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Date : 20210712


Dossier : IMM-1935-20

Référence : 2021 CF 731

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

SHAMSHER ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demande de Shamsher Ali pour parrainer sa femme, Sidra Shamsher Ali [Mme Ali], et leurs enfants a été refusée par un agent des visas pour fausses déclarations. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a maintenu ce refus, jugeant qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi du Pakistan qui attestaient du décès la première femme de M. Ali, Sumera Shamsher [Mme Shamsher], et qu’il y avait des doutes quant à l’authenticité du nikah nama en ce qui concerne le deuxième mariage. Mme Ali a donc été déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations pendant une période de cinq ans.

[2] Je conclus que la décision de la SAI était déraisonnable. Il incombait à la SAI de tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents avant de conclure qu’elle « ne sait pas quoi croire » à propos du décès de Mme Shamsher. Cette preuve comprenait le témoignage de M. Ali et du fils de Mme Shamsher concernant le décès de sa mère. La SAI n’a pas fait référence à ce témoignage important ou n’en a vraisemblablement pas tenu compte, bien qu’il soit directement pertinent en ce qui concerne la question du décès de Mme Shamsher, et donc de celle de l’authenticité des documents qui visent à confirmer ce décès. Cette omission de tenir compte d’éléments de preuve importants sur une question essentielle à la conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations est déraisonnable. La conclusion de la SAI sur les documents du nikah nama était aussi déraisonnable, puisqu’elle fait fi d’éléments de preuve importants, et parce que la SAI a tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité de M. Ali sans justification valable.

[3] Ces problèmes rendent l’ensemble de la décision déraisonnable et sont donc déterminants quant à la présente demande de contrôle judiciaire. La demande est ainsi accueillie et la demande de parrainage est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI, pour que ce dernier rende une nouvelle décision. Même si M. Ali a demandé que je rende un jugement déclaratoire relativement à certains faits et que j’ordonne au ministre d’accueillir la demande de parrainage, je conclus que la présente affaire ne s’y prête pas.

II. La question en litige et la norme de contrôle

[4] M. Ali soulève une seule question à trancher en l’espèce, à savoir :

La décision de la SAI était-elle déraisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait?

[5] La décision de la SAI est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16 et 17, 23 à 25; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 12. Une décision raisonnable est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et tient compte des observations des parties : Vavilov aux para 15, 85, 95, 127 et 128.

[6] Lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’abstenir d’apprécier et d’évaluer à nouveau la preuve, et elle modifiera les conclusions de fait que dans des circonstances exceptionnelles : Vavilov au para 125. Toutefois, la Cour doit s’assurer que la décision du décideur administratif se justifie au regard des faits et qu’elle est raisonnable selon la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur cette décision : Vavilov au para 126.

III. Analyse

A. La question dont la SAI était saisie

(1) Le contexte familial

[7] M. Ali a épousé Mme Shamsher en juillet 1991. Le couple a eu deux enfants, nés en 1993 et en 1995. Lors de sa visite au Canada en 2004, M. Ali a présenté une demande d’asile. Mme Shamsher et leurs deux enfants sont restés au Pakistan. La demande d’asile de M. Ali a été acceptée en septembre 2005. Il a obtenu le statut de résident permanent en septembre 2006 et est aujourd’hui citoyen canadien.

[8] M. Ali affirme que Mme Shamsher est décédée soudainement le 15 avril 2006. Sa mère a arrangé son mariage à Sidra Latif (maintenant Sidra Shamsher Ali), qu’il a épousée au Pakistan en janvier 2007. Le couple a trois enfants, nés en 2007, en 2011 et en 2019.

[9] Le ministre a admis que les Ali sont dans une relation de bonne foi, au sens où leur relation est authentique et ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la LIPR] : voir l’art 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Les demandes de M. Ali pour parrainer Mme Ali et leurs enfants ont plutôt été refusées en raison de préoccupations quant à la possibilité que Mme Shamsher était toujours en vie lorsque les Ali se sont mariés et quant à l’authenticité des documents que les Ali avaient présentés pour prouver le décès de Mme Shamsher et leur mariage subséquent. Si M. Ali était toujours marié à Mme Shamsher lorsque les Ali se sont mariés, Mme Ali ne pourrait appartenir à la catégorie du regroupement familial par l’effet du sous-alinéa 117(9)c)(i) du RIPR. La présentation de faux documents peut constituer de fausses déclarations, emportant interdiction de territoire au Canada pendant cinq ans : art 40(1)a) et 40(2)a) de la LIPR.

[10] Dans le cadre de deux demandes de parrainage, les Ali ont déposé des documents concernant leur mariage et le décès de Mme Shamsher, notamment plusieurs certificats de décès et de mariage qui auraient été délivrés par l’autorité nationale sur les bases de données et l’enregistrement (la NADRA) du Pakistan, et deux versions du nikah nama (un certificat de mariage original rempli par le registraire du nikah), chacune dans leur version originale en urdu et leur version traduite [le nikah nama de la subdivision administrative no 54 et le nikah nama de la subdivision administrative no 79]. Étant donné ma conclusion selon laquelle l’affaire doit être renvoyée à la SAI pour un nouvel examen et les motifs qui sous-tendent cette conclusion, je ne me pencherai pas en détail sur les diverses préoccupations relevées quant à l’authenticité des documents. Toutefois, un aperçu de l’historique procédural et des documents est nécessaire pour replacer la décision de la SAI dans son contexte.

