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Date : 20210602


Dossier : T‑1010‑20

Référence : 2021 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

IRIS TECHNOLOGIES INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans la présente requête, le défendeur, le ministre du Revenu national [le ministre], sollicite une ordonnance au titre de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], en vue de frapper d’appel et d’annuler une décision du protonotaire Aalto rendue le 5 mars 2021 [la décision]. Dans la décision, le protonotaire a rejeté la requête du ministre visant à radier une demande de contrôle judiciaire [la demande] déposée le 28 août 2020 par la demanderesse, Iris Technologies Inc. [Iris].

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, la présente requête et l’appel du ministre sont rejetés, car, suivant une application des principes applicables de la norme de contrôle, je n’ai relevé aucune erreur de la part du protonotaire.

II. Le contexte

A. La demande au titre de la Subvention salariale d’urgence du Canada

[3] La Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], a été modifiée le 11 avril 2020 afin d’introduire une subvention salariale d’urgence dans le cadre de la réponse à la pandémie de COVID‑19. Ce régime, la Subvention salariale d’urgence du Canada (la SSUC), fonctionne en reconnaissant des paiements d’impôt en trop réputés pour les entités admissibles, puis en donnant au ministre le pouvoir discrétionnaire de leur rembourser le montant réputé. Au titre du paragraphe 125.7(1) de la LIR, afin d’être une entité admissible, un employeur canadien doit subir une réduction de ses revenus par rapport à la moyenne de ses revenus en janvier et février 2020 ou des revenus du même mois de l’année précédente. Le paiement en trop réputé est fondé sur une formule établie au paragraphe 125.7(2) de la LIR qui tient compte de la baisse des revenus. Le paragraphe 152(3.4) de la LIR permet au ministre, en tout temps, de déterminer le montant qui, selon le paragraphe 125.7(2), constitue un paiement en trop pour les besoins de la SSUC et d’envoyer un avis de la décision à l’employeur. Le paragraphe 164(1.6) de la LIR donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de rembourser tout ou partie du paiement en trop réputé.

[4] Iris est une entreprise canadienne qui fournit des services de télécommunications interurbaines à des particuliers et à des entreprises au Canada et à l’étranger. Elle a déposé des demandes au titre de la SSUC pour la période commençant le 15 mars 2020 et se terminant le 11 avril 2020 [la période 1], pour la période commençant le 12 avril 2020 et se terminant le 9 mai 2020 [la période 2] et pour la période commençant le 10 mai 2020 et se terminant le 6 juin 2020 [la période 3]. Iris a déclaré que ses revenus ont diminué au cours de la période 1, de la période 2 et de la période 3 de 95,92 %, de 88,57 % et de 97,08 %, respectivement, comparativement aux revenus moyens gagnés en janvier et en février, et davantage que la réduction correspondant au seuil requis pour le même mois en 2019.

B. La demande de contrôle judiciaire

[5] Le 28 août 2020, Iris a déposé un avis de demande, introduisant la présente la demande de contrôle judiciaire, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF], de la décision datée du 19 juin 2020 par laquelle le ministre a refusé les demandes au titre de la SSUC présentées par Iris pour la période 1 et la période 2, et de la décision du 10 juillet 2020, par laquelle le ministre a refusé la demande au titre de la SSUC présentée par Iris pour la période 3 [l’avis de demande].

[6] L’avis de demande indique que, le 1er juin 2020, un représentant du ministre a laissé à Iris un message vocal, dans lequel il mentionnait essentiellement ce qui suit :

[traduction]

[…] il semble que ce qui s’est passé, c’est que la vérificatrice qui travaille actuellement à la vérification de la TPS/TVH a été contactée et elle a fourni un rapprochement des revenus, et d’après son rapprochement des revenus, c’est là que la réduction de 15 % n’a pas été appliquée et, apparemment, elle a fait le rapprochement des revenus pour éliminer les revenus qui, selon elle, étaient générés ou qui, selon ses constatations de vérification, étaient générés par un système de facturation de convenance. […]

[7] Il est en outre allégué dans l’avis de demande que le bureau du programme de la subvention d’urgence du ministre a par la suite fourni à Iris un document de travail résumant les renseignements fournis par le programme de vérification de la TPS/TVH du ministre. L’avis de demande indique que les dossiers de l’examen de la subvention d’urgence confirment que la participation d’Iris à une vérification de la TPS/TVH était la seule raison du refus d’accorder la SSUC et contient le passage suivant : [traduction] « À l’exception de l’indicateur de risque élevé quant à la planification abusive en matière de TPS/TVH, il n’y a pas d’autre motif du rejet de la demande ».

[8] Dans son avis de demande, la demanderesse sollicite une ordonnance lui accordant le redressement de fond suivant :

  1. obliger le ministre à verser la SSUC à Iris à hauteur des montants demandés, pour un total de 605 714 $;

  2. déclarer que le montant des revenus devant être pris en compte dans le calcul de la SSUC est le montant des revenus déclarés par Iris;

  3. obliger le ministre à émettre des avis de cotisation ou de décision pour les périodes commençant le 15 mars 2020 et se terminant le 6 juin 2020.

