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Date : 20210727


Dossier : IMM‑4586‑20

Référence : 2021 CF 793

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2021

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

AHMED SHAWGI MUSTAFA AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Monsieur Ahmed Shawgi Mustafa Ahmed sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] rendue le 27 août 2020.

[2] La SAR a rejeté l’appel interjeté par M. Ahmed, et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle M. Ahmed n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (LC 2001, c 27) [la Loi sur l’immigration], ni qualité de personne à protéger, au sens du paragraphe 97(1).

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire [la demande] sera rejetée.

II. Faits et contexte

[4] M. Ahmed est un citoyen du Soudan. Il a quitté le Soudan pour l’Ouganda en 2003. M. Ahmed est allé aux États‑Unis en 2011 pour rendre visite à une citoyenne américaine, dont il avait fait la connaissance quelques mois plus tôt. Dans sa demande de visa de visiteur pour les États‑Unis, M. Ahmed a inscrit qu’il était l’époux de Madame Shaimaa Khalil Abdel Rahman Midhat.

[5] En résumé, pendant son séjour aux États‑Unis, M. Ahmed s’est marié une première fois, a demandé un statut dans ce pays, mais sa demande a été rejetée puisque son épouse avait retiré la demande, et le couple a divorcé. Il s’est à nouveau marié, et il a présenté une nouvelle demande de statut aux États‑Unis. Les autorités américaines lui ont fait savoir qu’elles avaient l’intention de refuser sa demande et ont notamment souligné le fait qu’il n’avait pas déclaré dans l’une ou l’autre des demandes que, selon sa demande de visa de visiteur initiale, il était marié au Soudan, ni produit un certificat de divorce. M. Ahmed a répondu aux autorités américaines de l’immigration en mai 2017, par l’entremise de son avocat américain, qui , ce qui est important dans la présente instance, a produit le jugement de divorce de M. Ahmed d’avec sa première épouse, Mme Midhat, daté du 11 août 2011, au Soudan.

[6] En avril 2018, M. Ahmed est entré au Canada et a demandé l’asile au motif qu’il craignait les autorités gouvernementales parce qu’il avait refusé, en 2003, d’aider le gouvernement qui lui avait demandé de transporter des armes et des soldats au moyen de son entreprise de transport aérien. M. Ahmed a produit un exposé circonstancié de trois pages et demie relatant son histoire à partir de 1984 avec son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA].

[7] La SPR a entendu la demande d’asile de M. Ahmed le 8 janvier 2019, et ce dernier a témoigné et juré à l’audience que tous les documents qu’il avait présentés étaient authentiques. La SPR a rejeté la demande d’asile le 14 février 2019. Elle a estimé que la question déterminante était la crédibilité et a soulevé des préoccupations concernant le fait que le demandeur d’asile avait omis des allégations centrales étant donné que 1) il avait négligé d’inscrire dans son formulaire FDA qu’il avait été contacté maintes fois par des responsables gouvernementaux et qu’il avait refusé de se plier à leurs demandes avant d’être abordé en personne, tandis que l’explication selon laquelle il souffrait de dépression n’était pas corroborée et qu’il voulait être concis n’était pas suffisante; 2) il avait omis de mentionner dans son formulaire FDA qu’il avait été menacé lorsqu’il avait été abordé en personne; 3) le certificat de divorce qu’il a remis aux autorités américaines, qu’il a produit devant la SPR, mentionne qu’il était au Soudan en août 2011, bien qu’il ait tu cet élément. La SPR a rejeté deux lettres qu’il avait produites en preuve.

[8] M. Ahmed a interjeté appel devant la SAR et a soutenu que la SPR avait commis une erreur, 1) en minant sa crédibilité sur la foi du contenu de son formulaire FDA; 2) en manquant à l’équité procédurale, en l’amenant à croire que le certificat de divorce provenant du Soudan ne faisait pas problème; 3) dans son appréciation des documents justificatifs qu’il avait produits.