(2) La première demande de parrainage

[11] En juillet 2009, M. Ali a déposé une demande pour parrainer Mme Ali et leur premier enfant, ainsi que les deux enfants issus de son premier mariage. Peu de temps après, cette demande a été déposée à nouveau en deux demandes distinctes : l’une pour les deux enfants issus du premier mariage et l’autre pour Mme Ali et l’enfant du deuxième mariage. Il semble qu’aucune décision n’ait encore été rendue relativement à la première de ces deux demandes. Par souci de commodité, j’appellerai la seconde de ces deux demandes la première demande de parrainage. Le traitement de cette première demande de parrainage a pris quelques années et elle a été refusée en mars 2013.

[12] Durant le traitement de la première demande de parrainage, des préoccupations ont été soulevées à propos des documents que les Ali avaient déposés pour prouver leur mariage et le décès de Mme Shamsher. Ces préoccupations découlaient notamment d’une enquête menée en 2012 par l’unité antifraude (UAF) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) mentionnée dans les notes versées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) d’IRCC. L’enquête de 2012 a révélé qu’un document censé être une traduction en anglais d’un certificat de décès délivré par le conseil municipal no 48 [le certificat de décès du conseil no 48] ne concordait pas avec les renseignements reçus de ce conseil. Un agent a aussi envoyé une copie du nikah nama de la subdivision administrative no 79 au conseil municipal no 54, lequel avait apparemment annoté le document en indiquant qu’il n’y avait aucune trace documentaire du mariage (il n’existe aucune traduction des annotations, sauf la déclaration de l’agent à ce sujet dans les notes du SMGC). Les Ali n’ont pas répondu à une lettre d’équité procédurale (LEP) dans laquelle ces préoccupations étaient soulevées.

[13] La première demande de parrainage a été refusée pour les motifs suivants : i) il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui du mariage; ii) même si M. et Mme Ali étaient mariés, Mme Ali serait exclue de la catégorie du regroupement familial par l’effet du sous-alinéa 117(9)c)(i) du RIPR, puisque M. Ali était l’époux d’une autre personne à la date du mariage; iii) Mme Ali était interdite de territoire en application de l’article 41 de la LIPR pour manquement à la LIPR; iv) Mme Ali était interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour fausses déclarations. À l’époque, l’alinéa 40(2)a) de la LIPR prévoyait que l’interdiction de territoire pour fausses déclarations dans le cas d’un étranger courait pour deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort. L’interdiction de territoire court désormais pour cinq ans : art 40(2)a) de la LIPR.

[14] M. Ali a interjeté appel du refus de la première demande de parrainage en 2013. Toutefois, au début de l’audience en novembre 2015, son avocat a retiré l’appel en raison d’inquiétudes par rapport aux chances de succès, de l’impossibilité de demander la prise de mesures spéciales fondées sur des motifs humanitaires, compte tenu de l’article 65 de la LIPR, et de l’expiration prochaine de l’interdiction de territoire de deux ans.

(3) La deuxième demande de parrainage

[15] En juin 2016, M. Ali a de nouveau parrainé une demande de résidence permanente présentée par Mme Ali et leurs deux enfants : j’utiliserai le terme « la deuxième demande de parrainage » pour la désigner.

[16] À l’appui de la deuxième demande de parrainage, les Ali ont déposé de nouveaux documents pour prouver le décès de Mme Shamsher et leur mariage. Parmi ces documents se trouvaient un certificat de décès de la NADRA délivré en mai 2013 par le conseil municipal no 48 [le certificat de décès de la NADRA de 2013], un document du ministère de la Santé de la Corporation métropolitaine de Lahore concernant le décès et l’enterrement de Mme Shamsher [le document du ministère de la Santé] et un certificat de mariage de la NADRA délivré en février 2016 par le conseil municipal no 54 [le certificat de mariage de la NADRA de 2016]. Ils ont aussi déposé une copie du nikah nama de la subdivision administrative no 54 qui avait déjà été déposé, mais pas une copie du nikah nama de la subdivision administrative no 79.

[17] Une LEP a été envoyée en janvier 2018, dans laquelle étaient soulevées des préoccupations sur l’authenticité du mariage, la parenté des enfants et l’authenticité d’un certain nombre des nouveaux documents ainsi que du nikah nama de la subdivision administrative no 54. Les Ali ont déposé un test d’ADN indiquant qu’ils étaient les parents biologiques des deux enfants, mais ils n’ont rien fait pour répondre à la préoccupation sur l’authenticité de la preuve concernant le décès et le deuxième mariage.

