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Date : 20010322

Dossier : IMM-1399-00

Référence neutre : 2001 CFPI 222

ENTRE :

OSCAR HERNANDO ALVAREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]    Oscar Hernando Alvarez (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre qu'il constitue un danger pour le public, prise en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

LES FAITS


[2]    Le 23 avril 1999, le demandeur a été trouvé coupable d'avoir importé une substance réglementée contrairement aux dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, alinéa 3b)(i) (1996, ch. 19). Il a été condamné à quatre ans d'emprisonnement. C'était la première fois que le demandeur, qui réside au Canada depuis 1992, était trouvé coupable d'une infraction criminelle. Il a le statut de résident permanent, mais non la citoyenneté.

[3]    Suite à la déclaration de culpabilité de 1999, un rapport a été délivré en vertu de l'article 27 de la Loi le 2 juin 1999. Suite à la délivrance de ce rapport, le demandeur a reçu un avis écrit de Citoyenneté et Immigration Canada, portant que CIC solliciterait l'avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi, portant qu'il était un danger pour le public au Canada[1]. L'avis de l'intention de solliciter un avis de danger du ministre a été communiqué au demandeur le 25 novembre 1999. Les 26 et 29 novembre 1999, le demandeur a écrit deux lettres en réponse à cet avis. Le 3 décembre 1999, deux des frères du demandeur qui résident au Canada ont écrit une lettre en son nom.


[4]                Le rapport intitulé « Rapport sur l'avis du ministre au sujet du danger pour le public » contient les éléments suivants : les lettres susmentionnées, une copie du rapport en vertu de l'article 27, la lettre envoyée au demandeur pour l'informer de l'intention de demander un avis de danger, le mandat de dépôt, les remarques du juge à l'occasion de la sentence, les rapports des Services correctionnels, des documents tirés du dossier d'immigration du demandeur, ainsi qu'un rapport narratif des activités criminelles en vertu du paragraphe 27(1). Ce rapport n'a pas été communiqué au demandeur.

[5]                Le 6 décembre 1999, une mesure d'expulsion a été délivrée contre le demandeur. Le 29 décembre 1999, M. W. Sheppit, le délégué du ministre, a délivré un avis en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi portant que le demandeur est un danger pour le public au Canada.

[6]                Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été introduite et l'autorisation de procéder a été accordée par une ordonnance en date du 23 octobre 2000.

LES QUESTIONS EN LITIGE


[7]                Le demandeur soulève quatre questions dans cette demande. Il soulève la question de savoir si un avis délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi doit être motivé par écrit. Deuxièmement, il veut savoir si l'on doit communiquer les rapports sur lesquels le délégué du ministre s'est fondé. Troisièmement, il se pose la question de savoir si le délai de réponse, qui est fixé à quinze jours, est trop court, étant donné qu'il est détenu dans un établissement situé fort loin des lieux ou on trouve des avocats d'immigration. Finalement, il déclare qu'au moment où l'avis a été préparé, le décideur n'a pas tenu compte d'une décision récente de notre Cour qui porte qu'en droit on soit tenu de communiquer les rapports sur lesquels la décision est fondée. L'affaire en cause est Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (C.F. 1re inst.)[2].

LE POINT DE VUE DU DEMANDEUR

[8]                Bien que le demandeur a présenté des arguments détaillés sur ces questions, il n'est pas nécessaire que je m'y arrête en détail. Il suffit de dire que le demandeur s'est appuyé surtout sur l'obligation d'équité élargie imposée au décideur suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817. L'avocat du demandeur a admis qu'il y a des divergences de vues en notre Cour sur la question de savoir s'il y a lieu de motiver par écrit les avis de danger délivrés par le ministre[3].

LE POINT DE VUE DU DÉFENDEUR


[9]                Le défendeur a présenté un argument de principe, fondé sur le fait que l'arrêt Baker, précité, n'élargit pas l'obligation d'équité qui s'impose lorsqu'on sollicite l'avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5). L'avocat a soutenu qu'une telle décision exige qu'on examine le contenu de l'obligation d'équité. Selon le défendeur, l'arrêt Baker, précité, n'élargit pas l'obligation d'équité pour toutes les décisions discrétionnaires prises en vertu de la Loi, mais il exige qu'on examine la question de savoir quel niveau d'équité doit être accordé aux personnes faisant l'objet d'une décision discrétionnaire.

[10]            Le défendeur soutient aussi que l'arrêt Baker, précité, ne rend pas caduc l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.).