[9] Le 4 juillet 2019, et après la mise en état de son appel, M. Ahmed a demandé l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve, [traduction] « qui n’étaient pas accessibles auparavant pour production avec la demande d’asile ou avec le dossier de l’appelant » (page 142 du dossier de demande). Ces documents comportaient une lettre, datée du 4 mai 2019, de M. Medhat, l’un des témoins mentionnés sur le certificat de divorce de 2011, dans laquelle il affirmait qu’il avait fait office de mandataire pour M. Ahmed, qui n’était alors pas présent. M. Ahmed a ensuite affirmé qu’il ne pouvait pas savoir que cet élément de preuve serait nécessaire pour sa demande d’asile.

III. La décision

[10] Dans une décision datée du 27 août 2020, la SAR a rejeté la demande d’asile, là encore en raison de préoccupations quant à la crédibilité. Elle a énuméré les principales raisons pour lesquelles la SPR avait rejeté la demande d’asile et les arguments avancés par M. Ahmed en appel.

[11] La SAR a accepté l’ensemble des nouveaux éléments de preuve, à l’exception de la lettre de M. Medhat datée du 4 mai 2019. Elle a cité les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration, qui autorisent l’admission d’éléments de preuve 1) qui sont survenus depuis la décision de la SPR; 2) qui n’étaient pas normalement accessibles au moment de la décision; ou 3) qui n’auraient pas normalement été présentés, dans les circonstances, à la SPR avant qu’elle rende sa décision. La SAR a ajouté que les éléments de preuve devaient être nouveaux, crédibles et pertinents afin de pouvoir être admis (en citant, notamment, l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh]). De plus, elle a invoqué l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, selon lequel elle doit se demander pourquoi les éléments de preuve n’ont pas été présentés au moment de la mise en état de l’appel.

[12] La SAR a conclu que M. Ahmed connaissait la conclusion tirée par la SPR à propos de son retour au Soudan en 2011 lorsqu’il préparait son appel, mais que, bien que la lettre fût pertinente dans le cadre de l’appel, il n’a pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas fournie au moment de la mise en état de l’appel.

[13] La SAR a rejeté la demande de tenue d’une audience présentée par M. Ahmed, étant donné que les éléments de preuve ne concernaient pas la crédibilité du demandeur et n’étaient pas essentiels pour la prise de sa décision. Elle a ensuite souligné que son rôle consistait à établir si la décision de la SPR était correcte.

[14] La SAR a ensuite confirmé que 1) les appels téléphoniques reçus avant l’arrestation de M. Ahmed constituaient une omission majeure et centrale qui n’a pas été expliquée de façon raisonnable; 2) les menaces proférées le jour où des militaires s’étaient présentés au bureau du demandeur constituaient une omission centrale et importante influant sur sa crédibilité; 3) il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale en ce qui concerne le certificat de divorce, et il est plus probable que le contraire que le demandeur s’était rendu au Soudan en 2011; 4) les deux lettres ne devraient pas être rejetées, mais peu de poids devrait leur être accordé parce qu’elles n’étaient pas notariées, que leurs auteurs n’avaient pas été présentés comme témoins, qu’elles étaient brèves et qu’il n’y était pas mentionné en quoi consistait le rôle joué par leurs auteurs ni comment ceux‑ci avaient appris ce qui s’était passé.

[15] La SAR a reconnu que la situation s’était détériorée au Soudan depuis le début de la pandémie de la COVID‑19, mais elle a conclu que ces risques étaient des risques généralisés, et qu’ils n’affecteraient pas M. Ahmed. Ce dernier n’a pas établi qu’il était ou qu’il serait pris pour cible.

[16] La SAR a conclu que, compte tenu des préoccupations quant à la crédibilité, M. Ahmed n’avait pas établi les allégations. La SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision rendue par la SPR.