[18] Une deuxième LEP a été envoyée le 30 mai 2018, dans laquelle les préoccupations sur l’authenticité étaient réitérées. Cette lettre faisait aussi mention d’une vérification effectuée par l’unité d’évaluation des risques (l’UER) d’IRCC à Islamabad, laquelle a révélé que le certificat de décès de la NADRA de 2013 avait été « délivré de manière irrégulière», que le document du ministère de la Santé était « contrefait » et que les renseignements figurant sur le document du ministère de la Santé concernant l’enterrement de Mme Shamsher étaient « faux ». Aucune information ni aucun détail sur cette vérification ou les motifs ayant mené à ces conclusions n’est énoncé dans la LEP ou dans les notes afférentes du SMGC. La deuxième LEP laissait aussi entendre que le certificat de mariage de la NADRA de 2016 était frauduleux, d’après une enquête menée par l’UAF en 2012 dont découlait la première conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations en 2013.

[19] Les Ali ont déposé d’autres documents par l’entremise de leur conseil pour répondre à la deuxième LEP. Parmi ces documents se trouvaient i) un autre certificat de mariage de la NADRA délivré le 2 août 2018 [le certificat de mariage de la NADRA de 2018]; ii) une copie du certificat de décès de la NADRA de 2013 qui aurait été confirmé par le conseil municipal no 157; iii) une autre copie du nikah nama de la subdivision administrative no 54 qui aurait été confirmé par le conseil municipal no 188 (selon la preuve, les conseils municipaux à Lahore ont été renumérotés). Sur le certificat de mariage de la NADRA de 2018 figure un code QR et la remarque suivante : [traduction] « Ce certificat peut être vérifié à l’adresse suivante : https://crms.nadra.gov.pk/verify ».

[20] La deuxième demande de parrainage a été refusée dans la lettre datée du 5 avril 2019. Dans cette lettre de refus, on concluait que Mme Ali était interdite de territoire pour avoir dénaturé [traduction] « les éléments de preuve [qu’elle avait] présentés pour prouver le décès de la première épouse de [son] répondant et les éléments de preuve [qu’elle avait] présentés pour étayer la validité de [son] mariage avec le répondant ». Cette conclusion s’appuyait sur l’enquête de 2012 menée par l’UAF et sur les mêmes renseignements provenant de l’UER selon lesquels le certificat de décès de la NADRA de 2013 avait été « délivré de manière irrégulière », que le document du ministère de la Santé était « contrefait » et que les renseignements figurant sur le document du ministère de la Santé concernant l’enterrement étaient « faux ». La lettre de refus mentionnait aussi que l’agent d’immigration n’était pas convaincu que Mme Ali appartenait à la catégorie du regroupement familial, tant en raison des préoccupations sur l’authenticité du nikah nama et du certificat de décès que par l’effet du sous-alinéa 117(9)c)(i) du RIPR, puisque les éléments de preuve déposés par Mme Shamsher avaient été jugés frauduleux.

[21] M. Ali a interjeté appel de cette conclusion à la SAI. Dans le cadre de l’appel, M. Ali a déposé d’autres documents. Parmi ces documents se trouvaient i) une autre copie du certificat de décès de la NADRA de 2011, en apparence délivré de nouveau avec un code QR et une annotation selon laquelle il avait fait l’objet d’une vérification par le chef du protocole adjoint en janvier 2020, puis avait été contresigné par le ministère des Affaires étrangères; ii) de la preuve sur la situation dans le pays, plus précisément au sujet des documents relatifs à l’état civil au Pakistan et l’adoption d’un code QR numérique en 2019; iii) des lettres que l’avocat avait envoyées en décembre 2019 aux conseils municipaux no 54/188 et 157, pour leur demander des confirmations et des explications concernant les documents et les conclusions d’IRCC. Le ministre a aussi déposé des documents dans le cadre de l’appel, y compris le certificat de décès du conseil no 48 et le nikah nama de la subdivision administrative no 79, que les Ali avaient eux-mêmes déposés lors de la première demande de parrainage, mais pas de la deuxième.

[22] Lors de l’audience de la SAI, les Ali ont tous deux témoigné, tout comme le fils de M. Ali issu de son premier mariage et le cousin de M. Ali. Selon le témoignage du fils de M. Ali, sa mère souffrait d’hypertension et il était à la maison le 15 avril 2006 lorsqu’elle est tombée malade. Il était âgé de 13 ans à l’époque; il a demandé aux voisins de l’emmener à l’hôpital, où sa mère est décédée peu de temps après. Il a relaté dans son témoignage qu’il avait assisté aux funérailles et à l’enterrement de sa mère, lesquels avaient été organisés par le cousin. Le cousin a également déclaré qu’il était aux funérailles et à l’enterrement, qu’il avait obtenu le document du ministère de la Santé au cimetière et qu’il avait plus tard obtenu le certificat de décès de la NADRA de 2013 pour M. Ali.

B. La décision de la SAI

[23] La SAI a confirmé la conclusion de l’agent d’immigration concernant les présentations erronées et a rejeté l’appel de M. Ali. La SAI a confirmé cette conclusion quant aux deux documents déposés pour prouver le décès de Mme Shamsher et à ceux déposés pour prouver le mariage des Ali.

