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Date : 20060316

Dossier : T-1917-05

Référence : 2006 CF 347

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2006

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF

 

ENTRE :

JOSE VALLE LOPES

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ  ET DE L'IMMIGRATION et SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Il s'agit d'une demande « tout à fait exceptionnelle » qui est fondée sur l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada et qui, à mon avis, « est manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588; [1994] A.C.F. no 1629 (QL) (C.A.), au paragraphe 15). Voici les motifs pour lesquels je fais droit à la requête présentée par les défendeurs en vue de faire radier l'action du demandeur.

 

GENÈSE DE L'INSTANCE

[2]        Le demandeur est un citoyen du Honduras et un réfugié au sens de la Convention qui est devenu résident permanent du Canada en juillet 1986.

 

[3]        En février 2003, un agent d'immigration a, en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), établi un rapport dans lequel il estimait que le demandeur était interdit de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux pour avoir commis hors du Canada une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, au sens de l'alinéa 35(1)a) de la LIPR.

 

[4]        Suivant les faits que l'agent d'immigration a relatés dans son rapport et sur lesquels il a fondé son avis, le demandeur avait admis avoir joint de son plein gré la Direction des enquêtes nationales spéciales du Honduras de 1980 à 1984. Au cours de cette période, le demandeur aurait, selon le rapport, participé à des actes de kidnapping et de torture commis contre la population civile au Honduras.

 

[5]        Le rapport de l'agent d'immigration a été transmis au délégué du ministre qui, à son tour, a estimé le rapport bien fondé. L'affaire a ensuite été déférée à la Section de l'immigration pour enquête, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR, en vue de déterminer si le demandeur devait être interdit de territoire en vertu de l'alinéa 35(1)a).

 

[6]        Le 26 janvier 2005, le demandeur a réclamé l'ajournement de l'audience de la Section de l'immigration en attendant la décision du gouvernement au sujet de la communication des éléments que le demandeur estimait utiles à la présente instance.

 

[7]        Le 26 mai 2005, en tant que partie à l'instance introduite devant la Section de l'immigration, le demandeur a avisé le Procureur général du Canada (le Procureur général) qu'il prévoyait divulguer des renseignements qu'il estimait « sensibles » ou « potentiellement préjudiciables » au sens de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, modifiée. 

 

[8]        Dans son avis du 26 mai 2005, le demandeur a expliqué qu'il souhaitait établir notamment que le gouvernement canadien était au courant, avant qu'il n'obtienne la résidence permanente, qu'il avait commis des crimes contre l'humanité. Il a précisé qu'il divulguerait les renseignements suivants : 

                        [traduction]

1.      M. Valle Lopes expliquera la formation qu'il a reçue en vue de commettre des crimes contre l'humanité;

 

2.      Il fournira des détails (y compris des noms) au sujet des rapports qui existent entre l'armée du Honduras et les Forces armées des États-Unis et des membres d'autres organismes gouvernementaux des États-Unis qui, à la demande du gouvernement du Honduras, et avec le consentement du gouvernement des États-Unis, l'ont instruit au sujet des méthodes et des techniques à employer pour commettre des crimes contre l'humanité;

 

3.      Il fournira des détails, en particulier le nom et des photographies des membres de la CIA qui l'ont personnellement instruit au sujet des méthodes et des techniques à employer pour commettre des crimes contre l'humanité;

 

4.      Il fournira des détails des documents que des représentants du gouvernement des États-Unis ont élaborés et lui ont fournis pour l'aider à commettre des crimes contre l'humanité, tels que le Torture Manual de la CIA portant cette date;

 

5.      Il fournira des détails (y compris l'identité) d'au moins un des hauts dirigeants de l'Administration du président en exercice des États-Unis, George W. Bush, qui a activement, sciemment et avec ardeur encouragé et facilité la formation qui a été donnée à M. Valle Lopes sur la façon de commettre des crimes contre l'humanité d'une manière qui soit conforme aux normes et aux méthodes généralement utilisées par les personnes formées pour commettre de tels crimes pour le compte des États-Unis d'Amérique;

 

