée sur l’article 431 des Règles concernant les documents fiscaux. Le demandeur précise que ni lui ni le défendeur n’ont demandé de mise en suspens. Il affirme que la protonotaire Ring a, de son propre chef, mis en suspens les deux requêtes en outrage, ce qui a été pour lui un [traduction] « choc ».

[22] Le 13 avril 2021, la protonotaire Milczynski a fixé les délais pour la réponse du demandeur à la requête en déclaration de plaideur quérulent, et pour la réplique de Transports Canada. Dans cette directive, la juge responsable de la gestion de l’instance faisait remarquer que la requête en déclaration de plaideur quérulent devait être tranchée en premier. Le demandeur affirme que la Cour a rapidement instruit cette requête malgré ses objections.

[23] Le 15 avril 2021, le juge en chef a fixé l’audition de la requête en déclaration de plaideur quérulent au 30 juin 2021 [l’audience concernant la déclaration de plaideur quérulent].

[24] Le 27 avril 2021, le demandeur s’est désisté de la requête fondée sur l’article 431 des Règles.

[25] Le demandeur affirme avoir tenté de déposer une requête en radiation de la requête en déclaration de plaideur quérulent le 3 mai 2021. La protonotaire Ring n’a pas autorisé son dépôt et l’a rejetée dans une directive du 5 mai 2021, en précisant que le demandeur devait s’opposer à cette requête à l’audience au lieu d’introduire une requête en radiation. Le demandeur soutient que cette directive outrepassait la compétence de la protonotaire Ring et que la requête en radiation aurait dû être acceptée et débattue. Je m’arrête ici pour noter que cette proposition du demandeur n’est pas fondée – la partie qui s’oppose à une requête dépose simplement une réponse, et s’y oppose; il n’est pas nécessaire d’introduire une requête distincte en radiation.

[26] Le 11 mai 2021, le demandeur a demandé par écrit à la Cour que les deux requêtes en outrage soient instruites [traduction] « rapidement » et tranchées avant la requête en déclaration de plaideur quérulent.

III. La décision à l’examen

[27] Le 21 mai 2021, la protonotaire Ring a ordonné la mise en suspens des deux requêtes en outrage en attendant qu’il soit statué sur la requête en déclaration de plaideur quérulent [l’ordonnance de mise en suspens].

[28] Le même jour, elle a accordé au demandeur une prorogation du délai de dépôt de sa réponse à la requête en déclaration de plaideur quérulent, jusqu’au 4 juin 2021 [l’ordonnance sur les délais].

[29] Dans une requête datée du 28 mai 2021, le demandeur a soumis la présente requête pour dépôt, requête dans laquelle il interjetait appel, aux termes de l’article 51 des Règles, de l’ordonnance de mise en suspens et de l’ordonnance sur les délais, fixant la date d’audience au 2 juin 2021. L’article 51 des Règles prévoit :

Appel

Appeal

51 (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

51 (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

[30] Dans une autre requête datée du 2 juin 2021, le demandeur sollicitait une ordonnance aux termes de l’article 44 de la Loi, qui enjoindrait notamment à Transports Canada de produire, suivant l’ordonnance sur les mesures de redressement, les formulaires d’impôt qu’il évoque dans les deux requêtes en outrage et qu’il réclamait dans sa requête fondée sur l’article 431 des Règles, dont il s’est depuis désisté [la requête fondée sur l’article 44] :

Mandamus, injonction, exécution intégrale ou nomination d’un séquestre

Mandamus, injunction, specific performance or appointment of receiver

44 Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

44 In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

[31] Lors de la conférence de gestion de l’instance du 8 juin 2021, le juge Bell a fixé au 30 juin suivant l’audition par notre Cour de l’appel interjeté contre l’ordonnance de mise en suspens au titre de l’article 51 des Règles. L’appel concernant l’ordonnance sur les délais a été résolu sur consentement des parties.

[32] Par conséquent, la décision à l’examen dans le cadre du présent appel est l’ordonnance de mise en suspens délivrée par la protonotaire Ring le 21 mai 2021.