[11]            Le défendeur soutient aussi que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), peut être distingué de l'affaire en l'instance, parce qu'il porte sur une décision discrétionnaire prise relativement à l'existence de raisons d'ordre humanitaire. Le défendeur soutient qu'une décision prise en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi diffère d'une décision prise en vertu du paragraphe 70(5), les circonstances donnant lieu à chacune de ces décisions étant très différentes.

[12]            Le défendeur déclare qu'il faut faire attention de ne pas donner une trop grande importance à l'effet d'une décision discrétionnaire sur une personne donnée lorsqu'on détermine le contenu de l'obligation d'équité. Le défendeur insiste pour dire que l'effet sur une personne donnée ne peut prendre le pas sur une bonne gestion de la Loi.


ANALYSE

[13]            En toute déférence pour le point de vue exprimé par le défendeur, je ne peux accepter ses arguments.

[14]            Selon moi, l'arrêt Baker, précité, est venu élargir l'obligation d'équité qui s'impose en matière de décisions discrétionnaires. Il ne suffit plus de considérer de façon minimale l'obligation d'équité.

[15]            Je ne suis pas convaincue que la demande d'avis du ministre ou la recommandation du délégué du ministre corresponde à des motifs écrits. Au mieux, la demande d'avis contient un résumé des détails portant sur la situation personnelle du demandeur, y compris un examen de la documentation préparée par les Services correctionnels. Il s'agit d'une relation des événements, accompagnée de commentaires en provenance des personnes qui ont eu à évaluer le demandeur après sa déclaration de culpabilité. Ce document est préparé par une personne autre que le décideur et avant que la décision ne soit prise.


[16]            La recommandation au délégué du ministre comporte une certaine évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé si on le renvoyait en Colombie, mais elle ne s'arrête pas à la question de savoir quel est le risque actuel ou à venir que le demandeur pose pour la société canadienne. On peut présumer que ce risque est une partie essentielle du processus qui mène à la délivrance d'un avis de danger en vertu du paragraphe 70(5).

[17]            La recommandation au ministre ne traite que d'un côté de la médaille. Le fait de ne pas communiquer la documentation, y compris la demande d'avis du ministre, au demandeur, en lui accordant une occasion valable de réagir, fait que la situation ne répond pas à la nouvelle norme d'équité dont l'arrêt Baker, précité, fait état.

[18]            La question portant sur l'exigence de communication du rapport sur l'avis du ministre a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Sunil Bhagwandass [2001] C.A.F. 49. La Cour a déclaré ceci, au paragraphe 35 :

Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le ministre a contrevenu à son obligation d'équité envers M. Bhagwandass en faisant défaut de lui communiquer le Rapport sur l'avis du ministre et la Demande de l'avis du ministre, dans la forme où ceux-ci ont été présentés au ministre ou à son délégué, et de lui fournir ainsi une possibilité raisonnable d'y répondre.

[19]            Dans les circonstances, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'avis de danger est annulé. Il n'est pas nécessaire que je traite des autres arguments soulevés par les parties.


[20]            Bien que l'avocat du demandeur ait présenté deux questions à certifier, je ne suis pas convaincue qu'elles doivent l'être. Toutefois, je suis disposée à certifier la question suivante, présentée par le défendeur :

Les rapports ministériels préparés en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration doivent-ils être présumés constituer les motifs écrits de l'avis du délégué du ministre?

« E. Heneghan »

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                         IMM-1399-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        Oscar Hernando Alvarez

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 18 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                                  le 22 mars 2001

ONT COMPARU :

M. Micheal Crane                                                         POUR LE DEMANDEUR

M. Greg G. George                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Micheal Crane                                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20010322

Dossier : IMM-1399-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

OSCAR HERNANDO ALVAREZ

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'avis de danger est annulé.

« E. Heneghan »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



[1] Cette demande de contrôle judiciaire ne porte que sur l'avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5).

[2] Depuis lors, la Cour d'appel fédérale a prononcé ses motifs dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Sunil Bhagwandass [2001] C.A.F. 49, après l'audition de la présente demande. Avant la délivrance des présents motifs, les parties se sont vu octroyer l'occasion de présenter leurs points de vue quant à l'effet de ces motifs en l'instance.

[3] Dans une décision récente, le juge Hansen fait état de quelques-unes de ces opinions divergentes : voir Said Ahmed Houssein c. M.C.I., [2001] J.C.F. no 161, aux paragraphes 10 et 11.

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