6.      Il fournira des détails sur les démarches qu'il a entreprises par l'entremise du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en vue de s'enfuir du Honduras et de demander l'asile à l'ambassade canadienne à Mexico et ce, afin de témoigner au sujet de l'existence et de la nature des crimes contre l'humanité organisés et exécutés pour le compte du gouvernement du Honduras avec l'aide du gouvernement des États-Unis;

 

7.      Il présentera des éléments de preuve pour démontrer que le gouvernement canadien était au courant qu'il avait commis des crimes contre l'humanité avant d'obtenir la permission de se présenter à l'ambassade canadienne à Mexico;

 

8.      Il témoignera qu'il est constamment demeuré à l'ambassade canadienne alors qu'il était interrogé au sujet de la formation qu'il avait reçue en vue de commettre des crimes contre l'humanité et des crimes qu'il avait effectivement commis;

 

9.      Il témoignera au sujet du nom et de l'identité des individus agissant au nom du gouvernement canadien qui l'ont interrogé ou avec lesquels il a parlé de ces questions;

 

10.  Il témoignera au sujet des documents qu'il a lui-même rédigés alors qu'il était interrogé pendant quelques jours, des documents que les personnes en question lui ont soumis pour examen et approbation, de même qu'au sujet de la teneur des conversations échangées entre ces personnes et lui-même sur ces questions;

 

11.  Il témoignera que le gouvernement canadien était parfaitement au courant de toute la formation qu'il avait reçue ainsi que des crimes contre l'humanité qu'il avait commis avant qu'il n'obtienne un permis ministériel l'autorisant à entrer au Canada, et il confirmera qu'il a commis notamment des meurtres, un crime suffisamment grave pour l'empêcher d'entrer au Canada sans permis ministériel;

 

12.  Il témoignera que le gouvernement canadien a admis au Canada, depuis  que les dispositions législatives relatives aux crimes contre l'humanité ont reçu la sanction royale, un ou plusieurs individus associés au gouvernement des États-Unis ou du Honduras ou membres de ces gouvernements dont il savait à l'époque qu'ils étaient interdits de territoire en raison des renseignements communiqués au gouvernement canadien par M. Valle Lopes à Mexico;

 

13.  Il témoignera que, de façon générale, il n'a omis aucun élément d'information pertinent dans la présente instance et, de façon particulière, il affirmera qu'à ce qu'il sache, le ministre ne dispose d'aucun renseignement qui constituerait un nouvel élément de preuve suffisant pour justifier de déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête.

 

 

[9]        Le 13 octobre 2005, Me Gérard Normand, avocat général du Groupe de la sécurité nationale de Justice Canada, a répondu  dans les termes suivants à l'avis du 26 mai 2005 du demandeur :

[traduction]

 

Le Procureur général du Canada a pris sa décision au sujet de la divulgation des renseignements en question et il autorise la divulgation de tous les renseignements mentionnés dans l'avis. Veuillez cependant noter que l'autorisation de divulguer des renseignements ne vaut que pour ceux qui sont explicitement mentionnés dans les treize paragraphes en question. La présente  autorisation ne doit pas être interprétée comme une permission de divulguer les détails et les documents mentionnés dans les treize paragraphes mais qui ne sont ni inclus ni décrits dans les paragraphes en question. Vous comprendrez que le Procureur général du Canada ne peut prendre de décision en ce qui concerne la divulgation de renseignements qu'il ne connaît pas.

 

                                    (Non souligné dans l'original.)

 

 

[10]      Le 24 octobre 2005, le demandeur a répondu comme suit à la lettre de Me Normand :

[traduction]

J'ai pris connaissance de votre lettre du 13 octobre 2005.

 

Elle n'a aucun sens.

 

Les documents que vous mentionnez dans votre lettre sont sous la garde du gouvernement du Canada et non de M. Valle Lopes.

 

Ainsi qu'il est précisé dans l'avis que vous avez reçu, le gouvernement estime que la communication du contenu de ces documents à qui que ce soit constitue une atteinte à la sécurité nationale. Si vous êtes de cet avis, il vous est loisible de saisir la Cour fédérale d'une demande en vertu de l'alinéa 38.04(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada.

 

Dans le cas contraire, M. Valle Lopes a l'intention de divulguer tous les éléments de preuve mentionnés directement ou indirectement dans l'avis que vous avez reçu.

