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Date : 20210727


Dossier : IMM‑6919‑19

Référence : 2021 CF 795

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MARY ANNE NWAFOR EP ANTOINE SAYEGH

JEAN‑PIERRE SAYEGH

JEAN‑MARK SAYEGH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse principale, Mary Anne Nwafor Ep Antoine Sayegh et ses enfants, Jean‑Pierre Sayegh et Jean‑Mark Sayegh (les demandeurs mineurs), demandent le contrôle judiciaire de la décision du 30 août 2019 de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). La SAR a confirmé la décision du 14 novembre 2018 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la CISR a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La question déterminante dans l’appel était le caractère suffisant de la preuve pour établir la crainte fondée des demandeurs d’être persécutés ou de subir un préjudice au Nigéria. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir plus qu’une simple possibilité de persécution future au Nigéria pour leur refus de participer aux rituels de purification ou que les demandeurs mineurs seraient victimes de discrimination équivalant à de la persécution en raison de leur origine ethnique biraciale.

[3] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande sera rejetée.

II. Faits pertinents

[4] Les demandeurs sont tous chrétiens et citoyens du Nigéria et du Liban. La demanderesse principale est d’origine nigériane. Elle a épousé un Libanais avec lequel elle a eu trois fils, dont deux sont les demandeurs mineurs. Elle affirme que sa famille n’accepte pas qu’elle ait épousé un non‑Nigérian et que ses enfants soient biraciaux.

[5] La demanderesse principale allègue qu’en 2001, son père et sa famille vivant à Asaba, au Nigéria, ont commencé à demander qu’elle et ses fils effectuent des rituels de purification afin d’être acceptés par la famille. Les rituels demandés comprenaient : l’achat d’œufs d’autruche et des tortues, le port d’un pot sur la tête et l’obligation pour les enfants de boire du sang animal. La demanderesse principale et son mari ont refusé.

[6] La demanderesse principale a dit dans son témoignage qu’elle a commencé à recevoir des menaces au début de 2006. On lui a dit qu’elle perdrait ses enfants un par un. Les demandeurs ont ensuite déménagé au Liban en 2006. Le mari de la demanderesse principale est resté au Nigéria, vivant et travaillant à Abuja.

[7] Les demandeurs ont vécu au Liban de 2006 à 2017. Pendant cette période, le mari de la demanderesse principale a continué à vivre et à travailler à Abuja sans incident.

[8] Les demandeurs sont retournés à Abuja à de nombreuses reprises au fil des ans, pour des périodes pouvant aller jusqu’à un mois à la fois. Pendant ces visites, ils ont séjourné dans la maison du mari. La demanderesse principale affirme que sa famille savait qu’elle était là et a fait des [traduction] « menaces » au téléphone en disant à son frère et à sa sœur qu’ils savaient que la demanderesse principale était au pays.

[9] En juillet et août 2017, la demanderesse principale a demandé des visas canadiens afin de rechercher des universités pour le plus jeune de ses fils.

[10] Le père de la demanderesse principale est décédé le 26 août 2017. Les demandeurs sont retournés au Nigéria pour ses funérailles à la fin du mois de septembre 2017. Le Diokpa (le chef de la famille) a dit à la demanderesse principale qu’elle et ses enfants devaient se soumettre à des rituels de purification pour que son père puisse être enterré. La demanderesse principale a dit à sa famille que de tels rituels étaient contraires à sa religion. Certains membres de la famille ont ensuite menacé de [traduction] « soumettre par la force » les demandeurs à ces rituels.

[11] Les demandeurs ont accepté de participer à une [traduction] « petite cérémonie d’initiation qui n’impliquait pas grand‑chose » et d’accomplir le reste du rituel après l’enterrement du père de la demanderesse principale. Le Diokpa a informé les demandeurs que le rituel devait être effectué avant le 15 décembre 2017. Lorsque la demanderesse principale a demandé au Diokpa s’il s’agissait d’une menace, il a répondu, [traduction] « nous verrons ». Les demandeurs ont accompli la cérémonie d’initiation, mais n’ont pas fait le reste du rituel.

