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Dossier : T‑90‑21

Référence : 2021 CF 783

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MARK ANDREW JOHNSTON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mark Andrew Johnston, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Section d’appel) qui confirmait la révocation de sa libération d’office par la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission). Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande.

II. Les faits

[2] M. Johnston est un détenu fédéral qui réside à l’Établissement de Warkworth, un pénitencier à sécurité moyenne administré par le Service correctionnel Canada (SCC) en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi] et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement].

A. Les antécédents criminels

[3] M. Johnston est un récidiviste de longue date, avec un long passé criminel de comportement frauduleux remontant au début des années 1990. Ses premiers démêlés avec la justice lui ont valu trois peines fédérales, dont une peine de trois ans imposée en 1991 pour deux chefs d’accusation de fraude de plus de 1 000 $; une autre peine de trois ans imposée en 2002 pour 319 chefs d’accusation prévus à la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15, deux chefs d’accusation d’infraction aux conditions de l’engagement, cinq chefs d’accusation de fraude de plus de 5 000 $, ainsi que pour fraude de moins de 5 000 $, supposition intentionnelle de personne et défaut de comparaître devant le tribunal, et une dernière peine d’un peu plus de deux ans qui lui a été imposée en 2008 pour cinq chefs d’accusation de fraude de plus de 5 000 $, quatre chefs d’accusation de mise en circulation d’un document contrefait, trois chefs d’accusation d’infraction aux conditions de l’engagement ainsi que pour fraude de moins de 5 000 $, commission d’un faux, supposition intentionnelle de personne et possession de biens criminellement obtenus de moins de 5 000 $.

[4] M. Johnston, au moment de l’audience devant la Cour, purgeait une peine globale de huit ans et six mois. Il avait tout d’abord été condamné le 15 juillet 2013 à 16 mois d’emprisonnement pour avoir payé des honoraires d’avocat avec un chèque frauduleux.

[5] Puis, le 6 septembre 2013, il a été condamné à une peine supplémentaire de quatre ans d’emprisonnement et à payer plus de 22 000 $ à titre de dédommagement pour avoir accumulé une note d’hôtel de 56 jours et présenté un chèque frauduleux pour régler la facture. En liberté sous caution à l’époque, le stratagème hôtelier de M. Johnston enfreignait trois des conditions de sa libération.

[6] Le 20 novembre 2014, M. Johnston a reçu une peine supplémentaire de trois ans plus deux mois d’emprisonnement pour avoir produit environ 1 400 déclarations de revenus frauduleuses et 735 déclarations de taxe sur les produits et services frauduleuses auprès de l’Agence du revenu du Canada en utilisant les renseignements personnels d’autres détenus à leur insu. Le stratagème frauduleux était évalué à deux (2) millions de dollars.

B. La libération d’office

[7] M. Johnston a obtenu la libération d’office pour sa peine actuelle le 14 mars 2019. En plus des conditions de libération obligatoires prévues par la Loi, la Commission a imposé à M. Johnston certaines conditions de libération spéciales adaptées à son profil de risque précis, notamment :

[8] M. Johnston a été placé sous la surveillance de l’équipe de gestion des cas (l’EGC) du Bureau de libération conditionnelle du centre‑ville de Toronto, comme il l’avait été à diverses occasions pendant qu’il purgeait ses peines dans le passé. En ce qui concerne sa série d’infractions la plus récente, sa libération d’office a été suspendue à trois reprises et, à chacune des deux premières occasions, cette suspension a été annulée par la Commission. Lors de la deuxième de ces annulations, la Commission a infligé à M. Johnston une sévère réprimande, reproduite ci‑dessous.

[9] L’EGC a rencontré un autre problème avec M. Johnston, ce qui a entraîné une troisième annulation de la libération d’office. La Commission a maintenu cette dernière suspension. M. Johnston a fait appel de cette décision auprès de la Section d’appel, laquelle a confirmé la suspension. Ces deux décisions, qui confirmaient toutes deux la suspension de la libération, font l’objet du présent contrôle judiciaire. Cependant, étant donné que les deux formations de la Section d’appel ont abordé les deux premières suspensions dans leurs motifs confirmant la troisième, les deux premières suspensions sont brièvement résumées, ainsi que la troisième, que M. Johnston conteste dans le cadre de ce contrôle judiciaire.

(1) La première suspension

[10] Le 1er avril 2019, il a été allégué que M. Johnston avait tenté d’obtenir des informations au sujet d’une nouvelle agente de libération conditionnelle à partir de son profil sur le site de réseautage LinkedIn. Selon l’EGC, M. Johnston a d’abord nié toute connaissance lorsqu’il a été confronté à l’allégation, affirmant qu’il n’avait pas utilisé l’application depuis des années, mais il a ensuite changé d’histoire pour affirmer que quelqu’un avait dû utiliser son compte, et il a finalement admis la véracité de l’allégation, expliquant qu’il voulait en savoir plus sur sa nouvelle agente de libération conditionnelle avant de la rencontrer.

[11] De plus, l’EGC a rapporté que M. Johnston avait en outre fait preuve de malhonnêteté avec l’agente lorsqu’il a reçu un appel d’une femme. M. Johnston a dit à l’agente que c’était sa sœur, alors que ce n’était pas le cas. Il a également été constaté qu’il avait acheté des produits d’épicerie au moyen d’une carte de crédit pour laquelle il n’avait pas reçu d’autorisation préalable. Dans ces deux incidents, M. Johnston a contrevenu aux deux conditions spéciales de libération qui lui avaient été imposées.

[12] Par conséquent, l’EGC a décerné un mandat de suspension et d’arrestation en vertu du paragraphe 135(1) de la Loi. SCC a ensuite recommandé à la Commission de révoquer la libération d’office de M. Johnston, soulignant que son risque n’était plus gérable dans la collectivité, compte tenu de ses nombreuses infractions et de son comportement non coopératif. En fin de compte, bien que la Commission ait noté le manque de transparence de M. Johnston et ses problèmes de comportement, elle a néanmoins annulé la suspension et l’a renvoyé dans la collectivité.

(2) La deuxième suspension

[13] M. Johnston a ensuite été arrêté le 1er février 2020 pour avoir volé de la bière et du bœuf dans une épicerie. M. Johnston a d’abord nié le vol, déclarant qu’il avait acheté la bière au magasin d’alcools de l’autre côté de la rue avant d’entrer dans l’épicerie – ce qui, selon lui, pouvait être prouvé par une vidéo – et qu’il avait simplement oublié de payer le reste. Bien que les accusations criminelles aient finalement été retirées, M. Johnston a admis devant la Commission qu’il avait effectivement volé les articles.

[14] Il a également été révélé que M. Johnston avait changé de résidence sans en informer son agent de libération conditionnelle, contrairement aux conditions de sa mise en liberté.

[15] Sur la base de ces deux incidents, l’EGC a décerné un deuxième mandat et SCC a de nouveau recommandé la révocation de la mise en liberté de M. Johnston, en soulignant sa tendance à ne pas communiquer les renseignements et à induire l’EGC en erreur.

[16] Bien que la Commission ait convenu que le risque que posait M. Johnston était élevé, elle a néanmoins jugé que le risque pouvait être contrôlé dans la collectivité sous certaines conditions. La Commission a annulé cette deuxième suspension, mais, ce faisant, elle a également réprimandé M. Johnston dans sa décision d’annulation, comme il est mentionné ci‑dessus, en lui formulant l’avertissement suivant :

M. Johnston, vos antécédents criminels sont préoccupants et vous êtes retourné vers la criminalité à maintes reprises. Cela témoigne d’un système de valeurs criminelles profondément ancrées. Les comportements qui ont conduit à votre suspension concordent avec les éléments de votre cycle de criminalité et votre agent de libération conditionnelle/EGC a eu raison de signaler la présence de ces comportements comme indicateurs de risque. C’est votre deuxième suspension et c’est la deuxième fois que la Commission annule votre suspension. La malhonnêteté et le manque de transparence envers votre agent de libération conditionnelle ou EGC ne seront pas tolérés. Tout incident ou infraction future fera l’objet d’une mesure immédiate et pourra entraîner une décision défavorable de la Commission. Votre cas sera surveillé de près dorénavant.

(3) La troisième suspension

[17] La libération d’office de M. Johnston a été suspendue une troisième fois le 26 juin 2020, après que l’EGC eut découvert deux cartes de crédit non autorisées liées à son compte Amazon. M. Johnston a nié être le titulaire les cartes, expliquant qu’elles appartenaient probablement à l’un de ses fils. Bien que M. Johnston ait vivement contesté la propriété des cartes de paiement, l’EGC a néanmoins pu confirmer que les cartes étaient liées au compte à son nom et que ses fils avaient également accès au compte Amazon.

[18] Le même mois, l’EGC a appris qu’un dépôt de 4 000 $ avait été effectué dans le compte bancaire de M. Johnston. L’EGC a signalé que M. Johnston n’avait pas été en mesure de fournir une réponse cohérente ou directe quant à la provenance des fonds.

