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Date : 20050428

Dossier : IMM-6168-04

Référence : 2005 CF 579

ENTRE :

                                                              ANGELE MOUTE

demanderesse

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 21 juin 2004. La Commission a statué que la demanderesse Angele Moute n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                La demanderesse est citoyenne du Cameroun. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, soit qu'elle est la femme d'un membre des forces militaires camerounaises.


[3]                La demanderesse affirme qu'un incendie a éclaté le 4 mars 2001 dans le camp militaire où son mari montait la garde. Son mari lui a dit que cet incendie était peut-être le signe d'un coup d'État. Elle ajoute que son mari appartenait au Front démocratique social (FDS), qui constituait le parti politique d'opposition le plus important au moment de l'incendie. Elle dit que lorsqu'il est retourné au camp militaire, après être venu passer quelques heures à son domicile, son mari a été interrogé par son supérieur au sujet de l'incendie.

[4]                Le 9 mars 2001, à 2 heures du matin, cinq hommes se sont présentés au domicile de la demanderesse. Quatre étaient habillés en civil et un autre portait un uniforme militaire. La demanderesse prétend que son mari a été menotté tandis qu'elle a été entraînée dans la chambre à coucher où elle a été violée. Elle affirme qu'elle s'est échappée par la fenêtre de la chambre et que son mari a été emmené. Elle ne l'a jamais revu depuis.

[5]                Le 12 mars 2001, des soldats se sont présentés à son domicile, l'ont harcelée et interrogée. Le 18 mars 2001, ils sont revenus chez elle et l'ont encore interrogée; ce soir-là, ils l'ont emmenée et enfermée dans une cellule. Elle prétend avoir été brûlée avec une cigarette, menacée et violée par deux soldats pendant qu'elle était détenue. Le 25 mars 2001, un soldat l'a libérée après qu'elle lui eut remis des bijoux.


[6]                La demanderesse et les membres de sa famille prétendent être arrivés au Nigeria le 26 mars 2001. Ils se sont réfugiés dans une maison qui appartenait à une église et y sont restés pendant trois mois. Le pasteur a proposé à la demanderesse de prendre le passeport de sa femme et de l'accompagner au Canada. Il lui a dit que sa mère et ses enfants devaient retourner chez eux étant donné qu'il ne pouvait pas assumer leurs frais de voyage et que, de toute façon, ils n'étaient pas recherchés par les soldats.

[7]                Le 11 juin 2001, la demanderesse a quitté le Nigeria en compagnie du pasteur. Le 12 juin, ils sont arrivés à New York et elle dit que le pasteur lui a fait prendre un autobus à destination du Canada. Elle a fait une demande d'asile au Canada, demande qui a été rejetée par la Commission le 21 juin 2004.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[8]                La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi et elle a jugé que la preuve qu'elle avait présentée comportait plusieurs contradictions et invraisemblances. Elle a notamment conclu que la demanderesse aurait dû connaître le nom du supérieur de son mari qui, comme son mari, était censé appartenir au FDS.


[9]                La Commission a également estimé qu'il y avait contradiction entre le contenu du Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et son témoignage. Le FRP de la demanderesse indique en effet qu'elle a informé son mari le 9 mars 2001 que les visiteurs étaient ses collègues de travail. Lors de son témoignage, la demanderesse a déclaré qu'elle ignorait qui étaient les collègues de travail de son mari, car elle ne se mêlait pas de son travail. La Commission a conclu que la demanderesse s'était contredite encore une fois lorsqu'elle a affirmé avoir reconnu l'uniforme militaire. Elle a considéré que cela laissait planer un doute sur le fait que le mari de la demanderesse était dans l'armée.

[10]            En ce qui concerne le départ du Cameroun, la Commission relève un certain nombre de problèmes. Tout d'abord, elle souligne que la demanderesse prétend avoir communiqué par notes avec sa mère au cours de sa détention. La Commission fait remarquer que cette information ne figure pas dans son FRP. Elle juge également invraisemblable que la demanderesse ne connaisse que le prénom du pasteur qui l'a aidée à se rendre à New York et au Canada. Lors de son témoignage, la demanderesse s'est souvenue du nom de famille du pasteur; de l'avis de la Commission, cette mémoire sélective mine une fois de plus sa crédibilité.