IV. Arguments avancés par M. Ahmed

[17] Devant la Cour, M. Ahmed affirme que 1) le refus de la SAR d’admettre en preuve la lettre de M. Medhat était déraisonnable; 2) la SAR a de façon déraisonnable insisté sur des contradictions microscopiques; 3) la SAR a rendu sa décision sans prendre en compte les éléments de preuve dont elle disposait; 4) la SAR a commis une erreur en concluant que le risque auquel M. Ahmed était exposé au Soudan était un risque généralisé.

V. Observations des parties et analyse

A. Norme de contrôle

[18] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle présumée applicable est celle de la décision raisonnable, et rien ne réfute la présomption en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[19] Lorsqu’est appliquée la norme du caractère raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La Cour doit s’intéresser « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il n’appartient pas à la Cour de substituer l’issue qui serait selon elle préférable à celle qui a été retenue (Vavilov, au para 99).

[20] En contrôle judiciaire, la Cour doit également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125).

[21] Il faut faire preuve d’un degré de déférence élevé lorsque les conclusions contestées ont trait à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juge des faits : Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1057 au paragraphe 15. La SAR est un décideur spécialisé, envers qui la retenue s’impose (Vavilov; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica]). Lorsque la crédibilité est en jeu, la SAR peut faire montre de retenue à l’égard des conclusions tirées par la SPR si celle‑ci jouissait d’un avantage certain eu égard à l’appréciation de la preuve, ce que décide la SAR au cas par cas (Huruglica).

B. Le refus des nouveaux éléments de preuve est raisonnable

[22] En premier lieu, M. Ahmed soutient que la décision de la SAR de refuser les nouveaux éléments de preuve était déraisonnable. Plus particulièrement, il conteste la confirmation par la SAR de la conclusion de la SPR selon laquelle (selon la prépondérance des probabilités) il était retourné au Soudan en 2011 pour finaliser son divorce.

[23] Le demandeur explique que, après qu’il eut compris la préoccupation de la SPR dans sa décision, il a présenté une déclaration de témoin provenant de la personne qui l’avait représenté (par procuration) à la procédure de divorce. La SAR a refusé d’admettre l’élément de preuve, et elle a conclu que M. Ahmed n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas produit le document plus tôt. M. Ahmed affirme que la SAR a omis de prendre en compte le fait qu’il n’avait pas normalement pu prévoir qu’il lui faudrait fournir cet élément de preuve puisqu’il ne pouvait pas savoir que la SPR contesterait sa crédibilité (en citant la décision Isugi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1421 [Isugi]).

[24] Il ajoute que la SAR a omis d’examiner concrètement les arguments qui avaient été présentés en faveur de l’acceptation des éléments de preuve (en citant la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 438 [Khan]). M. Ahmed affirme qu’il a expliqué que le certificat de divorce mentionnait à tort qu’il avait assisté à la procédure. Il soutient que la SAR était tenue, mais qu’elle avait négligé, de prendre en compte son argument selon lequel il ne pouvait pas savoir que cet élément ferait problème avant de recevoir la décision de la SPR (décision Isugi). Il ajoute que la Cour ne pouvait qu’émettre des hypothèses quant à la façon dont la SAR avait apprécié les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration. Il précise qu’il comptait sur un tiers au Soudan pour obtenir les éléments de preuve et que le Soudan était en proie à des soulèvements et à des troubles politiques à ce moment. Il explique qu’il a eu besoin de ce laps de temps pour contacter le témoin, pour que celui‑ci prépare la déclaration et pour que sa conseil examine et explique son contenu. De plus, la SAR a omis de prendre en compte les éléments de preuve pertinents, crédibles et nouveaux que l’affidavit apporterait à l’appel. M. Ahmed fait également remarquer que la SAR avait récemment prolongé les délais pour la production de documents, ce qui montre qu’elle reconnaît qu’il lui fallait plus que 30 jours pour produire les éléments de preuve. Il précise qu’une explication a été fournie conformément à l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés et il renvoie la Cour aux pages 140 et suivantes du dossier de demande. Enfin, il ajoute que les documents sur la situation dans le pays qui ont été produits contenaient une explication implicite des raisons pour lesquelles il n’avait pas pu produire la lettre au moment de la mise en état de l’appel.