[19] Pour la troisième fois, le SCC a recommandé la révocation de la mise en liberté de M. Johnston, soulignant qu’il était devenu [traduction] « pratiquement impossible d’assurer une supervision adéquate » dans les circonstances, car [traduction] « [à] chaque suspension, son comportement et les manipulations, que ce soit les siennes ou celles faites par ses fréquentations, deviennent de plus en plus difficiles à gérer ».

III. La décision à l’examen

A. La décision de la Commission

[20] Le 28 septembre 2020, la Commission a révoqué la libération de M. Johnston (la décision de la Commission), car elle jugeait qu’il présentait un risque inacceptable pour la société au titre du paragraphe 135(5) de la Loi.

[21] Dans sa décision, la Commission a procédé à un examen long et détaillé des antécédents criminels de M. Johnston, ainsi que des circonstances entourant les trois suspensions de sa libération d’office. Elle a conclu que le cycle de délinquance de M. Johnston [traduction« comprend une tendance constante à commettre des manœuvres frauduleuses élaborées aux dépens de particuliers, d’entreprises, de banques et du gouvernement du Canada ». La décision de la Commission reconnaissait le penchant de M. Johnston à abuser de la confiance des autres et son incapacité à respecter les conditions :

Vous avez utilisé vos connaissances commerciales pour incorporer des entreprises fictives et réelles afin de vous livrer à des activités criminelles. Vos infractions impliquent également que vous gagnez la confiance de personnes qui ne se méfient de rien et que vous utilisez cette confiance à votre profit tout en escroquant des milliers de dollars à d’autres personnes.

De plus, votre cycle de délinquance implique le non‑respect constant des conditions imposées, car vous êtes un multirécidiviste qui a peu de considération pour la loi ou pour les répercussions qu’ont vos actes criminels sur les nombreuses victimes. Vos lacunes découlent de votre attitude criminelle, de votre égocentrisme profond, de votre besoin d’impressionner les autres, de la manipulation d’autrui et de votre manque de remords envers les autres. Vous avez l’habitude de chercher à nouer des relations, que vous manipulez pour soutenir votre esprit criminel et accroître les possibilités de commettre d’autres actes frauduleux.

[22] La Commission a fait remarquer, en discutant de la première suspension, que M. Johnston avait fait preuve d’un mépris flagrant pour ses conditions, faisant remarquer que son [traduction] « comportement à risque à l’égard de la surveillance démontre qu’il est prêt à dire ou à faire tout ce qui est nécessaire pour se présenter sous le meilleur jour possible ». Cela allait à l’encontre de l’attente de la Commission selon laquelle les délinquants doivent travailler en collaboration avec leur EGC pour éviter la récidive.

[23] La Commission a noté que, même si M. Johnston avait suivi un programme de maintien des acquis, fréquenté l’église et bénéficié du soutien de sa famille et de ses amis après l’annulation de la première suspension, des préoccupations ont été soulevées quant à sa capacité de gérer ses finances et de trouver et conserver un emploi intéressant.

[24] En ce qui concerne la deuxième suspension, la Commission a de nouveau noté la mauvaise attitude et le comportement manipulateur de M. Johnston à l’égard de son EGC. Elle a souligné que M. Johnston avait fait preuve d’un manque de transparence constant en ce qui concerne l’incident du vol dans l’épicerie en changeant continuellement sa version des faits. Elle a ensuite réitéré la réprimande qui avait été formulée à M. Johnston au moment de l’annulation de la deuxième suspension.

[25] Enfin, en ce qui concerne la troisième suspension, la Commission a conclu que M. Johnston – en n’obtenant pas la permission d’avoir deux cartes de crédit prépayées sur son compte Amazon et en ne divulguant pas leur utilisation, ainsi qu’en permettant à d’autres personnes d’accéder à son compte Amazon – [traduction] « avait créé une situation dans laquelle il était presque impossible pour [l’]EGC de surveiller avec exactitude » ses finances. Selon la Commission, ces incidents faisaient ressortir encore une fois une tendance aux demi‑vérités et aux omissions de la part du demandeur.

[26] La Commission a conclu que les circonstances justifiaient la révocation de sa mise en liberté. Elle a fait remarquer qu’à chaque suspension, M. Johnston rendait de plus en plus difficile le contrôle du risque qu’il posait par l’EGC, en raison [traduction« du comportement et de l’attitude manipulatrice que lui‑même et ses contacts ont adopté ». Il a pris note de la position du SCC selon laquelle le lien de confiance entre M. Johnston et son EGC était brisé, de sorte que toute libération d’office future devrait se faire à un nouvel emplacement géographique.

[27] La Commission a également examiné les arguments de M. Johnston selon lesquels il devrait être mis en liberté en raison de la pandémie de COVID‑19 qui sévit. La Commission a conclu, après avoir relevé que la sécurité publique est primordiale dans toutes les décisions qu’elle rend, que le SCC prenait des mesures adéquates à l’Établissement de Warkworth pour empêcher la propagation de la COVID‑19.

[28] En fin de compte, la Commission a pondéré un certain nombre de facteurs aggravants et atténuants en ce qui a trait à la mise en liberté de M. Johnston, et a conclu que son attitude d’opposition et favorisant le risque augmentait le risque de récidive. Selon la Commission, ce risque n’était plus contrôlable dans la collectivité.

B. La décision d’appel

[29] La Section d’appel a confirmé la décision de la Commission le 10 décembre 2020 (la décision d’appel). Dans ses motifs, la Section d’appel a rejeté les motifs d’appel invoqués par M. Johnston, à savoir que la décision de la Commission n’était pas fondée sur les informations dont disposait le tribunal et qu’elle était donc déraisonnable.

[30] Plus précisément, elle a rejeté ses quatre principales affirmations, à savoir que la Commission : (i) avait tiré des conclusions sur son comportement par rapport à la première suspension sans fondement factuel; (ii) avait tiré des conclusions exagérées sur les risques; (iii) n’avait pas tenu compte du manque de crédibilité des membres de l’EGC à la lumière de la preuve contradictoire; et (iv) n’avait pas tenu compte de ses observations concernant sa vulnérabilité à la COVID‑19.

[31] La Section d’appel a d’abord fait remarquer que la Loi mandate la Commission d’évaluer si un détenu présente un risque inacceptable de récidive pour la société après sa libération d’office. Elle a également fait mention de divers manuels des politiques qui guident le processus de décision post‑libératoire, renvoyant notamment à la prise en compte de tous les aspects pertinents d’un cas, au comportement du délinquant après sa libération et à la comparaison avec les modèles antérieurs de comportement criminel.

[32] La Section d’appel a ensuite examiné de près la décision de la Commission, en mentionnant qu’elle avait comparé le comportement de M. Johnston lors de sa mise en liberté avec ses antécédents criminels et qu’elle avait conclu que son attitude face à l’EGC augmentait son niveau de risque. La Section d’appel a ensuite examiné les commentaires de la Commission sur chacune des trois suspensions, en notant que la Commission avait agi de manière raisonnable sur la base des informations dont elle disposait, informations que la Section d’appel a jugées pertinentes, fiables et convaincantes. En concluant que la décision de la Commission de révoquer la libération d’office était raisonnable, la Section d’appel a jugé que la Commission avait agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire dans son évaluation du risque posé par M. Johnston.

[33] Plus précisément, la Section d’appel a pris note des facteurs aggravants soulignés par la Commission dans l’évaluation de ce risque et a formulé la remarque suivante à M. Johnston : [traduction] « [V]os lourds antécédents criminels; vos deux dernières libérations d’office ont été marquées par des suspensions, des révocations et des activités criminelles; votre attitude nécessite toujours un besoin élevé d’amélioration; et, on continue de vous évaluer comme étant peu motivé et peu responsable ».

[34] La Section d’appel a conclu que la Commission avait tenu compte de l’information pertinente, fiable et convaincante provenant du SCC et qu’elle avait raisonnablement considéré, compte tenu de l’information dont elle disposait, que M. Johnston présentait des lacunes dans sa prise de décision, en particulier dans son attitude, n’étant ni ouvert ni honnête envers son EGC.

[35] En ce qui concerne l’argument relatif à la COVID‑19, la Section d’appel a jugé que c’était à juste titre, au regard de tous les renseignements pertinents – y compris la situation personnelle de M. Johnston dans le contexte d’incarcération lié à la COVID‑19 – que la Commission avait conclu que protection de la société était primordiale et que la mise en liberté n’était pas justifiée dans les circonstances.

[36] Sur le plan de la procédure, la décision d’appel fait ressortir deux points importants. Premièrement, la Section d’appel a refusé d’examiner l’argument de M. Johnston selon lequel les actes de son agent de libération conditionnelle et la façon dont il avait géré son cas étaient inappropriés, en faisant remarquer que ni elle ni la Commission n’ont compétence pour gérer des cas particuliers ni pour gérer le personnel du SCC. Elle a indiqué que M. Johnston pouvait plutôt déposer un grief en établissement ou communiquer avec le Bureau de l’enquêteur correctionnel pour ce genre de question.