 

Sachez que M. Valle Lopes est d'avis que votre lettre du 13 octobre 2005 ne satisfait pas aux obligations que la Loi sur la preuve au Canada vous impose.

 

[11]      Le 26 octobre 2005, le demandeur a déposé le présent avis de demande par lequel il réclame les réparations suivantes :

a)         un jugement déclaratoire : 

 

i)          portant que le défendeur, le Procureur général du Canada, est légalement tenu de présenter la demande prévue à l'alinéa 38.04(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada;

 

ii)          à titre subsidiaire, un jugement déclaratoire portant que, si le Procureur général choisit de présenter la demande mentionnée à l'alinéa (i) ou refuse de le faire, il n'est point interdit au demandeur de s'acquitter des obligations que lui impose la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et reconnaissant les droits légaux et constitutionnels du demandeur de présenter pour sa propre défense tout élément de preuve en réponse à l'instance actuelle intentée contre lui par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration;

 

b)         à titre subsidiaire, une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus enjoignant au défendeur, le Procureur général du Canada, de présenter une demande en vertu de l'alinéa 38.04(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada;

 

c)         à titre plus subsidiaire encore, pour le cas où la Cour refuserait d'accorder toutes les réparations sollicitées aux alinéas a) et b), un jugement déclaratoire portant que le régime prévu aux articles 38 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada est inopérant en ce qui concerne la violation des droits énoncés dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et des droits garantis aux articles 7, 8 et 15 de la Charte, sous réserve du droit du demandeur de solliciter une réparation accessoire, permanente ou provisoire de la nature d'un bref de certiori, de prohibition et/ou de mandamus, dont le détail sera exposé dans un avis de question constitutionnelle présenté en vertu de l'article 57 de  la Loi sur la Cour fédérale et des dispositions correspondantes des Règles de la Cour fédérale au moment opportun;

 

d)         les dépens avocat-client de la présente demande ainsi que toute autre réparation que l'avocat peut solliciter et que la Cour peut accorder.

 

[12]      L’exposé du droit soumis par le demandeur en réponse à la requête en radiation des défendeurs est bref et est formulé en des termes très généraux. On comprend mieux la thèse du demandeur en lisant l'affidavit déposé en son nom dans lequel le déclarant affirme que le Procureur général n'a pas donné une autorisation de divulguer complète et inconditionnelle (au paragraphe 28) :

[traduction] Le Procureur général du Canada n'a par conséquent approuvé qu'une divulgation partielle des éléments de preuve en question et a refusé la communication de la vaste majorité des éléments de preuve réclamés au motif qu'il lui est impossible d'examiner les documents qui se trouvent déjà en sa possession à moins de les recevoir directement de M. Valle Lopes; ceci malgré le fait que le Procureur général sait que, bien que M. Valle Lopes soit au courant des faits et des documents en question dont certains proviennent des entrevues que lui ont fait subir des agents du service canadien de renseignement de sécurité, M. Valle Lopes n'a pas en sa possession certains des documents en question, qui sont en fait entre les mains du gouvernement du Canada. [Souligné dans l'original.]

 

 

ANALYSE

 

 

[13]      La thèse du demandeur est que la loi oblige le Procureur général à suivre la procédure prévue à l'alinéa 38.04(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada 

38.04 (2) Si, en ce qui concerne des renseignements à l'égard desquels il a reçu un avis au titre de l'un des paragraphes 38.01(1) à (4), le procureur général du Canada n'a pas notifié sa décision à l'auteur de l'avis en conformité avec le paragraphe 38.03(3) ou, sauf par un accord conclu au titre de l'article 38.031, il a autorisé la divulgation d'une partie des renseignements ou a assorti de conditions son autorisation de divulgation :

 

a) il est tenu de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements si la personne qui l'a avisé au titre des paragraphes 38.01(1) ou (2) est un témoin;

38.04 (2) If, with respect to information about which notice was given under any of subsections 38.01(1) to (4), the Attorney General of Canada does not provide notice of a decision in accordance with subsection 38.03(3) or, other than by an agreement under section 38.031, authorizes the disclosure of only part of the information or disclosure subject to any conditions,

 

 

 

(a) the Attorney General of Canada shall apply to the Federal Court for an order with respect to disclosure of the information if a person who gave notice under subsection 38.01(1) or (2) is a witness;

 

[14]      La condition préalable essentielle à la présentation de la demande prévue au paragraphe 38.04(2) à la Cour fédérale est que le Procureur général n'ait autorisé la divulgation que d'une partie des renseignements faisant l'objet de l'avis prévu à l'article 38.01 ou encore qu'il ait assorti de conditions son autorisation de divulgation.