IV. Les questions en litige

[33] La question à trancher est de savoir si la protonotaire Ring a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a mis en suspens les deux requêtes en outrage en attendant l’issue de la requête en déclaration de plaideur quérulent.

V. La norme de contrôle

[34] La Cour saisie d’un appel interjeté au titre de l’article 51 à l’encontre d’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire applique les normes de contrôle établies dans l’arrêt Hospira Healthcare Corp. c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [le juge d’appel Nadon] aux para 68‑69 et 79 et utilisées dans la décision Hughes 2020 au para 62. La Cour fédérale ne peut revenir sur la décision discrétionnaire d’un protonotaire que si ce dernier a commis une erreur à l’égard d’une pure question de droit, ou s’il a commis une erreur manifeste et dominante à l’égard d’une question de fait ou de fait et de droit. Cette norme est énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] :

8. Dans le cas des pures questions de droit, la règle fondamentale applicable en matière de contrôle des conclusions du juge de première instance est que les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance. La norme de contrôle applicable à une question de droit est donc celle de la décision correcte : Kerans, op. cit., p. 90.

[Non souligné dans l’original.]

[35] Dans l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, le juge Stratas explique ce que le demandeur doit établir pour prouver une erreur manifeste et dominante en appel :

[46] L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[Non souligné dans l’original]

[36] Le juge Stratas a fourni des directives supplémentaires dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 :

[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St‑Germain, précité.

[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.

[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.

[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.

[65] Il peut également y avoir des situations où une erreur manifeste en soi n’est pas dominante, mais lorsqu’on la prend en considération avec d’autres erreurs manifestes, la décision ne peut plus être maintenue. Pour ainsi dire, l’arbre est tombé non pas après un seul coup de hache déterminant, mais après plusieurs bons coups.

[Non souligné dans l’original.]

[37] En ce qui concerne les appels fondés sur l’article 51 des Règles, le juge responsable de la gestion de l’instance est présumé très bien connaître les questions et faits particuliers de l’instance (Hughes 2020 au para 67). Sa décision doit être traitée avec déférence, surtout en ce qui touche les questions extrêmement tributaires des faits (Hughes 2020 au para 67). De plus, lorsque la Cour exerce une compétence qui s’apparente à l’inscription au rôle ou à l’ajournement d’une affaire, le décideur jouit d’un large pouvoir discrétionnaire (Mylan Pharmaceuticals ULC c AstraZeneca Canada, Inc, 2011 CAF 312 [Mylan] [le juge d’appel Stratas] au para 5).

VI. Analyse

A. Requête en déclaration de plaideur quérulent

[38] Le demandeur affirme que la Cour fédérale n’a pas la compétence de statuer sur une requête en déclaration de plaideur quérulent au titre de l’article 40 de la Loi :

Poursuites vexatoires

Vexatious proceedings

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

[39] Le demandeur fait valoir que l’exécution des ordonnances au titre de la partie 12 des Règles soulève des « questions ». Il affirme que cette partie des Règles vise les plaideurs ayant remporté eu gain de cause dans une action en justice et cherchant à faire appliquer une ordonnance de la cour afin de recueillir les [traduction] « fruits du jugement ». Il ajoute qu’il a légalement le droit d’obtenir les formulaires d’impôt directement liés à l’ordonnance sur les mesures de redressement, laquelle peut être exécutée au moyen de la partie 12 des Règles.

[40] Le demandeur soutient qu’au lieu de se conformer à l’ordonnance sur les mesures de redressement et au droit fiscal, le défendeur tente de retarder son respect de l’ordonnance en déposant une requête en déclaration de plaideur quérulent, ce qui constitue un abus de procédure, voir Norman c Soule, 1991 CanLII 921 (BCSC).

[41] Le demandeur fait valoir que la requête en déclaration de plaideur quérulent présentée par le défendeur constitue une demande illégale et irrégulière dont le but est de retarder le jugement. Toujours d’après lui, il n’existe qu’une seule affaire, soit Goela c VIA Rail Canada Inc., 2006 CF 562 [la juge Snider], dans laquelle la Couronne a tenté de mettre fin à un recours engagé aux termes de la partie 12 et où la Cour a refusé de rendre une déclaration au titre de l’article 40. Dans cette affaire, affirme‑t‑il, la compétence n’était pas en cause.