[37] La Section d’appel a conclu que la Commission [traduction] « a[vait] procédé à une évaluation des risques adéquate et équitable, conformément à la [Loi] et au Manuel des politiques ». Dans sa conclusion selon laquelle le processus de la Commission était équitable, la Section d’appel a fait remarquer que M. Johnston avait eu la possibilité de plaider sa cause, tout en relevant que la Commission lui avait posé des questions et qu’il avait eu l’occasion de fournir des réponses.

IV. Les questions en litige et analyse

[38] En général, la demande de contrôle judiciaire ne porte que sur une seule ordonnance, à l’égard de laquelle une réparation est demandée (Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, art 302; Ewonde c Canada (Procureur général), 2020 CF 829 au para 2 [Ewonde]). Toutefois, lorsque la Section d’appel confirme une décision de la Commission, la cour de révision doit également examiner si la décision de la Commission était légitime (Ewonde au para 2; May c Canada (Procureur général), 2020 CF 292 au para 12; Condo c Canada (Procureur général), 2005 CAF 391 au para 17; Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 au para 10).

[39] Ainsi, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, je dois trancher la question de savoir si les décisions de la Commission et la décision d’appel sont raisonnables. M. Johnston affirme que les décisions étaient toutes deux déraisonnables, parce qu’elles faisaient abstraction d’éléments de preuve, notamment en ce qui a trait [traduction] « à l’animosité et à la partialité » de l’EGC à l’égard de M. Johnston et de son réseau de soutien, ainsi qu’aux erreurs dans l’application de la loi à la matrice factuelle présentée, et parce que, en révoquant sa libération d’office, la Commission et la division d’appel n’ont pas appliqué les mesures les moins restrictives.

[40] M. Johnston a également soutenu que les tribunaux n’ont pas répondu de manière adéquate à ses arguments dans leurs décisions et que les motifs fournis par les deux formations ne tenaient pas compte des éléments de preuve présentés à l’appui et lors de l’audience devant la Commission, puis devant la Section d’appel.

[41] Les deux parties conviennent, tout comme moi, que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées est celle de la décision raisonnable. L’examen du caractère raisonnable n’est pas une chasse aux erreurs ligne par ligne, mais un examen visant à établir si la décision est justifiée, transparente et intelligible au regard des faits et du droit, tant dans sa justification que dans son résultat : Vavilov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CSC 65 aux para 83, 99, 102 [Vavilov]; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54. En outre, les deux tribunaux sont hautement spécialisés, de sorte que la retenue à leur égard s’impose dans les domaines discrétionnaires de la libération conditionnelle et des risques pour le public, lesquels relèvent directement de leur législation et de leur expertise (voir les décisions West c Canada (Commission des libérations conditionnelles), 2020 CF 126 au para 38; Chartrand c Canada (Procureur général), 2018 CF 1183 au para 40).

A. Le cadre législatif

[42] La libération conditionnelle sert les objectifs importants de contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois (Loi, art 100). Dans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant (Loi, art 100.1).

[43] L’article 127 de la Loi, sous réserve de certaines exceptions, accorde aux délinquants le droit à la libération d’office après avoir purgé les deux tiers de leur peine. La libération d’office est surveillée jusqu’à l’expiration de la peine.

[44] Pendant qu’ils sont en liberté d’office, les délinquants doivent respecter les conditions de base prévues par l’article 133 de la Loi et l’article 161 du Règlement. Toutefois, la Commission peut, en vertu du paragraphe 133(3) de la Loi, imposer en plus « les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». En l’espèce, M. Johnston a été soumis à un certain nombre de conditions spéciales, notamment celles spécifiques à ses antécédents criminels et à son risque de récidive, énumérées ci‑dessus au paragraphe 7.

[45] La Commission ou une personne désignée peut, par mandat, suspendre la libération d’office d’un délinquant, autoriser son arrestation, et ordonner sa réincarcération en cas d’inobservation des conditions de la libération conditionnelle ou lorsqu’il est raisonnable et nécessaire de suspendre cette libération pour empêcher des violations subséquentes ou pour protéger la société (art 135(1) de la Loi). La personne qui délivre un mandat en vertu du paragraphe 135(3) doit, dans les 30 jours suivant la réincarcération du délinquant, annuler la suspension ou renvoyer le dossier devant la Commission.

[46] Lorsqu’un délinquant purge une peine de deux ans ou plus, la Commission doit mettre fin à la libération ou la révoquer s’il existe un risque inacceptable pour la société lié à la perspective d’une récidive et, dans le cas contraire, la Commission doit annuler la suspension et libérer le délinquant aux mêmes conditions ou à des conditions modifiées (art 135(5) de la Loi; Yassin c Canada (Procureur général), 2020 CF 237 au para 20). La Commission peut également, lorsqu’elle annule une suspension, réprimander le délinquant, lorsque cela est nécessaire et raisonnable, pour l’avertir qu’elle n’est pas satisfaite de son comportement depuis sa libération (art 135(6) de la Loi).

[47] Le paragraphe 147(1) de la Loi prévoit qu’il est possible d’interjeter appel d’une décision de la Commission auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants, (i) la Commission a violé un principe de justice fondamentale; (ii) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision; (iii) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées; (iv) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets, ou (v) elle a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou omis de l’exercer.

B. Analyse

[48] Au début de la présente audience de contrôle judiciaire, j’ai informé M. Sloan (l’avocat de M. Johnston) que j’avais lu ce qui semblait être les principales parties du dossier. Les deux parties ont reconnu qu’il s’agissait d’un dossier très dense comportant une documentation abondante, y compris de nombreux éléments contextuels, tels que ceux relatifs aux trois suspensions qui ont constitué le fondement des décisions de la Commission et des décisions d’appel, ainsi qu’une quantité importante de documents relatifs aux antécédents de M. Johnston avant les trois suspensions de la mise en liberté. Les deux parties ont reconnu la très grande quantité de documents contenus dans le dossier certifié du tribunal (le DCT), qui compte quelque 1 350 pages, reproduit intégralement par le défendeur dans son dossier.

[49] J’ai donc demandé à M. Sloan des précisions au sujet des documents au dossier sur lesquels il s’appuyait, en soulignant que la partialité en particulier était une allégation sérieuse et que certains détails étaient nécessaires, détails qui ne ressortaient pas à la lecture des allégations de son mémoire des faits et du droit qui se rapportaient à ce sujet. Bien sûr, je m’intéressais également aux éléments de preuve que, selon ses dires, les tribunaux avaient négligés.

[50] M. Sloan a répondu que la totalité des documents contenus dans le dossier corroborait ses arguments et qu’il était nécessaire d’examiner tous les documents fournis. Bien que les avocats fournissent en temps normal plus de directives à la Cour, j’ai fait ce que M. Sloan m’a demandé, compte tenu des intérêts cruciaux en matière de liberté qui sont en jeu, et j’ai examiné attentivement l’ensemble du dossier pour tirer mes conclusions.

(1) Les décisions de la Commission et les décisions d’appel sont raisonnables

[51] M. Johnston soutient que la Commission et la Section d’appel n’ont pas satisfait à la norme de la décision raisonnable exigée par l’arrêt Vavilov. Il soutient que les motifs des deux tribunaux étaient insuffisants au regard de leur impact sur ses droits. À son avis, les motifs des deux tribunaux justifient la suspension de sa libération d’office au motif que ne pas le faire entraînerait un préjudice, mais ils n’expliquent pas ce que ce préjudice pourrait être. Il allègue plutôt que les tribunaux se contentent de faire allusion à des difficultés dans la gestion de la relation entre lui et l’EGC, sans expliquer comment ces difficultés ne pourraient pas être résolues par des mesures moins restrictives dans la collectivité.

[52] Bien que je reconnaisse que les décisions ont eu un impact important sur M. Johnston, car c’est suivant celles‑ci qu’il a été placé sous la garde de l’État, je ne suis pas d’accord avec son affirmation selon laquelle les tribunaux n’ont pas respecté les normes énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[53] Le rapport d’évaluation du SCC du 21 juillet 2020 (le troisième de la série des trois plus récents rapports du SCC, qui a donné lieu aux décisions examinées) (le troisième rapport d’évaluation), recommandait la révocation de la libération de M. Johnston au motif que le risque qu’il posait ne pouvait plus être contrôlé au sein de la collectivité compte tenu de son manque continu de coopération et de transparence. Le troisième rapport d’évaluation note également que les membres du réseau de soutien immédiat de M. Johnston, composé de sa sœur, de son frère et de son fils, sont [traduction« tous impliqués dans sa manipulation de masse ». Le troisième rapport d’évaluation explique ensuite ce qui suit :

[traduction]

[...] la récente suspension a démontré [...] qu’ils sont tous impliqués dans sa manipulation de masse. Il est clair que sa famille, y compris sa sœur, son frère et son fils, sont tous complices de ses activités et des violations des conditions imposées par la Commission des libérations conditionnelles. Il ne semble pas y avoir de preuve que la famille est manipulée. Il semble qu’ils manipulent tous consciemment et faussement l’information et détournent les faits afin de protéger le délinquant. On s’attend à un tel comportement de la part du délinquant, compte tenu de ses antécédents, mais cela est maintenant évident au sein de sa famille également.