 

[15]      Les défendeurs soutiennent que la lettre du 13 octobre 2005 de Me Normand constitue l'autorisation du Procureur général de divulguer tous les renseignements contenus dans les treize paragraphes de l'avis du 26 mai 2005 du demandeur.

 

[16]      Le demandeur interprète différemment la réponse qui lui a été adressée le 13 octobre 2005 au nom du Procureur général. Il estime que la divulgation autorisée par le Procureur général est incomplète et conditionnelle. Il est utile de reproduire l'extrait pertinent de la lettre invoqué par le demandeur : 

[traduction] Veuillez cependant noter que l'autorisation de divulguer des renseignements ne vaut que pour ceux qui sont explicitement mentionnés dans les treize paragraphes en question. La présente autorisation ne doit pas être interprétée comme une permission de divulguer les détails et les documents mentionnés dans les treize paragraphes mais qui ne sont ni inclus ni décrits dans les paragraphes en question. Vous comprendrez que le Procureur général du Canada ne peut prendre de décision en ce qui concerne la divulgation de renseignements qu'il ne connaît pas.

 

[17]      Je n'interprète pas la lettre de la manière proposée par le demandeur. Les extraits sur lesquels le demandeur se fonde me semblent avoir été écrits par mesure de prudence. Le Procureur général ne pouvait autoriser la divulgation de renseignements, de documents ou de déclarations verbales que le demandeur n'avait pas encore portés à son attention. Les passages que le demandeur qualifie de conditions n'étaient qu'une déclaration par laquelle le Procureur général autorisait uniquement la divulgation du texte reproduit aux paragraphes 1 à 13 de l'avis du 26 mai 2005 du demandeur et de rien de plus.

 

[18]      En résumé, avant qu'une instance puisse être introduite devant la Cour fédérale en vertu du paragraphe 38.04(2), il doit exister « [...] … des renseignements à l'égard desquels [le Procureur général] a reçu un avis au titre de l'un des paragraphes 38.01(1) à (4) » et dont le Procureur général n'a pas autorisé la divulgation complète et inconditionnelle. Or, suivant le dossier qui m'a été soumis, il n'existe pas de tels renseignements en l'espèce.

 

[19]      Eu égard aux circonstances de la présente espèce, le demandeur n'a pas réussi à établir que le Procureur général était tenu, de par la loi, de présenter à la Cour fédérale la demande prévue à l'alinéa 38.04(2)a) de la Loi. Pour qu'un bref de mandamus puisse être délivré, il doit exister un devoir public d'agir, devoir dont le demandeur doit clairement avoir le droit d'exiger l'accomplissement. Le demandeur aurait peut-être pu se prévaloir du recours prévu à l’alinéa 38.04(2)c) si le dossier contenait des renseignements qui satisfaisaient à la condition préalable essentielle à la présentation d'une demande en vertu du paragraphe 38.04(2). La réparation réclamée au moyen d'un bref de mandamus ne peut être accordée (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), aux pages 766 et suivantes, et Bhatia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1244, au paragraphe 13).

 

[20]      Les doutes que je pouvais avoir au sujet du bien-fondé de la requête en radiation présentée par les défendeurs ont été dissipés au cours du plaidoyer du demandeur. Lorsqu'on lui a demandé comment il prévoyait que la demande présentée par le Procureur général en vertu de l'article 38.04 serait traitée eu égard aux circonstances de l'espèce, il a répondu que le demandeur déposerait un affidavit énonçant les renseignements qu'il souhaiterait divulguer et fournissant vraisemblablement les détails auxquels il a été fait allusion mais qui ne sont pas contenus dans les treize paragraphes de sa lettre du 26 mai 2005. Ce n'est pas ce que le législateur avait en tête lorsqu’il a édicté l'article 38. Je fais miennes à cet égard les observations formulées par les défendeurs au paragraphe 26 :

[traduction] Si la Cour fédérale devait accorder à un participant l'autorisation générale de divulguer des renseignements non précisés dans le cadre d'une instance judiciaire, indépendamment de la question de savoir si ces renseignements sont potentiellement préjudiciables, le processus décisionnel prévu aux articles 38 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada serait contrecarré et serait rendu inopérant.

