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     Date : 19990416

     Dossier : IMM-2828-98

Entre :


     MOHAMMED AHMED,

     demandeur,


     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agent des visas Luc Le François (l'agent des visas Le François) par laquelle il a refusé la demande de résidence permanente au Canada de Mohammed Ahmed dans une lettre en date du 22 janvier 1998.

[2]      Le demandeur est un citoyen de l'Arabie saoudite. Il a demandé la résidence permanente pour lui et les personnes à sa charge en septembre 1995, dans la catégorie des parents aidés. La décision en cause est en fait la deuxième décision portant sur cette demande. La première a été annulée par une procédure de contrôle judiciaire antérieure.1

[3]      Le demandeur voudrait être évalué comme réparateur de centrales électriques (CCDP 8584-130) et comme vérificateur-régleur (CCDP 8736-126). Sous la profession de réparateur de centrales électriques, l'agent des visas Le François a conclu que les fonctions exercées par le demandeur dans ses emplois antérieurs, d'après sa propre description, ne lui permettaient pas d'établir sa compétence pour cette profession. Par conséquent, il ne lui a accordé aucun point sous le facteur expérience. En vertu du paragraphe 11(1) du Règlement sur l'immigration2, les agents des visas ne peuvent délivrer de visa aux immigrants qui n'ont pas obtenu au moins un point au titre de l'expérience. Il n'aurait donc pas pu obtenir de visa sous la profession de réparateur de centrales électriques.

[4]      Sous le métier de vérificateur-régleur, le demandeur a obtenu les points d'appréciation suivants :


             Âge                      00

             Demande dans la profession      05

             PPS                      15

             Expérience                  06

             Emploi réservé              00

             Facteur démographique          08

             Études                  13

             Connaissance de l'anglais          09

             Connaissance du français          00

             Personnalité                  05

                                 ==

             Total                  663

[5]      D'après cette appréciation, l'agent des visas Le François a conclu que le demandeur n'avait pas suffisamment de points d'appréciation pour obtenir le droit d'immigrer au Canada.

ANALYSE

1. Évaluation de l'expérience

[6]      Dans la décision Muntean c. Canada (MCI), le juge Cullen a déclaré que la CCDP doit être appliquée de façon libérale. Néanmoins, il a précisé que c'est à l'agent des visas qu'il incombe de déterminer quelle est la profession qui se rapproche le plus de l'expérience du demandeur, telle que celui-ci l'a décrite.

         [par. 18] Je conviens avec le requérant qu'il faut interpréter libéralement les descriptions CCDP et qu'il n'est pas nécessaire d'être en mesure de s'acquitter des tâches énumérées dans telle ou telle description pour réunir les conditions requises pour une profession donnée. Si l'agent des visas applique de façon mécanique les descriptions CCDP et exige que le requérant ait fait chacune des tâches énumérées, on pourrait dire qu'il a limité de son propre chef l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière. Cependant, tel n'est pas le cas en l'espèce et l'avocat du requérant n'a pu attirer l'attention de la Cour sur aucune preuve contenue dans le dossier, qui étaie sa prétention que le requérant avait effectivement fait le travail d'un ingénieur civil ou d'un ingénieur en mécanique automobile. Peu importe le titre de l'emploi qu'il occupait en Allemagne, son travail, tel qu'il l'a décrit à l'agente des visas, se rapprochait de celui d'un mécanicien d'automobiles. Je trouve la décision de l'agente des visas parfaitement fondée à la lumière des preuves dont elle était saisie.4

[7]      En l'espèce, les fonctions exercées par le demandeur dans son emploi chez Saudi Aramco sont décrites dans les deux lettres de référence versées au dossier de la demande aux pages 5 et 6. Elles sont décrites comme suit :

         [TRADUCTION]
         Faire l'entretien ou aider à l'entretien de l'équipement suivant :
             -      instruments de mesure
             -      appareils enregistreurs
             -      appareils de contrôle des transducteurs
             -      appareils de contrôle du fluide diélectrique
             -      matériel de sous-station électrique (transformateurs, disjoncteurs, appareillage électrique)
             -      appareils de contrôle des relais de protection
         Commande et réception de pièces de rechange, mise à jour et contrôle du matériel d'essai du réseau électrique, etc.

