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Date : 20210708


Dossier : T‑834‑20

Référence : 2021 CF 726

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS

EN IMMIGRATION DU CANADA

demandeur

(défendeur reconventionnel)

et

CICC THE COLLEGE OF IMMIGRATION AND CITIZENSHIP CONSULTANTS CORP., NUHA NANCY SALLOUM et RYAN DEAN

défendeurs

ET ENTRE :

CICC THE COLLEGE OF IMMIGRATION

AND CITIZENSHIP CONSULTANTS CORP.

demanderesse reconventionnelle

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans la présente requête, la défenderesse, Nuha Nancy Salloum, interjette appel, en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], de l’ordonnance du 10 décembre 2020 rendue par la protonotaire Furlanetto (tel était alors son titre) [la protonotaire], par laquelle la Cour a ordonné que la défenderesse/demanderesse reconventionnelle CICC The College of Immigration and Citizenship Consultants Corp. [CICC] nomme un avocat au dossier et signifie un avis de nomination conformément aux Règles.

[2] Comme je l’expliquerai en détail plus loin, la présente requête sera rejetée, parce que la protonotaire a appliqué le droit approprié en décidant d’ordonner à CICC de nommer un avocat et, ce faisant, elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante.

II. Le contexte

A. Les parties

[3] Le demandeur, le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [le CRCIC], est un organisme national d’autoréglementation qui supervise les consultants réglementés en immigration et en citoyenneté au Canada. Il est désigné ainsi en vertu du paragraphe 91(5) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 et du paragraphe 21.1(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29. Les articles 83 à 85 de la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté, LC 2019, c 29, art 292 [la Loi sur les consultants], qui a reçu la sanction royale en juin 2019 et est entrée en vigueur en décembre 2020, prévoient un mécanisme autorisant le CRCIC à poursuivre ses activités en tant qu’organisme de réglementation sous le nom de « Collège des consultants en immigration et en citoyenneté ».

[4] La défenderesse CICC est une société qui a été constituée sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C‑44 le 25 octobre 2019. La défenderesse Nuha Nancy Salloum est présidente et cheffe de l’exploitation de CICC. Le défendeur Ryan Dean était chef de la direction de CICC, jusqu’à ce qu’il remette sa lettre de démission le 7 décembre 2020.

[5] Comme je l’expliquerai plus loin, Sa Majesté la Reine [la Couronne] est également partie à la présente instance à titre de défenderesse reconventionnelle.

B. L’action sous‑jacente

[6] L’action sous‑jacente est un litige portant sur les marques de commerce et le droit d’auteur. Le CRCIC allègue que les défendeurs ont enfreint des dispositions de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13. CICC a présenté une demande reconventionnelle pour obtenir réparation contre le CRCIC et la Couronne au titre de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42.

[7] Le CRCIC a déposé une requête en injonction interlocutoire visant à empêcher les défendeurs d’utiliser le nom de « CICC The College of Immigration and Citizenship Consultants Corp. » et ses variantes. Cette requête a été entendue par la juge Fuhrer le 20 novembre 2020 et a été accueillie par voie d’ordonnance le 24 décembre 2020.

C. Le contexte ayant mené à l’ordonnance contestée

[8] Au moment où l’action a été intentée, les défendeurs étaient collectivement représentés par un avocat. Cependant, ils ont renvoyé leur avocat avant le contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits déposés dans le cadre de la requête en injonction interlocutoire. Les défendeurs ont ensuite déposé des avis afin d’agir pour leur propre compte dans la présente instance, Mme Salloum visant à représenter CICC. En réponse, la Cour a ordonné qu’à titre de personne morale, CICC soit représentée par un avocat, à moins qu’elle obtienne l’autorisation de se faire représenter par un de ses dirigeants, aux termes de l’article 120 des Règles.