C. La requête en radiation de la demande

[9] Le 2 octobre 2020, le ministre a présenté une requête en radiation de la demande, sans autorisation de modification. La requête visait également à obtenir l’autorisation de déposer un affidavit de Marie Lusson daté du 2 octobre 2020 [l’affidavit de Mme Lusson] et de se fonder sur celui‑ci. L’affidavit de Mme Lusson est accompagné d’un document intitulé [traduction] « Avis de décision concernant la Subvention salariale d’urgence du Canada » daté du 21 septembre 2020 [l’avis de décision], dans lequel le ministre a décidé que le montant accordé à Iris au titre de la SSUC pour les périodes 1, 2 et 3 était de 0 $.

[10] Le ministre a soulevé les motifs suivants pour justifier la requête en radiation :

  1. L’avis de demande a pour nature essentielle la contestation de la validité de la décision du ministre selon laquelle Iris n’était pas admissible à la SSUC aux termes de l’article 125.7 de la LIR;

  2. Conformément à l’article 18.5 de la LCF, la Cour n’a pas compétence pour examiner la validité des cotisations établies ou des décisions prises sous le régime de la LIR;

  3. La demande n’a aucune chance d’être accueillie, et ce, pour les raisons suivantes :

  1. Iris dispose d’un autre recours adéquat, par l’intermédiaire du processus d’opposition et d’appel prévu par la LIR;

  2. la demande est de nature théorique, parce que l’avis de décision a été délivré.

D. La décision faisant l’objet de l’appel

[11] Dans la décision dont il est interjeté appel par la présente requête, le protonotaire Kevin Aalto [le protonotaire] a examiné et rejeté la requête en radiation présentée par le ministre. Il a écarté l’affidavit de Mme Lusson, le jugeant fragile et hors de la portée d’une des exceptions à la règle générale portant que la preuve n’est pas admise dans une requête en radiation.

[12] Le protonotaire a également conclu que, même si la Cour était dûment saisie de l’avis de décision, la demande ne serait pas de nature théorique, car la demande vise à obtenir une réparation à l’égard de la conduite du ministre, car, selon Iris, ce dernier a fait preuve d’abus de procédure et agi de façon injuste sur le plan procédural. Le protonotaire a indiqué que la décision du ministre prise en vertu du paragraphe 164(1.6) de la LIR de rembourser une partie ou la totalité d’un paiement en trop est une mesure discrétionnaire. Il a soutenu que, si tous les faits tels qu’ils avaient été exposés par Iris dans l’avis de demande étaient considérés comme véridiques pour les besoins de la requête en radiation, Iris est une entité admissible à laquelle s’applique le paragraphe 164(1.6). Le protonotaire a donc conclu que, puisque les faits tels qu’ils ont été allégués ne relèvent pas une fin illégitime dans la décision du ministre, on ne peut pas affirmer que la demande n’a aucune chance d’être accueillie.

III. Les questions en litige

[13] Compte tenu des arguments avancés par les parties dans le présent appel, voici comment je décrirais les questions que la Cour doit trancher :

  1. Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en refusant d’admettre l’affidavit de Mme Lusson?

  2. Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en refusant de radier la demande?

IV. Analyse

A. La norme de contrôle

[14] Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 64 et 65, la Cour d’appel fédérale a établi que la norme de contrôle dégagée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, s’applique lorsque les juges examinent des ordonnances rendues par des protonotaires conformément à l’article 51 des Règles. Par conséquent, les conclusions de droit du protonotaire peuvent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, et ses conclusions de fait et ses conclusions mixtes de fait et de droit peuvent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[15] Les parties s’entendent sur ces principes, mais à certains égards, elles ne s’entendent pas sur leur application à la présente requête. Iris soutient que l’analyse du protonotaire comporte seulement des conclusions mixtes de fait et de droit. Le ministre soutient prétend que la question de savoir si le protonotaire a correctement déterminé la nature essentielle de la demande et, par conséquent, si le redressement demandé peut être accordé et s’il relève de la compétence de la Cour, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Autrement, sous réserve d’un point entourant l’admissibilité de l’affidavit de Mme Lusson (que j’aborderai plus loin dans les présents motifs), je crois comprendre que le ministre souscrit à la prétention d’Iris selon laquelle l’analyse du protonotaire comporte des conclusions mixtes de fait et de droit pouvant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[16] En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la question entourant la nature essentielle de la demande, je suis d’accord avec le ministre. Le ministre s’appuie sur l’arrêt McCain Foods Limited c JR Simplot Company, 2021 CAF 4 [McCain Foods] au para 65, qui traitait de la question de la compétence de la Cour fédérale relativement à une réclamation d’un tiers dans le contexte d’un litige relatif à un brevet. La Cour d’appel fédérale a conclu que cette évaluation exigeait la détermination de la nature essentielle de la demande et que la norme de contrôle applicable à cette détermination était la norme de la décision correcte.