(1) Les documents attestant le décès de Mme Shamsher

[24] La SAI a examiné la preuve présentée par M. Ali concernant le décès de son épouse et les certificats de décès qui ont été fournis. Elle a conclu que l’explication de M. Ali pour justifier le fait qu’il n’avait pas informé les agents d’immigration au moment du décès de Mme Shamsher, à savoir qu’il ne l’avait toujours pas parrainée au moment de son décès – « n’avait pas de sens ». La SAI en a tiré une conclusion défavorable. La SAI a également fait référence aux notes de l’agent d’immigration selon lesquelles l’UER avait conclu que le certificat de décès de la NADRA de 2013 avait été « délivré de manière irrégulière », que le document du ministère de la Santé était « contrefait » et que les renseignements figurant sur le document du ministère de la Santé concernant l’enterrement étaient « faux ». Après avoir examiné la preuve présentée par M. Ali concernant le certificat de décès de la NADRA de 2013, le certificat de décès du conseil no 48 et le certificat de décès de la NADRA de 2011, la SAI semble accepter les conclusions de l’enquête selon lesquelles le document du ministère de la Santé était frauduleux et que les autres certificats de décès avaient été « jugé[s] frauduleux ».

[25] Quant à la question du décès de Mme Shamsher, la SAI a conclu ce qui suit :

[39] Bien franchement, le tribunal ne sait pas quoi croire lorsqu’il examine la question de savoir si la première épouse de l’appelant est décédée comme il l’affirme. L’appelant n’a pas été en mesure de fournir suffisamment de documents crédibles et dignes de foi du Pakistan pour dissiper les préoccupations de l’agent d’immigration, ainsi que celles du tribunal, et a donc mis cette question cruciale de côté. Par conséquent, aucune preuve crédible et digne de foi n’a été présentée au tribunal selon lequel la première épouse de l’appelant est décédée et il est bien marié avec la demandeure.

[Non souligné dans l’original.]

(2) Les documents attestant le mariage des Ali

[26] La SAI a ensuite examiné les documents du nikah nama. La SAI a relevé des différences dans la traduction des deux documents, et ces différences ont été signalées à M. Ali à l’audience. La SAI a rejeté la réponse de M. Ali, à savoir qu’il ne savait pas pourquoi les traductions étaient différentes puisqu’elles avaient été faites par les traducteurs, en la déclarant « loin d’être crédible ». La SAI a donc accordé « peu de poids » à son témoignage selon lequel le mariage avait été enregistré comme il se doit et a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Compte tenu des préoccupations au sujet de l’authenticité des certificats de décès et du nikah nama, la SAI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il y avait eu des présentations erronées.

[27] La SAI s’est ensuite penchée sur deux autres questions. Premièrement, la SAI a rejeté la demande des Ali pour que la deuxième demande de parrainage soit convertie en une demande fondée sur une relation conjugale ou une relation de conjoints de fait, conformément à la décision Tabesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CanLII 76104 (CA CISR). Deuxièmement, la SAI a conclu que les motifs humanitaires n’étaient pas suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.

C. La décision de la SAI est déraisonnable à la lumière du dossier de la preuve et du contexte factuel

[28] La SAI a conclu que les Ali avaient fait des présentations erronées et fait preuve de réticence sur des faits importants à l’égard des documents déposés pour prouver le décès de Mme Shamsher et ceux déposés pour prouver le mariage des Ali. Bien que ces questions soient interreliées sur le plan des faits, la conclusion selon laquelle des présentations erronées auraient été faites à l’égard de l’une ou l’autre de ces questions serait suffisante pour justifier la conclusion d’interdiction de territoire formulée par la SAI aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Je me pencherai donc sur chacune des conclusions à la fois.

[29] Je remarque tout d’abord que la SAI n’a pas tiré de conclusions précises sur ce qu’elle a jugé être les présentations erronées en cause. Elle a indiqué que l’agent d’immigration s’était principalement fondé sur le « certificat de décès », sans préciser lequel ou lesquels des documents relatifs au certificat de décès posaient problème. Comme nous le verrons plus loin, la SAI a aussi mentionné que le document du ministère de la Santé avait été jugé frauduleux. Toutefois, elle n’a pas précisé sur quels documents ou quels faits elle fondait la conclusion de fausses déclarations. Elle a plutôt conclu, de façon générale, que M. Ali n’avait pas fourni suffisamment de documents crédibles et dignes de foi pour atténuer ses préoccupations ou pour prouver que Mme Shamsher était décédée et qu’il était bel et bien marié à Mme Ali.

[30] Comme la Cour l’a déjà fait remarquer, une conclusion de fausses déclarations est une question sérieuse qui a des conséquences graves : Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 au para 29. La Cour suprême du Canada a souligné le fait que les motifs d’une décision fournis à une personne « doivent refléter ces enjeux » : Vavilov au para 133. À mon avis, une partie qui fait face à une conclusion de fausses déclarations entraînant une période d’interdiction de territoire de cinq ans a le droit de connaître avec plus de précision le fait ou le document sur lequel on juge qu’il y a eu des présentations erronées ou de la réticence; voir par analogie les demandes d’annulation du statut de réfugié fondées sur de fausses déclarations : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wahab, 2006 CF 1554 au para 29c). Cette exigence est d’une importance particulière, puisque certains des documents qui étaient visés par la première conclusion de fausses déclarations et qui ont été déposés en preuve par le ministre n’ont pas été déposés par les Ali dans le cadre de la deuxième demande de parrainage et ne pouvaient donc pas être considérés comme une autre présentation erronée de leur part.

