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Date: 19980422

Dossier: IMM-2764-97

ENTRE :

ROSE MARY TORO

STEFANY MARGOT CAMACHO

GERARDO ANIBAL TORO

Partie requérante

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Partie intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

M. LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision en date du 10 juin 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après appelée la Section du statut de réfugié] a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      La requérante principale, Rose Mary Toro, qui est la mère des deux requérants mineurs, est originaire du Panama et soutient craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social.

[3]      La requérante principale est venue pour la première fois au Canada au mois d'août 1988 et a demandé le statut de réfugié, mais elle a retiré sa demande en juillet 1989, lorsqu'elle a déménagé au Costa Rica, où elle est restée jusqu'en janvier 1990 pour retourner ensuite au Panama.

[4]      Le père de la requérante principale, Demetrio Rodriguez, était un ex-lieutenant du service du renseignement militaire pendant le régime de Manuel Noriega. Il a été remis en liberté en septembre 1993, après avoir été emprisonné pendant quatre ans parce qu'il avait été accusé d'avoir participé à l'assassinat de Hugo Spadafora. M. Rodriguez a été relâché lorsqu'un jury l'a innocenté de l'accusation de meurtre.

[5]      En mars 1994, la requérante principale a été accostée par deux membres du Parti révolutionnaire démocratique [ci-après PRD], qui l'ont agressée et ont proféré des menaces de mort à son endroit. Ils voulaient savoir où se trouvait son père, craignant que celui-ci ne révèle ce qu'il savait au sujet de leur passé militaire, ce qui risquait de nuire à leur carrière politique. Après cet incident, elle est allée vivre chez un ami, mais elle a continué à travailler au même endroit.

[6]      En septembre 1994, alors qu'elle se trouvait au travail, la requérante principale a reçu une note de menaces indiquant que ses enfants pourraient être en danger si elle ne fournissait pas de renseignements sur l'endroit où se trouvait son père.

[7]      La requérante principale a joint son père, qui lui a dit de s'enfuir au Canada. Elle a donc quitté le Panama et est arrivée le 6 octobre 1994 au Canada, où elle a demandé le statut de réfugié.

[8]      La Section du statut de réfugié a invoqué plusieurs motifs pour conclure que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. D'abord, elle a jugé que la requérante principale n'avait fourni aucun élément de preuve indiquant qu'elle ne pourrait obtenir de protection au Panama. La requérante a dit qu'elle n'avait pas communiqué avec la police après l'incident de 1994, parce que celui-ci s'était produit pendant les élections et que la police n'aurait pu garantir qu'elle la protégerait. Cependant, après l'incident de 1994, les élections étaient chose du passé; pourtant, la requérante principale a décidé de s'enfuir au Canada plutôt que de joindre la police et de lui demander de la protection.

[9]      Après avoir examiné la preuve documentaire, la Section du statut de réfugié a conclu que le Panama est une république parlementaire dirigée par un gouvernement démocratique. Elle a également jugé que la police est en mesure de protéger les citoyens du Panama et que l'appareil de l'État est intact. Citant le principe de l'arrêt Ward c. Canada (M.E.I.), [1993] 2 R.C.S. 689, selon lequel l'État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens, la Section du statut de réfugié a conclu à l'absence de risque de persécution important, parce que les requérants pouvaient raisonnablement s'attendre à bénéficier de la protection de l'État.

[10]      De plus, la Section du statut de réfugié a jugé qu'il n'était pas raisonnable pour la requérante principale de continuer à travailler au même endroit après avoir reçu des menaces, parce que cette conduite est incompatible avec les actions d'une personne qui est véritablement craintive.

[11]      Les requérants demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié.

LES ARGUMENTS

1. Les arguments des requérants

[12]      Les requérants soutiennent que la Section du statut de réfugié n'a pas tenu compte de la preuve documentaire concernant le père de la requérante principale. Selon eux, la Section du statut de réfugié doit chercher à savoir non pas si le citoyen ordinaire pourrait être protégé, mais plutôt si l'État était en mesure de protéger la fille de Demetrio Rodriguez. Sur ce point, les requérants citent plusieurs documents indiquant que les autorités panaméennes étaient à la recherche du père de la requérante principale relativement au rapt du Dr Mauro Zuniga.

[13]      De plus, les requérants font valoir qu'ils ne peuvent demander aux autorités de les protéger, parce que c'est l'État lui-même qui persécute la requérante principale.

[14]      En ce qui a trait au fait que les actes de la requérante principale seraient incompatibles avec une crainte de persécution reposant sur un minimum de fondement, celle-ci allègue qu'elle devait continuer à travailler pour subvenir aux besoins de ses enfants, dont l'un ne se trouvait pas au Panama. Elle n'avait aucun proche parent sur lequel elle pouvait compter et ajoute qu'il n'y a aucune mesure de protection sociale au Panama. De plus, elle mentionne que le premier incident est survenu près de l'endroit où elle habitait, de sorte qu'elle ne craignait pas de se rendre à son travail, puisqu'elle avait déjà déménagé "en partie" dans la maison d'un ami. Ce n'est que lorsque le deuxième incident est survenu à son travail qu'elle a cru devoir quitter le Panama.