[17] Bien que la question en l’espèce se pose dans un contexte factuel différent et dans le contexte d’un autre type de procédure, je ne trouve aucun fondement pour faire une distinction avec le raisonnement dans l’arrêt McCain Foods. La requête dont le protonotaire était saisi l’obligeait à déterminer la nature essentielle de la demande afin d’évaluer si elle relevait de la compétence de la Cour fédérale. Si l’on applique le raisonnement dans l’arrêt McCain Foods, cette détermination peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[18] Autrement, sous réserve du point mentionné précédemment au sujet de l’admissibilité de l’affidavit de Mme Lusson, j’appliquerai la norme de l’erreur manifeste et dominante dans mon examen de l’ordonnance.

B. L’admissibilité de l’affidavit de Mme Lusson

[19] Le ministre cherche à s’appuyer sur l’affidavit de Mme Lusson à l’appui de sa position selon laquelle la demande est théorique. En se fondant sur l’avis de décision joint à titre de pièce à l’affidavit de Mme Lusson, le ministre fait valoir que la décision selon laquelle le montant de la SSUC auquel Iris a droit est de 0 $ est réputée définitive et exécutoire, aux termes du paragraphe 152(8) de la LIR, sous réserve seulement d’une modification à la suite d’une opposition ou d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

[20] Le ministre reconnaît que les requêtes en radiation sont généralement présentées sans preuve. Toutefois, le ministre soutient qu’il y a des exceptions à cette règle, notamment lorsque la partie requérante sollicite une radiation fondée sur le caractère théorique de la demande, étant donné que les questions à cet égard apparaissent généralement à la suite d’événements survenus entre‑temps quant aux faits sous‑jacents qui ont donné lieu à la demande de contrôle judiciaire (voir, p. ex., la décision Louis c Ts’kw’aylaxw First Nation, 2018 CanLII 116818 (CF) aux para 18 et 19).

[21] Je souscris à cet argument et je suis d’accord avec le ministre pour dire que l’objet pour lequel il a cherché à présenter l’affidavit de Mme Lusson relève de l’exception au caractère théorique qu’il a fait valoir. Toutefois, selon mon interprétation de l’ordonnance, celle‑ci ne fait pas abstraction de ce principe. Le protonotaire a souligné l’exception applicable et a finalement conclu que l’affidavit de Mme Lusson ne relevait pas de l’exception en raison de ce qu’il a décrit comme étant la fragilité de l’affidavit. Autrement dit, la conclusion du protonotaire quant à cette question reposait sur son évaluation des lacunes de l’affidavit de Mme Lusson.

[22] En ce qui concerne la décision du protonotaire de ne pas admettre en preuve l’affidavit de Mme Lusson, le ministre soutient que l’affidavit est admissible au titre du paragraphe 244(9) de la LIR, dont voici le libellé :

Preuve de documents

Proof of documents

(9) L’affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada — souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à le recevoir — indiquant qu’il a la charge des registres pertinents et qu’un document qui y est annexé est un document, la copie conforme d’un document ou l’imprimé d’un document électronique, fait par ou pour le ministre ou une autre personne exerçant les pouvoirs de celui‑ci, ou par ou pour un contribuable, fait preuve de la nature et du contenu du document.

(9) An affidavit of an officer of the Canada Revenue Agency, sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits, setting out that the officer has charge of the appropriate records and that a document annexed to the affidavit is a document or true copy of a document, or a print‑out of an electronic document, made by or on behalf of the Minister or a person exercising a power of the Minister or by or on behalf of a taxpayer, is evidence of the nature and contents of the document.

[23] Le ministre soutient que le protonotaire n’a pas conclu à un défaut de la déposante de respecter les exigences du paragraphe 244(9) et qu’il a commis une erreur en concluant que certaines questions entourant la décision figurant dans l’avis de décision, ou la connaissance de cette décision par la déposante, étaient pertinentes pour déterminer l’admissibilité de l’affidavit.

[24] Le protonotaire, lorsqu’il a jugé que l’affidavit de Mme Lusson était inadmissible, a conclu que Mme Lusson était une déposante [traduction] « bidon » qui n’avait aucune connaissance directe de quoi que ce soit d’autre que du repérage d’un document qu’elle avait trouvé dans les dossiers de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. Le protonotaire s’est appuyé sur le contre‑interrogatoire de Mme Lusson par Iris, dans lequel cette dernière a avoué qu’elle n’avait aucune connaissance personnelle de la décision; qu’elle n’avait pas participé à la décision; qu’elle n’était pas en mesure de déterminer qui avait participé à la décision; qu’elle ne pouvait pas expliquer pourquoi la décision n’avait pas été communiquée à la date à laquelle elle a affirmé qu’elle avait été prise, et qu’elle n’avait pas évalué les revenus d’Iris au cours de l’une ou l’autre des périodes de référence.