(1) Les documents attestant le décès de Mme Shamsher

[31] Je conclus que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents concernant le décès de Mme Shamsher survenu le 15 avril 2006. Comme la SAI semble l’avoir reconnu, et comme le ministre l’a admis dans ses plaidoiries, la question de savoir si Mme Shamsher est décédée le 15 avril 2006 est pertinente pour établir si les documents relatifs au certificat de décès indiquant qu’elle est décédée à cette date sont authentiques. Si Mme Shamsher est bel et bien décédée le 15 avril 2006, il n’est pas en soi déterminant que les documents du gouvernement confirmant son décès à cette date soient authentiques. Il s’agit néanmoins d’un fait pertinent qui tend à démontrer leur authenticité.

[32] Dans son examen de la question de savoir si Mme Shamsher était décédée, la SAI a conclu qu’elle « ne sait pas quoi croire lorsqu’il examine la question de savoir si la première épouse de l’appelant est décédée comme il l’affirme ». Elle est arrivée à cette conclusion, ou à cette absence de conclusion, sans tenir compte d’éléments de preuve hautement pertinents sur la question. Plus précisément, la SAI n’a fait aucune référence aux témoignages de M. Ali et du fils de Mme Shamsher, bien que ce dernier ait été un témoin oculaire de la maladie de sa mère, de son transport à l’hôpital, du rapport de son décès, de ses funérailles et de son enterrement. La SAI n’a pas non plus fait référence au témoignage du cousin selon lequel il était présent aux funérailles et à l’enterrement et avait obtenu des documents. La SAI n’a pas non plus fait référence à la copie de 2020 du certificat de décès de la NADRA de 2011, lequel contient des indices supplémentaires de crédibilité sous la forme d’un code QR et d’autres formes de certification, ni aux images et à la traduction du message figurant sur la pierre tombale de Mme Shamsher.

[33] Comme le fait remarquer le ministre, le décideur administratif n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve ou chaque argument portant sur la question en litige : Vavilov aux para 125 à 128; Sing c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125 au para 90. Cela dit, plus les éléments de preuve non mentionnés sont importants, plus la Cour est disposée à inférer que le décideur a omis de façon déraisonnable de tenir compte de la preuve dont il disposait : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 aux para 16 et 17; Vavilov au para 126. En l’espèce, la SAI n’a pas fait référence à des éléments de preuve corroborants essentiels provenant de témoins oculaires ni à des documents importants portant sur une question de fait centrale, pas plus qu’elle n’a fourni de motifs pour lesquels elle n’a pas accepté ces éléments de preuve. À mon avis, les conclusions de la SAI au sujet du décès de Mme Shamsher et, par conséquent, ses conclusions au sujet de l’authenticité des documents visant à confirmer le décès, n’étaient pas adéquatement justifiées et ne tenaient pas compte des éléments de preuve dont elle disposait. Elles étaient ainsi déraisonnables : Vavilov aux para 86, 126.

[34] Ce qui précède suffit pour traiter des conclusions de fausses déclarations auxquelles est arrivée la SAI quant aux documents relatifs au certificat de décès. Cependant, j’ai aussi des préoccupations quant au fait que la SAI s’est appuyée sans explication sur les conclusions énoncées dans les notes du SMGC concernant l’authenticité des documents. Depuis qu’ils ont reçu la deuxième LEP en 2018, les Ali se voient opposer des préoccupations quant à la possibilité que le certificat de décès de la NADRA de 2013 ait été « délivré de manière irrégulière », que le document du ministère de la Santé soit « contrefait » et que les renseignements sur l’enterrement soient « faux ». Comme l’a souligné M. Ali, ces prétentions découlent d’une enquête menée par l’UER en 2018 qui décrite dans les notes du SMGC sans qu’aucun fondement justifiant les conclusions de l’UER ne soit fourni. Rien dans les notes du SMGC n’indique par ailleurs que les agents d’immigration ayant examiné le dossier des Ali savaient eux-mêmes pourquoi ces conclusions avaient été tirées. Les conclusions sont plutôt simplement reproduites dans les notes du SMGC, en grande partie mot pour mot, car le dossier a été examiné par différents agents et bureaux d’IRCC.

[35] Même si elle ne fournit aucune explication justifiant ses conclusions et même si elle disposait d’éléments de preuve supplémentaires lors d’un appel de novo, la SAI semble avoir accepté les conclusions de l’UER sans donner d’explications. La SAI a fait référence aux résultats de l’enquête de l’UER et a par la suite répondu au témoignage de M. Ali selon lequel il s’était rendu à la tombe de sa première femme et qu’on lui avait remis le document du ministère de la Santé en affirmant : « [m]alheureusement, le document a été jugé frauduleux » [non souligné dans l’original]. Cette affirmation est faite sans analyse des raisons pour lesquelles le document a été jugé frauduleux, des raisons qui sont introuvables dans les notes du SMGC ou ailleurs dans le dossier.