[25] Le ministre réplique que la SAR a eu raison de refuser d’admettre les éléments de preuve. Il souligne que la SAR a accepté l’ensemble des éléments de preuve, à l’exception de la déclaration de témoin, puisque M. Ahmed avait omis d’expliquer pourquoi l’élément n’était pas accessible plus tôt. Il relève les exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration, les critères relatifs à la crédibilité, à la pertinence, au caractère nouveau et au caractère substantiel (Mavangou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 177) et l’obligation voulant que M. Ahmed présente des observations (article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés). Le ministre fait remarquer que M. Ahmed savait que la SPR avait des préoccupations quant à sa présence au Soudan en 2011, mais qu’il n’avait pourtant pas inclus l’élément de preuve dans son dossier de l’appelant. Il précise que le dossier de l’appelant a été déposé le 25 mars 2019, après la réception de l’avis de décision le 14 février 2019. En outre, il réplique que, dans la décision Isugi, une explication avait été donnée pour le dépôt tardif des éléments de preuve, tandis que dans la décision Khan, la pertinence des éléments de preuve était en cause. De plus, le ministre ne croit pas que la SAR a modifié les règles parce qu’elle trouvait que les délais étaient trop courts. Il signale qu’il était loisible à la SAR de changer les règles, mais qu’elle n’est pas tenue de le faire.

[26] Pour sa part, M. Ahmed souligne que la SAR a estimé que l’élément de preuve était pertinent, mais qu’elle avait quand même choisi de ne pas l’accepter en raison des délais prévus, et qu’elle a conclu que [traduction] « l’explication du retard [était] plus importante que la vérité ». De plus, il affirme que la SAR a commis une erreur en imposant une nouvelle condition selon laquelle les éléments de preuve devaient être produits avec son dossier, tandis que, selon le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration, ils devaient être présentés après le rejet de la demande d’asile par la SPR (Singh).

[27] J’estime que M. Ahmed dénature la décision de la SAR, puisqu’il ressort clairement au vu de la décision rendue, que la SAR a bel et bien pris en compte le fait que les éléments de preuve pouvaient être produits après que la décision de la SPR eut été rendue. Il ressort aussi clairement de la décision, avec des renvois en bonne et due forme, que M. Ahmed devait expliquer pourquoi il n’avait pas présenté les éléments de preuve au moment de la mise en état de l’appel. Il est faux de prétendre que la Cour ne peut qu’émettre des hypothèses au sujet des critères énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration. En fait, il ressort clairement que la question à trancher est l’omission de fournir une explication pour la production tardive de l’élément de preuve, conformément à l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés.

[28] La SAR n’a pas créé une nouvelle exigence faisant en sorte que M. Ahmed devait fournir les documents avec son dossier de l’appelant. En fait, cette exigence est expressément énoncée au paragraphe 29(1) et à l’alinéa 29(4)c) des Règles de la Section d’appel des réfugiés. Selon l’article 37, il faut présenter une demande pour faire admettre de nouveaux éléments de preuve après la mise en état de l’appel et, par conséquent, des motifs exposant les raisons pour lesquelles les éléments de preuve devraient être acceptés. Devant la Cour, M. Ahmed a fourni un certain nombre d’explications pour le retard dont ne disposait malheureusement pas la SAR. M. Ahmed ne m’a pas convaincue que la SAR devait chercher une explication pour le retard dans les documents sur le pays ou qu’elle devait prendre les éléments de preuve sur le pays comme une explication implicite.

[29] J’estime que la SAR a dûment énoncé, cité et appliqué les dispositions pertinentes. La décision de la SAR est donc raisonnable.