[25] Plus fondamentalement, selon le paragraphe 244(9), le déposant doit être celui qui « a la charge » des registres pertinents. L’affidavit de Mme Lusson ne contient aucune déclaration expresse à cet effet. Je ne considère pas non plus que l’affidavit établit implicitement cette exigence. Mme Lusson affirme que son rôle à l’ARC consiste principalement à travailler avec des données, des applications Web et des systèmes. Sa connaissance personnelle des questions dont elle traite dans son affidavit est fondée sur ce rôle. Elle explique qu’elle a examiné les dossiers de l’ARC relatifs aux demandes d’Iris au titre de la SSUC et qu’elle a trouvé l’avis de décision dans Integras, un système électronique de gestion des cas utilisé par le service de vérification de l’ARC pour tenir des dossiers.

[26] Je remarque que le protonotaire n’a pas expressément renvoyé au paragraphe 244(9) de la LIR ni à ses exigences. Toutefois, en examinant son analyse au regard de ces exigences, je ne constate aucune erreur manifeste et dominante. Le protonotaire a conclu que Mme Lusson n’avait aucune connaissance directe de quoi que ce soit d’autre que le repérage d’un document dans les dossiers de l’ARC. Je suis d’avis que cette conclusion est étayée par la preuve et qu’elle est conforme à l’analyse qui doit être effectuée au titre du paragraphe 244(9). Il serait difficile de conclure, d’après l’affidavit de Mme Lusson, qu’elle a la charge des registres pertinents. Certes, je ne constate aucune erreur manifeste et dominante dans le fait que le protonotaire n’est pas arrivé à cette conclusion.

[27] Pour en arriver à cette décision, j’ai tenu compte de l’argument du ministre selon lequel le protonotaire a commis une erreur en concluant que l’avis de décision avait été communiqué à une date différente de la date du document figurant dans la pièce jointe à l’affidavit de Mme Lusson. Le ministre soutient qu’en arrivant à cette conclusion, le protonotaire a commis une erreur en considérant comme éléments de preuve certaines questions qu’Iris avait posées à Mme Lusson en contre‑interrogatoire sans toutefois admettre en preuve le fondement documentaire de ces questions. En effet, le ministre soutient qu’un tribunal qui s’appuie sur des éléments de preuve dont il n’était pas saisi commet une erreur de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, mais soutient subsidiairement que cet aspect de l’analyse du protonotaire constitue également une erreur manifeste et dominante.

[28] Quelle que soit la norme de contrôle applicable à ce point, je ne constate aucune erreur. À mon avis, l’analyse du protonotaire n’est pas axée sur la divergence entre les dates qui était abordée dans les questions de l’avocat d’Iris. Il s’agissait plutôt du fait que la connaissance de Mme Lusson de l’avis de décision, y compris sa date, se limitait à avoir repéré le document dans le système Integras.

[29] Le ministre soutient également que l’analyse du protonotaire est incompatible avec les lignes directrices énoncées dans l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 [JP Morgan] aux para 53 à 64, selon lesquelles un affidavit auquel est joint les documents mentionnés dans une demande de contrôle judiciaire ne devrait contenir aucun commentaire éditorial ou renseignement supplémentaire. En d’autres termes, le ministre soutient que l’affidavit de Mme Lusson devrait être admissible précisément parce qu’il ne produisait aucune preuve sur le processus ayant mené à l’avis de décision ou sur le fond de l’avis de décision. Cet argument ne me paraît guère fondé. Le protonotaire a refusé d’admettre en preuve l’affidavit de Mme Lusson non pas parce qu’il ne fournissait pas de commentaires au sujet de l’avis de décision, mais parce qu’il n’établissait pas que Mme Lusson avait une connaissance suffisante du document pour appuyer son introduction en preuve.

[30] Enfin, j’ai examiné un argument avancé par le ministre à l’audition de la présente requête en appel, à savoir que la décision du protonotaire ne tient pas compte du paragraphe 244(13) de la LIR ou est incompatible avec ce paragraphe, qui est ainsi rédigé :

Preuve de documents

Proof of documents

(13) Tout document paraissant avoir été établi en vertu de la présente loi, ou dans le cadre de son application ou de sa mise à exécution, au nom ou sous l’autorité du ministre, du sous‑ministre du Revenu national, du commissaire des douanes et du revenu, du commissaire du revenu ou d’un fonctionnaire autorisé à exercer des pouvoirs ou fonctions conférés au ministre par la présente loi est réputé avoir été signé, fait et délivré par le ministre, le sous‑ministre, le commissaire des douanes et du revenu, le commissaire du revenu ou le fonctionnaire, à moins qu’il n’ait été contesté par le ministre ou par une personne agissant pour lui ou pour Sa Majesté.