[9] Le 19 octobre 2020, Mme Salloum a présenté une requête au titre de l’article 120 des Règles. À l’appui de cette requête, elle a souscrit des affidavits, dans lesquels elle déclare que CICC est une société qui offre ses services gratuitement, ne détient pas de compte bancaire, ne perçoit pas de frais d’adhésion ni de compensation et ne conserve aucun revenu. Elle a également déclaré avoir utilisé toute sa marge de crédit disponible pour financer les frais de justice quand CICC était auparavant représentée par avocat. Dans ses observations, elle a soutenu être l’unique propriétaire des actions ordinaires de CICC, et qu’elle serait obligée de consentir une hypothèque sur sa maison pour payer un avocat si elle n’était pas autorisée à représenter la société.

[10] Le 3 novembre 2020, la protonotaire a rendu une ordonnance accordant à Mme Salloum l’autorisation de représenter CICC à l’étape de la requête préliminaire [l’ordonnance de novembre]. L’ordonnance de novembre prévoit également ce qui suit :

[traduction]

[…] Cependant, je conserverai le pouvoir discrétionnaire d’examiner, sur une base régulière, la question de la représentation s’il devenait clair que Mme Salloum est incapable de gérer la complexité de l’instance pour le compte de la défenderesse sans l’aide d’un avocat et/ou si l’affaire n’avance plus assez rapidement.

D. L’ordonnance faisant l’objet de l’appel

[11] Le 3 décembre 2020, la protonotaire a tenu une conférence de gestion de l’instance [la CGINS] pour aborder, entre autres choses, le déroulement de l’instance. À la suite de la CGINS, la protonotaire a rendu l’ordonnance du 10 décembre 2020 [l’ordonnance de décembre], qui est frappée d’appel par la présente requête. La protonotaire a notamment ordonné que CICC nomme un avocat au dossier et dépose un avis de nomination conformément à la formule 124B des Règles. L’ordonnance de décembre exigeait que ces mesures soient prises au plus tard le 28 décembre 2020, mais ce délai a ensuite été prorogé au moyen de directives émises par la Cour, la dernière fois le 26 avril 2021, de sorte que la date limite actuelle est le 16 juillet 2021.

III. La question en litige

[12] Dans la présente requête, Mme Salloum sollicite une ordonnance accueillant son appel et l’autorisant à continuer de représenter CICC. À titre subsidiaire, si le présent appel est rejeté, elle demande une prorogation de délai de 30 jours, à partir de la date de la décision de la Cour, pour nommer un avocat pour représenter CICC.

[13] M. Dean appuie la requête de Mme Salloum. Le CRCIC est d’avis que la requête devrait être rejetée, un point de vue qu’appuie la Couronne.

[14] Par conséquent, la seule question de fond soulevée dans le cadre de la présente requête est de savoir si la protonotaire a commis une erreur en ordonnant à CICC de nommer un avocat.

IV. La norme de contrôle

[15] Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, la Cour d’appel fédérale a établi que la décision d’un protonotaire portée en appel devant un juge de notre Cour est assujettie à la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen]. Compte tenu de cette norme, la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a un principe juridique isolable en cause. Autrement, les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les deux parties conviennent qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable en l’espèce.

V. Analyse

[16] Le principal argument invoqué par Mme Salloum à l’appui de son appel est que CICC n’a pas les moyens de se payer un avocat, et que la protonotaire a commis une erreur en rendant l’ordonnance de décembre la sommant de nommer un avocat, car elle n’a pas tenu compte de l’indigence de la société. Je signale que, dans le cadre de ses observations orales présentées à l’audience du présent appel, Mme Salloum a aussi fait valoir que la protonotaire avait fait preuve de partialité dans l’ordonnance de décembre, puisque celle‑ci aura pour effet d’empêcher CICC de se défendre dans la présente instance, en raison du fait qu’elle n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat. Cependant, Mme Salloum n’a présenté aucune preuve ni observation qui étayeraient une conclusion de partialité. Par conséquent, mon analyse du présent appel portera sur son argument principal selon lequel la protonotaire n’a pas dûment tenu compte de l’incapacité de CICC de se payer un avocat.