[30] De plus, les éléments de preuve révèlent que le certificat de divorce, qu’ont examiné la SPR et la SAR, fait clairement état, dans la version traduite en anglais, des noms de deux personnes ayant fait office de témoins et le document contient la mention suivante : [traduction] « L’adulte compétent Ahmed Shawgi Mustafa de la région d’Al‑Riyadh était présent. Après la vérification de l’identité et la reconnaissance visuelle des deux témoins mentionnés précédemment, il a volontairement divorcé de son épouse ». Le document mentionne de plus que l’une des deux copies a été remise à M. Ahmed. La question a été examinée pendant l’audience devant la SPR lorsque le traducteur a confirmé que le document ne faisait pas mention d’une [TRADUCTION] « procuration ».

[31] Comme il a été souligné précédemment, l’avocat américain de M. Ahmed a présenté le certificat de divorce aux autorités américaines de l’immigration pour étayer ses arguments contre le refus prévu de sa seconde demande conjugale; donc, M. Ahmed en connaissait bien le contenu. De plus, M. Ahmed a affirmé au début de son audience devant la SPR que tous les documents étaient véridiques. Le certificat de divorce indique sans équivoque que M. Ahmed était présent, au Soudan, en août 2011, et qu’il avait identifié les deux personnes faisant office de témoins.

[32] M. Ahmed ne m’a pas convaincue que la décision de la SAR à cet égard est déraisonnable.

C. La SAR n’a pas insisté sur des contradictions microscopiques

[33] En second lieu, M. Ahmed soutient que la SAR a insisté de façon déraisonnable sur des contradictions microscopiques en concluant qu’il n’était pas crédible parce que, bien qu’il ait affirmé dans son témoignage avoir reçu des appels téléphoniques de menaces de la part de militaires lui demandant de transporter du matériel militaire, cette information ne figurait pas dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. M. Ahmed souligne que les contradictions doivent être importantes et au cœur de la demande d’asile (en citant, notamment, la décision Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 190 FTR 225 (2000)).

[34] M. Ahmed souligne qu’il a expliqué qu’il n’avait pas inclus l’information dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA parce que, d’après lui, son arrestation, et non pas les procédures qui ont suivi, représentait l’élément le plus important, et qu’il lui semblait normal de refuser de faire ce qui lui était demandé, puisqu’il respectait les règles de l’aviation. Il prétend que cette explication est plausible et que la SAR a exagéré l’importance de cette omission en soulignant que les appels téléphoniques constituaient la première d’une série de mesures de plus en plus draconiennes prises par les autorités. De plus, il prétend que la SAR a omis d’analyser son explication. La conclusion de la SAR n’est donc pas étayée par la preuve.

[35] M. Ahmed précise que la conclusion de la SAR selon laquelle, en raison de sa scolarité et de ses antécédents de travail, il aurait dû inclure l’information, n’est ni transparente ni intelligible. Voilà qui rend déraisonnable la conclusion défavorable quant à la crédibilité qui en découle.

[36] En outre, M. Ahmed soutient que la SAR a indûment exagéré l’importance des contradictions perçues entre son exposé circonstancié et son témoignage au sujet des menaces qui ont été proférées contre lui. La SAR a conclu que le fait de recevoir l’ordre de faire quelque chose ou de subir des pressions pour le faire était différent du fait d’être menacé. (Les menaces sont mentionnées dans son témoignage, tandis que c’est dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA qu’il est question d’un ordre.) M. Ahmed souligne que les deux versions, avec les explications supplémentaires qu’il a fournies, disent essentiellement la même chose, et que la SAR a exagéré l’importance de cette contradiction accessoire.