(13) Every document purporting to have been executed under, or in the course of the administration or enforcement of, this Act over the name in writing of the Minister, the Deputy Minister of National Revenue, the Commissioner of Customs and Revenue, the Commissioner of Revenue or an officer authorized to exercise a power or perform a duty of the Minister under this Act is deemed to have been signed, made and issued by the Minister, the Deputy Minister, the Commissioner of Customs and Revenue, the Commissioner of Revenue or the officer unless it has been called in question by the Minister or by a person acting for the Minister or Her Majesty.

[31] Encore une fois, la position du ministre ne me paraît guère fondée. Le paragraphe 244(13) énonce les circonstances dans lesquelles les documents sont réputés avoir été signés, produits et délivrés par le ministre. Toutefois, je ne considère pas cet article comme une forme de dérogation aux exigences du paragraphe 244(9). Lorsque les exigences du paragraphe 244(9) sont satisfaites, notamment l’exigence selon laquelle le déposant qui joint un document doit établir qu’il est celui qui a la charge des dossiers appropriés, le document est admissible en preuve pour en établir la nature et le contenu. Le paragraphe 244(13) peut alors servir à d’autres fins utiles pour établir la valeur probante du document. Cependant, à mon avis, le paragraphe 244(13) ne peut pas avoir été conçu pour permettre la présentation d’un document en preuve sans l’avantage d’un affidavit à l’appui convenable.

[32] En conclusion, je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans la décision du protonotaire de ne pas admettre en preuve l’affidavit de Mme Lusson. Je remarque que, nonobstant cette décision, le protonotaire a poursuivi son examen de l’argument du ministre sur le caractère théorique et a conclu que, même si la Cour avait été saisie en bonne et due forme de l’avis de décision, la demande ne serait pas de nature théorique. Je reviendrai à cette partie de l’analyse du protonotaire plus loin dans les présents motifs.

C. Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en refusant de radier la demande?

[33] À l’appui de sa position selon laquelle le protonotaire a commis une erreur en refusant de radier la demande, le ministre soulève les principaux arguments suivants. Le ministre soutient que le protonotaire a commis une erreur, parce qu’il :

  1. n’a pas saisi la nature essentielle de la demande;

  2. a conclu de façon erronée que la demande se rapporte à un pouvoir discrétionnaire du ministre;

  3. n’a pas conclu qu’Iris disposait d’un autre recours adéquat;

  4. n’a pas conclu que la demande est de nature théorique.

[34] Bien qu’il y ait un certain recoupement entre ces arguments et l’analyse nécessaire à leur examen, je structurerai la prochaine partie de mes motifs conformément au cadre qui précède.

D. La nature essentielle de la demande

[35] Comme il a été mentionné précédemment, je conviens avec le ministre que l’analyse du protonotaire quant à la nature essentielle de la demande est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À l’appui de sa prétention selon laquelle le protonotaire a commis une erreur dans cette analyse, le ministre se concentre sur les extraits suivants de l’ordonnance :

[traduction]

29. […] Iris soutient que, pris ensemble, ces faits font ressortir un abus de pouvoir de la part du ministre ainsi qu’une iniquité procédurale substantielle et une conduite inacceptable de sa part. Par conséquent, la demande n’est pas dénuée de chances d’être accueillie, car les questions d’équité procédurale et d’abus de pouvoir ne relèvent pas de la compétence de la CCI.

[…]

35. […] La présente demande concerne la conduite du ministre dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé dans le cadre des mesures liées à la COVID‑19. Selon les allégations, cet exercice est à la fois injuste sur le plan de la procédure et constitue un abus de procédure. […]

[36] Le ministre soutient que le protonotaire a commis une erreur en concluant que la demande pourrait être accueillie du fait qu’il y est allégué que le ministre avait été injuste et avait abusé de son pouvoir. Le ministre soutient que le protonotaire était tenu d’examiner attentivement la demande afin de déterminer sa nature essentielle en fonction d’une appréciation réaliste des résultats recherchés par Iris (voir Windsor (City) c Canadian Transit Co, 2016 CSC 54 au para 26; JP Morgan aux para 49 et 50). Si le protonotaire l’avait fait, affirme le ministre, il aurait conclu qu’Iris conteste la décision de fond du ministre au sujet de la SSUC et demande comme mesure de réparation que le ministre paie de l’argent, réparation qui ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale.

[37] J’accepte l’application de la jurisprudence sur laquelle le ministre s’appuie, bien que je note également les directives formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt JP Morgan selon lesquelles, pour obtenir une appréciation réaliste de la nature essentielle d’une demande, la Cour doit lire la demande de façon globale et pratique sans s’attacher aux questions de forme (au para 50).

[38] Je prends également note du point du ministre selon lequel la réparation demandée par Iris dans l’avis de demande comprend une ordonnance obligeant le ministre à verser à Iris le montant des prestations demandées au titre de la SSUC, ce qui soulève nécessairement la question de la quantification de ces prestations. Ce point concorde à certains égards avec les arguments du ministre, qui seront examinés sous peu, selon lesquels une telle quantification se fait sur une base non discrétionnaire au titre des dispositions de la LIR et est assujettie au processus d’opposition prévu par la LIR et au droit d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, cette quantification ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale.

