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Date : 20210716


Dossier : IMM-1968-20

Référence : 2021 CF 747

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

AICHA BENZINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Aicha Benzina a tenté de parrainer son époux, Ayoub Chemlal, citoyen du Maroc. La Section d’appel de l’immigration (SAI) a jugé que ces derniers n’étaient pas crédibles et que l’intention de leur mariage était principalement l’acquisition d’un statut au Canada, contrairement au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Mme Benzina demande le contrôle judiciaire de cette décision. Elle allègue que les multiples inférences négatives qu’a tirées la SAI par rapport à sa crédibilité et celle de M. Chemlal n’étaient pas raisonnables.

[2] Je conclus que la décision de la SAI était raisonnable. Bien que la SAI a erré en tirant une inférence négative de sa conclusion que Mme Benzina et M. Chemlal se sont parlés pendant une pause de l’audience malgré l’absence d’une ordonnance d’exclusion des témoins, cette erreur n’était pas déterminative. Les autres déterminations de crédibilité étaient raisonnables et concluantes de l’appel.

[3] En outre, je trouve que la SAI n’a pas traité cet appel de mauvaise foi. Je prends cette occasion pour souligner qu’une allégation de mauvaise foi est une accusation sérieuse qui ne devrait pas être soulevée à la légère.

[4] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Questions en litige et normes de contrôle

[5] Je conviens avec le ministre que les prétentions de Mme Benzina soulèvent deux questions en litige :

  1. La SAI a-t-elle erré en concluant que Mme Benzina et M. Chemlal n’étaient pas crédibles et que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR]? et

  2. La SAI a-t-elle enfreint les règles de l’équité procédurale en agissant de mauvaise foi?

[6] La première question doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23-25; Bourassa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 805 au para 23. Selon cette norme, la Cour détermine si la décision est intrinsèquement cohérente, ainsi que justifiée, transparente et intelligible à la lumière du dossier dont dispose le décideur et des soumissions des parties : Vavilov aux para 99, 105–107, 125–128. La retenue s’impose à l’égard des déterminations quant à la crédibilité des témoins, mais le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est mépris ou n’a pas tenu compte de la preuve : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969 aux para 22–23; Vavilov au para 126.

[7] La deuxième question, étant une question d’équité procédurale, doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte, ou bien selon aucune norme de contrôle : Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54–56. Dans cette analyse, la Cour détermine si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.

III. Analyse

A. La décision de la SAI n’était pas déraisonnable

(1) La demande de parrainage et les refus de l’agent des visas et de la SAI

[8] Mme Benzina a quitté le Maroc pour le Canada en 2005 lorsqu’elle s’est mariée et a été parrainée par son premier époux. En 2008, elle a donné naissance à leur fils et le couple a obtenu un divorce en 2010. Mme Benzina s’est mariée à nouveau et a parrainé son deuxième époux en 2010 et 2011, mais celui-ci était abusif et ils se sont divorcés en 2015.

[9] En juillet 2016, Mme Benzina séjournait au Maroc avec son fils, lorsqu’elle a rencontré M. Chemlal. Ils sont devenus couple l’été de 2016 avant le retour au Canada de Mme Benzina en septembre, et ont discuté leur intention de se marier à l’avenir. Ils ont continué à communiquer à distance et se sont fiancés au début de 2017. Mme Benzina est retournée au Maroc en mai 2017 pour célébrer les fiançailles et en novembre 2017 pour la cérémonie du mariage. En décembre 2017, Mme Benzina a déposé une demande pour parrainer M. Chemlal.

[10] À la suite d’une entrevue avec M. Chemlal menée par un agent des visas, la demande de parrainage a été refusée le 1er février 2019. L’agent n’était « pas satisfaite de la bonne foi de cette relation ». Les motifs du refus étaient que (i) M. Chemlal a démontré une connaissance superficielle de la famille de Mme Benzina et ses mariages précédents; (ii) il a démontré peu d’implications dans la vie de Mme Benzina; (iii) il est moins commun au Maroc qu’un jeune homme marie une femme à son troisième mariage (surtout que M. Chemlal a huit ans de moins que Mme Benzina); (iv) les photos du mariage semblent avoir été préparées uniquement pour la demande de parrainage; (v) M. Chemlal ne pouvait pas décrire l’évolution de la relation ni des projets de couple à court ou long terme; et (vi) le mariage semble avoir été arrangé pour permettre à M. Chemlal d’obtenir un statut au Canada.

