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Date : 19990602


Dossier : IMM-2660-98

Entre :

     GUY LESSENDJINA MOKABILA,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire interjetée à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 12 mai 1998, selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur demande à la Cour d'infirmer la décision et de renvoyer son dossier pour une nouvelle audience devant la Commission.

[3]      Citoyen de la République démocratique du Congo (RDC)(ex-Zaïre), le demandeur allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques, c'est-à-dire son appartenance au parti de l'Union pour la Démocratie et le Progrès-Social (UDPS).

[4]      Les troubles du demandeur ont commencé en 1989, lors d'une manifestation, lorsqu'il fut arrêté par la police du dictateur Mobutu, torturé et détenu pendant deux semaines. En 1993, il a joint l'UDPS dont il a reçu sa carte de membre le 12 mars 1994. Responsable de la culture dans un collège et encadreur d'élèves, le demandeur a décidé, avec son directeur d'école et d'autres collègues, de boycotter les manifestations organisées pour fêter l'anniversaire de Mobutu le 14 octobre 1994. Quand la Division spéciale présidentielle a tenté de les arrêter et a perquisitionné la chambre du requérant, il s'est caché et a pu, le 23 décembre, s'enfuir au Congo-Brazzaville.

[5]      Le 15 juillet 1995, le requérant est retourné au Zaïre de façon clandestine, à la suggestion de son oncle, directeur d'une compagnie de transport aérien, qui tentait d'organiser sa fuite du Zaïre. À cause d'un décès dans la famille de son oncle, son départ du Zaïre, en direction de la Belgique, n'a pu être effectué que le 14 septembre 1995. Il y a séjourné deux jours à l'aéroport avant de s'embarquer pour le Canada.

[6]      La Commission a rejeté la revendication du demandeur au motif qu'il n'avait pas démontré le bien-fondé de ses allégations et qu'il ne s'était pas déchargé du fardeau de la preuve vu que son témoignage était "truffé d'invraisemblances et de contradictions en ce qui a trait à des éléments majeurs de leur [sic] revendication." Dans la mesure où le demandeur alléguait aussi craindre la persécution du nouveau régime Kabila en raison de sa participation à des manifestations contre ce régime à l'extérieur du Zaïre, le Tribunal a rejeté cette allégation au motif suivant: "Nulle part avons-nous trouvé confirmation que des individus ont été arrêtés pour avoir simplement participé à des manifestations contre le régime Kabila à l'extérieur du Zaïre."

[7]      Les invraisemblances et contradictions que le Tribunal a relevées se trouvent énoncées dans le paragraphe suivant de leur décision:

                      Le revendicateur déclare que ses problèmes ont débuté en 1994, mais il ne quitte le Zaïre qu'en 1995. De plus, alors qu'il se trouve en sécurité au Congo-Brazzaville chez le grand-père de sa conjointe, le revendicateur retourne dans son pays malgré le danger qu'il court. Il y demeure de juillet à septembre 1995 avant de quitter définitivement. Nous le questionnons à ce sujet. Il explique qu'il n'a pas quitté tout de suite car il n'avait pas les moyens. Il ajoute qu'il est revenu à la demande de son oncle, directeur des opérations de CIBEZAÏRE, une compagnie aérienne de transport. Celui-ci, craignant que le demandeur ne soit repéré au Congo, avait planifié le départ de son neveu à partir du Zaïre. Nous nous étonnons que vu sa position, il n'ait pas demandé à des collègues congolais d'organiser sa fuite. Le revendicateur répond qu'il ne leur faisait pas confiance. D'autre part, selon son témoignage, le demandeur aurait appris, après avoir traversé le fleuve, qu'il devait rester au Zaïre plus longtemps que prévu à cause d'un décès dans la famille. Il ajoute que son oncle connaissait l'état de santé de cette personne quand il lui a demandé de rentrer. Pourquoi donc, demandons-nous au revendicateur, il ne retraverse pas immédiatement le fleuve pour retourner au Congo? Il répond qu'il aurait voulu le faire mais qu'il n'en avait pas les moyens et que l'oncle avait tout arrangé. Venant d'une personne alléguant une crainte subjective et qui, en plus, a déjà été détenu et torturé en 1989, ces explications nous paraissent non seulement peu plausibles mais tout à fait invraisemblables.                 