[39] Toutefois, selon une lecture globale de l’avis de demande, il ne fait aucun doute que cet avis n’a pas pour objet principal une démarche visant à ce que la Cour fédérale quantifie à un niveau donné les prestations de la SSUC auxquelles Iris a droit. La demande contient plutôt des allégations concernant une suite d’événements pour appuyer une affirmation selon laquelle le ministre a omis de verser de telles prestations pour des raisons inappropriées. Cela ressort clairement des éléments suivants de l’avis de demande :

  1. les allégations figurant aux paragraphes 9 à 11 concernant les raisons invoquées par les représentants du ministre pour le refus de payer les prestations au titre de la SSUC;

  2. l’affirmation figurant au paragraphe 18 selon laquelle le paragraphe 164(1.6) de la LIR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de rembourser en tout ou en partie un paiement d’impôt en trop réputé (le mécanisme par lequel les prestations au titre de la SSUC sont établies);

  3. en particulier, l’assertion figurant au paragraphe 19 selon laquelle la Cour fédérale a le pouvoir inhérent de contrôler les abus de procédure de la part du ministre.

[40] Encore une fois, je comprends que certains éléments de la réparation précise réclamée dans l’avis de demande peuvent emporter des décisions qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Les parties conviennent que l’article 18.5 de la LCF prive la Cour fédérale de la compétence de procéder au contrôle judiciaire des décisions assujetties au droit d’appel légal devant la Cour canadienne de l’impôt. Toutefois, comme Iris le fait valoir et comme le protonotaire l’a souligné dans l’ordonnance, pour les besoins d’une requête en radiation, les faits contenus dans les actes de procédure qui peuvent être prouvés sont réputés véridiques (voir, p. ex., Pelletier c Canada, 2020 CF 1019 au para 45). Par conséquent, aux fins de la requête en radiation, je suis d’avis qu’il convient de présumer que les affirmations factuelles d’Iris concernant la baisse de ses revenus et son droit subséquent à des prestations au titre de la SSUC sont véridiques, malgré que, pour qu’Iris reçoive enfin la réparation précise qu’elle réclame dans la demande, elle pourrait être tenue de prouver certaines de ses allégations à l’extérieur du cadre de la présente instance devant la Cour fédérale.

[41] À mon avis, ces considérations n’enlèvent rien à la conclusion selon laquelle la nature essentielle de la demande consiste en une démarche visant à invoquer la compétence de la Cour de procéder au contrôle judiciaire de décisions administratives discrétionnaires, y compris celle du ministre. Cette compétence est reconnue par divers précédents cités par les parties, y compris le récent arrêt Iris Technologies Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2020 CAF 117, qui a confirmé une décision de la Cour fédérale par laquelle était rejetée une requête présentée par Iris en vue d’obtenir un redressement provisoire dans une instance devant la Cour fédérale, sous le numéro de dossier T‑425‑20, concernant la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15. En rejetant l’appel interjeté par Iris, la Cour d’appel fédérale a fourni l’explication suivante au sujet de la compétence conservée par la Cour fédérale en matière fiscale (aux para 49 et 51) :

49. Je ne veux pas que mon rejet du présent appel soit interprété comme une adoption des arguments du ministre selon lesquels la délivrance des avis de cotisation prive la Cour fédérale de sa compétence pour examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en application de la LTA.

50. Les cotisations sont juridiquement concluantes et contraignantes quant à l’obligation fiscale de l’appelante, à moins d’être invalidées par la Cour canadienne de l’impôt. Il est également vrai que l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales prive la Cour fédérale de sa compétence en matière de droit administratif pour toute question pouvant être résolue par un appel devant la Cour canadienne de l’impôt. L’article 306 de la LTA prévoit un droit d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt contre les cotisations établies par le ministre.

51. Cela dit, la Cour fédérale reste compétente pour examiner l’application des principes et des obligations fondés sur le droit administratif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans l’application de la LTA. Il s’agit par exemple d’allégations d’actes commis dans un but inavoué ou de mauvaise foi, d’abus de pouvoir ou de défaut de procéder dans un délai raisonnable. La détermination de la limite entre les compétences respectives des deux Cours est un exercice hautement factuel. La Cour fédérale doit toujours être attentive aux actes de procédure astucieux, dans lesquels une contestation fondée sur le droit administratif est une attaque déguisée contre les cotisations (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, paragraphes 36 à 38, 441 D.L.R [4] 197; Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, paragraphes 10 et 11, [2007] 2 R.C.S. 793). Par ailleurs, le simple fait que le ministre ait établi une cotisation ne retire pas à la Cour fédérale sa compétence aux termes des articles 18.1 ou 18.2 (voir les arrêts Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, paragraphe 25, 461 N.R. 184; Prince, paragraphe 16).