 

[21]      En principe, ce sera habituellement un fonctionnaire ou peut-être un ancien fonctionnaire d'une institution fédérale qui aura en sa possession des renseignements « sensibles » ou « potentiellement préjudiciables » au sens de l'article 38. Il serait rare, il me semble, qu'une personne se trouvant dans la situation du demandeur ait de tels renseignements en sa possession. Elle peut, par exemple, avoir des renseignements susceptibles de plonger une ou plusieurs personnes dans l'embarras, mais encore une fois, en principe, on ne voit pas vraiment comment cette personne pourrait avoir en sa possession des renseignements dont la divulgation par elle serait susceptible de porter préjudice à la sécurité nationale.

 

[22]      Dans leurs observations écrites, les défendeurs ont laissé entendre que le demandeur, [traduction] « qui risque d'être renvoyé du Canada, cherche à retarder ou à faire échouer l'audience portant sur son interdiction de territoire en saisissant la Cour fédérale de cette demande désespérée ». Je présume que le demandeur nie qu'il recourt à des mesures dilatoires.

 

[23]      Si le demandeur s'attend à divulguer devant la Section de l'immigration des renseignements qu'il croit secrets, il peut faire le nécessaire pour aviser le Procureur général de tous ces renseignements. Il existe des moyens pratiques et efficaces de le faire que les avocats des deux parties pourront examiner.

 

[24]      La solution la moins attentatoire en ce qui concerne la Section de l'immigration pourrait consister à exiger que le demandeur précise verbalement, en présence d'un sténographe, tous les renseignements qu'il croit secrets avant la reprise de l'audience (voir le jugement Ribic c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI, conf. par 2003 CAF 246). S'il est appelé à examiner la transcription en vertu de l'article 38.01, le Procureur général pourrait alors déterminer s'il y a lieu d'autoriser la divulgation des renseignements. Si le Procureur général ne donne pas une autorisation complète et inconditionnelle, le demandeur pourrait alors envisager d'introduire l'instance prévue à l'alinéa 38.04(2)c).

 

[25]      Il pourrait exister d'autres solutions pratiques – que les avocats pourraient élaborer – pour répondre à la préoccupation du demandeur qui ne veut pas contrevenir à l'article 38 tout en favorisant le déroulement expéditif de l'audience devant la Section de l'immigration.

 

[26]      Comme je conclus que la présente demande n'a aucune chance d'être accueillie, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la réparation réclamée à l'alinéa c) de l'avis de demande.

 

[27]      À titre de remarque incidente, je signale qu'il est intéressant de souligner qu'en l'espèce, l'avis de demande, les pièces déposées au soutien de la requête et l'audience étaient tous publics. Si l'avis de demande avait été déposé au service des instances désignées du greffe, on aurait pu penser que certaines dispositions, dont celles du paragraphe 38.11(1) relatives au huis clos, auraient été applicables.

 

[28]      Comme ils ont obtenu gain de cause, les défendeurs auraient normalement droit aux dépens de 1 000 $ qu'ils réclament. Cependant, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, j'ai décidé de ne pas adjuger de dépens, surtout à cause du fait que le demandeur a rappelé qu'il a demandé que la Cour l’« éclaire » sur le sens des dispositions de l'article 38 qui, comme toutes les parties l'ont reconnu, est difficile à saisir.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR :

 

1.         ACCUEILLE la requête des défendeurs;

2.         RADIE l'avis de demande du demandeur.

 

« Allan Lutfy »

 Juge en chef

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1917-05

 

INTITULÉ :                                       JOSE VALLE LOPES c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autres

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 15 FÉVRIER 2006

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LE DEMANDEUR

Jan Brongers

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galati, Rodrigues and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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