Pour ces raisons et bien d’autres, je ne crois pas qu’il existe une quelconque confiance entre le délinquant, ses soutiens et l’EGC [...]. Comme il a été mentionné précédemment, il est pratiquement impossible d’assurer une supervision adéquate dans les circonstances actuelles, y compris la manipulation de masse par le délinquant et ses fréquentations. À chaque suspension, son comportement et les manipulations, que ce soit les siennes ou celles faites par ses fréquentations, deviennent de plus en plus difficiles à gérer. Étant donné les circonstances actuelles, y compris le manque total de confiance de ses contacts collatéraux, le Service correctionnel du Canada est confronté à une tâche extrêmement difficile pour remplir son mandat auprès de la CLCC, qui consiste à surveiller les conditions imposées par cette dernière qui sont jugées nécessaires pour contrôler le risque posé par le délinquant.

[54] Non seulement ces commentaires du SCC révèlent que M. Johnston était, de l’avis de ses surveillants de liberté conditionnelle, habituellement évasif envers l’EGC, mais aussi que son réseau de soutien immédiat participait activement à son comportement. À la lumière de ses antécédents criminels décrits ci‑dessus, ainsi que des deux suspensions précédentes qui découlaient du même manque de disposition de M. Johnston d’être franc et honnête envers l’EGC, le SCC a jugé qu’il était extrêmement difficile – selon ses propres termes, « pratiquement impossible » – d’assurer le respect des conditions de sa mise en liberté.

[55] Après avoir examiné le troisième rapport d’évaluation (et les rapports antérieurs du SCC), ainsi que les observations de M. Johnston et de ses soutiens, et compte tenu de ses antécédents criminels et correctionnels, la Commission a conclu que M. Johnston posait un risque inacceptable pour la société. La Commission conclut ainsi sa longue et détaillée décision du 28 septembre 2020 :

[traduction]

En résumé, la Commission a tenu compte des facteurs aggravants et atténuants pour évaluer le risque que vous posez pour la communauté. À votre crédit, vous vous êtes engagé auprès de votre groupe religieux et avez participé à une célébration de rétablissement. Vous avez également passé du temps avec votre ancienne conjointe, votre sœur et vos frères, ainsi qu’avec vos enfants. Vous avez également terminé le programme communautaire, où vous avez fait des progrès notables. Vous avez eu accès à un agent de programme, à un agent de libération conditionnelle et à toute autre ressource disponible par l’intermédiaire du SCC.

Du point de vue des circonstances aggravantes, vous avez été condamné à quatre reprises à des peines à purger dans un établissement, et votre lourd passé criminel comprend des condamnations pour fraude et abus de confiance. Vos deux dernières libérations d’office ont été marquées par des suspensions, des révocations et des activités criminelles. Bien que vous ayez terminé le programme communautaire, votre attitude doit nettement s’améliorer. Selon les évaluations, votre degré de motivation et de responsabilité est toujours faible.

Tout au long de votre mise en liberté, votre libération d’office a été suspendue à de multiples reprises en raison de vos difficultés à fournir des réponses factuelles précises aux questions de votre agent de libération conditionnelle. Vos réponses et justifications continuent de changer au fur et à mesure que les surveillants posent de plus en plus de questions. Vous avez, à plus d’une occasion, dû revoir vos réponses à des questions telles que : où avez‑vous acheté de la bière après votre arrestation, et où avez‑vous obtenu les 4 000 $? Cela démontre une attitude d’accroissement du risque et ces exemples sont directement liés aux questions financières et à la transparence.

Par votre décision de commettre un vol dans une épicerie et de ne pas dire la vérité à votre agent de libération conditionnelle, par votre décision de mêler vos finances à celles de votre fils et par votre incapacité à répondre directement à la question de votre agent de libération conditionnelle sur l’origine des 4 000 $ que vous aviez reçu, vous avez fait preuve d’une attitude d’opposition soutenue et enracinée envers votre supervision. Il s’agit d’une escalade manifeste de votre risque, qui vous replonge dans le cycle de l’infraction. Le risque que vous posez ne peut plus être contrôlé dans la collectivité en raison de votre attitude et de votre incapacité à travailler en collaboration avec votre EGC.

La Commission est d’avis que vous présenteriez un risque inacceptable pour la société si vous êtes libéré d’office et que votre mise en liberté ne contribuerait pas à protéger la société en facilitant votre réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

[56] La Commission ne s’est pas préoccupée des versions contradictoires d’événements particuliers, mais plutôt du fait que M. Johnston avait toujours fait preuve d’un manque d’ouverture et de transparence envers son EGC. Selon la Commission, le fait même que M. Johnston ait régulièrement livré des récits divergents à l’EGC en réponse à des questions directes démontrait qu’il n’était pas disposé à entretenir une relation de confiance. C’est précisément pour ce type de comportement que la Commission a réprimandé M. Johnston lorsqu’elle a annulé la deuxième suspension. En effet, non seulement le comportement de M. Johnston a suscité la colère de l’EGC et de la Commission, mais il a également entravé la capacité de l’EGC à surveiller sa mise en liberté.

[57] Je n’accepte pas l’argument de M. Johnston selon lequel la Commission [traduction] « a simplement fait allusion aux difficultés perçues dans la gestion des relations avec le demandeur et les personnes qui l’appuient, sans expliquer comment ces difficultés ne pouvaient pas être résolues par des mesures prises dans la collectivité ». La Commission explique que la malhonnêteté et le manque de coopération répétés de M. Johnston ont rendu presque impossible pour l’EGC d’assurer le respect de ses conditions, qui, il faut le rappeler, ont été imposées précisément pour traiter le risque que pose M. Johnston dans la collectivité.

[58] La Commission conserve le pouvoir discrétionnaire ultime de révoquer la libération d’office d’un délinquant, en se fondant sur le fait que le maintien en liberté du délinquant présenterait un risque inacceptable pour la société (art 135 de la Loi). La protection de la société est à la fois l’objectif et la justification en droit criminel de la révocation de la libération conditionnelle, ainsi que le critère prépondérant des décisions prises au titre de la Loi : Canada (Attorney General) v Samuel, 2019 ONCA 555 au para 23; art 100.1 de la Loi.

[59] La Loi et la Commission imposent des conditions aux délinquants libérés en vue de favoriser la réadaptation – c’est‑à‑dire de décourager la récidive et de promouvoir leur réinsertion sociale en tant que citoyens respectueux des lois (art 100 de la Loi). Le respect des conditions de libération – en particulier celles qui sont adaptées aux circonstances et aux antécédents propres au délinquant – est essentiel à l’atteinte de ces objectifs. Il est donc entendu que les agents de libération conditionnelle et les EGC jouent un rôle central pour garantir que le cadre de libération conditionnelle envisagé par le législateur fonctionne de manière efficace et juste.

[60] Un délinquant qui ne respecte pas les conditions qui lui ont été imposées risque de perdre sa libération conditionnelle si ses actions ou sa conduite vont à l’encontre des deux objectifs du cadre de libération conditionnelle (réadaptation et réinsertion). Un délinquant qui refuse de coopérer avec son EGC va également à l’encontre de ces objectifs, car sa conduite empêche l’EGC d’assurer le respect des conditions. Sans une surveillance adéquate, les délinquants ne sont pas à l’abri de la récidive et sont moins susceptibles de réussir leur réinsertion dans la société avec une appréciation et un respect approprié de la loi. Ceci, par le fait même, crée un risque important pour la société.

[61] Après avoir examiné les décisions, je suis d’avis qu’il est raisonnable que les deux tribunaux aient conclu que M. Johnston posait un risque inacceptable pour la société. Comme le montre l’extrait reproduit au paragraphe 55, la Commission a soigneusement soupesé les facteurs atténuants et aggravants du cas de M. Johnston.

[62] À la lumière de la preuve, je conclus que les motifs des deux tribunaux ont chacun traité de la preuve, y compris les circonstances dans lesquelles s’inscrivaient les suspensions antérieures, et qu’ils ont tenu compte des arguments qui leur avaient été présentés par M. Johnston et son avocat (que la Commission a qualifié d’« assistant », compte tenu de son processus inquisitoire).

[63] De plus, je considère que les motifs écrits des deux tribunaux sont minutieux, rigoureux et intrinsèquement cohérents. Ils traitent de manière adéquate les éléments de preuve pertinents au regard de la loi, des principes de risque et de l’objectif de réinsertion, dans un contexte de mesures moins restrictives. La Commission a examiné avec une impressionnante exhaustivité l’explication donnée par M. Johnston, mais était limitée par une réprimande claire et justifiée résultant des deux précédentes annulations de ses suspensions de libération.

[64] À la suite de la décision de la Commission, et compte tenu de l’exhaustivité de son analyse et de l’absence d’erreurs, je suis également convaincu qu’il était raisonnable de la part de la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission.

