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Date : 20000128


Dossier : IMM-2230-99


OTTAWA (ONTARIO), LE 28 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :


HAWA AHMED HOUSSEIN

HOUDA DJIBRIL



demanderesses


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



O R D O N N A N C E


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour qu'une formation différemment constituée statue à son tour sur celle-ci.



« Danièle Tremblay-Lamer »

                                         JUGE



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000128


Dossier : IMM-2230-99


ENTRE :


HAWA AHMED HOUSSEIN

HOUDA DJIBRIL


demanderesses


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration1 (la Loi), contre une décision dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse principale n'est pas une réfugiée au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi.

[2]      La demanderesse et son enfant, toutes deux citoyennes de Djibouti, ont fondé leur revendication sur la crainte fondée de la demanderesse principale d'être persécutée en raison de sa nationalité ou de sa race, en tant que membre de la tribu afar, de ses opinions politiques, vu son appartenance au Parti du renouvellement démocratique (PRD), ou de son appartenance à un groupe social particulier, en tant qu'épouse d'un militant ou d'un membre actif du PRD.

[3]      Le père de la demanderesse, un partisan du Front de restauration de l'unité et de la démocratie (FRUD), a été tué en 1992 au cours de la guerre civile qui a opposé les autorités gouvernementales de Djibouti et le FRUD. Par la suite, la famille de la demanderesse s'est réfugiée en Éthiopie, mais la demanderesse est demeurée à Djibouti.

[4]      En 1992, la demanderesse a commencé à travailler en tant que secrétaire pour le ministère de l'Éducation de Djibouti.

[5]      En 1995, la demanderesse a épousé M. Djibril Ismael Egueh, un policier qui appartenait au PRD. En fait, M. Egueh, un membre actif du PRD, a incité la demanderesse à se joindre à ce parti.

[6]      La demanderesse est effectivement devenue membre du PRD en 1995, mais, au début, sa participation se limitait à des contributions financières. La demanderesse a mentionné que le rôle des femmes au sein du PRD n'était pas de nature politique.

[7]      À la fin de 1995, l'époux de la demanderesse a perdu son emploi au sein des forces policières en raison, semble-t-il, de ses activités politiques au sein du PRD.

[8]      Le 15 novembre 1996, la demanderesse a été arrêtée lors d'une réunion d'épouses de membres du PRD qui avait été convoquée en vue d'organiser une manifestation pour souligner la journée internationale des enfants. On l'a amené au poste de police central, où elle a été interrogée et détenue pendant vingt-quatre (24) heures.

[9]      Au début de 1998, après avoir appris d'un ami qu'il figurait sur une liste d'individus susceptibles d'être arrêtés, l'époux de la demanderesse s'est enfui du pays pour se réfugier en Éthiopie.

[10]      En mars 1998, lors d'une grève des enseignants, des employés du ministère de l'Éducation, comme la demanderesse, ont été envoyés pour remplacer les enseignants en grève. La demanderesse, à l'instar d'autres employés, a cependant refusé, et elle a été par la suite arrêtée, détenue à Nagadh pendant quarante-huit (48) heures, puis ultérieurement transférée à la prison de Gabode, où elle a été détenue pendant dix (10) jours. La demanderesse soutient y avoir été interrogée, torturée et battue.

[11]      La demanderesse dit qu'après sa libération, comme elle se sentait seule en compagnie de sa fille, n'ayant de nouvelles ni de son époux, ni de sa famille, elle a décidé de quitter le pays. En août 1998, la demanderesse a présenté une demande visant à obtenir un visa américain.

[12]      À l'automne 1998, lors d'une autre grève des enseignants, la demanderesse, qui travaillait toujours pour le ministère de l'Éducation, a encore une fois refusé de remplacer les enseignants en grève. Après que son superviseur lui a lancé un ultimatum lui enjoignant de remplacer un enseignant en grève sinon elle perdrait son emploi, la demanderesse a choisi de perdre son emploi. Elle a donc perdu son emploi de secrétaire au sein du ministère de l'Éducation.

[13]      La demanderesse a quitté Djibouti le 2 octobre 1998, craignant que sa vie et celle de sa fille étaient en danger; elle a transité par la France et les États-Unis avant d'aboutir au Canada, où elle s'est réfugiée.