[17] Mme Salloum se fonde sur la décision Alpha Marathon Technologies Inc c Dual Spiral Systems Inc, 2005 CF 1582 [Alpha], dans laquelle la juge Snider a expliqué les facteurs dont la Cour doit tenir compte lorsqu’elle est saisie d’une requête présentée au titre de l’article 120 des Règles (aux para 3‑4) :

[3] Les parties sont d’accord pour dire que les facteurs dont la Cour doit tenir compte lorsqu’elle est saisie d’une requête présentée en vertu de l’article 120 des Règles sont ceux qui ont été posés dans le jugement Kobetek Systems Ltd. c. Canada, [1998] 1 C.T.C. 308, 98 G.T.C. 6041 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, à savoir :

1. si l’entreprise peut s’offrir les services d’un avocat;

2. si le représentant proposé sera tenu de comparaître comme porte‑parole et comme témoin;

3. si les questions de droit à trancher sont complexes (et, par conséquent, si le représentant semble être en mesure de débattre les questions de droit);

4. si l’action peut se poursuivre de manière expéditive.

[4] Ces facteurs constituent les « circonstances particulières » qui doivent exister pour que le tribunal puisse autoriser un non‑juriste à représenter une personne morale. Bien que ces facteurs ne soient pas nécessairement déterminants ou exhaustifs (Chase Bryant Inc. c. Canada, [2002] A.C.I. no 663, (au paragraphe 6 (C.C.I.)), l’obligation imposée au demandeur de prouver l’existence de circonstances particulières constitue une lourde charge (Source Seville Corp. c. Source Personnel Inc. [1995] A.C.F. no 1658 (Q.L.)(C.F. 1re inst.), au paragraphe 4). Le demandeur doit soumettre des « éléments de preuve clairs et non équivoques » établissant l’existence de circonstances particulières, c’est‑à‑dire de circonstances qui sont « inhabituelles, peu communes et exceptionnelles, et qui sont attribuables à des forces extérieures par opposition à des actes volontaires de la défenderesse » (Source Services, aux paragraphes 4 et 5).

[18] En mettant l’accent sur le premier facteur énoncé dans la décision Alpha (c.‑à‑d. si l’entreprise peut s’offrir les services d’un avocat), Mme Salloum insiste aussi sur l’énoncé tiré de la même décision selon lequel la capacité de la société de s’offrir les services d’un avocat constitue sans doute le facteur le plus important dont la Cour doit tenir compte (au paragraphe 5).

[19] Mme Salloum se fonde sur sa preuve par affidavit pour appuyer sa thèse selon laquelle CICC ne peut s’offrir les services d’un avocat. Elle déclare que CICC n’a jamais accepté aucune forme de compensation, que ce soit en argent ou autre, pour ses services, qu’elle ne perçoit pas de frais d’adhésion et qu’elle n’a pas de compte bancaire. Mme Salloum déclare aussi qu’elle a déjà utilisé la marge de crédit dont elle disposait pour financer des frais de justice de la société et que cette marge est épuisée. Mme Salloum soutient que le seul moyen par lequel elle pourrait payer un avocat pour CICC serait de consentir une hypothèque sur sa maison, dans laquelle d’autres membres de sa famille ont aussi un intérêt. Elle fait valoir qu’on ne devrait pas s’attendre à ce que sa famille et elle engagent de tels frais personnels pour financer la représentation juridique de la société.

