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Date : 20210720


Dossier : IMM‑6918‑19

Référence : 2021 CF 772

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

CALLISTER ONYEKA OKPUGO

DONALD CHIBUDO OKPUGO (MINEUR)

RAPHEAL EBUBECHI OKPUGO MINEUR)

ALFREDA CHIZARA OKPUGO (MINEURE)

ALFRED TOCHUKWU OKPUGO (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria qui ont présenté une demande d’asile fondée sur la bisexualité prétendue de la demanderesse principale et le risque de mutilation génitale féminine (MGF) pour sa fille mineure.

[2] Les demandeurs contestent la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) rendue le 25 octobre 2019 (la décision) par laquelle la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) qui avait conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3] Seule la demande d’asile de la demanderesse principale sera examinée, car les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions de la SAR sur les demandes d’asile des demandeurs mineurs.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Contexte factuel

[5] La demanderesse principale prétend qu’elle a toujours été bisexuelle.

[6] La demanderesse principale s’est mariée avec son époux en 2005. Elle affirme que, en 2012, elle a commencé à fréquenter une femme mariée qui s’appelait Celestina.

[7] En juillet 2017, le beau‑frère de la demanderesse principale a surpris la demanderesse principale et Celestina pendant leurs ébats intimes. Il a agressé la demanderesse principale et a appelé son époux. La demanderesse principale a séjourné à l’hôpital pendant dix jours.

[8] Celestina s’est enfuie. Depuis, la demanderesse principale ne l’a pas revue.

[9] L’époux de la demanderesse principale a contraint celle‑ci à quitter le domicile conjugal et la famille de ce dernier a insisté pour qu’elle subisse un rituel de nettoyage au cours duquel elle devait être vue nue en public et pour qu’elle fasse faire des incisions sur son corps. La famille a également déclaré qu’il fallait que la fille de la demanderesse principale subisse une MGF afin de ne pas devenir bisexuelle.

[10] En septembre 2017, la demanderesse principale et ses enfants mineurs sont partis pour le Canada. À la dernière minute, son époux a décidé de rester au Nigéria.

[11] Le 14 février 2018, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir le bien‑fondé des demandes d’asile de la demanderesse principale, et elle a rejeté les demandes d’asile de la demanderesse principale et de ses enfants.

[12] Le 25 octobre 2019, la SAR a confirmé la décision rendue par la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

[13] La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 14 novembre 2019.

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[14] De nouveaux éléments de preuve, dont il sera question plus tard, ont été présentés à la SAR. Certains éléments de preuve ont été acceptés, d’autres ont été rejetés.

[15] La SAR a examiné la transcription de l’audience devant la SPR. Le tribunal a procédé à une évaluation indépendante des nouveaux éléments de preuve et des arguments. Par conséquent, la SAR a tiré des conclusions supplémentaires sur la crédibilité qui ont confirmé la décision de la SPR.

[16] La SAR a également tenu compte des Directives no 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe et des Directives no 9 : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives sur l’OSIGEG).

[17] De plus, la SAR a relevé des problèmes soulevés par le psychologue, en particulier le fait que la demanderesse principale avait des problèmes de mémoire à court terme, des problèmes de concentration et qu’elle était préoccupée par son avenir. La SAR a déclaré qu’elle avait tenu compte de ces facteurs pour évaluer la crédibilité de la demanderesse principale.

[18] Les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR seront prises en compte dans la partie de l’analyse qui suit.

[19] La SAR a refusé de tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR.

IV. Questions à trancher

[20] La demanderesse principale a soulevé trois questions, notamment celle de savoir si la SAR a commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse au titre de l’article 97.

[21] À mon avis, la question à trancher est celle de savoir si la décision est raisonnable. Deux sous‑questions déterminantes nous aideront à trancher cette question :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les éléments de preuve des demandeurs n’étaient pas crédibles?

V. Norme de contrôle

[22] La demanderesse principale s’est appuyée sur l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick 2008 CSC 9 (Dunsmuir) pour faire valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, mais que la norme applicable est celle de la décision correcte pour les questions de droit.