[42] Le demandeur soutient qu’il incombait à la protonotaire Ring d’aborder la question de la compétence lorsqu’elle a examiné la requête en déclaration de plaideur quérulent ainsi que ses lettres (et sa requête en radiation).

[43] À mon avis, les observations portant que la Cour n’est pas compétente à l’égard des plaideurs quérulents lorsque l’instance relève de la partie 12, ou que la requête en déclaration de plaideur quérulent est un abus de procédure, sont dénuées de fondement. Ceux qui agissent de façon vexatoire en invoquant la partie 12 des Règles de notre Cour le font à leurs risques et périls. Il ne leur est certainement pas permis d’agir ainsi. Je ne suis pas convaincu que l’article 40 des Règles ne s’applique pas aux instances relevant de la partie 12; je ne vois pas pourquoi notre Cour créerait une telle exception alors qu’aucune n’est prévue expressément. Quoiqu’il en soit, notre Cour est entièrement compétente pour contrôler ses procédures, notamment pour élaborer des ordonnances visant à maîtriser les plaideurs qui agissent de façon vexatoire : voir Mylan au para 5 et Coote c Lawyers’ Professional Indemnity Co., 2013 CAF 143 aux para 12‑13 [Coote] [juge d’appel Stratas] qui soulignent le pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[44] Pour ce qui est de qualifier l’introduction de la requête en déclaration de plaideur quérulent de prétendu abus de procédure, je ne suis pas convaincu que cette requête concorde avec cette description, ne serait‑ce qu’en raison du très grand nombre de requêtes et de directives déjà déposées à ce jour. Je comprends la frustration du demandeur, vu la bataille relativement longue qu’il a dû livrer pour remporter sa plainte en matière de droits de la personne et compte tenu du fait que le défendeur a décidé injustement, comme cela a fini par être établi, de retenir le paiement de plus de 518 000 $ sur une très longue période, et seule l’ordonnance de notre Cour rendue par le juge Heneghan a pu remédier à ce refus de paiement. Cependant, cette frustration n’a pas pour effet dans les circonstances de transformer l’introduction d’une requête en déclaration de plaideur quérulent en abus de procédure.

B. La suspension de l’instance – l’ordonnance de mise en suspens

[45] Il ne fait aucun doute que le juge responsable de la gestion de l’instance peut ordonner qu’une affaire soit mise en suspens, comme cela s’est produit en l’espèce. Voir l’arrêt Coote au para 8 suivant lequel cette compétence repose sur l’article 50 de la Loi ainsi que sur la compétence plénière de la Cour pour ce qui est de la gestion et de la réglementation de ses propres procédures, comme je l’ai déjà dit.

[46] Le défendeur soutient que dans de telles affaires, une suspension sera autorisée si aucune partie ne subit de préjudice injuste et que la suspension sert l’intérêt de la justice. Ce pouvoir discrétionnaire est orienté par les circonstances factuelles de chaque affaire ainsi que par le principe consistant à apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (Coote au para 12; article 3 des Règles). Comme le déclarait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Coote au paragraphe 13, « la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’éviter de gaspiller les ressources judiciaires. Une certaine déférence s’impose à l’égard des fonds publics et des contribuables ».

[47] Le demandeur fait valoir en réplique que l’arrêt Coote est inapplicable. D’après lui, les appels suspendus par la Cour d’appel fédérale dans cette affaire s’inscrivaient dans le cadre des instances en déclaration de plaideur quérulent instruites en cour fédérale. Dans l’arrêt Coote, le demandeur avait déposé devant la Cour fédérale une requête en radiation de la demande fondée sur l’article 40, laquelle avait été rejetée. Il a interjeté appel de cette décision aux termes de l’article 51 des Règles, et a été débouté. Il a alors fait appel devant la Cour d’appel fédérale. Le demandeur affirme que dans l’arrêt Coote, la requête fondée sur l’article 40 a été ouverte le 15 février 2013, le premier appel a été déposé le 19 mars 2013 et le second le 1er mai suivant.