[20] Pour établir si ces arguments soulèvent une erreur relativement à la norme énoncée dans l’arrêt Housen, il convient d’examiner l’analyse de la protonotaire, comme l’a démontré la combinaison des ordonnances de novembre et de décembre. L’ordonnance de novembre, qui accordait à Mme Salloum l’autorisation de représenter CICC à l’étape de la requête préliminaire de la présente instance, faisait référence à ses observations relatives à l’indigence de la société :

[traduction]

La Cour signale que la société défenderesse et Mme Salloum participent à d’autres procédures devant la Cour (dossier T‑1033‑20). La société défenderesse est représentée par un avocat dans le cadre de ces procédures. Mme Salloum soutient qu’elle s’est procuré une marge de crédit personnelle afin de payer les frais d’avocat. Elle avance que, si elle devait retenir les services d’un avocat dans le cadre de la présente instance, elle devrait le payer à titre personnel en consentant une hypothèque sur sa maison, puisque la société défenderesse ne possède aucun actif liquide pouvant servir à titre de paiement. Mme Salloum fait valoir que son ancien avocat a été renvoyé du dossier en partie en raison des honoraires facturés et de son incapacité de continuer à payer ces honoraires, et qu’elle ne peut se permettre de financer l’action à titre personnel, pour le compte de la société.

[21] L’ordonnance de novembre énonçait ensuite que le CRCIC n’avait pas pris position au sujet de la requête présentée au titre de l’article 120 des Règles, puisque sa principale préoccupation était de s’assurer que sa requête en injonction interlocutoire soit entendue en temps opportun. La protonotaire a également fait remarquer que, bien que Mme Salloum souscrirait probablement un affidavit dans le cadre de l’instance, elle agirait pour son propre compte, peu importe que CICC soit représentée ou non par un avocat. Compte tenu de ces facteurs, la protonotaire a décidé d’autoriser Mme Salloum à représenter CICC, au moins à l’étape de la requête préliminaire. Cependant, l’ordonnance de novembre maintenait le pouvoir discrétionnaire de la protonotaire de réexaminer la question de la représentation à l’avenir, s’il devenait clair que Mme Salloum était incapable de gérer la complexité de l’instance pour le compte de CICC sans l’aide d’un avocat, ou si l’instance ne progressait plus assez rapidement.

[22] L’ordonnance de décembre répétait une fois de plus que la Cour conservait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer la question de la représentation, puis relevait un certain nombre de considérations, à la lumière desquelles la protonotaire a conclu que Mme Salloum aurait de la difficulté à gérer la complexité des questions juridiques en litige, et que l’instance ne pourrait se poursuivre de manière expéditive sans l’aide d’un avocat agissant pour le compte de CICC. Je reviendrai sur ces considérations plus loin dans les présents motifs.

[23] La combinaison des ordonnances de novembre et de décembre montre clairement que la protonotaire connaissait les facteurs énoncés dans la décision Alpha. Les deux ordonnances renvoient à la décision Alpha ainsi qu’à l’arrêt subséquent El Mocambo Rocks Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), 2012 CAF 98 [El Mocambo], rendu par la Cour d’appel fédérale. De plus, l’ordonnance de novembre énonce expressément les facteurs applicables, y compris la question de savoir si la société peut s’offrir les services d’un avocat et, dans le paragraphe cité plus haut, les observations de Mme Salloum relatives à ce facteur. Par conséquent, malgré le fait que l’ordonnance de décembre ne mentionne pas expressément ce facteur, il est clair que la protonotaire connaissait le droit applicable. En appliquant la norme de la décision correcte, rien ne me permet de conclure que la protonotaire a commis une erreur de droit.

[24] En ce qui a trait à l’application du droit aux faits de l’espèce, bien que la protonotaire ait examiné les observations de Mme Salloum quant à sa capacité de payer un avocat pour CICC, je ne considère pas que des conclusions particulières aient été tirées relativement à ce facteur dans l’ordonnance de novembre. De même, bien que l’ordonnance de décembre souligne que CICC est déjà représentée dans le cadre d’une autre instance devant la Cour, la protonotaire ne tire aucune conclusion particulière quant à la capacité de CICC de payer un avocat. Au moment d’établir si cette situation soulève une erreur manifeste et dominante, j’ai tenu compte de l’observation de Mme Salloum selon laquelle la décision Alpha précise que la capacité de s’offrir les services d’un avocat est le facteur le plus important dont la Cour doit tenir compte. La lecture du paragraphe entier de la décision Alpha, qui contient cet énoncé, aide à comprendre celui‑ci :