[12] Le 13 décembre 2017, la demanderesse principale a signalé à la police d’Asaba que des membres de sa famille paternelle menaçaient constamment sa vie et ses enfants. Elle a déclaré avoir été informée [traduction] « de graves conséquences incluant la manifestation de pouvoirs spirituels » si elle ne se présentait pas aux rituels. La police lui a conseillé de résoudre le problème à l’amiable.

[13] Les demandeurs sont partis pour le Canada le 25 décembre 2017. Au moment de l’audition de la présente demande, le mari de la demanderesse principale vivait et travaillait toujours à Abuja, apparemment sans incident.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[14] Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience de la SPR et examiné les observations écrites, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR.

[15] La SAR a conclu que la question déterminante en appel était de savoir si la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution ou de risque de préjudice au Nigéria.

[16] La SAR a rejeté six éléments de preuve nouveaux présentés par la demanderesse principale, qui auraient tous été raisonnablement accessibles avant la tenue de l’audience de la SPR.

[17] Appliquant la norme de la décision correcte, la SAR a examiné le dossier et a convenu avec la SPR que les demandeurs n’avaient pas réussi à présenter des preuves suffisantes pour établir le bien‑fondé de leurs demandes.

[18] Les conclusions de la SAR seront examinées dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.

IV. Questions préliminaires

A. Conduite fautive

[19] Le défendeur fait valoir que les demandeurs ne se présentent pas devant la Cour sans reproche. Ils ont échappé aux tentatives de l’Agence des services frontaliers du Canada d’exécuter une mesure de renvoi légale et sont maintenant des fugitifs recherchés par la justice. Le contrôle judiciaire étant soumis à l’appréciation de la Cour, le défendeur fait valoir, en se référant à un certain nombre d’affaires antérieures, que la Cour devrait refuser d’instruire la demande.

[20] Les demandeurs soutiennent que la délivrance de la mesure de renvoi à leur encontre, alors qu’ils avaient une demande de réexamen en instance pour des considérations d’ordre humanitaire, était attribuable à l’incompétence de leur conseil devant la SAR (conseil de la SAR). Ils soutiennent également qu’on leur a conseillé à tort de ne pas contester la décision de la SAR devant notre Cour. Ces arguments seront abordés dans l’analyse des allégations d’incompétence du conseil.

[21] Dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 [Thanabalasingham], la Cour d’appel a répondu, au paragraphe 8, à la question certifiée suivante concernant les mains nettes :

[traduction]

Quand un demandeur présente à la Cour une demande de contrôle judiciaire, sans avoir les mains nettes, la Cour devrait‑elle, lorsqu’elle s’interroge sur l’opportunité ou non d’examiner la demande au fond, tenir compte des conséquences que risque de subir le demandeur si sa demande n’est pas examinée au fond?

[22] La Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel, lorsqu’un demandeur n’a pas les mains nettes, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder. Plutôt, une cour de révision peut rejeter la demande sans la juger au fond : Thanabalasingham au para 9.

[23] Enfin, au paragraphe 17, la Cour d’appel a répondu à la question certifiée en disant « qu’il relève du pouvoir discrétionnaire général du juge, en ce qui a trait à l’audition de la demande de contrôle judiciaire et à l’octroi de la réparation, de considérer les conséquences d’une absence de décision au fond sur la demande ».

[24] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit « s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne » : Thanabalasingham, au para 10.

[25] Une liste non exhaustive des facteurs à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour comprend notamment : « la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée » : Thanabalasingham, au para 10.

[26] Les demandeurs n’ont avancé aucun argument concernant l’ensemble des facteurs à soupeser. Leur seul argument a été que leur conseil incompétent leur a conseillé à tort de ne pas contester la décision de la SAR devant la Cour et que c’est en raison de son incompétence qu’ils n’ont pas les mains nettes, puisqu’un sursis prévu par la loi n’était pas disponible.

[27] Il s’agit d’une proposition que je rejette catégoriquement. Les demandeurs ont librement choisi de ne pas se présenter au renvoi. Il n’existe aucun élément de preuve selon lequel on leur ait conseillé ou enjoint de se soustraire au renvoi.

[28] En se soustrayant au renvoi, la demanderesse principale a directement contesté l’intégrité des processus judiciaires et administratifs du système d’immigration canadien.