[11] Mme Benzina a déposé un appel à la SAI qui a tenu une audience en décembre 2019. La SAI a refusé l’appel au motif que Mme Benzina « n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage avec [M. Chemlal] ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. »

[12] La SAI a fondé sa décision sur le manque de crédibilité de Mme Benzina et M. Chemlal. La SAI a tiré des inférences négatives quant à leur crédibilité pour plusieurs raisons. Elle a d’abord conclu que M. Chemlal a bénéficié des détails du témoignage de Mme Benzina grâce aux communications durant une pause dans l’audience, ce qui a affecté « grandement et négativement sa crédibilité, ainsi que la valeur probante de tout élément corroboratif qu’il a fourni à l’audience ». La SAI a ensuite noté une contradiction entre les formulaires et les témoignages quant au nombre d’invités aux fiançailles et au mariage et n’a pas accepté les explications des époux à cet égard. Elle a aussi tiré une conclusion négative du fait que M. Chemlal n’a pas dévoilé dans sa demande parrainée deux demandes antérieures pour des permis d’études qui avaient été refusées, ainsi que son témoignage erroné et contradictoire au sujet de ces demandes.

[13] Dans ses conclusions, la SAI a noté que M. Chemlal a tenté de venir au Canada de façon soutenue avant qu’il ait rencontré Mme Benzina. Elle a souligné les contradictions dans la preuve et n’a pas accepté qu’elles étaient des erreurs commises par leur consultant, comme le prétendait le couple. La SAI a conclu que ces contradictions nuisaient suffisamment à la crédibilité des époux :

En fait, même en faisant abstraction de la conclusion selon laquelle un échange d'information sur le témoignage oral de l’appelante a eu lieu avec le demandeur préalablement à ce qu'il témoigne, les conclusions quant à la crédibilité de ce dernier font en sorte que le tribunal conclut qu'il a livré un témoignage dénué de crédibilité.

[Je souligne.]

[14] La SAI a donc conclu que Mme Benzina ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que son mariage à M. Chemlal ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

(2) La SAI a erré en entachant la crédibilité de M. Chemlal sur le motif qu’il a communiqué avec Mme Benzina ou son conseil durant la pause

[15] La SAI a fondé sa conclusion que M. Chemlal a bénéficié d’avoir été informé du témoignage de Mme Benzina sur quatre aspects de l’audience. Elle a noté que (i) Mme Benzina et son conseil étaient en retard après la pause; (ii) les réponses de M. Chemlal semblaient « par moment avoir été télégraphiées en fonction du témoignage » de Mme Benzina; (iii) M. Chemlal a répondu, à son tour, à une question qui avait aussi été posée à Mme Benzina en disant « comme vous savez » et (iv) M. Chemlal a identifié immédiatement et en détail des erreurs dans les renseignements quant au nombre d’invités aux fiançailles et à la cérémonie du mariage. Mme Benzina argumente qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de baser une telle conclusion sur ces faits.

[16] À mon avis, il n’était pas déraisonnable que la SAI ait conclu, comme question de fait, qu’il y avait eu des communications durant la pause en question. Contrairement aux prétentions de Mme Benzina, la SAI n’a pas commis d’erreur au sujet de la durée de la pause. Une lecture de la transcription de l’audience révèle que la SAI a fait référence à la pause du matin de 20 minutes et non la pause de midi comme prétend Mme Benzina. Qui avait demandé la pause n’est pas pertinent.

[17] Par rapport à l’utilisation de la phrase « comme vous savez », je suis conscient que de tels termes sont souvent utilisés à titre d’expression à ne pas nécessairement prendre au sens littéral. Cependant, M. Chemlal a expliqué qu’il a utilisé l’expression « [p]arce qu’il y a ma femme qui m’écoute et [son conseil] ». La SAI est mieux placée que la Cour pour tirées des conclusions de crédibilité quant au témoignage et je ne peux pas conclure que la SAI a erré en rejetant cette explication comme inadéquate et non-crédible : Barm c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893 aux para 11–12; Vavilov au para 126. Ayant révisé la transcription, je ne peux pas conclure que l’appréciation de la SAI de la nature du témoignage de M. Chemlal était déraisonnable.

[18] Ceci dit, à mon avis, la question n’est pas ultimement à savoir si la SAI a erré en tirant l’inférence que M. Chemlal a communiqué avec Mme Benzina ou son avocat durant la pause. La question demande plutôt si la SAI a erré en entachant la crédibilité de M. Chemlal sur cette base, surtout sans lui poser la question. Je conclus qu’elle a erré à cet égard.