[11]            La Commission estime également qu'il était invraisemblable que la demanderesse ait pu avoir accès à la base militaire, le lendemain de l'enlèvement de son mari, en utilisant simplement sa carte d'identité camerounaise. Elle est d'avis que la demanderesse n'aurait pas pu avoir accès à une base militaire comportant un arsenal et une aire de détention en exhibant une simple carte d'identité nationale.


[12]            Enfin, la Commission fait remarquer que la demanderesse n'a produit aucun document prouvant qu'elle est mariée à un soldat de l'armée camerounaise. Elle n'a soumis aucune photo de famille, aucune preuve documentaire ni aucune autre preuve pour étayer son témoignage. La Commission rappelle que l'article 7 des Règles de la SPR prévoit que « le demandeur d'asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande » . Elle conclut qu'il n'y a aucune preuve démontrant que la demanderesse était réellement mariée à un soldat de l'armée camerounaise.

QUESTIONS EN LITIGE

[13]            Deux questions doivent être examinées dans le cadre de la présente demande : 1) Les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité de la demanderesse étaient-elles manifestement déraisonnables, fondées sur des conclusions de fait erronées ou tirées sans tenir compte des éléments dont elle disposait? 2) La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle en ne donnant pas à la demanderesse la possibilité de produire des renseignements ou des documents cruciaux pour étayer les différents éléments figurant dans sa demande avant de rendre sa décision?

ANALYSE

[14]            Une conclusion sur la crédibilité est une conclusion de fait. En conséquence, le demandeur qui sollicite un contrôle judiciaire a le lourd fardeau de prouver que la Commission a tiré sa conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (al 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7). Il est bien établi que la Cour n'interviendra que si la décision de la Commission est manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (M.C.I.), (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Comme l'a écrit le juge Martineau dans R.K.L. c. Canada (M.C.I.) ([2003] A.C.F. no 162, au par. 7) :


Lvaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1800, au paragraphe 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 14.

[15]            En parvenant à ses conclusions, la Commission devrait bien entendu prendre soin de ne pas fonder sa décision sur un examen à la loupe des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la demande (Attakora c. Canada (M.C.I.), (1989), 99 N.R. 168, au par. 9 (C.A.F.); Owusu-Ansah c. Canada (M.C.I.), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.)). Elle devrait également résister à la tentation d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américains à la conduite de la demanderesse (Rahnema c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 1431 au par. 20 (C.F.); El-Naem c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 185 (C.F.)).

[16]            Après avoir entendu les avocats des deux parties et lu leurs observations écrites, je ne peux pas conclure que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables et je ne retiens pas non plus les arguments de la demanderesse selon lesquels la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve, ses conclusions n'étaient pas étayées par la preuve ou son évaluation de la preuve était déraisonnable.


[17]            La Commission a relevé un certain nombre d'invraisemblances et de contradictions dans la preuve présentée par la demanderesse et en a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité. L'avocat de la demanderesse a tenté de présenter à la Cour les mêmes arguments qui avaient été auparavant soumis à la Commission et il lui a demandé essentiellement de réévaluer la preuve de manière à en tirer une conclusion différente. Il est cependant bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits à celle de la Commission, qui voit et entend les témoins et qui a également les connaissances spécialisées pour évaluer la preuve ayant trait aux faits qui relèvent de son champ d'expertise (Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.)). Comme l'a dit ma collègue la juge Snider dans Sinan c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 188 :

Les demandeurs ont avancé d'autres explications possibles quant à plusieurs des conclusions de la Commission. Lorsque la norme de contrôle est, comme en l'espèce, celle du caractère manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement - même dans le cas où il peut s'agir d'une explication raisonnable Ce que les demandeurs doivent faire, c'est souligner une conclusion de la Commission qui n'est aucunement étayée par la preuve. Les demandeurs ne m'ont pas convaincu que l'une ou l'autre des conclusions les plus importantes étaient manifestement déraisonnables. Je ne peux conclure que la décision dans son ensemble était manifestement déraisonnable.