[8]      Dans son affidavit, l'agent des visas affirme qu'il a [TRADUCTION] « examiné l'expérience du demandeur depuis son premier emploi jusqu'à l'emploi qu'il occupait actuellement » et qu'il a conclu que [TRADUCTION] « en fonction des descriptions données, il était électricien d'entretien jusqu'en juin 1984 » . Il a ensuite analysé les fonctions qu'exerçaient alors le demandeur.5

[9]      La description de réparateur de centrales électriques donnée dans la CCDP (figurant à la page 24 du dossier du défendeur) indique l'expérience pertinente pour le poste :

         Installe, règle et répare de l'équipement mécanique et des pièces de machines, telles que des génératrices, des turbines, des vannes et de la tuyauterie dans des centrales électriques :
             Installe les machines et le matériel selon les dispositions de plans et de croquis, en se servant de palans, de chariots élévateurs, d'outils à main et mécaniques. Examine et écoule le matériel en fonctionnement pour repérer les anomalies. Démonte les machines et le matériel auxiliaire tel que les compresseurs et la tuyauterie [...]

[10]      La description de vérificateur-régleur (à la page 26 du dossier du défendeur) est la suivante :

         Essaie, entretient et répare le matériel électrique et mécanique (autre qu'un matériel de transmission et de réception manuel ou automatique) d'une centrale de télécommunications :
             Essaie et entretient le matériel courant d'un bureau de télécommunications, tel que les horloges, les commutateurs, les répétiteurs d'impulsion, les porteuses, les porteuses de la télégraphie à fréquences phoniques et les génératrices d'énergie, en se servant d'outils à main, d'outils mécaniques et de matériel de soudure. [...]

[11]      L'agent des visas a comparé la description des fonctions exercées par le demandeur dans ses emplois précédents avec celles énumérées dans la CCDP sous la profession de réparateur de centrales électriques. Il a conclu que l'expérience du demandeur ne coïncidait pas avec les fonctions de réparateur de centrales électriques figurant dans la CCDP, et qu'elles se rapprochaient davantage des fonctions de vérificateur-régleur. Après avoir lu attentivement les deux descriptions, je ne peux dire que cette conclusion était déraisonnable.

[12]      En outre, comme la Cour a déjà déclaré dans l'arrêt Lim c. M.E.I., la question de savoir si un demandeur possède vraiment les qualités requises pour une profession donnée est une question de fait seulement qui doit être décidée par l'agent des visas et à l'égard de laquelle la Cour ne peut intervenir à moins qu'elle soit manifestement déraisonnable.6


     2)      Personnalité et double prise en compte

[13]      Cette question a été soulevée à plusieurs reprises devant la présente Cour. Dans l'arrêt Chen c. Canada (M.E.I.), le juge Strayer a déclaré que la personnalité doit être appréciée en fonction de la capacité du demandeur de s'établir avec succès au Canada au sens économique du terme7.

[14]      En l'espèce, l'agent des visas a examiné si le demandeur était déjà venu au Canada, il a tenu compte du fait que sa connaissance du Canada était limitée, qu'il n'avait pas d'emploi réservé et qu'il ne s'était nullement informé de la situation de l'emploi au Canada, avant d'évaluer sa personnalité comme « moyenne » et de lui accorder cinq points d'appréciation.