[48] Le demandeur établit une distinction entre la présente affaire et l’arrêt Coote, du fait qu’il a déposé les trois requêtes en exécution avant que le défendeur ne dépose celle en déclaration de plaideur quérulent. Il affirme que le défendeur est à première vue coupable d’outrage au tribunal et qu’il ne respecte clairement pas les lois fiscales. Par conséquent, l’arrêt Coote n’est selon lui pas comparable à la présente affaire.

[49] Compte tenu de ce qui précède, je peux conclure que les faits dans l’arrêt Coote sont différents, mais cela ne fait pas obstacle à la délivrance d’une ordonnance de mise en suspens en général ni à celle de l’ordonnance rendue en l’espèce.

C. Le rôle de la Cour à l’égard de l’exécution des ordonnances

[50] Le demandeur affirme que notre Cour aurait dû se montrer proactive à plusieurs reprises, en application de la partie 12, afin d’encourager une partie qui ne respectait pas l’une de ses ordonnances à s’y conformer. Il a demandé à la protonotaire Ring de questionner le procureur général quant à la raison pour laquelle il ne fournissait pas les renseignements requis, mais elle ne l’a pas fait. Toujours d’après lui, il incombait à la juge en question de demander pourquoi le procureur général ne se conformait pas à l’ordonnance sur les mesures de redressement et quand il comptait déposer les formulaires d’impôt.

[51] Le demandeur fait valoir que ce manquement et l’ordonnance de mise en suspens constituent des erreurs de droit et attestent une incompréhension des faits en l’espèce. Il ajoute que la protonotaire Ring autorise une attaque indirecte contre l’ordonnance sur les mesures de redressement et la partie 12 des Règles et qu’elle donne l’impression de protéger deux ministres contre des accusations d’outrage.

[52] D’après le demandeur, le fait que la Couronne a déposé une requête en déclaration de plaideur quérulent au lieu de formulaires d’impôt en réponse à une demande d’exécution [traduction] « témoigne d’une utilisation massivement abusive du pouvoir de l’État, d’une attaque contre la Loi canadienne sur les droits de la personne et d’une atteinte à la dignité de cette Cour; enfin, cette démarche sape et tourne en dérision le système fiscal canadien ». Toujours d’après lui, la protonotaire Ring a commis une erreur de droit parce qu’elle a ignoré ces faits ainsi que les lois régissant l’outrage et l’exécution des ordonnances.

[53] Je ne suis pas convaincu que la protonotaire Ring ait commis de telles erreurs. À l’audience qui s’est déroulée devant moi, l’avocat du défendeur, même s’il était initialement réticent à communiquer la position du ministre, a informé la Cour qu’il croyait comprendre que son client ne fournissait pas les formulaires d’impôt pour trois raisons. Premièrement, le demandeur a décidé de faire exécuter l’ordonnance du Tribunal aux termes du paragraphe 424(2) des Règles et de l’article 57 de la Loi sur les droits de la personne, mais comme cette ordonnance n’exige pas que les formulaires d’impôt soient fournis, il n’y a aucune obligation d’exécution à faire valoir devant notre Cour. Deuxièmement et de manière générale, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas droit aux formulaires d’impôt, car, et il ne s’agit là que de son point de vue attendu que d’autres avocats défendront cet argument, le demandeur n’a jamais été un employé Transports Canada – sa plainte en discrimination a été présentée parce que Transports Canada ne l’avait pas engagé, et ce ministère ne l’a pas embauché depuis la décision du Tribunal; comme il n’a jamais été employé, aucun formulaire d’impôt ne lui est dû. La troisième raison pour laquelle les formulaires en question n’ont pas été fournis tient au fait que le demandeur n’en a pas besoin pour déposer ses déclarations d’impôt : le ministre cite à cet égard la décision McLeod Masonry (1979) Ltd. c The Queen, [2000] 3 CTC 2271 (CCI) [le juge Proulx].