[5] La capacité de Dual Systems Inc. de s’offrir les services d’un avocat constitue sans doute le facteur le plus important dont la Cour doit tenir compte. Dans le jugement Chase Bryant Inc., au paragraphe 7, la Cour canadienne de l’impôt explique, sous la plume du juge en chef adjoint Bowman que, lorsqu’une entreprise peut s’offrir les services d’un avocat, [traduction] « il est difficile d’imaginer des circonstances qui justifieraient un écart par rapport au principe exigeant qu’une personne morale soit représentée par un avocat ». La Cour d’appel fédérale a expliqué que « la Cour doit être convaincue que les personnes morales n’ont réellement pas les moyens de retenir les services d’un avocat (S.A.R. Group Relocation Inc. c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 367, au paragraphe 2).

[25] À mon avis, la juge Snider ne laissait pas entendre que l’incapacité d’une société à payer les services d’un représentant juridique constituait une considération essentielle garantissant le succès d’une requête présentée au titre de l’article 120 des Règles. Elle a plutôt expliqué que, dans les circonstances où une entreprise pouvait se payer un avocat, une requête présentée au titre de l’article 120 des Règles aurait peu de chances d’être accueillie.

[26] En l’espèce, bien que la protonotaire ait pris connaissance des observations de Mme Salloum quant à l’indigence de la société, les décisions rendues dans les ordonnances de novembre et de décembre portaient sur d’autres considérations.

[27] L’ordonnance de novembre accordait à Mme Salloum l’autorisation, aux termes de l’article 120 des Règles, de représenter CICC à l’étape de la requête préliminaire, laquelle correspond selon moi à la requête en injonction interlocutoire présentée par le CRCIC qui était en instance à ce moment‑là. La décision d’accorder l’autorisation reposait en grande partie sur les bénéfices que représentait une audience se déroulant rondement et une décision rapide concernant la requête en injonction. La protonotaire a signalé que Mme Salloum était susceptible de témoigner dans l’instance, ce qui correspond à l’un des facteurs énoncés dans la décision Alpha. Cependant, puisque Mme Salloum agirait de toute façon à titre d’avocate pour son propre compte, la protonotaire n’a pas estimé que ce facteur empêchait d’accorder une autorisation aux termes de l’article 120 des Règles.

[28] Au moment de la CGINS du 3 décembre 2020, qui a débouché sur l’ordonnance de décembre, la requête en injonction interlocutoire du CRCIC avait déjà été entendue par la juge Fuhrer le 20 novembre 2020. La décision de la protonotaire d’ordonner à CICC de nommer un avocat à cette étape reposait sur les troisième et quatrième facteurs énoncés dans la décision Alpha, c’est‑à‑dire la complexité des questions de droit à trancher et la question de savoir si Mme Salloum serait en mesure d’en débattre, ainsi que celle de savoir si l’action pourrait se poursuivre de manière expéditive, tandis que Mme Salloum agirait à titre d’avocate de la société défenderesse.

[29] J’ai examiné la question de savoir si la protonotaire avait commis une erreur manifeste et dominante en rendant sa décision, dans le contexte de la preuve présentée par Mme Salloum quant à l’incapacité de CICC de payer un avocat et à l’absence de conclusion expresse de la protonotaire concernant ce facteur. Pour répondre à cette question, je m’appuie sur l’arrêt El Mocambo, dans lequel le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale a expliqué le fonctionnement des facteurs à prendre en considération pour déterminer si une partie a établi l’existence de circonstances particulières, comme le requiert l’article 120 des Règles (au para 3) :