[37] Le ministre réplique que les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR sont raisonnables. Les contradictions ne sont pas microscopiques, mais ont été qualifiées d’importantes et de centrales par la SAR. De plus, cette dernière a souligné que M. Ahmed avait inclus des détails accessoires concernant sa compagnie aérienne, ses relations, sa scolarité et son interrogatoire. L’omission des appels téléphoniques dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA était par conséquent importante. Le ministre met aussi en lumière la mention tardive des menaces reçues et la conclusion de la SAR selon laquelle M. Ahmed était retourné au Soudan en 2011. Au sujet de ce dernier élément, il souligne que, lors de l’audience devant la SPR, un traducteur a traduit le document et a confirmé que la traduction de celui‑ci ne contenait pas d’erreur (ce que prétend M. Ahmed). La SAR a également pris en compte le fait que le passeport de M. Ahmed ne portait pas de timbre de la date pertinente, mais a conclu que M. Ahmed avait expliqué qu’il avait pu quitter le pays par voie terrestre sans qu’un timbre soit apposé dans son passeport. Voilà qui jette un doute sur la crainte de M. Ahmed de retourner au Soudan.

[38] Comme il est mentionné précédemment, en contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de substituer l’issue qui serait selon elle préférable (Vavilov, au para 99) à celle du décideur. Les arguments présentés par M. Ahmed, dans le meilleur des cas, peuvent être qualifiés de désaccord avec le raisonnement de la SAR. D’abord, il n’y a aucun doute que M. Ahmed a bel et bien omis d’inclure dans son exposé circonstancié des éléments qu’il avait mentionnés dans son témoignage. Les questions posées par la SPR et par la SAR visaient à établir si ces omissions étaient centrales ou accessoires, et si les explications fournies quant aux omissions étaient satisfaisantes. Après un examen approfondi, la SAR a confirmé que les omissions étaient au cœur de la demande d’asile, que les explications n’étaient pas satisfaisantes et que le tout avait, par conséquent, une incidence sur la crédibilité de M. Ahmed.

[39] Il n’appartient pas à la Cour d’examiner la question de savoir si les omissions étaient centrales et s’il y avait une explication raisonnable pour les omissions relevées dans son exposé circonstancié. La Cour doit uniquement établir si le raisonnement de la SAR quant aux questions représente « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifi[é] au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov, au para 85).

[40] C’est le cas. La SAR pouvait raisonnablement conclure que les omissions étaient importantes, et elle a fourni une justification raisonnable et intelligible pour sa décision.

[41] De plus, après avoir examiné attentivement la décision, je ne conclus pas que la SAR a estimé que, en raison de sa scolarité et de ses antécédents de travail, M. Ahmed aurait dû inclure l’information dans son exposé circonstancié. La SAR a plutôt conclu que l’information aurait dû être incluse, étant donné que M. Ahmed avait inclus d’autres détails accessoires sur ces sujets et qu’il avait présenté un exposé circonstancié long et détaillé. Encore une fois, cette conclusion est raisonnable et intelligible.

D. La décision de la SAR et les documents dont disposait la SAR

[42] En troisième lieu, M. Ahmed soutient que la SAR a rendu sa décision sans tenir compte des documents dont elle disposait. Il fait remarquer que la SAR a accordé peu de poids aux lettres envoyées par sa mère et par son ami, et qu’elle avait précisé que les lettres étaient brèves et qu’il n’y était pas mentionné en quoi consistait le rôle des auteurs dans l’affaire ni comment ceux‑ci avaient appris ce qui était prétendument arrivé à M. Ahmed. Ce dernier soutient que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion générale quant à la crédibilité, en rejetant les documents en raison de ses préoccupations initiales à ce sujet. Il souligne que la SAR doit traiter les éléments de preuve documentaire séparément et intégralement avant de tirer une conclusion générale en matière de crédibilité (en citant, notamment, Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402). De plus, il fait remarquer que les éléments de preuve étayaient son témoignage. Par conséquent, la SAR a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve dont elle disposait.