[19] Comme tribunal administratif et cour d’archives, la SAI a le pouvoir d’exclure les témoins de ses audiences : LIPR, art 174. L’article 41 des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 [Règles] interdit de communiquer à un témoin exclu de la salle d’audience le contenu des témoignages entendus pendant son absence avant qu’il n’ait fini de témoigner.

[20] Si une ordonnance d’exclusion des témoins est violée, le tribunal peut déterminer l’impact de la violation : Rivait v Monforton, 2007 ONCA 829 au para 6. Ceci peut inclure une inférence négative sur la crédibilité, soit une inférence soulevée par le fait que le témoin ne respecte pas l’assermentation et la promesse de dire la vérité : Patio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CanLII 24499 (CA CISR) au para 13; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CanLII 87474 (CA CISR) au para 7, citant Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA). La présomption de la véracité des témoins peut être entachée lorsque les témoins ne respectent pas les instructions de la SAI quant aux témoignages : Li au para 7.

[21] Par contre, dans le cas en l’espèce, il n’y a aucune indication dans le dossier que la SAI a émis une ordonnance excluant les témoins en général ou M. Chemlal en particulier. L’article 41 des Règles spécifie que l’interdiction de communiquer s’applique aux témoins exclus de la salle. Dans l’absence d’une telle exclusion, Mme Benzina n’était pas interdit par les Règles de communiquer avec M. Chemlal et il n’était pas interdit de communiquer avec elle. De plus, la SAI n’a pas informé ou instruit Mme Benzina ou M. Chemlal qu’il était interdit de communiquer le contenu de leurs témoignages durant les pauses. Tirer une conclusion négative quant à leur crédibilité à cause d’une telle communication n’est pas raisonnable dans ces circonstances.

[22] À cet égard, si la SAI veut exclure les témoins et/ou les interdire de communiquer, elle devrait « donner à l’appelant et au témoin des directives précises, consignées au dossier, sur les communications entre les séances » et que les témoins devraient être « identifiés et exclus au début de l’audience, afin que leur témoignage ne soit pas influencé par les témoignages précédents », tel que la Section d’appel des réfugiés exige de la Section de la protection des réfugiés dans le contexte de son pouvoir équivalent d’exclusion : X(RE), 2014 CanLII 90919 (CA CISR) au para 36; X(RE), 2014 CanLII 90769 (CA CISR) au para 21; Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, art 48.

[23] Cette conclusion n’est pas affectée par le fait que M. Chemlal n’était pas présent dans la salle d’audience, mais a témoigné par téléphone. Une ordonnance d’exclusion des témoins à la fois fait sortir les témoins de la salle d’audience pour qu’ils ne puissent pas entendre les témoignages d’autrui et déclenche l’interdiction de communication de l’article 41. Dans le contexte de litige moderne dans lequel les cours et les tribunaux entendent souvent les témoignages par l’entremise de télécommunication, il est mieux de reconnaitre que la salle d’audience peut avoir des aspects « virtuels » et qu’un témoin peut être exclu de la « salle d’audience » même s’il n’est pas physiquement « dans » la salle.

[24] Je note finalement que la conclusion de la SAI était fondée sur le simple fait de la communication et non sur un déni non-crédible de la communication. La SAI n’a pas posé la question à M. Chemlal pour lui permettre de le nier, l’admettre ou l’expliquer. Au lieu, la SAI a simplement entaché la crédibilité de M. Chemlal pour ne pas avoir suivi des instructions qui ne lui avaient jamais été communiquées. Il n’était pas raisonnable d’entacher la crédibilité de M. Chemlal sur cette base.

(3) L’erreur précédente n’était pas déterminante

[25] Malgré que la SAI a erré en tirant une inférence négative quant à la crédibilité de M. Chemlal de sa détermination qu’il avait eu des communications entre les témoins lors de la pause, en lisant la décision de la SAI dans son ensemble cette lacune n’est pas suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov aux para 85, 100.

[26] Tel que reproduit au paragraphe [13] ci-dessus, la SAI a déclaré que « même en faisant abstraction » de sa conclusion fondée sur l’échange d’information, ses autres déterminations quant à la crédibilité suffisent pour conclure que M. Chemlal manquait de crédibilité. Mme Benzina argumente que la décision de la SAI révèle que sa conclusion fondée sur le partage de témoignage affecte tout le raisonnement et entache ses autres conclusions. Je ne suis pas d’accord. La déclaration de la SAI que les autres déterminations de crédibilité étaient suffisantes pour nuire à la crédibilité de M. Chemlal est claire. Elle devrait être acceptée à moins qu’il y ait d’autres indications dans les motifs qui portent atteinte aux déclarations. Contrairement aux prétentions de Mme Benzina, je n’en trouve aucun.