[3] Pour démontrer l’existence de circonstances particulières selon l’article 120 des Règles dans le contexte d’un appel interjeté devant la Cour – et bien que d’autres facteurs puissent s’appliquer selon la nature de l’appel – une personne morale doit au moins démontrer : a) qu’elle n’a pas les moyens de se payer un avocat; b) que les questions en litige dans l’appel ne sont pas complexes au point d’aller au‑delà des capacités raisonnables du représentant proposé; et c) que le représentant proposé peut s’occuper promptement de l’appel.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Tel qu’il est mentionné dans l’arrêt El Mocambo, d’autres facteurs peuvent orienter l’examen d’une requête présentée au titre de l’article 120 des Règles. Par conséquent, les facteurs qui y sont énoncés ne sauraient être considérés comme formant un critère définitif. Néanmoins, le juge Mainville explique qu’une société qui sollicite un allègement au titre de l’article 120 des Règles doit au moins démontrer que ces facteurs étayent une conclusion selon laquelle les facteurs doivent être considérés comme étant conjonctifs. Certes, compte tenu de ce précédent, le fait de ne pas considérer les facteurs comme étant conjonctifs dans une affaire en particulier ne constituerait pas une erreur manifeste et dominante. Selon mon interprétation du raisonnement de la protonotaire en l’espèce, la conclusion selon laquelle Mme Salloum serait incapable de gérer la complexité des questions juridiques et de faire progresser l’instance rapidement (c.‑à‑d. le défaut de satisfaire à ces facteurs) était déterminante. La protonotaire a donc conclu qu’un allègement accordé aux termes de l’article 120 des Règles n’était pas approprié au‑delà de l’étape de la requête en injonction interlocutoire. Je conclus que ce raisonnement ne contient aucune erreur manifeste et dominante.

[31] Je comprends également que Mme Salloum conteste les conclusions de la protonotaire à l’égard de ces facteurs. L’ordonnance de décembre énonce que la décision relative à ces facteurs était fondée sur les documents déposés et le comportement adopté durant la procédure ayant mené à la requête en injonction interlocutoire du CRCIC, ainsi que dans les étapes ayant suivi le dépôt de cette requête. Par souci du détail, voici les éléments auxquels la protonotaire fait référence :

  1. Un grand nombre de lettres et de courriels envoyés à la Cour par Mme Salloum, en plus des documents et des étapes envisagés par les Règles, y compris la correspondance sollicitant les conseils de la Cour quant aux démarches à entreprendre;

  2. Le fait que la Cour considère impératif de rétablir l’ordre dans l’instance, afin qu’elle progresse efficacement et de manière logique;

  3. Les exigences que comportent les activités de la Cour et le fait que les affaires ne peuvent être entendues au moment où elles sont déposées ou présentées;

  4. Le fait que les défendeurs cherchent à introduire une nouvelle partie à l’instance et à étendre la portée de leur demande reconventionnelle, ce qui complexifie la procédure;

  5. Le fait que CICC a l’intention de présenter au moins trois requêtes supplémentaires comme prochaines étapes de l’instance.

[32] Je comprends que Mme Salloum ne conteste pas la détermination, par la protonotaire, des mesures que les défendeurs entendaient prendre dans l’instance. Cependant, elle conteste la conclusion de la protonotaire selon laquelle sa correspondance avec la Cour avait atteint un niveau inapproprié, que ce soit en termes de volume ou de contenu, créant ainsi la nécessité de retenir les services d’un avocat pour rétablir l’ordre dans la procédure. Selon Mme Salloum, cette conclusion est fondée sur sa correspondance avec la Cour en réponse à celle de l’avocat du CRCIC, qui avait fourni la mauvaise date d’entrée en vigueur de la Loi sur les consultants.

[33] À l’appui de la présente requête, Mme Salloum a déposé une copie de la transcription de la CGINS ayant mené à l’ordonnance de décembre. La correspondance entourant la date à laquelle la Loi sur les consultants est entrée en vigueur constituait le sujet de la discussion entre Mme Salloum, la protonotaire et la juge Fuhrer, qui participait également à la CGINS. La transcription montre que Mme Salloum avait fait valoir qu’elle était obligée d’envoyer la correspondance qui préoccupait la protonotaire, afin de corriger la mauvaise date qui avait été fournie par l’avocat du CRCIC.