[23] Le mémoire de la demanderesse principale a été déposé avant que la Cour suprême rende sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], où elle a examiné en profondeur le droit applicable au contrôle judiciaire de décisions administratives.

[24] L’arrêt Vavilov a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée applicable à l’égard des décisions administratives, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique aux faits en cause : Vavilov, au para 23.

[25] Même avant l’arrêt Vavilov, la norme de contrôle applicable à un organe administratif qui examine sa loi habilitante, en l’occurrence la LIPR, était, par présomption, la décision raisonnable : Vavilov, au para 7, citant l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61.

[26] Je conviens que la norme de contrôle applicable à l’égard des deux questions en litige est celle de la décision raisonnable.

[27] Lorsqu’une Cour applique la norme de la décision raisonnable dans un contrôle judiciaire, elle doit s’abstenir de trancher de nouveau la question en litige. La Cour doit seulement décider du caractère raisonnable de la décision, ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu : Vavilov, au para 83.

[28] Les conditions essentielles d’une décision raisonnable ont été reformulées de la façon suivante dans l’arrêt Vavilov : la décision doit être fondée sur une analyse cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Élément important : la norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[29] Une cour de révision doit aussi se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Si les motifs de la décision ne font pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, cela, en soi, ne constitue pas un fondement justifiant d’infirmer la décision. Le contrôle effectué par la cour de révision ne doit pas être dissocié du cadre institutionnel dans lequel la décision a été rendue ni de l’historique de l’instance. Vavilov, au para 91.

VI. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve?

[30] Les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR aux fins d’examen étaient les suivants :

  1. une lettre de Celestina, datée du 22 mars 2018;

  2. une invitation de la police à la demanderesse principale au sujet de Celestina, remontant à mars 2018;

  3. une lettre notariée de l’époux de la demanderesse principale, Chima Okpugo;

  4. un itinéraire de vol.

[31] Selon le dossier, la nouvelle lettre de Celestina n’était pas notariée.

[32] L’admission de nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR est régie par le paragraphe 110(4) de la LIPR :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[33] Pour déterminer s’il y a lieu d’admettre ou de rejeter de nouveaux éléments de preuve, la SAR a sélectionné et appliqué à la fois le critère prévu par la loi susmentionné et la jurisprudence pertinente exigeant que la SAR tienne compte de la crédibilité, de la pertinence et de la nouveauté des éléments de preuve : Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh].

[34] La SAR a admis en preuve l’invitation de la police et la lettre de l’époux de la demanderesse principale.

[35] La SAR a refusé d’admettre en preuve la nouvelle lettre de Celestina et l’itinéraire de vol. L’itinéraire de vol n’a pas été admis en preuve, car les plans de vol n’étaient pas contestés et n’étaient pas pertinents. Cette conclusion n’a pas été contestée. Le refus de la lettre de Celestina est une question litigieuse.

A. Lettre de Celestina et demande d’audience

[36] La demanderesse principale a présenté une demande d’audience pour les nouveaux éléments de preuve.

[37] La SAR a pris en compte la demande d’audience de la demanderesse principale. Elle a fait observer que le paragraphe 110(6) de la LIPR exige que, pour tenir une audience, les nouveaux éléments de preuve doivent soulever une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause et que cette question doit être essentielle pour la prise de la décision relative à la demande d’asile. Ce paragraphe exige également que la SAR détermine si les éléments de preuve justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, à supposer qu’ils soient admis.

[38] La SAR a estimé que, même si le contenu de l’invitation de la police était accepté, il ne faisait que démontrer que Celestina avait été arrêtée. L’invitation ne soulevait pas de question importante quant à la crédibilité des demandeurs et n’était pas déterminante pour leur demande.

[39] Les observations de la demanderesse principale à la SAR concernant l’acceptation de la nouvelle lettre de Celestina ont été très brèves. La demanderesse principale a fait valoir que la lettre était admissible pour les raisons suivantes : 1) Celestina affirme que son époux l’a expulsée du domicile et qu’elle a été contrainte de chercher refuge auprès d’une amie au Ghana; 2) elle n’était pas normalement accessible auparavant, car elle a été rédigée le 22 mars 2018 pour expliquer de nouveaux événements comme son déménagement au Ghana et 3) l’information est probante et pertinente puisqu’elle confirme que la demanderesse principale était dans une relation homosexuelle qui a été rendue publique.