[36] M. Ali soutient que la SAI ne pouvait pas préférer des notes non assermentées tirées SMGC au témoignage sous serment des Ali, en invoquant la décision Nazir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 553 au para 14. L’affaire Nazir est l’une des nombreuses affaires dans lesquelles la Cour et la Cour d’appel fédérale ont jugé que, lorsque le contenu d’une entrevue avec des agents d’immigration est en litige devant la Cour, particulièrement en ce qui a trait à l’équité du processus, les notes d’un agent d’immigration ne peuvent pas constituer une preuve de leur contenu : Wang c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 CF 165 (CA) aux pages 168 à 170; Chou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14890 aux para 4 à 14, conf par 2001 CAF 299; Nazir au para 14; voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vujicic, 2018 CF 116 aux para 12 à 18. De la même façon, la Cour d’appel fédérale a récemment traité de l’admissibilité des notes du SMGC suivant l’exception concernant les « documents opérationnels » et l’exception « raisonnée » à la règle du ouï-dire : Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4 aux para 24 à 31.

[37] Dans chacune de ses affaires, cependant, la question en litige portait sur la preuve des faits devant la Cour plutôt que devant la SAI. La SAI, comme les autres sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, n’est pas liée par les règles légales et techniques de présentation de la preuve et peut recevoir des éléments de preuve « qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence » : art 170g) et h), 171a.2) et a.3), 173c) et d), 175(1)b) et c) de la LIPR. La Cour reconnaît que l’agent d’immigration peut se fonder sur des notes concernant des déclarations faites par un demandeur à un autre agent : Ally c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 445 au para 20; Hehar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1054 au para 30 à 32; voir aussi, par analogie, 4053893 Canada Inc c Canada (Revenu national), 2021 CF 218 aux paras 27 à 32. Cela ne signifie toutefois pas que la SAI peut considérer une conclusion d’un agent d’immigration comme étant déterminante à l’égard d’une question dont elle est saisie.

[38] En l’espèce, la question de savoir si les documents étaient contrefaits ou frauduleux, ou si les renseignements qui y figuraient étaient faux, était une question sur laquelle la SAI devait se prononcer en fonction des éléments de preuve dont elle disposait. La SAI ne pouvait pas simplement adopter les conclusions de l’UER sur ces questions, surtout sans donner d’explications. La SAI n’a pas expliqué pourquoi elle jugeait que les conclusions de l’UER étaient suffisamment fiables pour les préférer à la preuve présentée par les Ali. De fait, la SAI ne pouvait se fonder que sur très peu de choses pour évaluer les conclusions de l’UER, puisque ni les notes du SMGC ni aucun autre élément de preuve présenté par le ministre ne mentionnaient les raisons expliquant les conclusions selon lesquelles le certificat de décès avait été « délivré de manière irrégulière », que le document du ministère de la Santé était « contrefait » et que les renseignements sur l’enterrement étaient « faux ».

(2) Les documents attestant le mariage des Ali

[39] La SAI a conclu qu’il y avait « des préoccupations concernant l’authenticité » du nikah nama des Ali. Elle a donc confirmé la conclusion de fausses déclarations pour ce motif également. À mon avis, cette conclusion est aussi déraisonnable pour deux raisons.

[40] Premièrement, comme dans le cas des documents attestant le décès de Mme Shamsher, la SAI a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve importante pertinente. Plus particulièrement, la SAI n’a pas fait référence au certificat de mariage de la NADRA de 2018 ni à la copie récemment attestée du nikah nama de la subdivision administrative no 54. Les Ali ont présenté ces documents comme preuve récemment confirmée des renseignements figurant dans les registres du gouvernement. Le certificat de mariage de la NADRA de 2018 contient essentiellement les mêmes renseignements que le certificat de mariage de la NADRA de 2016, en plus d’indices supplémentaires de crédibilité. La copie du nikah nama de la subdivision administrative no 54 indique que le conseil municipal no 188 l’a attestée comme une copie d’un document dans ses dossiers, et M. Ali a témoigné qu’il a obtenu la copie attestée directement du conseil municipal.

[41] Encore une fois, le fait que le certificat de mariage de la NADRA de 2018 ou le nikah nama de la subdivision administrative no 54 figurent dans les dossiers du conseil municipal ne veut pas dire que le nikah nama de la subdivision administrative no 54 est authentique. Ces documents sont néanmoins une preuve importante qui tend à indiquer leur authenticité. Ils auraient pu permettre à la SAI, par exemple, d’accepter l’observation des Ali selon laquelle les déclarations enregistrées dans le SMGC en 2012, à savoir que la subdivision administrative no 54 n’avait aucune trace documentaire du mariage, constituaient une erreur découlant d’un [TRADUCTION] « problème généralisé » d’enregistrements inexacts et de routines de contrôle [TRADUCTION] « catastrophiques » au conseil municipal, lesquels sont décrits dans la preuve sur la situation dans le pays. Ces documents sont donc pertinents pour répondre à la question de savoir si les Ali ont fait de fausses déclarations en déposant le nikah nama no 54. Compte tenu de l’importance de ces éléments de preuve, l’omission d’y faire référence montre que la décision n’est pas dûment justifiée et qu’elle ne tenait pas compte de la preuve : Vavilov au para 126; Cepeda-Gutierrez aux para 16 et 17.