[29] Pour cette raison, j’en suis arrivé à la conclusion que les demandeurs n’ont pas les mains nettes et j’estime que je peux exercer mon pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande pour ce motif.

[30] Toutefois, par souci d’exhaustivité, j’expose les raisons pour lesquelles je suis parvenue à la conclusion que la présente demande peut également être rejetée sur le fond.

B. Nouveaux éléments de preuve dans la présente demande

[31] Les demandeurs cherchent à produire devant la Cour de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la SPR ou à la SAR. Les éléments de preuve sont liés au divorce de la demanderesse principale. Le jugement définitif de divorce a été rendu le 4 octobre 2019, soit un mois après le prononcé de la décision de la SAR.

[32] Il existe des exceptions restreintes à la règle voulant qu’un contrôle judiciaire ne doive porter que sur les éléments d’information dont disposait le décideur original. Des exceptions s’appliquent si l’élément de preuve proposé : 1) contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions en litige; 2) peut établir l’existence d’un vice de procédure qu’on ne peut pas déceler dans le dossier de la preuve; 3) est présenté pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a tiré une conclusion donnée : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, para 20.

[33] L’élément de preuve concernant le divorce de la demanderesse principale après l’appel ne répond à aucune des exceptions établies. Il ne sera pas admis. J’observe également que rien n’indique que l’admission en preuve du jugement de divorce aiderait la Cour de quelque façon que ce soit à évaluer le caractère raisonnable de la décision. La demanderesse principale déclare que son divorce indique qu’elle ne serait pas en sécurité si elle retournait au Nigéria. Je conclus que c’est une question qui relève d’une instance différente.

Questions en litige

[34] Les demandeurs soulèvent trois questions :

  1. La conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve était‑elle raisonnable?

  2. La décision de la SAR de ne pas admettre de nouveaux éléments de preuve était‑elle raisonnable?

  3. Les demandeurs ont‑ils été privés d’équité procédurale en raison de l’incompétence de leur conseil?

[35] Globalement, la question en litige est de déterminer si la décision est raisonnable.

V. La norme de contrôle applicable

[36] Le Mémoire des faits et du droit des demandeurs a été déposé avant la publication de la décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Ils soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, sauf que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer à la question de l’interprétation et de l’application de la loi par la SAR.

[37] Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], la Cour d’appel fédérale a exposé de façon assez détaillée la nature du rôle de la SAR lors du contrôle d’une décision de la SPR. Elle a conclu que la SAR procède au contrôle de la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte. Toutefois, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la norme de la décision raisonnable est la norme que doit appliquer la Cour à une décision de la Section d’appel des réfugiés : Huruglica, aux para 30 et 35.

[38] Plus récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné de façon approfondie le droit applicable au contrôle judiciaire de décisions administratives. La Cour suprême a confirmé que le contrôle judiciaire d’une décision administrative est présumé se faire selon la norme de la décision raisonnable. Cette présomption est assujettie à certaines exceptions, dont aucune ne s’applique à ces faits : Vavilov au para 23.

[39] Vavilov a également confirmé, en citant Dunsmuir, qu’une décision raisonnable n’est pas seulement celle qui présente une justification, une transparence et une intelligibilité. Lors de la révision, l’accent doit être mis sur la décision effectivement rendue, y compris la justification ou la raison d’être de celle‑ci, et non sur la conclusion à laquelle le tribunal lui‑même serait parvenu. Tant le processus de raisonnement que le résultat de la décision doivent être pris en considération : Vavilov, aux para 15, 83 et 87.

[40] L’allégation d’incompétence du conseil implique une violation des droits à l’équité procédurale du client de ce conseil, en l’occurrence, les demandeurs.

[41] La Cour suprême du Canada a énoncé au paragraphe 27 de l’arrêt R c GDB, 2000 CSC 22, l’approche générale à adopter lors de l’examen de la question de représentation non effective du conseil :

27. L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe au demandeur de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

VI. La conclusion de la SAR selon laquelle il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve est raisonnable

[42] La SAR a examiné à la fois la teneur des menaces et les conséquences pour les demandeurs de refuser de se soumettre aux rituels.