[42] Je ne suis pas d’avis que la nature essentielle de la demande consiste en une contestation déguisée d’une affaire qui ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale. Plutôt, comme l’a conclu le protonotaire, la demande porte sur la conduite du ministre dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire lui ayant été accordé par des mesures liées à la COVID‑19 qui ont été intégrées à la LIR, une conduite qui, selon Iris, est injuste sur le plan de la procédure et constitue un abus de procédure. Suivant l’application de la norme de la décision correcte, je suis d’accord avec la caractérisation de la demande par le protonotaire et avec sa conclusion selon laquelle cette caractérisation fait en sorte que la demande relève de la compétence de la Cour fédérale en matière de droit administratif.

E. Le pouvoir discrétionnaire du ministre

[43] Le ministre soutient que le protonotaire a surévalué la portée du pouvoir discrétionnaire que la LIR confère au ministre en ce qui a trait au programme de la SSUC et qu’il a conclu à tort que la demande se rapporte à un pouvoir discrétionnaire du ministre.

[44] Le ministre explique que l’article 125.7 de la LIR prévoit des paiements au titre de la SSUC en faisant en sorte que les employeurs qualifiés sont réputés avoir payé de l’impôt en trop. Le paiement en trop réputé est fondé sur une formule qui tient compte de la baisse des revenus. Le paragraphe 152(3.4) de la LIR permet au ministre de déterminer le paiement en trop réputé aux fins des paiements de la SSUC prévus à l’article 125.7 et d’envoyer les avis de décision appropriés en tout temps. Le paragraphe 164(1.6) confère ensuite au ministre le pouvoir discrétionnaire de rembourser tout ou partie d’un paiement en trop réputé.

[45] Le ministre soutient que le protonotaire a commis une erreur en interprétant les dispositions législatives comme si elles conféraient au ministre le pouvoir discrétionnaire de quantifier le paiement en trop réputé, alors que le seul élément discrétionnaire du régime législatif est le pouvoir discrétionnaire de rembourser un paiement en trop réputé lorsque son existence est établie. Je suis d’accord avec l’explication du ministre sur l’interaction des dispositions législatives et avec sa description des points visés et non visés par un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que l’ordonnance démontre une mauvaise compréhension de la part du protonotaire. Selon mon interprétation de l’ordonnance, celle‑ci n’envisage pas que la Cour fédérale oblige le ministre à tirer des conclusions non discrétionnaires.

[46] En fait, le protonotaire relève expressément (au paragraphe 30 de l’ordonnance) l’argument d’Iris selon lequel c’est la décision de verser des prestations au titre de la SSUC au titre du paragraphe 164(1.6) qui est une mesure discrétionnaire du ministre. Au paragraphe 31 de l’ordonnance, le protonotaire conclut que le caractère discrétionnaire de cette décision est appuyé par l’article 7 du projet de loi C‑14, Loi no 2 concernant certaines mesures en réponse à la COVID‑19. À partir de là, en réponse aux arguments du ministre selon lesquels le paragraphe 164(1.6) ne s’applique pas à Iris parce qu’elle n’est pas une entité admissible et qu’elle n’est pas admissible à recevoir des paiements au titre de la SSUC, le protonotaire fait simplement remarquer que cet argument va à l’encontre des faits plaidés par Iris, lesquels doivent être considérés comme véridiques aux fins d’une requête en radiation.

[47] Je conclus que ce volet de l’analyse du protonotaire ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.

F. Les autres voies de recours

[48] Le ministre soutient que le protonotaire a commis une erreur en omettant de radier la demande, parce qu’elle contrevient au principe de droit administratif selon lequel un tribunal ne devrait habituellement pas entendre une demande de contrôle judiciaire lorsqu’il existe un autre recours approprié (voir, p. ex., l’arrêt JP Morgan aux para 84 et 85). Le ministre s’appuie également sur l’article 18.5 de la LCF, qui exerce un effet semblable, voire plus fort, en privant la Cour fédérale de sa compétence en matière de contrôle judiciaire relativement à certaines catégories de décisions lorsqu’il existe un droit d’appel prévu par la loi.

[49] La position principale du ministre sur cet argument est qu’Iris dispose de recours adéquats comme solutions de rechange à sa demande, à savoir, poursuivre le processus d’opposition prévu par la LIR et, par la suite, interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre fait remarquer qu’en rejetant cet argument, le protonotaire a conclu que la demande porte sur la conduite du ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le ministre réitère son argument selon lequel le pouvoir discrétionnaire ne se rapporte qu’à la décision prise au titre du paragraphe 164(1.6) de rembourser un paiement en trop et non à la détermination de l’existence d’un paiement en trop. Le ministre réitère également son argument selon lequel la conduite abusive n’était pas alléguée dans l’avis de demande.