[43] En outre, M. Ahmed prétend que la SAR a commis une erreur en rejetant les documents au motif qu’ils étaient très vagues. Il souligne que la lettre envoyée par sa mère était cruciale parce qu’elle abordait une conclusion clé tirée par la SAR selon laquelle il était retourné au Soudan en 2011. La lettre mentionne aussi qu’il a été détenu.

[44] Le ministre réplique que la SAR a conclu que M. Ahmed n’avait pas établi les allégations qu’il avait formulées. La SAR a souligné que les déclarations n’étaient pas notariées, que leurs auteurs n’avaient pas été présentés comme témoins, et que les lettres n’expliquaient pas en quoi consistait le rôle des auteurs dans l’affaire ni comment ceux‑ci avaient appris ce qui était arrivé à M. Ahmed. De plus, la SAR a souligné que l’affirmation de la mère de M. Ahmed selon laquelle les autorités se présentaient encore au domicile familial pour y rechercher son fils ne l’emportait pas sur les autres préoccupations quant à la crédibilité. Le ministre affirme que les conclusions tirées par la SAR étaient raisonnables et qu’il était du ressort de celle‑ci d’accorder du poids aux documents, et que les explications fournies étaient intelligibles et transparentes (en citant, notamment, la décision Olusola c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 46 [Olusola]). Essentiellement, M. Ahmed manifeste son désaccord avec les conclusions de la SAR.

[45] Je conviens avec le ministre que M. Ahmed est tout simplement en désaccord avec la façon dont la SAR a soupesé les éléments de preuve, tâche qui est entièrement du ressort de la SAR. Il ressort de ma lecture de la décision que la SAR a bel et bien examiné les deux lettres séparément et intégralement et que les raisons pour lesquelles elle leur a accordé peu de poids ne sont pas liées à ses autres conclusions quant à la crédibilité. La SAR a plutôt conclu que les lettres ne pouvaient pas l’emporter sur les autres conclusions. Cette conclusion est intelligible et raisonnable.

E. Le risque auquel M. Ahmed serait exposé au Soudan

[46] En quatrième lieu, M. Ahmed soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il était exposé à un risque généralisé au Soudan du fait que la situation politique et en matière de sécurité s’était détériorée depuis le début de la pandémie de la COVID‑19. Il affirme que cette conclusion n’est pas raisonnable parce que la SAR a omis de prendre en compte la détérioration de la situation au Soudan, y compris le risque de persécution auquel il est toujours exposé en raison de ses opinions politiques. Cela est attribuable aux mêmes agents de persécution qui restent au pouvoir au sein des gouvernements de transition. Il cite les éléments de preuve documentaire à ce sujet dont disposait la SAR, que celle‑ci a mal interprété ou a omis de prendre en considération.

[47] Le ministre réplique en répétant que les conclusions tirées par la SAR étaient raisonnables et qu’il était du ressort de celle‑ci d’accorder du poids aux documents, et que les explications fournies étaient intelligibles et transparentes (en citant, notamment, la décision Olusola). M. Ahmed est essentiellement en désaccord avec les conclusions de la SAR.

[48] Je souscris encore à la position du ministre, pour les raisons mentionnées précédemment. M. Ahmed n’a pas prouvé devant la SAR en quoi la pandémie de la COVID‑19 créait à elle seule un risque personnalisé pour lui. Le fait que les mêmes personnes soient toujours au pouvoir semble concorder avec les observations qu’il a formulées précédemment. Il était par conséquent raisonnable que la SAR tire ces conclusions.

VI. Conclusion

[49] La décision de la SAR est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti, selon ce que nous enseigne l’arrêt Vavilov. Pour ces motifs, la demande sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4586‑20

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑4586‑20

 

INTITULÉ :

AHMED SHAWGI MUSTAFA AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 juillet 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

le 27 juillet 2021

COMPARUTIONS :

Christina M. Gural

pour le demandeur

Nimanthika Kaneira

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christina M. Gural

Avocate

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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