[14]      Dans l'ensemble, les membres de la formation ont estimé que la demanderesse était fiable et elle a cru son récit, dans lequel elle a raconté que son époux avait perdu son emploi, qu'elle avait été arrêtée et détenue le 15 novembre 1996, qu'elle avait été de nouveau arrêtée et détenue en mars 1998, et que son employeur lui avait lancé un ultimatum en octobre 1998, mais ils ont conclu que les mauvais traitements que la demanderesse avait subis ne constituaient pas de la persécution.

[15]      L'issue de la présente demande de contrôle judiciaire dépend de la question de la persécution.

[16]      Comme le terme « persécution » n'est pas défini dans la Loi, il faut s'en remettre à l'arrêt Rajudeen c. MEI2, dans lequel la Cour d'appel fédérale a cité la définition de « persécution » qu'on trouve dans le dictionnaire :

ge 133 :

La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le requérant craint d'être persécuté. La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l'immigration ne comprend pas une définition du mot "persécution". Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le "Living Webster Encyclopedic dictionary" définit [TRADUCTION] "persécuter" ainsi :
[TRADUCTION] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier. »
Le "Shorter Oxford English Dictionary" contient, entre autres, les définitions suivantes du mot "persécution" :
[TRADUCTION] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine. » 3

[17]      Traitant de la question de la persécution, et après avoir examiné la définition de ce terme, la Commission a dit :

[TRADUCTION] Deux éléments méritent, à mon avis, d'être soulignés; c'est-à-dire qu'il doit y avoir eu des mauvais traitements graves ou sérieux ou encore qu'il doit y avoir eu une atteinte importante à des droits de la personne fondamentaux. Et le deuxième aspect, c'est que ces mauvais traitements doivent avoir été infligés de façon répétitive, constante et systématique4.

[18]      À mon avis, cela est compatible avec l'arrêt Rajudeen5.

[19]      Sur la base de cette conception de la persécution, la Commission a ensuite considéré les mauvais traitements que la demanderesse avait subis et conclu :

[TRADUCTION] Par exemple, à la fin de 1995, votre époux a été congédié en raison de ses activités politiques; le 15 novembre 1996, vous avez été arrêtée, détenue et interrogée pendant 24 heures; en mars 1998, vous avez été arrêtée, détenue et interrogée pendant 12 jours; et enfin, vous avez été congédiée en octobre 1998. Chacun de ces incidents, voyez-vous, ne constitue pas, à notre avis, de la persécution. Deux arrestations et détentions arbitraires pour de courtes périodes ayant donné lieu à des interrogatoires et des tentatives d'intimidation, de même que le fait que vous et votre époux avez perdu vos emplois, ces éléments, vus séparément ou conjointement, ne constituent pas, à notre avis, de la persécution; ils n'étayent pas non plus une crainte fondée d'être persécuté6.

[20]      J'ai du mal à comprendre comment des arrestations et des détentions peuvent être considérés comme des « traitements déplorables » , mais ne pas constituer de la persécution. Vu la définition de la Commission, qui souligne l'importance du fait que [TRADUCTION] « ces mauvais traitements doivent avoir été infligés de façon répétitive, constante et systématique » , et vu l'acceptation, par la Commission, de la preuve documentaire établissant le harcèlement et l'emprisonnement constants et systématiques d'opposants politiques, j'estime que la conclusion de cette dernière est abusive.

[21]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour qu'une formation différemment constituée statue à son tour sur celle-ci.



« Danièle Tremblay-Lamer »

                                         JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 janvier 2000.





Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-2230-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HAWA AHMED HOUSSEIN

                     HOUDA DJIBRIL

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 19 JANVIER 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              28 JANVIER 2000



ONT COMPARU :


MME KARLA UNGER                      POUR LA DEMANDERESSE

M. GREG MOORE                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


MME KARLA UNGER                      POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      (1984), 55 N.R. 129.

3      Ibid., aux pages 133 et 134.

4      Dossier de la demanderesse, à la page 17.

5      Supra., note 2.

6      Dossier de la demanderesse, aux pages 17 et 18.

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