[42] Deuxièmement, la SAI a fourni un motif principal pour ne pas accepter le témoignage des Ali selon lequel ils étaient mariés et que le nikah nama de la subdivision administrative no 54 était authentique :

L’appelant a également été invité à se reporter à la traduction du nikah nama où des différences ont été observées dans les documents traduits dans le dossier [le nikah nama de la subdivision administrative no 54] et la pièce R‑1 [le nikah nama de la subdivision administrative no 79] et il a été invité à fournir une explication. Il a répondu [traduction] « Je ne sais pas. La personne qui a traduit les documents les a traduits ainsi. » La réponse de l’appelant est loin d’être crédible. Par conséquent, peu de poids peut être accordé à son témoignage selon lequel le mariage a été enregistré comme il se doit. Le tribunal tire donc une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[43] La conclusion de la SAI voulant que la réponse de M. Ali était « loin d’être crédible » demeure sans explication. Je reconnais l’importance d’interpréter la décision de la SAI à la lumière du dossier : Vavilov aux para 91 à 96. Ce dossier comprend la transcription des questions posées à M. Ali, les documents et traductions en cause et la preuve concernant le niveau de scolarité et la littéracie en langue anglaise limités de M. Ali. Même à la lumière du dossier, je suis toujours incapable de comprendre pourquoi la SAI a considéré comme étant « loin d’être crédible » le fait que M. Ali ne savait pas pourquoi les deux traducteurs avaient produit des traductions différentes des deux copies du même document. Bien que la Cour soit réticente à modifier une conclusion concernant la crédibilité, une telle conclusion doit être expliquée de façon adéquate et raisonnable : Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1136 au para 12; Vila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 415 aux para 5 à 9; Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CA).

[44] Compte tenu de l’omission de tenir compte d’éléments de preuve importants et du manque d’explications pour justifier la conclusion défavorable concernant la crédibilité, la conclusion de fausses déclarations qu’a tirée la SAI concernant le nikah nama des Ali était déraisonnable.

(3) La SAI a établi la mauvaise norme pour conclure à l’existence de fausses déclarations

[45] Outre les questions qui précèdent, je suis préoccupé par le fait que la SAI ne s’est pas penchée sur la bonne question relativement à ses conclusions de fausses déclarations. À la suite de la conclusion défavorable concernant la crédibilité relativement au nikah nama énoncée ci‑dessus, la SAI a formulé ses conclusions ainsi :

La preuve démontre qu’il existe non seulement des préoccupations concernant l’authenticité du certificat de décès de la première épouse de l’appelant, mais aussi concernant le nikah nama de l’appelant et de la demandeure. Par conséquent, la décision de refuser les visas de résident permanent des demandeurs est raisonnable compte tenu de la preuve examinée. De l’avis du tribunal, la décision demeure valide en droit, car il existe des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

[46] Le passage ci-dessus laisse à penser que la SAI considérait qu’elle devait simplement décider si la décision de refus de l’agent des visas était raisonnable et que la norme des « motifs raisonnables de croire » s’appliquait aux présentations erronées. La SAI a tort dans un cas comme dans l’autre. Elle tenait une audience de novo où elle devait décider si les Ali s’étaient acquittés de leur fardeau de démontrer qu’il y avait absence de présentations erronées selon la prépondérance des probabilités : Hehar au para 35, citant Chughtai aux para 29 et 33; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Amergo, 2018 CF 996 au para 18. Surtout, la norme des « motifs raisonnables de croire » énoncée à l’article 33 de la LIPR s’applique à une interdiction de territoire en application des articles 34 à 37, mais pas à une interdiction de territoire pour fausses déclarations en application de l’article 40.

[47] Au début de son analyse, la SAI a énoncé la bonne norme à appliquer, relevant le fait que « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ». Dans d’autres circonstances, étant donné l’importance d’interpréter les motifs de façon globale, cette affirmation pourrait permettre de conclure que la SAI a simplement mal énoncé la norme au paragraphe cité précédemment, plutôt que d’avoir appliqué la mauvaise norme à l’analyse. Toutefois, compte tenu du fait que la SAI n’a pas examiné des documents pertinents, de son recours inexpliqué aux conclusions mentionnées dans les notes du SMGC et de sa conclusion inexpliquée en ce qui a trait à la crédibilité, je conclus que les motifs de la SAI en ce qui concerne les certificats de décès et le nikah nama ne remplissent pas les exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité d’une décision raisonnable : Vavilov aux para 15, 98 à 100.

[48] La décision de la SAI concernant les fausses déclarations était déraisonnable à l’égard des documents liés au décès de Mme Shamsher et de ceux liés au mariage des Ali. Comme cette conclusion est déterminante dans le cadre de la présente demande, je n’ai pas besoin de traiter des arguments des Ali concernant les motifs humanitaires ni de la demande de « conversion au sens de la décision Tabesh ».