[65] M. Johnston soutient que la Section d’appel n’a pas tenu compte de son témoignage et n’a pas traité de ses arguments. M. Johnston a soulevé un certain nombre de questions dans ses observations à la Section d’appel. Il a soutenu que les conclusions de l’EGC concernant sa mauvaise conduite alléguée étaient erronées. En ce qui concerne la troisième suspension, il a affirmé qu’il avait ouvert le compte Amazon avec ses fils et qu’il n’avait jamais été lui‑même titulaire d’une carte de crédit. Il a affirmé que ses fils avaient utilisé le compte avec leurs propres cartes de débit ou de crédit – un fait qui, selon lui, avait été porté à la connaissance de l’EGC. Il allègue que cette affirmation n’a pas été contestée par la Commission.

[66] M. Johnston a également allégué que ses éclaircissements concernant le dépôt de 4 000 $ effectué dans son compte n’avaient pas été contestés par la Commission. Il a fait valoir que la Commission avait ignoré les arguments et la preuve concernant la partialité alléguée de l’EGC à son égard, notamment un courriel de son ami Sade Cole rappelant des commentaires désobligeants faits par son agent de libération conditionnelle. J’aborde l’argument de la partialité plus loin dans ces motifs.

[67] Bien que M. Johnston affirme que la Commission n’a pas examiné correctement la preuve ou ni évalué la crédibilité, à mon avis, il se plaint surtout de la Commission. Le commissaire a discuté de la situation du compte Amazon, faisant remarquer qu’en autorisant sa famille à accéder à son compte Amazon, il avait [traduction« créé une situation dans laquelle il était presque impossible pour [son] EGC de surveiller avec exactitude [ses] finances ». Sur ce point, la Commission a poursuivi ainsi :

[traduction]

Vous avez dit à la Commission que le fait d’avoir un compte Amazon partagé était une façon de vous rapprocher de votre fils, et la Commission trouve que cette explication est une façon plutôt étrange ou unique de promouvoir les liens familiaux. Votre EGC a également noté que vous n’avez pas demandé l’autorisation d’obtenir une carte VISA prépayée et que ces types de cartes ne produisent pas de relevé mensuel, de sorte que l’EGC ne peut donc pas examiner vos achats. La Commission constate ici des lacunes évidentes dans votre prise de décision, et en particulier votre attitude, qui est un facteur contribuant à votre délinquance.

[68] De toute évidence, la Commission ne s’opposait pas uniquement au fait que M. Johnston avait des cartes de crédit prépayées attribuées à son compte Amazon – qu’elles soient ou non les siennes. Elle était plutôt préoccupée par le fait qu’en permettant à d’autres personnes d’accéder à son compte, M. Johnston compliquerait la tâche de l’EGC de surveiller ses finances, d’autant plus que les cartes de crédit étaient attribuées au compte sous son propre nom, et non sous celui de son fils.

[69] De plus, le fait que les cartes de crédit utilisées avec le compte Amazon ne produisaient pas de relevés mensuels – comme ce serait le cas avec des cartes de crédit ou de débit ordinaires – aggravait la situation, puisque l’une des principales conditions de la libération de M. Johnston était que ses activités financières, y compris toute activité liée aux cartes de crédit, soient surveillées. En effet, la Commission a imposé deux conditions particulières liées spécifiquement aux transactions financières et à l’utilisation des cartes de crédit :

[70] Même si l’on admet que les cartes de crédit appartenaient au fils de M. Johnston et que M. Johnston lui‑même ne les a pas utilisées pour effectuer des achats, mais que c’est son fils qui les a effectués – selon le témoignage de M. Johnston et de son fils – le fait que M. Johnston n’ait pas divulgué son compte partagé à son EGC constitue tout de même une source de préoccupation.

[71] Comme le souligne la Commission, et comme l’atteste le dossier, les établissements correctionnels, les agents de libération conditionnelle et les tribunaux se sont tous penchés sur le comportement frauduleux et sur les abus de confiance dont M. Johnston a fait montre pendant plusieurs années à l’égard de diverses victimes, y compris celles qu’il connaissait et/ou avec lesquelles il avait des relations, et d’autres personnes (comme la population carcérale en général en ce qui concerne son stratagème de déclaration de revenus). Les agents de libération conditionnelle – qu’il s’agisse de ceux qui gèrent son dossier au sein des EGC ou de ceux qui examinent les recommandations des EGC devant les tribunaux – étaient tenus de surveiller de près les risques pour le public.

[72] C’est précisément la raison pour laquelle M. Johnston était soumis à des conditions strictes en matière de divulgation financière, d’obtention de documents bancaires, d’exercice de fonctions d’autorité ou d’influence et de relations intimes avec des femmes, que M. Johnston manipulait, selon la Commission, pour faciliter ses divers stratagèmes frauduleux.

[73] Par conséquent, le fait de cacher à l’EGC l’existence de son compte Amazon, les cartes de crédit qui y étaient liées et l’accès de son fils à ce compte va à l’encontre de la surveillance stricte et du contrôle financier auxquels la Loi soumet M. Johnston. La Commission a donc non seulement examiné la question du compte Amazon, contrairement à ce qu’affirme M. Johnston, mais elle l’a fait avec suffisamment d’explications.

[74] De même, M. Johnston affirme que la Commission n’a pas tenu compte de son témoignage en ce qui concerne le dépôt de 4 000 $ effectué en juin 2020. Devant la Commission, il a déclaré que l’argent provenait de plusieurs sources : premièrement, il a affirmé qu’une partie des fonds avait été transférée de son frère par l’intermédiaire de sa sœur qui les détenait en fiducie, car son frère avait été l’exécuteur testamentaire de ses parents; deuxièmement, il a affirmé qu’une autre partie provenait de son compte d’épargne par l’intermédiaire d’un transfert entre comptes; et troisièmement, une autre partie provenait directement de son frère, qui avait accepté de l’aider financièrement.

[75] Pourtant, selon les détails fournis dans le troisième rapport d’évaluation, M. Johnston avait informé son agent de libération conditionnelle avant les suspensions que les fonds provenaient tous de son frère. L’agent de libération conditionnelle de M. Johnston a communiqué avec le frère de ce dernier pour confirmer qu’il avait bien envoyé les fonds, et bien que le frère ait dit à l’agent de libération conditionnelle qu’il s’était engagé à aider M. Johnston en lui donnant 500 $ par mois, il a également indiqué qu’il n’avait pas encore commencé à lui verser les fonds. Il a indiqué qu’il serait en mesure de le faire à partir de juillet 2020.

[76] En effet, l’agent de libération conditionnelle de M. Johnston a témoigné devant la Commission au sujet d’une conversation qu’il avait eue avec le frère de M. Johnston, au cours de laquelle ce dernier avait été [traduction] « très, très clair » sur le fait qu’aucune somme d’argent n’avait été envoyée à M. Johnston par l’entremise de sa sœur ou de tout autre mécanisme. Ainsi, il existe des rapports contradictoires quant à l’origine du dépôt. La Commission a souligné cette divergence dans sa décision :

[traduction]

Vous avez affirmé que ces fonds provenaient de votre frère. Votre agent de libération conditionnelle a communiqué avec votre frère, et ce dernier a indiqué qu’il ne vous avait pas transféré d’argent. Il a confirmé qu’il avait l’intention de vous aider en vous donnant 500 $ par mois, comme convenu précédemment, mais qu’il ne l’avait pas encore fait. Il est également important de rappeler qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé – la libération de M. Johnston ayant été suspendue à deux reprises. Lorsqu’on vous a posé des questions au sujet du montant d’environ 4 000 $ transféré dans votre compte bancaire, vous avez affirmé qu’il provenait de votre frère, cependant votre histoire à ce sujet a quelque peu changé. Vous avez expliqué que les fonds étaient passés de votre frère à votre sœur, puis à vous, mais qu’ils provenaient finalement de votre frère. Les observations que vous avez formulées avant l’audience ne correspondent pas à ce que vous avez dit à votre agent de libération conditionnelle. Vous affirmez maintenant que l’argent est venu de votre sœur par l’intermédiaire de votre frère. Une fois de plus, la Commission juge que vous avez manqué de transparence et de responsabilité envers votre agent de libération conditionnelle. Vous n’avez pas pu fournir une réponse simple à la question de savoir comment et de qui vous avez reçu les 4 000 $. Encore une fois, vous semblez mêler vos soutiens communautaires à vos finances et vous manquez de franchise envers votre EGC. Cet incident est un autre exemple d’une mauvaise attitude, d’un manque de responsabilité et d’un manque de fiabilité.

[77] La conclusion selon laquelle M. Johnston [traduction] « mêl[ait] ses soutiens communautaires à ses finances » est, contrairement à ce qu’il prétend, parfaitement raisonnable au vu des faits. La Commission était préoccupée à propos du défaut de M. Johnston de respecter les conditions de sa libération et d’informer les agents de libération conditionnelle chargés de la surveillance; elle l’était tout autant à propos du fait que M. Johnston ne donnait pas de réponses directes et cohérentes lorsqu’on lui posait des questions sur les conditions de sa libération.