[27] Ceci étant le cas, la décision de la SAI est raisonnable si les autres inférences négatives quant à la crédibilité sur lesquelles la décision est fondée sont raisonnables. Pour les raisons suivantes, je trouve qu’elles le sont.

(4) La SAI n’a pas erré dans son appréciation de l’incohérence quant au nombre d’invités aux fiançailles et au mariage

[28] Je ne trouve rien de déraisonnable de l’inférence négative qui a été tirée par la SAI par rapport aux incohérences relatives au nombre d’invités aux fiançailles et au mariage. La SAI a remarqué que dans le formulaire « Renseignements sur la relation et évaluation du parrainage » rempli par Mme Benzina et M. Chemlal, ils ont indiqué qu’il y avait six invités à leur célébration de fiançailles et douze invités à leur cérémonie de mariage. Lors de son entrevue avec un agent des visas, M. Chemlal a répété qu’il y avait douze invités au mariage. La SAI a affirmé que ce nombre d’invités au mariage fut constant avec les photos du mariage déposées dans la demande de parrainage. Cependant, lors de l’audience devant la SAI, Mme Benzina et M. Chemlal ont avisé la SAI qu’il y avait douze invités à leur célébration de fiançailles et une soixantaine à leur mariage.

[29] À l’audience devant la SAI, Mme Benzina et M. Chemlal ont expliqué que ce fut l’erreur du consultant qui les a aidés avec leur demande et qui a probablement mélangé les dates des évènements et les nombres d’invités. La SAI a rejeté cette explication étant donné que Mme Benzina et M. Chemlal ont signé le formulaire signifiant que son contenu, incluant le nombre d’invités, est véridique, complet et exact. En outre, la SAI a noté que les photos du mariage semblent avoir été prises uniquement pour démontrer l’authenticité du mariage, qu’elles démontrent seulement une douzaine d’invités et que M. Chemlal a témoigné lors de son entrevue avec l’agent des visas qu’il n’y avait qu’une douzaine d’invités.

[30] La SAI a clairement soupesé les contradictions dans le dossier et l’explication de Mme Benzina et M. Chemlal et a trouvé cette explication insuffisante. Sa conclusion était justifiée, transparente et intelligible dans le contexte de la preuve devant elle, par conséquent, elle était raisonnable : Vavilov aux para 99–101.

(5) La SAI n’a pas erré dans son appréciation des demandes antécédentes de permis d’études de M. Chemlal

[31] M. Chemlal a fait des demandes de permis d’études au Canada en mai 2015 et avril 2016, qui ont été refusées. Or, il n’a pas dévoilé ces refus dans la demande de parrainage, et a répondu « non » à la question de savoir s’il « a déjà reçu le refus du statut de réfugié d’un visa d’immigrant ou de résident permanent (incluant un Certificat de sélection du Québec (CSQ) ou d’une demande au Programme des candidats des provinces) ou de visiteur ou de résident temporaire pour aller au Canada ou dans tout autre pays? » Lors de son entrevue avec l’agent des visas, M. Chemlal a admis qu’il avait été refusé un permis d’études à deux reprises, mais lors de l’audience de la SAI il a indiqué qu’il avait déposé ces demandes de permis d’études en 2012 et 2015 au lieu de 2015 et 2016.

[32] Lorsque la SAI a invité M. Chemlal à expliquer cette contradiction, il prétend que l’erreur dans le formulaire était celle du consultant et « qu’il savait que les autorités canadiennes allaient avoir en main les refus passés et qu’il n’avait aucune raison de mentir ». Il a expliqué davantage qu’il croyait avoir fait sa première demande de permis d’études en 2012, d’abord tout juste après l’obtention de son baccalauréat au Maroc.

[33] La SAI n’a pas accepté ces explications. Elle a rejeté l’argument que l’erreur dans le formulaire était celle du consultant pour le même motif qu’elle a rejeté cette même explication quant au nombre d’invités aux célébrations de fiançailles et du mariage. M. Chemlal a signé ce formulaire, attestant à sa véracité. De plus, la SAI a remarqué que M. Chemlal semblait avoir réalisé l’erreur avant l’audience de la SAI, mais ne l’a jamais corrigée.

[34] La SAI n’a aussi pas accepté l’explication que M. Chemlal n’avait aucune raison de mentir car les autorités canadiennes avaient cette information. Le fait d’avoir été refusé deux permis d’études est matériel à la question de savoir si le mariage est de bonne foi, en vertu du paragraphe 4(1) du RIPR. Par conséquent quelqu’un qui cherche être parrainé par son épouse pourrait être motiver à omettre la divulgation de permis refusés antérieurement.