[15]      Dans la décision Gill c. M.C.I., le juge en chef adjoint Jerome a reconnu le large pouvoir discrétionnaire qui est conféré à l'agent des visas pour apprécier la personnalité :

         Les dispositions législatives confèrent un large pouvoir aux agents des visas pour ce qui est des décisions de cette nature, et il leur incombe tout à fait de se former une opinion concernant les qualités personnelles d'un requérant en fonction de facteurs tels que la capacité d'adaptation, la motivation, l'esprit d'initiative, l'ingéniosité et d'autres qualités. Pourvu que cette opinion soit raisonnable et qu'elle ne soit ni partiale ni arbitraire, l'intervention judiciaire ne se justifie pas.8

[16]      Je conclus que l'évaluation de la personnalité du demandeur par l'agent des visas est raisonnable. Je suis convaincu que son examen des visites antérieures du demandeur au Canada et du fait qu'il n'avait pas d'emploi réservé ont été des éléments qui ont pu l'aider à évaluer la motivation du demandeur et sa capacité de s'établir au Canada au sens économique du terme. Par conséquent, je conclus que l'agent des visas n'a pas fait de double prise en compte de certains facteurs, et qu'il n'a pas non plus tenu compte de considérations non pertinentes dans l'évaluation de la personnalité du demandeur.

     3)      Équité procédurale

[17]      Le juge McKay, dans la décision Parmar c. MCI, a conclu qu'il n'y avait pas eu contravention à l'équité procédurale du fait qu'un agent des visas avait consulté les notes et la lettre de refus d'un autre agent des visas. Un agent des visas ne fait pas nécessairement entrave à son pouvoir discrétionnaire en se référant à l'évaluation d'une demande effectuée antérieurement par un autre agent9. Comme le déclare le juge McKay :

         On ne peut supposer que les personnes qui prennent des décisions à caractère administratif agissent de façon irrégulière lorsqu'elles visent une certaine compatibilité dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire en accomplissant des fonctions administratives communes.10

[18]      En l'espèce, il n'y a pas de preuve que l'agent des visas Le François s'est indûment appuyé sur les notes et la lettre de refus du premier agent des visas M. Shalka. En fait, son affidavit explique en détail les raisons pour lesquelles il a attribué chacun des points11. En outre, la lettre de refus résume ses raisons au regard de chaque évaluation. Par conséquent, le demandeur n'a pas démontré que l'agent des visas avait manqué à son obligation d'équité procédurale en consultant les notes et la lettre de refus de l'agent des visas précédent, comme il le prétend.

[19]      Pour tous les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                              « Danièle Tremblay-Lamer »

                            

                                     JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

le 16 avril 1999


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                      IMM-2828-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Mohammed Ahmed c. Procureur général

                                 du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 15 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE

MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE :                              le 16 avril 1999



ONT COMPARU :

Emile J. Barakat                              POUR LE DEMANDEUR

Lisa Maziade                                  POUR LE DÉFENDEUR



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Emile J. Barakat                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      Après une première entrevue, la demande a été refusée dans une lettre signée par l'agent des visas Robert Shalka. Le demandeur a réclamé le contrôle judiciaire et a obtenu gain de cause le 30 octobre 1997 [IMM-4355-96, le juge Teitelbaum]. Il a été convoqué à une deuxième entrevue le 14 janvier 1998. L'agent des visas Le François a par la suite rejeté la demande le 22 janvier 1998.

     2      DORS/78-172, et ses modifications

     3      Ce total inclut les cinq points de prime accordés pour la catégorie des parents aidés.

     4      Muntean c. Canada (M.C.I.), (1995), 103 F.T.R. 12, p. 16 (C.F. 1re inst.).

     5      Affidavit de Luc Le François (établi sous serment le 26 juillet 1998), au paragraphe 14.

     6      Lim c. M.E.I. (1991), 121 N.R. 241, page 243 (C.A.F.)

     7      [1991] 3 C.F. 350 (C.F. 1re inst.) ; infirmé à [1994] 1 C.F. 639 (C.A.) ; confirmé à [1995] 1 R.C.S. 725.

     8      (1996) 34 Imm. L.R. (2d) 127, page 128 (C.F.1re inst.)

     9      Parmar c. MCI (1997), 139 F.T.R. 203 (C.F. 1re inst.).

     10      Ibid., par. 41.

     11      Précité, note 4 au paragraphe 25 et suivants.

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