[40] La SAR a souligné que la demanderesse principale a déclaré devant la SPR qu’elle n’avait eu aucun contact direct avec Celestina depuis juillet 2017 et qu’elle ne savait pas où se trouvait celle‑ci. La sœur de la demanderesse principale a fourni la lettre de Celestina remontant à mars 2018, ainsi que le bordereau d’expédition et l’enveloppe utilisée pour la livraison.

[41] La SAR a déterminé que la source et la façon dont la demanderesse principale a pu obtenir la lettre de Celestina, qui se cachait quelque part au Ghana, n’étaient pas appuyées par des éléments de preuve suffisants. De plus, aucun affidavit ne précise par quel moyen la lettre a été reçue, ni à quel moment. Par conséquent, la lettre n’a pas été admise en preuve.

[42] La SAR a tiré un certain nombre de conclusions importantes quant à la crédibilité de la demanderesse principale. Le refus de tenir une audience était fondé, car la lettre ne soulevait pas une importante question quant à la crédibilité qui, si elle avait été corrigée, aurait pu justifier que la demande soit accordée.

[43] La demanderesse principale insiste sur le fait que le refus de tenir une audience démontre que la SAR n’a pas pris la peine de lire le mémoire des arguments. Au contraire, il est bien connu que le décideur est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve dont il était saisi et qu’il n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve dont il est saisi et qui sont contraires à ses conclusions de fait : Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 FTR 35, au para 16.

[44] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’accepter de nouveaux éléments de preuve ou de tenir une audience.

VII. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les éléments de preuve des demandeurs n’étaient pas crédibles?

[45] La question déterminante pour la SPR et pour la SAR était celle de la crédibilité de la demanderesse principale.

[46] La SAR a examiné les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR et elle a tiré ses propres conclusions. Il y a de nombreuses conclusions relatives à la crédibilité.

[47] J’estime qu’il est seulement nécessaire d’examiner quelques autres conclusions relatives à la crédibilité.

A. Qui était au courant de la sexualité de la demanderesse principale?

[48] La première conclusion relative à la crédibilité que la SAR a examinée était le témoignage présenté par la demanderesse principale concernant la question de savoir si une autre personne que la personne avec qui elle avait une relation savait qu’elle était bisexuelle. La SPR a posé la question à plusieurs reprises au cours de l’audience. Chaque fois, la demanderesse principale a affirmé que personne d’autre ne le savait.

[49] À un moment donné, la SPR a porté à l’attention de la demanderesse principale l’existence d’une lettre notariée de sa cousine au Nigéria selon laquelle la demanderesse principale [traduction] « s’était toujours confiée à elle au sujet de sa préférence pour les relations homosexuelles ». À ce moment‑là, la demanderesse principale a dit qu’elle avait mal compris. Elle croyait que la question de la SPR concernait uniquement les gens à son école secondaire.

[50] Selon la SAR, cette explication n’était pas raisonnable, car la question était très claire. La SAR a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’une contradiction importante en soi. Toutefois, elle touchait la question fondamentale de la bisexualité, que le Nigéria désapprouve profondément, et qui aurait mis la demanderesse principale en danger.

[51] Selon la SAR, il s’agissait d’une contradiction dans le contexte d’autres contradictions, imprécisions et incohérences.

[52] J’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur dans les conclusions qu’elle a tirées en matière de crédibilité.

B. À l’arrivée du beau‑frère, à quel moment Celestina s’est‑elle échappée?

[53] Une lettre de Celestina se trouvait dans le dossier de la SPR, décrivant l’incident survenu lorsque le beau‑frère de la demanderesse principale les a trouvées et qu’il a frappé la demanderesse principale. Dans la lettre, Celestina déclare qu’elle était là au moment de l’agression et quand la demanderesse principale s’est mise à saigner et est tombée par terre. Des voisins se sont rassemblés pour les emmener à la police, et Celestina a dit qu’elle [TRADUCTION] « a pris ses talons à son cou et qu’elle s’est enfuie ».

