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Date : 20210727


Dossier : IMM‑560‑20

Référence : 2021 CF 796

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

MUVARAK ANTONIO ALVAREZ VALDEZ

OMAR ANDISUP ALVAREZ VALDEZ

JOAN ABRIL URENA RIVERA

KIMBERLY DILAYLA ALVAREZ URENA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Muvarak Antonio Alvarez Valdez [le demandeur principal], sa femme, Joan Abril Urena Rivera, leur fille, Kimberly Dilayla Alvarez Urena, et le frère du demandeur principal, Omar Andisup Alvarez Valdez [collectivement, les demandeurs], sont des citoyens du Mexique. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Les demandeurs affirment qu’ils sont exposés à un risque de persécution aux mains du Cartel de Jalisco Nouvelle Génération [le CJNG], une organisation criminelle mexicaine. La SPR et la SAR ont conclu que les demandeurs étaient crédibles et ont reconnu qu’ils avaient été victimes de violence, de menaces et d’extorsion à Veracruz, au Mexique. Cependant, elles ont aussi conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur à Mérida, dans l’État du Yucatán [la PRI].

[3] Les demandeurs n’étaient pas représentés par un avocat dans le cadre de leur appel devant la SAR. Ils ont fourni peu d’éléments de preuve ou d’arguments à l’appui de leur affirmation selon laquelle la décision de la SPR devrait être annulée par la SAR.

[4] Compte tenu des éléments de preuve et des arguments limités qui ont été présentés, il était raisonnable pour la SAR de rejeter l’appel. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Contexte

[5] Le père du demandeur principal exploitait un atelier de carrosserie automobile à Veracruz. En novembre 2017, le demandeur principal travaillait à l’atelier de carrosserie automobile lorsque des individus disant appartenir au CJNG ont exigé des frais de « protection » de 50 000 pesos par mois (environ 3 000 $). Le père du demandeur principal a refusé.

[6] Le lendemain, plus de 15 hommes armés ont pénétré dans la maison familiale. Le demandeur principal, son père et son frère ont été violemment agressés. Les assaillants ont déclaré qu’ils n’exigeaient plus 50 000 pesos, mais beaucoup plus. Le père a remis aux hommes toutes les économies qui se trouvaient dans la maison.

[7] Les demandeurs sont allés vivre chez un oncle à Mexico jusqu’au 2 décembre 2017, date à laquelle le demandeur principal et son frère sont venus au Canada. La femme et la fille du demandeur principal sont allées vivre avec le grand‑père de celui‑ci dans la banlieue de Veracruz. Elles y sont restées jusqu’au 25 décembre 2018, date à laquelle elles sont à leur tour venues au Canada.

[8] Le père du demandeur principal est resté au Mexique et a vécu avec différents membres de sa famille. Le CJNG ne l’a pas retrouvé.

[9] Selon les anciens voisins des demandeurs, des hommes passent encore devant leur maison en voiture et cherchent à obtenir des renseignements sur l’endroit où ils se trouvent. Le 15 février 2018, le cousin du demandeur principal a disparu. Un ami d’enfance qui travaillait pour le père du demandeur principal a quant à lui été tué en avril 2018.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Voici les observations intégrales présentées par les demandeurs à la SAR :

[traduction]

Fournir des observations complètes et détaillées concernant chaque erreur.

L’erreur qui constitue le fondement de l’appel concerne la possibilité de refuge intérieur. Mérida, dans l’État du Yucatán, a été présentée comme une PRI viable. Or, ce n’est pas le cas. Comme le démontre l’article ci‑joint, intitulé « Violence Against Women increases in Yucatan » [augmentation de la violence contre les femmes au Yucatán], Mérida n’est pas un endroit sûr pour les femmes en raison de l’augmentation de la violence à leur endroit et de l’incapacité des services policiers à signaler ces incidents ou à y répondre. J’ai une femme et une fille; elles ne seront donc pas en sécurité à Mérida en raison de la grande violence à laquelle elles seront exposées et de l’incapacité des autorités gouvernementales à les protéger. En outre, comme le montre l’article ci‑joint, intitulé « Cartel Jalisco Nueva Generación fights places in the Yucatán Peninsula says expert that quotes the DEA » [le Cartel de Jalisco Nouvelle Génération se livre à des combats dans la péninsule du Yucatán, affirme un expert qui cite la DEA], la violence des cartels sévit bel et bien dans la péninsule du Yucatán. Ma famille et moi n’y serons donc pas en sécurité.

[11] La SAR a refusé d’admettre les deux articles invoqués par les demandeurs comme nouveaux éléments de preuve parce qu’ils ont été publiés avant la date de l’audience devant la SPR et qu’aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle ils n’auraient pas pu être présentés plus tôt. Les demandeurs ne contestent pas cette partie de la décision de la SAR.