[34] La juge Fuhrer a abordé cet argument en signalant que la correspondance en cause de l’avocat du CRCIC était une lettre qui tenait sur deux phrases, et que Mme Salloum aurait dû y répondre de manière factuelle, en mentionnant que la date d’enregistrement du décret applicable était différente de la date d’émission du décret. La juge Fuhrer a indiqué que la réponse déposée par Mme Salloum n’était pas adéquate.

[35] Je suis conscient qu’il s’agit des commentaires de la juge Fuhrer, et non de la protonotaire. Cependant, durant la CGINS, les deux officiers de justice ont exprimé des préoccupations similaires quant au volume et à la nature de la correspondance que la Cour avait récemment reçue. Après avoir examiné la transcription, je conclus que les arguments de Mme Saloum, à savoir que sa correspondance avec la Cour au sujet de la Loi sur les consultants était appropriée, ne soulèvent aucune erreur manifeste et dominante de la part de la protonotaire.

[36] Finalement, je signale qu’en conclusion de ses observations présentées en réponse au cours de l’appel, Mme Salloum a fait référence à une correspondance avec le barreau concernant des circonstances qui, selon elle, pourraient soulever un conflit d’intérêts relativement à la participation des avocats des autres parties dans la présente instance. Mme Salloum a encouragé la Cour à examiner cette question au moment de trancher son appel. Je dirai uniquement qu’aucune requête ni aucun élément de preuve soulevant un conflit d’intérêts de la part d’un ou l’autre des avocats n’a été présenté à la Cour dans la présente instance.

[37] Comme je n’ai relevé aucune erreur de la part de la protonotaire en fonction de la norme énoncée dans l’arrêt Housen, la présente requête et le présent appel doivent être rejetés. À l’audience, aucune des parties n’a abordé la demande de Mme Salloum voulant qu’en cas de rejet de l’appel, la Cour accorde 30 jours à CICC, à partir de la date de sa décision, pour nommer un avocat. Je suis d’avis qu’il convient d’accorder un peu de temps à CICC pour se plier à l’ordonnance de la Cour, une fois que l’issue du présent appel sera connue, et je conclus que le délai proposé est raisonnable. Je le préciserai dans mon ordonnance.

VI. Les dépens

[38] Les deux parties, CICC et le CRCIC, ont sollicité les dépens contre l’autre partie en cas de succès dans le cadre de la présente requête. Le CRCIC a eu gain de cause et propose qu’on lui accorde une somme globale de 1000 $ à titre de dépens. Néanmoins, la question des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et, dans les circonstances de l’espèce, j’adjuge des dépens suivant l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‑834‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête et l’appel de Mme Salloum sont rejetés.

  2. Un délai de 30 jours est accordé à CICC The College of Immigration and Consultants Corp., à partir de la date de la présente ordonnance, pour qu’elle nomme un avocat au dossier et dépose un avis de nomination d’un avocat conformément à la formule 124B des Règles des Cours fédérales.

  3. Les dépens de la présente requête suivront l’issue de la cause.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑834‑20

 

INTITULÉ :

CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA c cicc the college of immigration and citizenship consultants copr., nuha nancy salloum et ryan dean et entre cicc the college of immigration and citizenship consultants corp c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À VANCOUVER

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JUIN 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 8 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Gervas Wall

Michelle Noonan

POUR LE DEMANDEUR

(Défendeur reconventionnel)

Nuha Nancy Salloum

Ryan Dean

POUR LES DÉFENDEURS

(Parties agissant pour leur propre compte)

Jennifer Chow

POUR LA DÉFENDERESSE

(représentant Sa Majesté la Reine)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deeth Williams Wall LLP

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

(Défendeur reconventionnel)

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

(représentant Sa Majesté la Reine)

 

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