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Date : 20210125


Dossier : T‑1078‑20

Référence : 2021 CF 81

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CLINTON MAHONEY

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

ET

COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA (SECTION D’APPEL) ET SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision concerne la requête déposée le 25 septembre 2020 par la défenderesse qui sollicite une ordonnance de radiation de la demande de contrôle judiciaire de la décision du 17 août 2020 [la décision] rendue par la section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la section d’appel].

[2] Comme je l’explique ensuite plus à fond, la requête de la défenderesse est rejetée, car je ne suis pas convaincu que la demande de contrôle judiciaire ne présente aucune chance d’être accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur, monsieur Clinton Mahoney, est un détenu qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité après avoir été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable et de meurtre au premier degré. Le 8 mai 2020, la Commission des libérations conditionnelles [la Commission] a prononcé une décision dans laquelle elle lui a refusé la semi‑liberté ou la libération conditionnelle totale. M. Mahoney s’est pourvu en appel et il a été débouté par la section d’appel. C’est ce rejet qui est l’objet du présent contrôle judiciaire.

[4] Le demandeur multiplie les recours devant notre Cour, tant par voie de demandes que d’actions, et sollicite des réparations qui découlent d’allégations portées à l’encontre du Service correctionnel du Canada [SCC] et de la Commission. Comme l’expliquent les prétentions écrites de la défenderesse au soutien de sa requête, le demandeur était l’objet d’une autre requête de sa part, faite dans le cadre d’autres recours engagés devant notre Cour au moment où la présente requête a été déposée. Cette deuxième procédure visait à le faire déclarer plaideur quérulent et à radier certaines actions intentées en 2019.

[5] Même si cette procédure n’avait toujours pas été tranchée lors du dépôt de la présente requête, je constate que, d’après les dossiers de la Cour, le juge Grammond a prononcé une ordonnance le 16 octobre 2020 (publiée sous la référence Mahoney c La Reine, 2020 CF 975) par laquelle il a accordé la réparation demandée par la défenderesse et a déclaré le demandeur plaideur quérulent en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [l’ordonnance sur la quérulence]. Cette ordonnance prévoit que le demandeur ne peut engager aucun type de recours devant notre Cour sans avoir reçu l’autorisation de celle‑ci. Elle prévoit aussi la radiation de la déclaration dans deux actions (les dossiers T‑1692‑19 et T‑1628‑19 de la Cour).

[6] Par contre, l’ordonnance sur la quérulence prévoit aussi qu’elle ne concerne pas la présente instance. Le juge Grammond a souligné, au paragraphe 44, que lors du dépôt de la requête de la défenderesse sur la quérulence, la présente demande n’avait pas encore été traitée. Le juge Grammond a mentionné en outre que déclarer un individu quérulent ne met pas nécessairement un terme à tous les litiges qu’il a engagé, et ce, même si la défenderesse avait toujours le loisir de déposer une requête en radiation en l’espèce.

[7] La requête, par laquelle la défenderesse cherche à obtenir la radiation de la présente demande, a été déposée avant l’audience du 1er octobre 2020 tenue devant le juge Grammond. La défenderesse a présenté sa requête écrite conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 et le demandeur a déposé le dossier de requête y compris ses prétentions écrites formulées en réponse.

III. Question en litige

[8] Comme l’a fait valoir la défenderesse, la seule question en litige en l’espèce est de savoir si la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée sous prétexte qu’elle ne présente aucune chance d’être accueillie.

IV. Analyse

[9] La défenderesse prétend que la demande est irrémédiablement viciée parce que le demandeur sollicite des réparations que notre Cour n’a pas la compétence d’accorder dans le cadre d’une demande en contrôle judiciaire. Elle allègue en outre que ces réparations n’ont aucun lien avec la décision qui fait l’objet d’un contrôle en l’espèce. La défenderesse soutient plus précisément qu’en attaquant la décision de la section d’appel, le demandeur demande à la Cour de conclure que ses droits garantis par la Charte ont été bafoués par le SCC lors d’événements survenus cinq ans auparavant. La défenderesse fait référence à la déclaration du demandeur qui mentionne qu’en 2015, le SCC l’aurait mal traité en le reclassant avec la cote de sécurité maximale et en le transférant dans un établissement à sécurité maximale.