[78] En bref, il était loisible à la Section d’appel de conclure que la Commission était raisonnablement parvenue à ses conclusions, suivant un examen du dossier et des éléments de preuve pertinents, fiables et convaincants. Mon examen de l’ensemble du dossier et de la totalité des éléments de preuve confirme qu’il était effectivement loisible aux deux tribunaux de parvenir à leurs conclusions concernant le risque pour le public et le résultat de la révocation de la libération d’office.

[79] M. Johnston a également plaidé devant la Section d’appel que la Commission avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait qu’il avait utilisé LinkedIn pour obtenir des renseignements sur sa nouvelle agente de libération conditionnelle avant la première suspension. Je ne suis pas d’accord; la Commission a souligné que cette situation témoignait d’un autre cas où M. Johnston était évasif dans ses communications avec l’EGC, et il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion au regard de la matrice factuelle dont elle était saisie :

[traduction]

Environ un mois plus tard, votre libération a été suspendue, car vous avez utilisé une carte de crédit, ce qui allait à l’encontre des spéciales qui vous avaient été imposées, et fait preuve de lacunes évidentes en matière de responsabilité et de transparence. Vous n’avez même pas pu répondre à une simple question sur la consultation du profil LinkedIn de votre agente de libération conditionnelle, ce qui constitue clairement un comportement à risque. Lors d’une réunion de supervision, votre agente de libération conditionnelle vous a demandé si vous aviez consulté son profil. Vous avez d’abord nié toute connaissance de l’application LinkedIn. Puis votre histoire a changé. Vous avez finalement révélé que vous aviez utilisé l’application il y a plusieurs années et avez nié savoir que le compte existait toujours. Puis votre histoire a encore changé. Quelqu’un d’autre a créé le compte pendant votre incarcération, car vous ne saviez pas comment utiliser l’application. Puis votre histoire a encore changé. Vous avez effectivement utilisé l’application LinkedIn pour consulter le profil de votre agente de libération conditionnelle, car vous vouliez savoir qui vous surveillerait lors de votre libération conditionnelle. À l’audience d’aujourd’hui, votre histoire a encore changé et vous avez nié avoir utilisé [sic] l’application. De l’avis de la Commission, il s’agit là d’un nouvel exemple de votre manipulation des surveillants et de votre résistance aux attentes de la surveillance. Cette attitude à risque vis‑à‑vis de la surveillance démontre que vous direz ou ferez tout ce qu’il faut pour vous présenter sous le meilleur jour positif. La Commission s’attend à ce que les délinquants travaillent en collaboration avec votre équipe de gestion des cas (l’EGC), car cela permet d’atténuer le risque de récidive. Vous avez manifestement des difficultés à collaborer.

[Non souligné dans l’original.]

[80] En conclusion, je ne relève aucune erreur dans la décision de la Commission ni dans la décision d’appel sur le fond. Je ne suis pas d’accord pour dire que la Commission a fait fi de certains éléments de preuve. Après avoir examiné la preuve, y compris toutes les déclarations et observations de M. Johnston, ainsi que celles de son réseau de soutien et de ses avocats, la contestation de M. Johnston porte sur la manière dont les deux tribunaux ont examiné et, en fin de compte, évalué les éléments de preuve.

[81] En effet, les deux premières fois où l’affaire a été portée devant la Commission, la balance a penché en faveur de M. Johnston. Premièrement, la Commission a accordé à M. Johnston le bénéfice du doute concernant le premier rapport d’évaluation du SCC et a annulé la révocation.

[82] La deuxième sanction à l’encontre de M. Johnston lui a également accordé le bénéfice du doute quant au résultat – à savoir lui permettre de maintenir sa libération dans la collectivité. Toutefois, cette deuxième sanction n’a eu lieu qu’après une réprimande. Cette réprimande n’aurait pas pu être plus claire.

[83] Le Conseil a tenu parole au prochain (le troisième) faux pas. M. Johnston a été surveillé de près, ce qui a entraîné une action immédiate de la part du SCC et, par la suite, deux décisions défavorables. Il s’agissait, pour reprendre une expression galvaudée, de la troisième prise contre M. Johnston, et il était raisonnable, tant pour la Commission que pour la Section d’appel, de maintenir la troisième suspension, contrairement à l’annulation de chacune des deux premières.

(2) La question de compétence et la partialité

[84] M. Johnston a également prétendu devant cette Cour que ni la Commission ni la Section d’appel n’avaient abordé la mauvaise gestion alléguée de son dossier par l’EGC et la partialité ou l’animosité dont faisaient montre des membres de l’EGC. En d’autres termes, il fait valoir que les deux tribunaux auraient dû tenir compte de ses plaintes concernant la qualité du travail de l’EGC et trancher la question de savoir si une animosité ou une partialité réelle ou apparente a diminué l’exactitude de leur évaluation du risque d’une manière rendant la suspension de sa libération déraisonnable.

[85] Je ne suis pas d’accord. La Section d’appel a souligné que les questions relatives aux actions ou aux décisions de l’EGC relèvent d’une procédure de règlement des griefs et ne sont pas de la compétence des tribunaux qui se penchent sur les questions liées aux risques d’un retour dans la collectivité. La Loi et le Règlement prévoient un cadre de règlement des griefs pour les délinquants (prévu par l’article 91 de la Loi et détaillé dans les articles 74 à 82 du Règlement). Le Règlement prévoit qu’un délinquant préoccupé par la décision ou l’action d’un membre du personnel du SCC doit d’abord soumettre une plainte écrite au superviseur de ce membre du personnel et, s’il n’est pas satisfait de l’issue de cette plainte, il peut déposer un grief auprès du directeur de l’établissement (articles 74 et 75). S’il n’est pas satisfait de l’issue du grief, le délinquant peut faire appel de la décision auprès du commissaire.

[86] À partir de là, en vertu du paragraphe 167(1) de la Loi, l’enquêteur correctionnel peut mener « des enquêtes sur les problèmes des délinquants liés aux décisions, recommandations, actes ou omissions qui proviennent du commissaire » ou « d’une personne sous son autorité ou exerçant des fonctions en son nom qui affectent les délinquants individuellement ou en groupe ».

[87] Ainsi, dans la mesure où M. Johnston conteste la gestion quotidienne de son dossier par l’EGC, l’instance pouvant rendre une décision à cet égard n’est ni la Commission, ni la Section d’appel, ni la Cour.

[88] Toutefois, je reconnais également que, puisque la Commission tient compte de l’évaluation d’un délinquant par l’EGC pour décider de suspendre, de révoquer ou de mettre fin à la mise en liberté sous condition, les allégations selon lesquelles cette évaluation sous‑jacente est fondée sur la partialité sont pertinentes dans la mesure où elles remettent en question la véracité des conclusions et de la preuve du SCC. Il est certain que les allégations selon lesquelles l’évaluation de l’EGC est infondée ou arbitraire relèvent de la compétence de la Commission, et donc de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[89] Je fais également remarquer que les évaluations de l’EGC ne sont qu’un facteur parmi d’autres dont la Commission tient compte pour établir si un délinquant présente un risque inacceptable pour la collectivité. En tant qu’entité indépendante, la Commission n’est pas liée par les conclusions du SCC, comme en témoigne le fait que la Commission a annulé deux fois la suspension de M. Johnston, et ce, malgré la forte recommandation contraire du SCC dans les deux cas. Comme on l’a vu plus haut, la Commission a appelé deux prises contre M. Johnston. Elle ne l’a retiré qu’à la troisième, comme l’avait fait la Section d’appel. Les deux tribunaux ont tenu compte de l’ensemble des circonstances, y compris de l’effet cumulatif des actions de M. Johnston depuis sa libération d’office en 2019.

[90] Il convient de noter que la Commission n’exerce pas une fonction judiciaire ou quasi‑judiciaire; elle n’entend pas et n’apprécie pas la preuve de la même manière et selon les mêmes règles qu’un tribunal, et n’est pas tenue de respecter les mêmes normes. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, [1996] ACS no 10 (QL) [Mooring] au para 26 :

Il est donc clair que la Commission n’entend et n’évalue aucun témoignage, et qu’elle agit plutôt sur la foi de renseignements. Elle exerce des fonctions d’enquête sans la présence de parties opposées : il n’y a pas d’avocat pour défendre les intérêts de l’État, et le détenu en liberté conditionnelle n’a pas de « preuve à réfuter » comme telle. [...]

(Voir aussi l’arrêt Ouellette c Canada (Attorney General), 2013 CAF 54 au para 66 [Ouellette].)

[91] Bien que les Cours aient clairement établi que la Commission joue un rôle inquisitoire et prend ses décisions plutôt sur la foi de renseignements recueillis dans le cadre d’une enquête, et non pas au cours d’une procédure contradictoire formelle (Mooring; Ouellette), la Commission est tenue, au titre de l’article 100.1 de la Loi, de considérer la protection de la société comme la considération la plus importante lorsqu’elle est saisie d’un dossier, ce qui comprend l’évaluation de la question de savoir si un délinquant pose un risque inacceptable pour la société. La Commission doit donc porter une attention particulière aux circonstances et évaluer si elle impose le moyen le moins restrictif.