[43] La demanderesse principale a allégué qu’en 2006, des membres de sa famille ont proféré la menace qu’elle perdrait ses enfants un par un, parce qu’elle ne se soumettait pas aux rituels.

[44] La SAR a fait observer que, malgré de nombreuses visites au Nigéria après 2006, rien ne permet de croire que des tentatives ont été faites pour communiquer directement avec les demandeurs ou leur causer un préjudice. La demanderesse principale a déclaré que des « menaces » ont été proférées par l’entremise de son frère et de sa sœur, mais elle n’a décrit aucune déclaration faite par les membres de sa parenté qui laisserait entendre que ses enfants subiraient un quelconque préjudice. Rien ne permet de croire que l’époux a été directement harcelé, menacé ou blessé entre 2006 et 2018 alors qu’il vivait et travaillait à Abuja.

[45] Lorsque la demanderesse principale est revenue en septembre 2017 pour les funérailles de son père, elle a mentionné que de vagues menaces avaient été proférées ainsi que des promesses selon lesquelles les demandeurs seraient [traduction] « tourmentés par les esprits des dieux ». Les menaces qui ont été signalées à la police ont été décrites et elles se limitaient au fait que des « pouvoirs spirituels » s’en prendraient aux demandeurs.

[46] Il n’est pas clair si la menace que la demanderesse principale perdrait ses enfants un par un signifiait que la famille causerait un préjudice aux enfants, ou si c’était simplement une autre affirmation selon laquelle ils croyaient qu’ils seraient tourmentés par des pouvoirs spirituels s’ils ne se soumettaient pas aux rituels.

[47] La SAR a fait observer que la famille qui exige les rituels vit à environ huit heures de route d’Abuja. Il a été raisonnablement établi que le fait que des membres de la famille aient informé la demanderesse principale qu’ils savaient qu’elle était au pays ne constituait pas une menace de préjudice et qu’aucune tentative de préjudice à l’égard d’elle ou de ses enfants n’avait été faite lors de ses visites à Abuja.

[48] Je conclus que la SAR a raisonnablement conclu, en fonction des éléments de preuve, que l’étendue de toute conséquence qu’entraînerait le refus des demandeurs de se soumettre aux rituels, ou en raison du mariage interracial ou de l’origine ethnique biraciale des enfants, consisterait à être rejetés ou ostracisés par la famille.

[49] La conclusion de la SAR selon laquelle il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant une possibilité sérieuse de persécution ou de risque de préjudice au Nigéria est raisonnable.

VII. La décision de la SAR de ne pas admettre de nouveaux éléments de preuve était raisonnable

[50] La SAR a conclu que la présentation initiale de nouveaux éléments de preuve dans le dossier d’appel des demandeurs souffrait de vices de procédure. Cependant, les demandeurs ont présenté un dossier d’appel modifié dans la semaine qui a suivi la notification de ces manquements. Le dossier d’appel modifié a été accepté comme étant conforme aux exigences procédurales en vertu des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257.

[51] Les nouveaux éléments de preuve que les demandeurs ont cherché à faire admettre étaient les suivants :

  1. un affidavit de la demanderesse principale, fait sous serment le 21 décembre 2018;

  2. un addenda à l’affidavit, fait sous serment le 10 janvier 2019;

  3. des certificats de baptême et de confirmation des demandeurs mineurs;

  4. des photos des demandeurs en train de participer à des rituels, accompagnées de descriptions faites par la demanderesse principale;

  5. des photos et une communication provenant de l’époux de la demanderesse principale et datées d’octobre 2018;

  6. plusieurs articles en ligne concernant les pratiques traditionnelles au Nigéria.

[52] Les demandeurs ont fait valoir qu’ils n’auraient pas pu raisonnablement présenter les nouveaux éléments de preuve devant la SPR parce qu’ils n’avaient pas été adéquatement informés par leur conseil des éléments de preuve requis pour établir le bien‑fondé de leur demande.

[53] La SAR a toutefois estimé que les éléments de preuve étaient inadmissibles car les demandeurs n’avaient pas suivi les étapes requises pour présenter une allégation d’incompétence du conseil. Ces étapes comprennent le dépôt d’une plainte contre le conseil à l’étape de l’audience devant la SPR (conseil devant la SPR) auprès de l’organe directeur ou la possibilité pour le conseil de répondre à l’allégation : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, Singh, para 66 [Singh].