[54] J’ai réclamé ces renseignements lorsque l’avocat a déclaré que les formulaires d’impôt n’étaient pas dus au demandeur; j’ai demandé sur quoi reposait cette affirmation conséquente et laissé entendre à l’audience que le demandeur pouvait tirer profit des conseils d’un professionnel fiscal dans les circonstances. Je n’ai pas été invité à tirer de conclusion à ce sujet et me garderai de le faire.

D. Le traitement du demandeur

[55] Le demandeur fait valoir que la protonotaire Ring l’a soumis à un traitement défavorable. Il affirme qu’elle a autorisé le procureur général à déposer des documents sur lesquels l’intitulé de la cause était incorrect alors qu’elle a refusé son dossier de requête qui comportait la même erreur.

[56] Le demandeur affirme que le défendeur en l’espèce devrait être le procureur général, mais que Transports Canada figure à ce titre dans le dossier de la Cour. Il soutient avoir tenté d’expliquer cette disparité à la protonotaire Ring, mais affirme qu’elle a refusé de l’écouter et l’a forcé à rédiger de nouveau sa requête et à obtenir un nouvel affidavit, ce qui lui a occasionné un retard de deux mois et des frais supplémentaires.

[57] Le demandeur cite des exemples d’autres instances gérées par la protonotaire Ring dans lesquelles elle a accordé diverses prorogations alors qu’en l’espèce, elle a fixé une fenêtre de trois mois pour toutes les étapes, tout en sachant qu’il n’avait pas accès à un ordinateur pendant un mois. D’après lui, il s’agit d’un traitement défavorable et d’un jugement hâtif, ce qui justifie d’infirmer et de modifier l’ordonnance.

[58] Je ne suis pas convaincu par ces arguments; il s’agit essentiellement d’allégations sans fondement probatoire ni juridique.

E. Le conflit d’intérêts

[59] Le demandeur fait valoir, que suivant les principes de déontologie judiciaire du Conseil canadien de la magistrature, les juges devraient se garder de présider des affaires relevant de leur ancien bureau de gouvernement local pendant une période de recul de deux à cinq ans et ajoute que les faits [traduction] « semblent témoigner d’un conflit d’intérêts » de la part de la protonotaire Ring. Il affirme que cette dernière a été nommée en novembre 2017 et qu’elle a commencé à s’occuper de cette affaire en août 2018. Ce dossier concerne un litige en droits de la personne qui est géré par le bureau du ministère de la Justice de Vancouver depuis 2010 et comme la protonotaire Ring a travaillé dans ce bureau avant sa nomination, elle ne devrait pas présider la présente affaire.

[60] Il affirme avoir demandé au juge en chef le 11 mai 2021 de retirer à la protonotaire Ring tous les dossiers locaux de Vancouver auxquels il était mêlé, mais il n’a pas obtenu de réponse. Le demandeur affirme que la présente affaire est actuellement examinée par le Conseil canadien de la magistrature.

[61] D’après lui, ces faits [traduction] « semblent témoigner d’un conflit d’intérêts » et pourraient expliquer pourquoi la protonotaire Ring a instruit rapidement la requête en déclaration de plaideur quérulent, ralentit et met à l’arrêt les deux requêtes en outrage et soumet le demandeur à un [traduction] « traitement défavorable » en faveur du bureau local où elle travaillait auparavant.

[62] Le défendeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que le fardeau d’établir une crainte raisonnable de partialité incombe à la personne qui l’invoque, et le critère à satisfaire pour établir l’existence d’apparence de partialité est exigeant (ABB Inc. c Hyundai Heavy Industries Co., 2015 CAF 157 [la juge d’appel Gauthier] au para 55). Il me semble que le demandeur allègue une crainte raisonnable de partialité alors qu’il invoque un conflit d’intérêts. La jurisprudence établit qu’une telle allégation est « ‘une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère’ parce que cela met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais aussi l’intégrité de l’administration de la justice » (Dixon c Groupe Banque TD, 2021 CF 101 [juge Norris] au para 15).