[35] La SAI a rejeté son explication par rapport à sa demande de permis d’étude en 2012 au lieu de 2016. La SAI a remarqué que ce fut une différence de plusieurs années et non plusieurs mois, et que ses deux demandes de permis d’études ont été refusées à peine onze mois d’intervalle. De plus, la dernière demande de permis d’étude a été refusée à peine trois mois avant que M. Chemlal ait rencontré Mme Benzina. En outre, la SAI a remarqué que M. Chemlal n’avait aucune connaissance de ses projets d’études au Canada.

[36] La SAI a clairement justifié pourquoi elle n’acceptait pas les explications de M. Chemlal. Elle a aussi bien expliqué pourquoi ces contradictions minaient à la crédibilité de M. Chemlal et pourquoi, en conséquence, la SAI a déterminé que l’intention primordiale du mariage était l’acquisition d’un statut au Canada. La décision était justifiée, transparente et intelligible.

B. Il n’y a aucune indication que la SAI a agi de mauvaise foi

[37] Mme Benzina allègue que la SAI, en accusant le couple d’avoir communiqué durant la pause, a fait preuve de mauvaise foi ce qui enfreint les règles de l’équité procédurale. Je ne suis pas du même avis. Il existe une distinction importante entre une erreur commise par un tribunal administratif et de la mauvaise foi. Dans le cas en l’espèce, il n’y a aucune indication que les conclusions de la SAI, ou son erreur, découlaient de mauvaise foi.

[38] Les prétentions écrites de Mme Benzina suggèrent qu’une « simple lecture de la décision en comparaison avec la transcription des segments pertinents de l’enregistrement de l’audience concernée, fait ressortir clairement que le tribunal avait une mauvaise foi, la preuve est criante. » Aucun autre détail est donné à cet égard. Ayant lu la transcription et la décision, je ne suis pas d’accord qu’il ressort – « clairement » ou non – que le tribunal a agi de mauvaise foi.

[39] Lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, le conseil de Mme Benzina s’appuyait principalement sur le fait que la SAI l’a accusé d’avoir demandé la pause pendant laquelle il y avait eu une prétendue communication, bien que ce n’était pas lui qui l’avait demandé. Comme j’ai remarqué ci-haut, Mme Benzina se trompe en se référant à la pause du midi au lieu de la pause du matin. Juste avant 11 h, le Commissaire a demandé si le conseil de Mme Benzina voulait prendre une pause. Il a répondu que oui. Je ne vois pas d’erreur à ce sujet, ni de pertinence. De toute façon, une erreur relative à qui avait demandé la pause ne pourrait pas être une preuve de mauvaise foi suffisante.

[40] Il existe une présomption d’impartialité et de bonne foi de la part de la SAI: Freeman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1065 au para 25, citant La Ville Saint-Laurent c Marien, [1962] SCR 580 à la p 585. La Cour suprême du Canada a exigé que la partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions et que le test applicable est à demander si « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » croirait, selon toute vraisemblance, que le décideur, « consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » : R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 aux para 31, 105. Le seuil à atteindre est très élevé : Fouda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1176 au para 23, citant Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139 au para 2 et AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1385 au para 141. Les allégations de Mme Benzina sont loin d’atteindre ce seuil.

[41] Je termine avec la réitération qu’une allégation de mauvaise foi de la part d’un tribunal est une allégation sérieuse. Elle va au cœur des fonctions du tribunal et de sa capacité d’agir impartialement. Elle ne doit pas être soulevée de façon légère ou sans fondement substantiel. À mon avis, l’allégation n’aurait même pas dû être soulevée en l’espèce.

IV. Conclusion

[42] La SAI a entaché la crédibilité de Mme Benzina et M. Chemlal et a déterminé que leur mariage visait principalement l’acquisition d’un statut au Canada de façon raisonnable. De plus, la SAI n’a pas enfreint les règles d’équité procédurale lorsqu’elle a conclu que le contenu du témoignage de Mme Benzina a été communiqué à M. Chemlal.

[43] La demande de contrôle judiciaire doit, par conséquent, être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je constate que l’affaire n’en soulève aucune.

[44] Enfin, par souci d’uniformité et conformément au paragraphe 4(1) de la LIPR ainsi que la règle 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, l’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1968-20

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1968-20

 

INTITULÉ :

AICHA BENZINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Mohammed Samir Lahmoum

 

Pour LE DEMANDEresse

 

Me Suzon Létourneau

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mohammed Samir Lahmoum

Longueuil (Québec)

 

Pour lE DEMANDEresse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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