[54] La SAR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas suivi les étapes de l’énoncé de pratique de la CISR qui décrivait les étapes à suivre pour faire une allégation à l’égard d’un conseil précédent pour représentation inadéquate. À cette fin, rien n’indique que les demandeurs ont suivi les étapes ou que leur conseil précédent a eu l’occasion de répondre aux allégations.

[55] Je conclus que la décision de la SAR de ne pas accepter les nouveaux éléments de preuve était raisonnable puisque la condition préalable à un tel dépôt n’avait pas été remplie. La SAR n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas à l’une des dispositions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR : Singh, aux para 35 et 63

[56] Cette allégation est examinée de manière plus approfondie dans l’analyse de la question suivante.

VIII. Les demandeurs n’ont pas été privés d’équité procédurale en raison de l’incompétence alléguée de leur conseil

[57] Les allégations d’incompétence du conseil ne sont pas nouvelles dans les affaires d’immigration.

[58] Les demandeurs allèguent dans la présente demande que le conseil devant la SAR a fait preuve d’une incompétence flagrante (1) en ne suivant pas la procédure pertinente pour présenter de nouveaux éléments de preuve devant la SAR et (2) en ne présentant pas des éléments de preuve de cette incompétence.

[59] Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de se pencher sur l’allégation en ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve. Comme nous venons de le voir, l’erreur a été corrigée par le conseil devant la SAR et la preuve a été acceptée par la SAR. Ce n’est pas un exemple d’incompétence du conseil devant la SAR. Il s’agit plutôt d’un exemple d’un conseil compétent qui a rapidement corrigé une erreur après avoir reçu un avis de la SAR.

[60] La demanderesse principale s’appuie sur la conclusion de la SAR selon laquelle, contrairement à l’énoncé de pratique de la CISR, rien ne montrait qu’une plainte avait été déposée à l’égard du conseil devant la SPR ni qu’une explication avait été fournie personnellement par ce conseil devant la SPR.

[61] Les demandeurs soutiennent que ce manquement [traduction] « établit de façon concluante que le conseil précédent a fait preuve d’une incompétence flagrante dans le traitement de la demande d’asile de la demanderesse devant la SPR ». J’observe que la référence devrait mentionner devant la SAR, et non devant la SPR.

[62] Il est vrai que « l’on ne peut faire droit à une allégation de manquement professionnel à l’égard d’un avocat en l’absence de toute preuve démontrant qu’une plainte a été soumise aux autorités compétentes du barreau dont l’avocat relève ou d’une explication émanant personnellement du professionnel visé » : Singh, au para 67.

[63] Toutefois, il y a un revers à chaque médaille.

[64] Dans la présente demande, le conseil devant la SAR a déposé des observations détaillées sur un certain nombre d’allégations faites par la demanderesse principale. Les observations pertinentes ici sont celles qui traitent de la question de l’incompétence du conseil. Les observations comprenaient un récit de la teneur de diverses réunions avec la demanderesse principale et des éléments de preuve sous forme de documents montrant que la demanderesse principale a refusé d’accepter de poursuivre le conseil devant la SPR pour incompétence. Divers courriels de la demanderesse principale indiquant une approche peu scrupuleuse de la vérité figurent également dans les observations.

[65] J’ai examiné attentivement les observations du conseil devant la SAR et les documents à l’appui.

[66] Je conclus qu’il y a des éléments de preuve clairs que l’absence de plainte auprès de l’organe directeur relève uniquement de la responsabilité de la demanderesse principale qui a refusé de signer une lettre du conseil devant la SAR au conseil devant la SPR, datée du 27 novembre 2018, qui devait être l’avis d’allégations. La lettre d’avis du conseil devant la SAR devait être signée par la demanderesse principale à la fin pour indiquer qu’elle avait connaissance des allégations. Bien que la demanderesse principale ait accepté de signer le formulaire autorisant la divulgation de renseignements confidentiels, elle n’a pas voulu signer la lettre d’avis pour les raisons qu’elle a fournies au conseil devant la SAR.