[50] Bien qu’elles soient formulées en fonction de l’accès à d’autres recours adéquats ou de l’effet de la disposition relative à la compétence de l’article 18.5 de la LCF, ces observations ne font que répéter des arguments que j’ai rejetés plus tôt dans les présents motifs.

[51] Je prends également acte d’un argument figurant dans les observations écrites du ministre selon lequel Iris dispose d’un autre recours efficace pour contrer les abus de pouvoir graves et délibérés, soit d’introduire une action en responsabilité délictuelle. Le ministre s’appuie sur l’arrêt JP Morgan au para 89, à titre de précédent établissant que les actions en responsabilité délictuelle peuvent constituer des solutions de rechange adéquates. Toutefois, dans ce précédent, il est mentionné que la question de savoir si une telle procédure constitue réellement un recours adéquat et efficace dépend des circonstances de l’affaire. Je souscris à la position d’Iris selon laquelle, conformément à l’objectif législatif du programme de la SSUC, qui est de permettre aux employeurs canadiens de conserver leurs employés tout en faisant face aux répercussions commerciales de la COVID‑19, elle ne devrait pas être privée de la possibilité de faire examiner rapidement ses demandes de redressement. La présentation d’une action en responsabilité délictuelle ne constitue pas une telle possibilité.

[52] Ces arguments concernant l’existence d’un autre recours approprié ne soulèvent aucune erreur manifeste et dominante de la part du protonotaire.

G. Le caractère théorique

[53] Le ministre prétend que le protonotaire a commis une erreur en concluant que la demande n’était pas théorique. Bien entendu, l’argument du caractère théorique repose sur les efforts déployés par le ministre pour présenter l’avis de décision en preuve au moyen de l’affidavit de Mme Lusson. Étant donné ma conclusion selon laquelle le protonotaire n’a commis aucune erreur en refusant d’admettre cet élément de preuve, l’argument relatif au caractère théorique ne repose sur absolument rien. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, l’ordonnance comprend une analyse subsidiaire selon laquelle, même si la Cour avait été dûment saisie de l’avis de décision, la demande ne serait pas théorique. J’examinerai donc la question de savoir si les arguments du ministre soulèvent l’existence d’une erreur manifeste et dominante dans cette analyse subsidiaire.

[54] Le ministre soutient que la conclusion du protonotaire selon laquelle la demande n’était pas théorique ne découlait pas seulement du refus du protonotaire d’admettre en preuve l’avis de décision. Le ministre soutient que la conclusion était également la conséquence de ce qu’il soutient être une erreur de droit de la part du protonotaire lorsque ce dernier a caractérisé la nature essentielle de la demande. Encore une fois, cette observation repose sur un argument que j’ai rejeté plus tôt dans les présents motifs et, par conséquent, ne soulève aucune erreur manifeste et dominante.

H. La position subsidiaire

[55] Comme position subsidiaire dans le présent appel, si la Cour n’annule pas l’ordonnance, le ministre demande à la Cour de lui accorder 30 jours à compter de la date de l’ordonnance rendue pour statuer sur l’appel afin de mener à bien la prochaine étape de l’instance, qui consiste à répondre à la demande d’Iris présentée au titre de l’article 317 des Règles. Le ministre explique que le délai demandé est fondé sur sa meilleure estimation du temps nécessaire pour produire les documents demandés.

[56] En réponse à cette position, Iris demande qu’on ordonne au ministre de produire le dossier visé à l’article 317 des Règles dans un délai de cinq jours.

[57] Aucune des parties n’a fourni de preuve à l’appui du délai qu’elle propose. Je remarque également que l’ordonnance du protonotaire ne fixe pas de délai pour cette prochaine étape de l’instance. Toutefois, les deux parties demandent que la Cour fixe un délai pour cette étape, et je conviens qu’elles bénéficieront de la certitude d’un délai fixé à ce stade‑ci. En l’absence d’un meilleur fondement pour choisir le délai, le délai de 30 jours proposé par le ministre semble raisonnable, et c’est celui que prévoira mon ordonnance.

V. Dépens

[58] Chacune des parties a demandé des dépens afférents à la présente requête, dans l’éventualité où la Cour lui accordait gain de cause. Comme Iris a eu gain de cause, elle aura droit aux dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1010‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La requête de la défenderesse visant l’obtention d’une ordonnance au titre de l’article 51 des Règles, en vue de frapper d’appel et d’annuler l’ordonnance du protonotaire Aalto du 5 mars 2021, est rejetée.

  2. Le délai pour que la défenderesse produise le dossier visé à l’article 317 des Règles est fixé à 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

  3. La demanderesse aura droit aux dépens afférents à la présente requête.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1010‑20

INTITULÉ :

IRIS TECHNOLOGIES INC c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Leigh Somerville Taylor

Mirielle Dahab

POUR LA DEMANDERESSE

Darren Prevost

Andrea Jackett

Michael Ezri

Sandra Tsui

Katie Beahen

John Chapman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Somerville Taylor

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Dahab Law

Markham (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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