[54] La SAR estime que, à l’audience de la SPR, la demanderesse principale a déclaré que Celestina était partie avant qu’elle ne se fasse frapper. La SAR a souligné que la SPR avait invité la demanderesse principale à préciser cette question et que, pendant l’audience, la demanderesse principale avait fourni des descriptions différentes de la rencontre. Ces incohérences ont amené la SPR à conclure que le récit de l’agression n’était pas crédible.

[55] Dans ses observations à la SAR, la demanderesse principale a soutenu que, comme elle se dépêchait pour sauver sa vie, ses souvenirs pourraient bien être faussés. La SAR a fait remarquer que la demanderesse principale n’a pas mentionné qu’elle n’était pas certaine des détails avant de faire un compte rendu détaillé de l’incident à la SPR.

[56] La demanderesse principale a soutenu que le rapport psychologique traitait de l’incohérence et qu’il fallait en tenir compte, conformément aux Directives sur l’OSIGEG. La SAR est en désaccord avec le fait que le rapport a traité de l’incohérence. Elle estime que le psychologue a déclaré que la demanderesse principale avait des problèmes de mémoire à court terme alors que l’incident en question s’était produit des années plus tôt. La SAR souligne que la SPR a posé les questions de façon équitable et que la demanderesse principale a donné un compte rendu détaillé de l’incident.

[57] La SAR a conclu que le rapport psychologique ne tenait pas pleinement compte de l’incohérence dans la description de l’évasion de Celestina, après l’arrivée du beau‑frère dans la pièce.

[58] Encore une fois, la SAR estime qu’il ne s’agissait pas d’une incohérence importante dans le contexte d’un incident contenant un traumatisme. Cette incohérence ne suffit pas, à elle seule, pour conclure que l’incident ne s’est pas produit. Toutefois, il s’agissait d’une incohérence sur une question fondamentale et elle s’inscrit dans le contexte d’autres problèmes liés à la crédibilité de l’exposé circonstancié présenté par la demanderesse principale.

[59] J’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur dans les conclusions qu’elle a tirées en matière de crédibilité.

C. Autres conclusions défavorables quant à la crédibilité dignes de mention

[60] Après avoir examiné le témoignage de la demanderesse principale, la SAR a conclu qu’elle n’avait pas été en mesure d’expliquer clairement à la SPR comment sa sœur avait pu obtenir la lettre originale de Celestina; son témoignage était vague et déroutant. À un moment donné, la demanderesse principale a affirmé qu’elle avait envoyé un message texte à Celestina, mais elle a aussi déclaré qu’elle n’avait eu aucun contact avec elle. En fin de compte, la SAR a conclu que les incohérences concernant le niveau de contact entre la demanderesse principale et Celestina étaient un facteur pertinent.

[61] La SAR a examiné le témoignage de la demanderesse principale sur la question de savoir si elle s’est évanouie quand elle a été frappée. La SAR a jugé que son témoignage manquait de cohérence. En réponse aux questions de la SPR, la demanderesse principale a affirmé qu’elle s’était [traduction] « un peu évanouie ».

[62] Toutefois, selon le rapport médical, la demanderesse principale s’est évanouie. Elle a également déclaré que le diagnostic parlait d’une [traduction] « agression » ce qui, selon la SAR, est une [traduction] « cause » et non un diagnostic. La SAR mentionne que, bien que le rapport décrive les symptômes et le traitement, il ne précise pas la nature des blessures et de la pathologie.

[63] La SAR a également formulé l’observation que la demanderesse principale avait fourni des photos d’elle‑même, avec des bandages sur la tête, dans ce qui semble être un hôpital. Toutefois, le rapport médical ne précise pas qu’elle avait une blessure à la tête.

[64] La SAR a conclu que, même si elle avait une blessure à la tête, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que cette blessure avait été causée par une agression liée à sa bisexualité.