[67] Le conseil devant la SAR a mentionné dans ses observations que la demanderesse principale [traduction] « a continué à ne pas coopérer pour déposer une plaignante [sic] contre l’ancien conseil n° 1. Sans son témoignage sous forme d’affidavit ou sa volonté de répondre aux questions d’un enquêteur, je ne pouvais pas procéder à l’instruction de la plainte ».

[68] En refusant de permettre au conseil devant la SAR d’envoyer la lettre qui avait été rédigée à l’intention du conseil devant la SPR, lettre qui contenait des précisions sur les erreurs alléguées, la demanderesse principale est devenue l’auteure de son propre malheur. Elle ne peut pas légitimement dire maintenant que lorsque le conseil devant la SAR a suivi ses instructions, après lui avoir expliqué le problème, il a fait preuve d’incompétence.

[69] L’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposé le 14 novembre 2019. Les seules références au conseil devant la SAR concernaient la demande de prorogation du délai de dépôt de la demande et indiquaient que [traduction] « les demandeurs ont reçu un avis incorrect de leur conseil précédent, à savoir qu’ils ne pouvaient pas contester la décision défavorable de la SAR; et que la seule option qui leur restait était de demander la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire ».

[70] Le mémoire des faits et du droit de la demanderesse est daté du 9 décembre 2017, je présume que l’année devrait être 2019. La date à laquelle il a été rédigé est huit jours avant que l’avis soit donné au conseil devant la SAR et vingt‑cinq jours après le dépôt de l’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Selon l’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le conseil actuel des demandeurs a respecté le Protocole procédural de la Cour et a fourni un avis écrit au conseil devant la SAR. À première vue, c’est incorrect, mais il se peut que le mémoire des faits et du droit de la demanderesse ait été déposé après le jour où il a été daté.

[71] L’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire cherchait également à obtenir une prorogation du délai de dépôt pour les raisons suivantes : (1) lorsque les demandeurs ont demandé un avis juridique indépendant, elle s’est rendu compte que la décision aurait pu être contestée devant la Cour; et, (2) lorsque cette possibilité a été découverte, la date limite pour le dépôt de la demande était déjà dépassée.

[72] Les observations du conseil devant la SAR nient vigoureusement cette allégation. Le conseil devant la SAR a indiqué qu’il expliquait à la fois le contrôle judiciaire de la décision de la SAR et une demande pour des motifs d’ordre humanitaire, suggérant que la demanderesse principale poursuive les deux. Elle a dit qu’elle ne pouvait se permettre qu’un seul choix et qu’elle voulait poursuivre la demande pour des motifs d’ordre humanitaire.

[73] L’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire énonce 20 motifs standard de contrôle judiciaire, plus une disposition générale. Aucun des motifs ne faisait référence à l’incompétence du conseil devant la SAR.

[74] Le 17 décembre 2019, soit trois jours après le dépôt de l’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, un peu avant minuit, l’actuel conseil de la demanderesse principale a fait part par télécopie au conseil devant la SAR de six allégations d’incompétence professionnelle formulées par la demanderesse principale. Toutes ces allégations ont été abordées de manière satisfaisante par le conseil devant la SAR dans ses observations écrites.

[75] Le juge Southcott de notre Cour a conclu que « la partie qui fait une allégation d’incompétence doit démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été des erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente » : Olayinka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 975 au para 16.

[76] La nature des menaces proférées à l’encontre des demandeurs et les nombreux voyages effectués au Nigéria sans incident m’amènent à conclure que, même si les éléments de preuve que les demandeurs ont cherché à produire devant la SAR avaient été acceptés, il n’y aurait pas eu de probabilité raisonnable que le résultat de la décision initiale soit différent. À cet égard, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait.

IX. Conclusion

[77] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[78] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6919‑19

LA COUR rejette la présente demande. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6919‑19

 

INTITULÉ :

MARY ANNE NWAFOR EP ANTOINE SAYEGH

JEAN‑PIERRE SAYEGH, JEAN‑MARK SAYEGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Henry Igbinoba

 

Pour les demandeurs

 

Charles J. Jubenville

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henry Igbinoba

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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