[92] Dans la mise en balance des objectifs et des principes relatifs aux risques pour la collectivité et aux libertés individuelles, les membres sont tenus de fournir des motifs justifiables, transparents et intelligibles, et qui répondent aux considérations qui leur sont soumises. Les deux parties ont invoqué l’arrêt Vavilov à cet égard. Outre la nécessité de fournir une justification dans le raisonnement, il existe plusieurs autres principes de l’arrêt Vavilov qui s’appliquent aux décisions Mooring/Ouellette, et aux tribunaux en question ici. Par exemple, au paragraphe 92 de l’arrêt Vavilov, la Cour fait remarquer ce qui suit :

On ne peut pas toujours s’attendre à ce que les décideurs administratifs déploient toute la gamme de techniques juridiques auxquelles on peut s’attendre de la part d’un avocat ou d’un juge et il ne sera pas toujours nécessaire, ni même utile, de le faire. En réalité, les concepts et le vocabulaire employés par ces décideurs sont souvent, dans une très large mesure, propres à leur champ d’expertise et d’expérience, et ils influent tant sur la forme que sur la teneur de leurs motifs. Ces différences ne sont pas forcément le signe d’une décision déraisonnable; en fait, elles peuvent indiquer la force du décideur dans son champ d’expertise précis [...]

[93] L’arrêt Vavilov donne également aux cours de justice la directive de ne pas tenir les décideurs administratifs à une norme de perfection (au para 91; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 18).

[94] En outre, on ne peut pas toujours s’attendre à ce que des décideurs tels que la Commission et la Section d’appel déploient le même éventail de techniques juridiques que les avocats ou les juges, et la cour de révision doit prêter une attention particulière à l’application de l’expérience et de l’expertise institutionnelles des tribunaux (Vavilov aux para 91 à 93). Comme l’a expliqué la Cour suprême au paragraphe 93 de l’arrêt Vavilov :

L’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre‑intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision. Lorsqu’établies, cette expérience et cette expertise peuvent elles aussi expliquer pourquoi l’analyse d’une question donnée est moins étoffée.

[95] Bien qu’il ait été préférable que la Commission réponde explicitement aux arguments de M. Johnston concernant la partialité réelle ou perçue, il est néanmoins évident, d’après les motifs de la Commission, qu’elle n’a pas jugé ces allégations fondées. Suivant l’évaluation de l’ensemble des circonstances, y compris les nombreux antécédents criminels et de libération conditionnelle de M. Johnston, et le prononcé de sa décision qui ne contenait aucun renvoi aux allégations de partialité, la Commission a démontré qu’elle jugeait que M. Johnston posait un risque inacceptable pour la société, indépendamment de la question de savoir si l’EGC était partiale ou non.

[96] Je conclus que la Commission a agi de façon parfaitement raisonnable lorsqu’elle s’est appuyée sur le grand nombre d’éléments de preuve au dossier qui démontrent le mépris de M. Johnston pour la loi et ses conditions, ainsi que son attitude non coopérative envers son EGC et le SCC, non seulement au cours de sa plus récente libération d’office, mais aussi à des moments antérieurs de son passé. Encore une fois, ces faits sont bien consignés dans le dossier et dans les nombreux rapports du SCC antérieurs à 2019, lesquels avaient été rédigés par différents agents, et pour lesquels l’EGC était composée de façon différente.

[97] La matrice factuelle à elle seule suggère qu’il était raisonnable pour les tribunaux de ne pas s’attarder sur les allégations selon lesquelles la faute incombait aux personnes qui surveillaient et évaluaient M. Johnston; en fait, un thème commun dans les rapports antérieurs à 2019 est celui selon lequel M. Johnston blâmait les autres pour ses problèmes. Les deux tribunaux ont plutôt conclu que les manquements étaient imputables à M. Johnston lui‑même, plutôt qu’à une quelconque animosité ou partialité à son égard.

[98] Dans la matrice factuelle antérieure comprenait le fait que, pendant les deuxième et troisième peines fédérales de M. Johnston, la Commission (avant 2019) avait mis en liberté d’office. M. Johnston avait alors continué à récidiver, ce qui a donné lieu à plusieurs révocations. Au moment de sa dernière condamnation, M. Johnston était en liberté sous caution pour des infractions antérieures.

[99] Enfin, je conclus que M. Johnston n’est tout simplement pas d’accord avec le résultat de la décision de la Commission, et qu’il n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle ou une preuve de partialité; la Commission a tenu compte de l’ensemble des circonstances dans sa décision.

[100] Je ne suis pas non plus d’accord, d’après mon propre examen du dossier, que les allégations et les preuves présentées par M. Johnston démontrent l’incapacité de l’EGC à évaluer son cas de façon objective et raisonnable. À titre d’exemple, dont j’ai fait mention dans la section précédente, M. Johnston s’oppose à la conclusion de l’EGC – conclusion par ailleurs acceptée par la Commission et la Section d’appel – selon laquelle son utilisation de LinkedIn pour obtenir des renseignements sur sa nouvelle agente de libération conditionnelle avant la première suspension était [traduction« un nouvel exemple de [sa] manipulation des surveillants et de [sa] résistance aux attentes de la surveillance ». Il affirme que cette conclusion indique une [traduction« prédisposition à [lui] trouver des défauts », parce qu’elle implique une intention négative à partir d’une circonstance par ailleurs fortuite.

[101] L’observation de M. Johnston sur ce point présente deux problèmes. Premièrement, elle déforme ce que la Commission a réellement dit et deuxièmement, elle suppose que la Commission a examiné les événements isolément, plutôt que de manière holistique dans le contexte de son passé mouvementé.

[102] Sur le premier point concernant la déformation des propos de la Commission, cette dernière n’a pas conclu que l’utilisation par M. Johnston de LinkedIn pour obtenir des informations sur sa nouvelle agente de libération conditionnelle était en soi problématique; le vrai problème était que, lorsqu’il a été confronté au fait, M. Johnston n’a pas pu donner une réponse directe et honnête à son agente. En effet, la Commission a noté que sa version des faits a même changé au cours de l’audience (à cet égard, voir l’extrait figurant au paragraphe 79 des présents motifs). Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres que la Commission a cité, comme d’autres histoires changeantes ou vérités alternatives venant de M. Johnston.

[103] Sur le deuxième point, M. Johnston oublie que ces commentaires ont été faits dans le cadre d’une discussion sur l’ensemble de ses antécédents, qui sont truffés de cas de non‑respect des conditions imposées et de manipulation (voir l’extrait de la décision de la Commission au paragraphe 21 des présents motifs). M. Johnston a fait référence à d’autres événements qui, selon lui, suggèrent une partialité de la part de l’EGC devant la Commission, notamment des remarques désobligeantes qui auraient été faites au sujet de l’utilisation par son fils de son compte Amazon, une réunion annulée entre son agente de libération conditionnelle et son fils pour une inspection sur l’une des cartes de crédit liées au compte, et un appel téléphonique désobligeant qui aurait été passé à l’un des amis de M. Johnston au sujet de ce dernier.

[104] Pourtant, ces observations tentent de détourner l’attention de la véritable question en jeu, à savoir la réticence persistante de M. Johnston à communiquer des renseignements à ses agents de libération conditionnelle et à respecter les conditions qui lui étaient imposées. Je dis agents de libération conditionnelle, car bien que M. Johnston ait semblé se concentrer sur la partialité et l’animosité alléguées venant spécifiquement de Mme Sitt (la responsable des libérations conditionnelles de l’agent qui lui était attitré) et de M. Blair (l’agent en question), je constate que cette EGC a énuméré des facteurs atténuants du comportement de M. Johnston dans ses rapports d’évaluation. Cela correspondait à ce que d’autres agents de libération conditionnelle et superviseurs avaient fait (par exemple, M. Buchanan, Mme Brennan et Mme Jaffer).

[105] En somme, l’équilibre évident dans les nombreux rapports du SCC contenus dans le DCT, et le fait que des cycles de comportement négatifs se sont produits de façon constante au fil des ans, témoignent non pas des problèmes de gestion du dossier de M. Johnston par l’EGC, mais plutôt de l’incapacité et du manque de volonté de M. Johnston à s’engager à l’égard du double objectif de la libération d’office.

[106] Un examen minutieux du dossier et une évaluation globale du risque que pose M. Johnston démontrent que la décision de la Commission est logique, cohérente et justifiée à la lumière des faits et du droit, compte tenu des préoccupations que la Commission avait concernant les récits changeants de M. Johnston et son défaut de divulguer des faits conformément aux conditions qui lui étaient imposées. De même, la décision d’appel confirmant les conclusions de la Commission est également justifiée, et donc raisonnable. Il n’y a tout simplement aucune preuve de partialité.