[18]           En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur le fait que la demanderesse n'a produit aucun document prouvant qu'elle était mariée à un soldat de l'armée camerounaise, il est vrai que la lettre envoyée par la Commission et demandant à la demanderesse de lui faire parvenir des copies de tout document se rapportant aux questions qui allaient être abordées à l'audience (dont l'une était la « crédibilité » ) ne fournissait pas beaucoup de détails sur le type de documents à produire. Cela étant dit, je ne pense pas que refuser à la demanderesse la possibilité de rechercher des documents établissant l'existence de son mari et confirmant qu'il était membre des forces armées camerounaises équivaut à un déni de justice naturelle.

[19]            Il faut se rappeler qu'il incombait à la demanderesse de prouver qu'elle avait droit à l'asile et donc, que son récit était vrai. Bien entendu, la demanderesse n'est pas légalement tenue de produire des preuves corroborantes, mais il n'était pas déraisonnable pour la Commission de considérer que l'absence de telles preuves constituait l'un des facteurs d'évaluation de la crédibilité.


[20]            Il était en effet raisonnable de présumer que la demanderesse apporterait des documents permettant d'établir sa crédibilité. Comme l'appartenance de son mari à l'armée était un élément essentiel de son récit, sur lequel reposait sa demande d'asile, on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que des pièces justificatives soient déposées pour apporter la preuve de cette appartenance et de l'affectation de son mari au camp militaire où l'incendie s'était déclaré. Comme l'a dit mon collègue le juge Pinard dans Nechifor c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1278 :

De plus, le demandeur soumet que la CISR a tiré des inférences déraisonnables en regard du fait qu'il n'a pas produit à la cour les certificats médicaux ou la copie de la plainte qu'il avait faite à la police. Il est bien établi qu'un tribunal ne peut pas tirer des inférences négatives du fait qu'une partie n'a produit aucun document extrinsèque corroborant ses allégations (Ahortor c. Canada (M.E.I.) (1993), 65 F.T.R. 137 et Miral c. Le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [1999] A.C.F. no 254 (le 12 février 1999), IMM-3392-97). Cependant, lorsque la crédibilité d'un demandeur est mise en question, un manque de preuve corroborant ses allégations est une considération pertinente (voir Syed c. Le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 357 (le 13 mars 1998), IMM-1613-97 et Herrera c. Le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 1370 (le 28 septembre 1998), IMM-2737-97).

Voir également : Khan c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 520.


[21]            En tirant cette conclusion, je tiens également compte du fait que la demanderesse demeurait au Canada depuis presque trois ans lorsque l'audience a eu lieu et qu'elle avait donc eu amplement le temps de se mettre en rapport avec ses proches et ses amis au Cameroun pour obtenir les documents pertinents. De plus, elle était représentée par un avocat et la lettre de la Commission l'invitant à produire les documents appropriés ainsi que d'autres pièces a été envoyée à son domicile environ neuf mois avant l'entrevue. Dans de telles circonstances, je ne vois pas comment la demanderesse peut réussir à établir qu'elle a été privée d'une audience équitable et que la Commission a violé les principes de justice naturelle parce qu'elle ne lui a pas donné une possibilité raisonnable de produire, avant que la décision soit rendue, les documents manquants qui étayeraient sa demande.

[22]            Pour les motifs susmentionnés, la présente demande ne peut pas être accueillie. Les avocats n'ont pas demandé la certification d'une question.

          « Yves de Montigny    »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


          COUR FÉDÉRALE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      IMM-6168-04

INTITULÉ :                                         ANGELE MOUTE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 24 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                        LE 28 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Isaac Owusu-Sechere                         POUR LA DEMANDERESSE

Ramona Rothschild                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Isaac Owusu-Sechere                                   POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Ottawa (Ontario)        

John H. Sims, c.r.                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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