[10] Le premier paragraphe de fond de l’avis de demande du demandeur, qui énonce la décision contestée et qui sollicite plusieurs types de réparations, dispose que :

[TRADUCTION]

Le 17 août 2020, la section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLC) a décidé de confirmer la décision du 8 mai 2020 prise par la Commission des libérations conditionnelles du Canada concernant le risque de récidive présenté par le demandeur et a refusé de lui accorder la semi‑liberté ou la libération conditionnelle totale. Le demandeur a reçu la décision par la poste le 18 août 2020. Le demandeur, dans sa demande, veut :

A. faire déclarer invalide, illégale, faire casser, rejeter et renvoyer pour nouvel examen la décision de la section d’appel de la CLC assortie de directives empêchant la section d’appel de se fonder sur :

  1. la décision ou les conclusions de la CLC du 8 mai 2020

B. obtenir une ordonnance interdisant ou limitant la capacité de la Commission des libérations conditionnelles de se fonder sur toute information, documentation ou tout rapport fourni par le Service correctionnel du Canada (SCC) et qui porte directement ou indirectement sur les violations de ses droits garantis par la Charte et la conduite négligente et illégale de Service correctionnel du Canada qui sont l’objet de la présente demande

C. une déclaration que ses droits qui lui sont garantis par les dispositions 7, 9, 11g)d)h) et 12 de la Charte ont été bafoués

D. toute autre mesure qu’il plait à la Cour d’accorder.

[11] La défenderesse soutient que non seulement le demandeur attaque la décision, mais qu’en plus il demande à la Cour, d’une part de conclure que le SCC a bafoué ses droits garantis par la Charte, et d’autre part d’ordonner à la Commission d’arrêter d’utiliser l’information fournie par le SCC. La défenderesse affirme que la Cour a uniquement le pouvoir de renvoyer la décision pour être examinée de nouveau si elle conclut qu’une erreur de fait ou de droit a été commise par la Commission. La défenderesse soutient que la Cour n’a pas la compétence voulue pour déclarer que les droits du demandeur garantis par la Charte ont été bafoués par le SCC ou pour ordonner à la Commission de cesser d’étudier l’information fournie par le SCC. Tout en prenant en compte les références faites par le demandeur à sa classification de sécurité et à son transfert survenus il y a plus de cinq ans et pour lesquels la défenderesse prétend qu’il n’y a aucun lien avec la décision contestée, la défenderesse prétend qu’il n’y a manifestement aucun lien entre les réparations demandées et la décision qui refuse la libération conditionnelle du demandeur.

[12] Tel que j’interprète ses prétentions écrites faites en réponse à la requête, M. Mahoney prétend que la Cour a la compétence nécessaire pour décider que la décision était le résultat de conclusions erronées, de violations des principes de la justice fondamentale et de conduites qui s’apparentent à des violations de la Charte, à la fois par le SCC et par la Commission (y compris sa section d’appel).

[13] Comme le fait valoir la défenderesse en prenant appui sur la décision David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CAF) [David Bull], la Cour dispose du pouvoir de rejeter un avis de demande qui est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli (voir para 15). Je tiens compte de l’argument avancé par la défenderesse pour laquelle, à la suite du paragraphe de l’avis de demande mentionné ci‑dessus et qui expose les réparations demandées, ce qui reste du document ne contient que des allégations de comportements fautifs du SCC. Je remarque également que l’avis de demande mentionne divers types de blessures ou de pertes supposément subies par le demandeur, et ce, même s’il n’effectue pas expressément de réclamations pour ces raisons. Il est manifeste que la demande ne peut être accueillie dans la mesure où, dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur souhaite obtenir des dommages ou d’autres formes de réparations qui découlent directement de la turpitude passée alléguée du SCC. Une demande de contrôle judiciaire n’est pas le véhicule procédural approprié pour réclamer des dommages et la décision examinée en l’espèce est celle de la section d’appel, non les agissements du SCC.