[107] Enfin, je reviens à l’arrêt Vavilov, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 98 :

[...] Dans l’arrêt Alberta Teachers, notre Cour a aussi confirmé l’importance de motiver adéquatement une décision et rappelé que « la déférence inhérente à la norme de la décision raisonnable se manifeste optimalement lorsqu’une décision administrative est justifiée de façon intelligible et transparente et que la juridiction de révision contrôle la décision à partir des motifs qui l’étayent » : paragraphe 54. Lorsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de la décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[Non souligné dans l’original.]

[108] En l’espèce, dans la mesure où les tribunaux n’ont pas parlé davantage de partialité ni abordé les allégations précises formulées par M. Johnston et par son réseau de soutien dans leurs affidavits (dont certains ne sont pas signés) et dans d’autres déclarations, la justification et les raisons de favoriser les faits objectifs, y compris le manque de crédibilité, plutôt que les allégations de partialité, peuvent être facilement et clairement « déduites du dossier ».

(3) La COVID‑19

[109] Enfin, M. Johnston prétend que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de son âge, de son état de santé et de sa vulnérabilité à une infection grave causée par le virus de la COVID‑19. Il soutient que la Section d’appel a simplement balayé son argument lorsqu’elle a laissé entendre que l’établissement dans lequel M. Johnston est incarcéré avait adéquatement empêché la propagation de la COVID‑19 dans ses murs jusqu’à ce moment.

[110] À mon avis, la Commission a évalué de façon adéquate la situation de M. Johnston et sa susceptibilité personnelle face à la COVID‑19, y compris le rapport d’un médecin soumis à cet égard. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que la Commission a pris sa décision quant au risque que pose M. Johnston dans la collectivité en se basant sur une analyse holistique de l’ensemble du dossier.

[111] En ce qui concerne l’argument relatif à la COVID‑19 en particulier, la Commission a jugé que le risque d’infection et les conséquences graves propres à M. Johnston ne l’emportaient pas sur le risque qu’il représentait pour la société. La Commission a écrit ce qui suit :

[traduction]

La Commission a tenu compte de la pandémie de COVID dans sa décision d’aujourd’hui. Comme dans toutes les décisions de la Commission, la sécurité publique demeure primordiale. Dans le cadre de votre représentation, un médecin a procédé à un examen de votre dossier, sur la base des informations que vous avez fournies. Il a nuancé ses propos en déclarant ce qui suit. « Je n’ai aucun moyen de savoir si l’information est exacte, mais je peux donner mon avis en supposant que l’information est vraie. » Le spécialiste juge que vous appartenez à la catégorie de gens à haut risque de développer des formes graves de la COVID, en raison d’un asthme chronique et de votre âge. Dans vos observations, vous discutez des problèmes d’accès aux soins et aux mesures d’hygiène. La Commission vous encourage à vous adresser à votre EGC ou au Bureau de l’enquêteur correctionnel pour régler ces questions. La Commission a reçu des mises à jour de votre agent de libération conditionnelle, indiquant qu’il n’y a aucun cas actif de COVID dans l’établissement. La Commission a confiance dans les mesures de résilience prises par le SCC, y compris la nécessité d’un confinement cellulaire temporaire dont vous avez parlé dans votre lettre. De l’avis de la Commission, les mesures prises par le SCC ont empêché la COVID d’entrer dans l’établissement et sont suffisamment résilientes pour l’emporter sur votre vulnérabilité particulière à cette pandémie.

[112] La Section d’appel a jugé cette conclusion raisonnable, et je suis du même avis qu’elle. La Section d’appel a résumé ainsi les conclusions de la Commission :

[traduction]

Contrairement à ce que vous avez affirmé, la Commission a pris en compte les informations que vous avez soumises concernant vos vulnérabilités et le risque auquel vous êtes exposé dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. La Commission a examiné les informations que vous avez fournies, l’environnement correctionnel en question dans le contexte de la COVID‑19 et les mesures mises en œuvre par l’établissement correctionnel. La Commission vous a raisonnablement encouragé à aborder vos préoccupations en matière d’accès aux soins et à l’hygiène avec votre EGC ou le Bureau de l’enquêteur correctionnel. La Section d’appel conclut que la Commission a procédé à une évaluation équitable du risque, qu’elle a soupesé tous les renseignements pertinents, y compris votre situation personnelle dans le contexte de l’incarcération lié à la COVID‑19, et qu’elle a raisonnablement conclu que la considération la plus importante était la protection de la société.

V. Ordonnance et dépens demandés

[113] À l’audience, chaque partie a formulé une demande spéciale à la Cour : le demandeur souhaite une ordonnance enjoignant à SCC de nommer une nouvelle EGC, et le défendeur cherche à obtenir l’adjudication d’un montant de 3 500 $ au titre des dépens, ce qui constitue une adjudication majorée.

[114] En ce qui concerne l’ordonnance demandée par le demandeur, le défendeur a souligné que le demandeur n’avait pas formulé cette demande dans ses observations écrites. Il a également relevé que le SCC n’avait pas été avisé et qu’il n’était pas par ailleurs en mesure de présenter des observations sur la question, du fait qu’il n’était pas partie à l’instance. Indépendamment des arguments convaincants du défendeur concernant la non‑participation du SCC, rien n’appuie le prononcé d’une telle ordonnance, compte tenu (i) des décisions à l’examen, (ii) de la nature des allégations et de l’issue, et (iii) des éléments de preuve au dossier.

[115] En ce qui concerne la réclamation de la partie défenderesse en vue de l’octroi de dépens majorés, je ne pense pas que cela soit approprié. Au contraire, étant donné que le demandeur a soulevé des questions légitimes, je ne pense pas qu’il soit approprié d’adjuger des dépens plus élevés, et ce, pour deux raisons.

[116] Premièrement, il incombe à la partie qui sollicite des dépens majorés d’établir pourquoi les circonstances particulières de l’affaire justifient l’adjudication de tels dépens (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 au para 13). Le défendeur a demandé l’adjudication de dépens majorés en invoquant notamment les contestations par M. Johnston de décisions antérieures de révocation devant la Cour. Rien ne me permet de conclure que M. Johnston n’avait pas le droit d’introduire de telles instances, ni qu’il l’ait fait de manière abusive, frivole ou vexatoire, tout comme je juge qu’il n’a pas fait une telle chose en l’espèce.

[117] Deuxièmement, bien que je reconnaisse que la Cour accorde parfois des dépens majorés lorsqu’une partie allègue la partialité sans preuve à l’appui – parce qu’une allégation de partialité est sérieuse et qu’elle ne doit pas être formulée à la légère (Jaffal c Davidson, 2016 CAF 226 au para 7 [Jaffal]) – comme dans l’arrêt Jaffal, je ne suis pas convaincu que la conduite du demandeur justifie qu’on le punisse en le condamnant à verser des dépens majorés.

[118] Toutefois, en tant que partie ayant obtenu gain de cause, je suis d’avis que le défendeur a droit à des dépens. Compte tenu de toutes les circonstances et des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, y compris les droits de M. Johnston en matière de liberté et ses ressources limitées, j’accorderai des dépens symboliques de 250 $. Cela n’imposera pas un fardeau excessif à l’engagement déclaré de M. Johnston de se réadapter et de se réinsérer avec succès dans la société, ce qui ne serait peut‑être pas le cas s’il devait s’acquitter de dépens majorés.

VI. Conclusion

[119] La protection de la société est la considération la plus importante dans toutes les décisions prises en matière de libération conditionnelle. La Commission a examiné le dossier de M. Johnston, y compris ses antécédents criminels, les deux prises qu’il avait déjà contre lui (révocation de sa libération) et sa situation médicale personnelle, pour relever les facteurs pertinents aux fins de l’évaluation à savoir si sa libération d’office devait être révoquée. Elle a jugé que, compte tenu de la troisième prise appelée contre lui, son maintien en liberté posait un risque inacceptable pour la société. Cette évaluation était raisonnable, tout comme l’était la décision de la Section d’appel de ne pas intervenir. Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VII. Post‑scriptum

[120] Une remarque personnelle en guise de conclusion : d’après les commentaires formulés par M. Sloan lors de l’audition du présent contrôle judiciaire, son client, M. Johnston, aura été libéré au moment de la publication des présents motifs. Comme il est indiqué ci‑dessus, j’ai lu et entendu les déclarations éloquentes et les expressions de l’engagement de M. Johnston à changer, ainsi que celles de son réseau de soutien, y compris ses plans louables pour laisser son passé derrière lui et utiliser ses compétences d’une manière productive.

[121] M. Johnston, je pense qu’il n’y a pas un seul membre de votre EGC, ni personne ayant travaillé avec vous ces dernières années, qui ne souhaite pas que vous réussissiez dans cette entreprise. Moi aussi, je ne vous souhaite que de la chance, et de résilience dans votre voie vers la réadaptation dans laquelle vous vous êtes engagé.


JUGEMENT dans le dossier T‑90‑21

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur devra payer au défendeur le montant de 250 $ au titre des dépens.

« Alan S. Diner »

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes



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