2. Les arguments de l'intimé

[15]      L'intimé soutient que les requérants n'ont présenté aucun élément de preuve indiquant de façon claire et convaincante que l'État n'est pas en mesure de les protéger. L'intimé cite l'arrêt Ward, précité, au sujet de la présomption selon laquelle l'État est en mesure de protéger ses citoyens. Il ajoute que la preuve documentaire indique que le Panama est une république parlementaire dirigée par un gouvernement démocratique. Il appert de la preuve que le Panama possède des mécanismes lui permettant de protéger ses citoyens.

[16]      L'intimé cite l'arrêt Canada (M.E.I.) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.), où la Cour décrit en ces termes le critère servant à décider s'il est possible d'obtenir la protection de l'État (p. 337) :

     ... Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

        

[17]      L'intimé cite également l'extrait suivant de l'arrêt Kadenko c. Canada (M.E.I.) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), p. 534 :

     Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.

        

[18]      De l'avis de l'intimé, il appert de la preuve documentaire qu'il existe au Panama des organismes en mesure de protéger les droits des citoyens et que ces organismes ne subissent aucune contrainte de la part du gouvernement.

[19]      De plus, l'intimé fait remarquer que, dans l'arrêt Kadenko, précité, la Cour a statué que le refus par la police d'intervenir ne signifie pas que l'État n'est pas en mesure de protéger ses citoyens. L'intimé ajoute que la requérante principale n'a pas mentionné que la police a refusé d'aider, mais plutôt qu'elle n'avait pas communiqué avec la police.

[20]      Par ailleurs, selon l'intimé, aucun élément de la preuve n'indique que l'État du Panama se serait rendu coupable de persécution. D'après la preuve, le président Ernesto Balladerès a accordé le pardon à un bon nombre d'anciens militaires qui avaient été loyaux envers Manuel Noriega. Par ailleurs, le père de la requérante principale a été remis en liberté après avoir été innocenté de l'accusation de meurtre qui pesait contre lui. La Section du statut de réfugié est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve, y compris le fait que la requérante était la fille d'un ex-militaire. Selon l'intimé, il n'existe aucun élément de preuve indiquant que la requérante principale n'a pu obtenir de protection en raison de son père. Par conséquent, les requérants n'ont pas prouvé, comme ils devaient le faire, que les déductions tirées par la Section du statut de réfugié n'étaient pas raisonnables ou qu'ils ne pouvaient obtenir de protection de la part des autorités panaméennes.

[21]      Enfin, l'intimé fait valoir que le motif que la requérante principale a invoqué pour expliquer qu'elle avait conservé le même emploi ne changeait rien au fait que la Section du statut de réfugié avait de bonnes raisons de penser que ce comportement était incompatible avec une crainte de persécution. L'intimé cite l'arrêt Safakhoo c. Canada (M.E.I.), [1997] A.C.F. no 440 (QL) (C.F. 1re inst.), où la Cour a statué que la Section du statut de réfugié peut invoquer à bon droit une conduite incompatible avec une crainte de persécution reposant sur un minimum de fondement pour rejeter une demande de statut de réfugié.

COMMENTAIRES

[22]      Je souscris aux conclusions que la Section du statut de réfugié a tirées en l'espèce. Les requérants n'ont présenté aucun élément de preuve indiquant de façon claire et convaincante que l'État n'était pas en mesure de les protéger. La requérante principale a simplement décidé de ne pas communiquer avec la police ou d'autres autorités. Compte tenu de la preuve documentaire faisant état de l'appareil démocratique en place au Panama, la requérante principale devait faire davantage que s'enfuir du Panama lorsqu'elle s'est sentie menacée.

[23]      La requérante a présenté des éléments de preuve indiquant que son père est recherché par les autorités panaméennes, laquelle preuve est, au mieux, contradictoire; cependant, aucun élément de preuve n'indique que les requérants sont menacés d'une façon ou d'une autre par l'État. Les seules menaces que la requérante principale a reçues provenaient du PRD. La requérante principale n'a pas démontré que les autorités panaméennes refusaient de la protéger ou hésitaient à le faire en raison de ses antécédents familiaux.

[24]      Enfin, j'estime qu'il était loisible à la Section du statut de réfugié de conclure que l'omission de la part de la requérante principale de changer d'emploi après le premier incident est incompatible avec une crainte de persécution reposant sur un minimum de fondement, étant donné, surtout, qu'elle soutient avoir reçu dix ou onze appels de menaces à son travail entre le premier incident et le dernier, qui est survenu six mois plus tard. L'argument de la requérante principale selon lequel elle se sentait en sécurité au travail, mais pas à la maison, n'est pas suffisamment convaincant.

CONCLUSION

[25]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]      Les parties ont fait savoir à la Cour qu'elles n'avaient aucune question à faire certifier.

                                 "Max M. Teitelbaum"

                            

                                     J.C.F.C.

OTTAWA(ONTARIO)

Le 22 avril 1998


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE LA COUR:                  IMM-2764-97

INTITULÉ:                            ROSE MARY TORO, STEFANY MARGOT CAMACHO, GERARDO ANIBAL TORO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :        MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :       LE 7 AVRIL 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM EN DATE DU    22 AVRIL 1998

COMPARUTIONS

ODETTE DESJARDINS                                           POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

THI MY DUNG TRAN                                              POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

GOYETTE, ARPIN ET ASSOCIÉS                           POUR LA PARTIE REQUÉRANTE MONTRÉAL

M. GEORGE THOMSON                                         POUR LA PARTIE INTIMÉE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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