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Date : 20010226

IMM-1064-00

Référence neutre : 2001 CFPI 119

E n t r e :

                              PATRICIA ALOMA HOLDER

                               LUGAN DWAYNE HOLDER

                                                                                   demandeurs

                                                  - et -

       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                        défendeur

                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]    La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un agent d'immigration a refusé la demande présentée par Patricia Aloma Holder (la demanderesse) et Lugan Dwayne Holder (Zane) en vue d'être admis au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration[1] (la Loi).


[2]    La demanderesse s'est enfuie en 1990 de son pays d'origine, Saint-Vincent-et-Grenadines, parce qu'elle craignait de subir de mauvais traitements de la part de son conjoint de fait, Gladstone Greene.

[3]    Zane est le fils de la demanderesse et de Gladstone Greene. En 1998, Zane est venu rendre visite à sa mère au Canada. À son arrivée, la demanderesse a remarqué que son fils avait des ecchymoses. Il lui a dit qu'il avait subi de mauvais traitements de la part de son père tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.

[4]    La demanderesse s'est sentie obligée de ne pas renvoyer Zane à Saint-Vincent-et-Grenadines, parce qu'elle craignait qu'il subisse d'autres sévices corporels et psychologiques de la part de son père.

[5]    Les demandeurs ont présenté le 9 avril 1999 une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande a été refusée par lettre datée du 23 décembre 1999. Les demandeurs n'ont reçu cette lettre que le 29 février 2000.

[6]    L'agent d'immigration a conclu que les circonstances de l'espèce ne justifiaient pas de dispenser les demandeurs de leur obligation de présenter leur demande d'établissement à l'extérieur du Canada.


[7]                Les notes de l'agente d'immigration[2] révèlent qu'elle a estimé que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur risquait d'être exposé à des difficultés excessives ou de subir des sévices à son retour, étant donné que l'ex-conjoint de la demanderesse a maintenant sa propre famille. L'agente d'immigration a fait remarquer que la demanderesse a de la famille au Canada, mais aussi dans son pays d'origine. Elle a accepté que la demanderesse avait de l'expérience comme soignante et que son employeur était satisfait de ses services. Elle s'est toutefois dite convaincue que la demanderesse pouvait être remplacée par une autre personne soignante. Au sujet de son fils, elle a conclu que sa place est auprès de sa mère.

[8]                Après avoir attentivement examiné la preuve, je suis convaincue que la conclusion tirée par l'agente d'immigration est mal fondée.

[9]                Il ressort de la jurisprudence récente de la Cour fédérale du Canada que, depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker[3], il existe, en matière de décisions portant sur les raisons d'ordre humanitaire, une nouvelle optique qui exige une démarche plus ciblée de la part des agents d'immigration lorsqu'ils examinent des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire.


[10]            En ce qui concerne le rôle du juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent d'immigration, ainsi que mon collègue le juge Lemieux l'a souligné dans le jugement Garasova c. Canada (MCI)[4], le juge doit considérer « en profondeur » la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et déterminer si elle est raisonnable, en examinant les motifs pour voir s'ils résistent à un examen assez poussé de la preuve.

[11]            Or, en l'espèce, la décision en cause ne peut résister à cet examen. J'ai rarement vu autant d'éléments de preuve établissant l'existence de raisons d'ordre humanitaire justifiant d'accorder une dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi.

[12]            Premièrement, l'agente d'immigration a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur risquait d'être exposé à des difficultés excessives ou de subir des sévices à son retour. Il ressort pourtant à l'évidence de la preuve que M. Greene a continue à maltraiter la demanderesse après avoir épousé une autre femme, que sa propre mère l'a repoussée lorsqu'elle a tenté de quitter son conjoint alors qu'elle vivait toujours à Saint-Vincent et que, compte tenu de la taille de Saint-Vincent, elle n'a aucun endroit où rester et n'a aucun moyen de subvenir à ses propres besoins et à ceux de son fils s'ils devaient y retourner.


[13]            Il ressort également de la preuve que Zane a subi récemment, en 1998, des sévices physiques et psychologiques et que, dans le passé, lorsqu'il se rendait chez sa grand-mère pour obtenir sa protection, il était forcé de retourner chez son père. La preuve démontre également que M. Greene a des antécédents de violence envers ses autres enfants, comme le démontre le fait que le fils de la demanderesse, Cameron Holder, a tenté de mettre fin à ses jours.

[14]            La preuve renferme par ailleurs une évaluation fouillée d'une thérapeute qui possède de l'expérience en évaluation et en counselling auprès des enfants victimes de violence. L'agente d'immigration n'a accordé aucune importance à l'évaluation de Mme Manning, qui a conclu que Zane souffrait de dépression en raison des mauvais traitements infligés par son père et par sa belle-mère et que [TRADUCTION] « tant que Zane n'aura pas résolu les traumatismes subis dans sa petite enfance, il souffrira de dépression » [5]. L'agente d'immigration n'a pas tenu compte des éléments de preuve suivant lesquels Zane s'adapte bien à son milieu de vie au Canada.

[15]            En concluant que la place de l'enfant était auprès de sa mère, l'agente d'immigration a négligé de s'acquitter de son obligation de tenir dûment compte des intérêts de l'enfant.


[16]            Il ressort aussi à l'évidence de la preuve que la demanderesse a des liens étroits avec le Canada, qu'elle a des liens familiaux de facto et qu'elle s'est remarquablement bien établie au Canada, compte tenu de ses compétences. Aucun de ces facteurs n'existe à Saint-Vincent. L'agente d'immigration a eu tort de conclure qu'il existait des liens entre la demanderesse et sa mère à Saint-Vincent. Au contraire, la preuve démontre qu'elle n'a jamais eu de relation étroite avec sa mère et qu'ayant été conçue lors d'un viol, elle n'a jamais vécu avec elle.

[17]            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente d'immigration est annulée et l'affaire est renvoyée au ministre pour qu'un autre agent d'immigration rende une nouvelle décision.

                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 février 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., Trad. a.


                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  IMM-1064-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :     Patricia Aloma Holder et autre c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 21 février 2001

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Tremblay-Lamer le 26 février 2001

ONT COMPARU :

Me C. Dahan                                                                 pour les demandeurs

Me K. Lunney                                                               pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me C. Dahan                                                                 pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                    pour le défendeur



[1]            L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]            Dossier du Tribunal, aux pages 116 à 120.

[3]            Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[4]            (1999), 177 F.T.R. 76.

[5]            Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 85.

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