[63] Avec égards, je conclus que ces observations ne sont pas fondées. Encore une fois, elles sont dépourvues du moindre fondement probatoire. Le fait d’avancer des allégations aussi graves et de ne pas les étayer est un facteur qui doit être pris en compte au moment d’adjuger les dépens : voir Stubicar c Canada (Premier Ministre), 2013 CAF 203 [la juge d’appel Gauthier].

F. Le préjudice au demandeur

[64] Le demandeur fait valoir qu’il a subi un préjudice et des dommages parce qu’il n’a pas obtenu les feuillets d’information fiscaux. Il ne peut déposer sa déclaration de revenus de 2019 par lui‑même, vu la complexité du paiement qu’il a reçues. Il affirme qu’il risque de se voir imposer des pénalités et des intérêts pour production tardive par l’Agence du revenu du Canada et que le Régime d’assurance médicale de la Colombie‑Britannique a annulé ses prestations supplémentaires de santé parce qu’il n’a pas déposé de déclaration de revenus en 2019. Il indique aussi dans sa réplique qu’il a été privé des prestations liées à la COVID‑19, parce qu’il n’a pas déposé sa déclaration de revenus en 2019 et qu’il a dû contracter des prêts à intérêts élevés pour survivre.

[65] Le défendeur fait valoir que la mise en suspens ne cause pas de préjudice injuste au demandeur, qu’elle est dans l’intérêt de la justice et qu’elle est conforme aux principes de l’article 3 des Règles. Il soutient que le pouvoir de constater un outrage est discrétionnaire et que les cours de justice découragent invariablement le recours routinier aux requêtes en outrage dans le but de faire respecter ses ordonnances. Ce pouvoir vise à assurer le bon fonctionnement du processus judiciaire et à protéger la dignité des tribunaux. L’outrage est un pouvoir d’exécution de dernier et non de premier ressort (Carey c Laiken, 2015 CSC 17 aux para 30 et 36).

[66] Le demandeur affirme en réplique que ni Transports Canada ni le procureur général n’ont expliqué pourquoi ils refusent de déposer les formulaires d’impôt et ne respectent pas l’ordonnance sur les mesures de redressement concernant les régimes de retraite. Je comprends ce grief sous‑jacent et saisis du moins en partie pourquoi le ministre ne fournit pas les formulaires d’impôt; ce point semble être destiné à être débattu une autre fois dans le cadre d’une audience différente.

[67] Le défendeur fait valoir que les deux requêtes en outrage ne sont pas urgentes et que le demandeur ne disposerait d’aucune mesure de réparation même si les requêtes allaient de l’avant. La raison pour laquelle il avance cet argument n’est pas claire; le demandeur pourrait avoir gain de cause, ce qui devrait aboutir à la production des formulaires d’impôt.

[68] Le demandeur fait valoir en réplique qu’il y a urgence. Les formulaires d’impôt ont près de 15 mois de retard et [traduction] « il est inadmissible que la Couronne puisse même avancer de tels arguments ». Il affirme que le procureur général n’explique pas pourquoi il n’a pas déposé les formulaires d’impôt et que, s’il l’avait fait, les deux requêtes en outrage n’auraient pas été déposées.

[69] Le défendeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que si la requête en déclaration de plaideur quérulent aboutit, la Cour pourrait examiner les deux requêtes en outrage pour évaluer s’il est dans l’intérêt de la justice qu’elles soient instruites. Le défendeur affirme que l’issue de la requête fondée sur l’article 44, censée être instruite en même temps que la requête en déclaration de plaideur quérulent le 9 septembre 2021, éclairera aussi les deux requêtes en outrage. Je me contenterai de dire que j’espère que ce sera le cas.

[70] Le défendeur fait valoir que si la requête fondée sur l’article 44 devait échouer, les deux requêtes en outrage n’auront aucune chance de succès et s’avéreront futiles. Si cette requête aboutissait quant à la question de savoir si l’ordonnance sur les mesures de redressement oblige Transports Canada à produire les formulaires fiscaux, cela affectera également l’issue des deux requêtes en outrage.