[12] Le 20 décembre 2019, la SAR a rejeté l’appel au motif que les demandeurs avaient une PRI à Mérida, dans l’État du Yucatán. La SAR a également conclu que le risque principal auquel sont exposées les femmes au Mexique est celui de la violence familiale. Or, les demandeurs n’ont pas allégué être exposés à un tel risque.

IV. Question en litige

[13] La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

V. Analyse

[14] La décision rendue par la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Ces exigences sont satisfaites si les motifs permettent à la Cour de comprendre la décision et de déterminer si celle‑ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85‑86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[15] Le critère servant à établir l’existence d’une PRI viable est bien établi (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) aux para 5‑6, 9‑10) : premièrement, la CISR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI; deuxièmement, la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances. Les deux volets du critère doivent être satisfaits.

[16] Les demandeurs font valoir que la SAR a mal interprété la preuve lorsqu’elle a conclu que « [r]ien dans la preuve documentaire objective n’indique que le CJNG a une présence significative dans l’État du Yucatán ou à Mérida ». Ils reconnaissent que certains des éléments de preuve documentaire invoqués par la SAR appuyaient cette conclusion. Cependant, selon un article paru dans le Journal of Strategic Security en 2018, le CJNG est l’un des groupes criminels organisés les plus puissants du Mexique. Il a connu une croissance rapide, et sa présence est attestée dans 24 des 32 États mexicains. Selon une source citée dans l’article, le CJNG [traduction] « se bat contre des groupes rivaux pour le contrôle [de l’État du Yucatán] ou y a formé une alliance ».

[17] Les demandeurs soutiennent également que la SAR n’a pas tenu compte de la possibilité que le CJNG les traque à Mérida, même si sa présence n’y est pas importante à l’heure actuelle. Ils soulignent également que la violence fondée sur le sexe au Mexique ne se limite pas à la violence familiale et affirment que la SAR n’a pas pris en compte la violence générale fondée sur le sexe.

[18] Les demandeurs n’ont avancé que des arguments rudimentaires devant la SAR. Ils n’ont pas relevé avec précision les erreurs qu’aurait commises la SPR, ni les extraits de la preuve documentaire ou autre sur lesquels ils s’appuyaient. Les deux articles qu’ils ont cherché à produire comme nouveaux éléments de preuve ont été rejetés par la SAR, et les demandeurs ne contestent pas cette décision.

[19] Si les demandeurs n’étaient pas obligés de demander l’aide d’un avocat, ils doivent néanmoins accepter les conséquences de leur choix (Wagg c Canada (Procureur Général), 2003 CAF 303 au para 25). La SAR n’était pas tenue d’agir comme avocate des demandeurs ni de formuler des arguments en leur nom (Thompson c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 808 au para 15).

[20] Il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils sont exposés à un risque grave de persécution où qu’ils se trouvent Mexique. Il ne revenait pas à la SAR d’expliquer pourquoi la PRI proposée serait sûre (Photskhverashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 415 aux para 28, 32, citant Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 aux para 2, 6). On peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné une observation qui ne lui a pas été faite (Ogunjinmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 109 au para 21, citant Dakpokpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 580 au para 14).

[21] La conclusion de la SAR selon laquelle le CJNG n’a pas « une présence significative dans l’État du Yucatán ou à Mérida » était suffisamment étayée par les éléments de preuve documentaire qu’elle a pris en compte. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve personnalisé à l’appui de leur affirmation selon laquelle le CJNG a les moyens ou la motivation de continuer de les traquer dans l’État du Yucatán. La femme et la fille du demandeur principal ont vécu pendant plus d’un an au Mexique après que celui‑ci et son frère ont fui au Canada et elles n’ont pas été appréhendées par le CJNG pendant cette période. Le père du demandeur principal vit toujours au Mexique, et il n’a pas signalé d’interactions avec le CJNG.

[22] Il appartenait aux demandeurs d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation qui leur est propre, mais ils ne l’ont pas fait (Iskandar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1372 au para 27, citant Ayikeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1395 au para 22). La crainte subjective ne suffit pas à établir la persécution ou le risque de préjudice (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 116 au para 41).

VI. Conclusion

[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑560‑20

 

INTITULÉ :

MUVARAK ANTONIO ALVAREZ VALDEZ, OMAR ANDISUP ALVAREZ VALDEZ, JOAN ABRIL URENA RIVERA ET KIMBERLY DILAYLA ALVAREZ URENA c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Joo Eun Kim

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nick Continelli

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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