D. Réparation

[49] La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Ali visait à faire annuler la décision de la SAI et à renvoyer l’affaire à cette dernière pour nouvel examen. Dans son mémoire des arguments supplémentaires, il sollicitait aussi : i) un jugement déclarant que la preuve démontrait que Mme Shamsher était décédée; ii) un jugement déclarant que les divergences dans les documents concernant le mariage des Ali ne constituent pas des présentations erronées; iii) une ordonnance obligeant le ministre à accepter la deuxième demande de parrainage. Toutefois, mis à part ces demandes d’ordonnance, le mémoire supplémentaire ne contenait aucune observation expliquant pourquoi ces jugements et ordonnances devaient être accordés. À l’audience portant sur la présente demande, l’avocat de M. Ali a présenté des observations sur la réparation, en se rapportant aux paragraphes 140 à 142 de l’arrêt Vavilov rendu par la Cour suprême du Canada. À mesure que ces observations se précisaient, j’ai retenu l’objection du ministre fondée sur le manque d’observations dans le mémoire des arguments supplémentaires. L’avocat de M. Ali a demandé de pouvoir déposer d’autres observations écrites sur la question.

[50] Pour les motifs qui suivent, je refuse la demande de M. Ali d’avoir la possibilité de déposer d’autres observations écrites et je rejette les demandes d’ordonnance.

[51] En premier lieu, je rappelle l’importance pour les parties de présenter leurs arguments dans leur mémoire écrit afin de donner un avis à la partie opposée et de lui offrir l’occasion d’y répondre : Coomaraswamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153 au para 39; Dave c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 510 au para 5. Bien que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire de demander ou d’autoriser des observations écrites subséquentes, je ne suis pas convaincu que je doive exercer ce pouvoir en l’espèce. L’alinéa 15(1)c) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 et les ordonnances que rend la Cour lorsqu’elle accorde l’autorisation de demander le contrôle judiciaire prévoient le dépôt de mémoires supplémentaires après le dépôt du dossier certifié du tribunal et d’autres documents. Cela donne aux parties et aux avocats amplement l’occasion d’envisager et de soulever tous les arguments jugés pertinents et importants, même lorsque l’affaire est complexe.

[52] En second lieu, les ordonnances demandées équivaudraient à ce qu’on appelle de la « substitution indirecte », c’est-à-dire une façon pour la Cour de substituer indirectement sa décision à celle d’un tribunal en prononçant un jugement déclaratoire ou en donnant des directives : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux para 69 à 75. Comme l’admet M. Ali, il s’agit d’un pouvoir exercé seulement dans des circonstances exceptionnelles ou dans des « situations limitées », par exemple lorsqu’il n’existe qu’une seule issue raisonnable : Tennant aux para 69, 75, 79; Vavilov aux para 140 à 142.

[53] En l’espèce, il n’y a pas eu de « va-et-vient interminable » de contrôles judiciaires : Vavilov au para 142. Même si les Ali ont déposé une première demande de parrainage en 2009, cette demande a été rejetée et il n’y a plus de contestation de ce refus. La Cour est saisie de la première demande de contrôle judiciaire de la deuxième demande de parrainage des Ali, laquelle a été déposée en 2016, et a fait l’objet d’une décision de l’agent des visas en avril 2019 après l’envoi de deux LEP, et la SAI a rapidement rendu sa décision après une audience de deux jours. Bien que je comprenne le désir des Ali d’obtenir un dénouement rapide et l’espoir que leur famille soit réunie, je ne suis pas convaincu que le calendrier de traitement de la présente demande, qui est complexe du propre aveu de M. Ali, donne à penser que la Cour devrait imposer ou substituer sa propre décision, même si la Cour était en mesure d’apprécier elle-même la crédibilité et l’authenticité de la preuve dans les circonstances.

[54] Nous ne sommes pas non plus en présence d’une affaire où « un résultat donné est inévitable » : Vavilov au para 142. Bien que la SAI ait eu « la possibilité réelle […] de se pencher sur la question en litige », ce fait à lui seul ne peut justifier une substitution indirecte, autrement cette réparation serait possible chaque fois qu’un tribunal a commis une erreur en traitant d’une question ou qu’il a omis de le traiter : Vavilov au para 142.

[55] Je conclus ainsi que la décision de la SAI doit être annulée et que l’appel de M. Ali doit être renvoyé à la SAI pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal de la SAI différemment constitué. Les parties et la SAI voudront peut-être se pencher sur la question de savoir si les témoignages livrés à l’audience qui a déjà eu lieu, par exemple ceux de M. Ali et du fils de Mme Shamsher, peuvent être déposés en preuve lors du nouvel examen, et dans quelle mesure ils peuvent l’être.

IV. Conclusion

[56] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’appel de M. Ali est renvoyé à la SAI pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1935-20

LA COUR DÉCLARE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’appel du demandeur est renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal de la SAI différemment constitué.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1935-20

 

INTITULÉ :

SHAMSHER ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2021

 

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

 

pour le demandeur

 

Lisa Maziade

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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