[71] Pour le défendeur, le fait de laisser en suspens les deux requêtes en outrage en attendant que la requête en déclaration de plaideur quérulent et celle fondée sur l’article 44 soient tranchées permettra à la Cour de se prémunir contre le gaspillage de ressources judiciaires.

[72] Je souscris à ces observations. À mon avis, la question relative à l’article 44 est importante, parce qu’elle pourrait faire la lumière sur la légalité de la position du ministre qui refuse de fournir les formulaires au demandeur et je peux admettre d’office que de nombreux Canadiens reçoivent des formulaires fiscaux aux fins de leurs déclarations d’impôts.

VII. Conclusion

[73] La question qui est au cœur de la présente affaire et des deux requêtes en outrage ainsi que d’autres instances connexes est celle de savoir qui, le cas échéant, devrait délivrer les formulaires d’impôt requis par le demandeur, mais que le défendeur refuse catégoriquement de fournir. J’espère que cette question sera tranchée le 9 septembre 2021, c’est‑à‑dire dans près de deux mois. Je ne suis pas convaincu non plus qu’une instance de justification puisse être organisée avec plus de célérité, ni même qu’elle doive avoir lieu, tant que la question de savoir si le ministre défendeur ou ses fonctionnaires sont le moindrement tenus de délivrer les formulaires d’impôt en question n’est pas tranchée. Il me semble que la juge responsable de la gestion de l’instance a reconnu que tel était le cas. Ainsi, non seulement je ne puis conclure que son ordonnance est entachée d’une erreur manifeste et dominante, mais j’estime que l’ordonnance de mise en suspens était celle qu’il fallait rendre dans les circonstances de la présente affaire. Elle relevait certainement du pouvoir discrétionnaire de la juge responsable de la gestion de l’instance compte tenu de la déférence considérable que notre jurisprudence nous recommande de témoigner aux ordonnances de calendrier.

[74] En toute déférence, je suis d’avis que la protonotaire Ring n’a commis aucune erreur à l’égard d’une question de droit ni d’erreur manifeste et dominante à l’égard d’une question de fait ou de fait et de droit. Par conséquent, l’ordonnance de mise en suspens ne sera pas annulée. La requête du demandeur sera donc rejetée.

VIII. Les dépens

[75] Le demandeur sollicite une ordonnance lui adjugeant le montant de 150$ au titre des dépens. Le défendeur sollicite une ordonnance lui adjugeant le montant de 750$ au titre des dépens. Rien ne justifie que les dépens ne suivent pas l’issue de la cause. Comme je l’ai déjà fait remarquer, le demandeur a avancé des allégations très graves, mais non étayées, de conflit d’intérêts et de traitement préjudiciable, ce qui revenait à alléguer une crainte raisonnable de partialité contre la protonotaire Ring. Sans ces allégations non étayées, j’aurais adjugé des dépens d’environ 400 $ à l’encontre du demandeur. Mais je ne peux ignorer ces allégations dans ma taxation.

[76] Cela dit, je ne peux non plus ignorer le refus du défendeur (jusqu’à l’audience) d’expliquer simplement au demandeur pourquoi il ne lui avait pas fourni les formulaires fiscaux qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à recevoir comme de nombreux contribuables canadiens. Je ne me prononcerai pas sur cette question, sauf pour dire ma surprise quant à l’absence d’explication fournie jusqu’à l’audition de la présente requête.

[77] Dans les circonstances et compte tenu de mon pouvoir discrétionnaire, je conclus qu’un montant de 450 $ payable par le demandeur au défendeur est raisonnable et je rendrai une ordonnance en ce sens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1315‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Le demandeur versera au défendeur les dépens sous la forme d’une somme globale fixée à 450 $.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1315‑18

 

INTITULÉ :

CHRIS HUGHES c COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE c TRANSPORTS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Chris Hughes

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Brian Smith

POUR LA COMMISSION

Craig Cameron

S. Rezapour

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Commission des droits de la personne

Division des services juridiques

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA COMMISSION

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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