[14] Or, l’avis de demande que je lis (et plus particulièrement le premier paragraphe de fond cité plus haut dans ces motifs) a pour objectif bien précis de faire annuler la décision de la section d’appel et de lui renvoyer le dossier pour qu’il soit examiné de nouveau. Le demandeur prétend que la section d’appel s’est fourvoyée en se fondant sur les conclusions tirées par la Commission dans la décision frappée d’appel. Il avance que la décision de lui refuser la libération conditionnelle résulte, entre autres, de conclusions de faits erronées, plus spécifiquement celles faites sur la base de l’information fournie par le SCC.

[15] Je ne prends pas position sur les chances de succès du demandeur pour ce qui est de prouver ses allégations d’erreur de la part de la section d’appel, mais je conclus toutefois que ce type d’allégations relève pleinement du ressort de notre Cour lorsqu’elle siège en contrôle judiciaire de la décision d’un tribunal administratif. L’argumentation présentée par la défenderesse pour faire radier la demande se concentre sur les réparations demandées et sur sa position voulant que ces réparations ne sont pas disponibles ni reliées à la décision contestée. Considérée sous certains angles, la position de la défenderesse peut apparaître bien fondée. Ainsi, il est peu probable que la Cour décide que la Commission ou la section d’appel devraient mener leurs travaux sans pouvoir se référer à l’information fournie par le SCC. Cependant, il serait clairement de la compétence de la Cour de conclure, eu égard à la norme de contrôle applicable, que la section d’appel s’est méprise ou a omis de relever une erreur commise par la Commission relativement à une conclusion de fait tirée de l’information du SCC. Dans un tel cas, la Cour pourrait casser la décision concernée et la renvoyer pour être examinée de nouveau, assortie éventuellement de directives formulées en fonction de la nature de l’erreur.

[16] En résumé, quoique l’avis de demande sollicite en partie l’octroi de réparations non disponibles, je ne peux pas conclure que la demande est dépourvue de toute chance d’être accueillie. Comme le fait valoir le demandeur, toujours selon le jugement David Bull (au para 15), les cas où il est approprié de radier sommairement une demande doivent demeurer exceptionnels et ne peuvent inclure des situations où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations.

[17] Je m’abstiens également de m’aventurer dans un processus visant à identifier et à radier certaines parties des réparations demandées tout en préservant les autres, ce qui peut me conduire hors du domaine de compétence propre à la demande. Comme l’avance le demandeur, la Cour d’appel fédérale a exhorté à la prudence lorsque la requête en radiation ne vise qu’un passage de l’avis de demande (voir 876947 Ontario Limited (RPR Environmental) c Canada (Procureur général), 2013 CAF 156 au para 10). En outre, la défenderesse n’a pas cherché à obtenir une réparation partielle de cette nature.

[18] Je suis donc d’avis de rejeter la requête de la défenderesse. Cette dernière n’a pas demandé de dépens advenant le cas où sa requête serait accueillie. Le demandeur quant à lui réclame des dépens d’un montant de 300 $. Bien que le demandeur ait eu gain de cause en l’espèce, l’octroi de dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Selon moi, les dépens inhérents à la requête pourront être mieux adjugés lorsque l’issue de la cause sera connue. Les dépens de la présente requête suivent l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1078‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en radiation de la demande en contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens de la présente requête suivent l’issue de la cause.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1078‑20

INTITULÉ :

CLINTON MAHONEY c SA MAJESTÉ LA REINE ET COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA (SECTION D’APPEL) ET SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

REQUÊTE ÉCRITE ENTENDUE CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES À OTTAWA (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 JANVIER 2021

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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