[8]      Après avoir relu la fiche de renseignements personnels du demandeur, son témoignage à l'enquête et son affidavit au soutien de sa demande, il appert que les conclusions de faits auxquelles en est venu le Tribunal sont erronées ou ont été tirées de façon arbitraire des éléments dont il disposait. Contrairement à ce qu'affirme le Tribunal dans le paragraphe ci-dessus, la preuve révèle plutôt que le demandeur a d'abord quitté le Zaïre en décembre 1994, que loin d'être en sécurité au Congo-Brazzaville, il s'y cachait et que ce n'est qu'à son retour au Zaïre en juillet 1995 alors qu'il devait, avec la complicité de son oncle, fuir son pays, qu'il a dû se cacher chez le grand-père de sa conjointe vu qu'un décès dans la famille avait retardé les préparatifs de départ. Bref, le Tribunal a mal apprécié la preuve. Il a aussi tiré de façon abusive la conclusion que l'oncle du demandeur, directeur des opérations de CIBEZAÏRE, aurait pu demander à des collègues congolais d'organiser sa fuite dans la mesure où, selon la preuve, l'oncle n'avait pas de collègues en qui il pouvait avoir confiance au Congo-Brazzaville.

[9]      J'estime donc qu'en l'espèce, il y lieu de casser cette décision et de retourner le dossier au Tribunal pour une nouvelle enquête et audition.

[10]      Un autre motif justifie l'intervention de la Cour. Le demandeur, membre de l'UDPS au Zaïre depuis 1993, a milité publiquement au Canada contre le régime de Laurent-Désiré Kabila, après l'arrivée de ce dernier au pouvoir en mai 1997. Or, le Tribunal a reconnu que le régime Kabila ne tolérait aucune opposition et utilisait des pratiques répressives, en particulier contre les dirigeants et les manifestants de l'UDPS. Il a par ailleurs conclu que le revendicateur n'avait pas démontré le bien-fondé de sa crainte s'il devait retourner dans son pays dans la mesure où il n'y avait pas de confirmation que des individus avaient été arrêtés pour avoir simplement participé à des manifestations contre le régime Kabila à l'extérieur du Zaïre.

[11]      J'estime que cet énoncé du Tribunal contient d'une part une erreur de droit par rapport aux principes énoncés par la Cour d'appel fédérale dans Salibian c. Canada, [1990] 3 C.F. 250 à la page 258, où le juge Décary a écrit ceci:

                      À la lumière de la jurisprudence de cette Cour relative à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, il est permis d'affirmer                 
                 1) que le requérant n'a pas à prouver qu'il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir,                 
                 2) que le requérant peut prouver que la crainte qu'il entretenait résultait non pas d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis directement à son égard, mais d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis à l'égard des membres d'un groupe auquel il appartenait,                 
                 . . .                 
                 4) que la crainte entretenue est celle d'une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine.                 

En effet, par cette conclusion, le Tribunal exigeait du demandeur la preuve qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir, après avoir pourtant reconnu que des actes répréhensibles étaient commis à l'égard de l'UDPS dont il était membre.

[12]      D'autre part, cette conclusion du Tribunal a été tirée sans tenir compte des éléments dont il disposait. En l'espèce, la preuve révèle que le demandeur, tant dans son pays qu'au Canada, est identifié publiquement à l'UDPS, qu'il a participé à des marches, à Montréal, contre le régime Kabila lors desquelles des menaces d'arrestation et de mort ont été proférées par des représentants de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL), le parti de Laurent-Désiré Kabila, contre les combattants de l'UDPS. Il était donc abusif pour le Tribunal de conclure, de ce fait, que le demandeur n'avait pas démontré le bien-fondé de sa crainte, d'autant plus qu'il avait clairement exprimé qu'advenant son retour dans son pays, il ne pourrait rester indifférent et se taire face aux répressions du régime actuellement en place.

[13]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 30 avril 1998 et communiquée le 12 mai 1998 est annulée et l'affaire est renvoyée devant la Section du statut de réfugié pour une nouvelle enquête et audition.

                                 __________________________

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

le 2 juin 1999

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