[65] La SAR a conclu que l’effet cumulatif des problèmes touchant des aspects importants et fondamentaux de l’exposé circonstancié de la demanderesse principale était tel qu’elle en est venue à la conclusion qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles permettant d’établir que les incidents décrits par la demanderesse principale s’étaient bien produits.

D. Y avait‑il suffisamment de preuves crédibles démontrant que la demanderesse principale appartenait à la communauté LGBTIQ?

[66] La SAR a examiné les lettres notariées de la sœur, de la cousine et de l’époux de la demanderesse principale, lesquelles attestaient de sa bisexualité. Après avoir passé en revue la réponse actuelle à la demande d’information qui se trouve dans le cartable national de documentation, la SAR a constaté que, selon la plupart des sources, il est peu probable qu’une personne jure qu’une autre personne appartienne à la communauté LGBTIQ. Selon la preuve, les répercussions d’appartenir à la communauté LGBTIQ sont si graves qu’il était peu probable que quelqu’un jure ou même approche un fonctionnaire pour jurer qu’une personne en fait partie.

[67] La demanderesse principale a aussi produit une lettre de la Metropolitan Community Church (MCC) selon laquelle elle en était membre [traduction] « comme personne bisexuelle ».

[68] La SAR a constaté que la demanderesse principale a commencé à fréquenter la MCC en octobre 2017, et que la lettre est datée du 6 décembre 2017. Pendant deux mois au cours de cette période, la demanderesse principale s’est chargée du ménage de manière bénévole. Cette preuve tenait uniquement compte du fait que la demanderesse principale a fréquenté l’église pendant deux mois, ce qui a été jugé insuffisant pour conclure que la demanderesse principale avait poursuivi sa fréquentation depuis.

[69] La SAR a conclu que la demanderesse principale avait eu suffisamment d’occasions de présenter à la SPR et à la SAR des éléments de preuve pour démontrer qu’elle appartenait à la communauté LGBTIQ, mais elle ne l’a pas fait.

VIII. Conclusion

[70] La question déterminante en l’espèce portait sur la crédibilité. La demanderesse principale n’a pas réussi à démontrer que la décision de la SAR, selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, était déraisonnable. Ils n’ont pas démontré que la SAR en était arrivée à des conclusions non appuyées par la preuve.

[71] Dans l’arrêt Siad c Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608, au paragraphe 24 (CAF), la Cour d’appel a établi les exigences pour le contrôle des décisions quant à la crédibilité ainsi que les exigences que le décideur doit respecter lorsqu’il rejette une demande pour des motifs de crédibilité :

Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve.

[72] Un indicateur important de la crédibilité du témoin est la cohérence de son récit. (Dan‑Ash v Canada (Minister of Employment and Immigration) (1988), 93 NR 33 (CAF)

[73] Si un tribunal rejette une demande sur les motifs que le demandeur n’est pas crédible, il doit exposer ce motif clairement (Ababio c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), ACF no 250 (CAF)), et il doit motiver la conclusion quant à la crédibilité. (Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1989], ACF no 800 (CAF)).

[74] La SAR a clairement énoncé les motifs sous‑tendant chacune de ses conclusions relatives à la crédibilité, avec les raisons.

[75] La SAR s’est également conformée aux exigences de l’arrêt Vavilov.

[76] La décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles : Vavilov, au para 85.

[77] La SAR a relevé et énoncé clairement un certain nombre d’incohérences et de contradictions dans la preuve présentée par la demanderesse principale. Le raisonnement de la SAR menant à ses diverses conclusions est rationnel et logique, sans faille décisive : Vavilov, au para 102.

[78] Après examen de la décision et du dossier sous‑jacent, je suis convaincue qu’elle ne souffre pas de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au para 100.

[79] La demande est rejetée, sans dépens.

[80] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6918‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6918‑19

 

INTITULÉ :

CALLISTER ONYEKA OKPUGO, DONALD CHIBUDO OKPUGO (MINEUR), RAPHEAL EBUBECHI OKPUGO (MINEUR), ALFREDA CHIZARA OKPUGO (MINEURE)

ALFRED TOCHUKWU OKPUGO (MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Henry Iginoba

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Erin Estok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henry Law

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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