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                                                                                                                                         Date :    20011115

                                                                                                                           Dossier.:    IMM-5953-00

                                                                                                                                                                       

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1253

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2001

EN PRÉSENCE DU JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                         LAU TING MING STEPHEN

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant à annuler une décision en date du 8 novembre 2000 par laquelle R. Albert Nauman, gestionnaire du programme d'immigration, a refusé la demande de dispense du demandeur à l'égard de l'obligation de demander à l'extérieur du Canada le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire, comme le prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.


[2]                 Âgé de 57 ans, le demandeur est un retraité qui réside aux États-Unis. Son épouse est âgée de 58 ans et était enseignante avant de perdre la vue en 1976. Le demandeur et son épouse ont demandé une dispense de l'obligation de demander le droit d'établissement à l'extérieur du Canada pour des considérations humanitaires, notamment parce que la plupart des membres de leur famille (mère, frère et deux soeurs) habitent au Canada. Le demandeur a fait valoir qu'il ferait face à des difficultés indues s'il n'était pas autorisé à rejoindre sa famille au Canada. Le gestionnaire du programme d'immigration a refusé la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire pour les motifs suivants (dossier du tribunal, à la page 4) :

[TRADUCTION] Des considérations humanitaires existent lorsqu'un demandeur ferait face à des difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'il était tenu de respecter les exigences normales en matière d'immigration pour obtenir un visa. Même si votre client a des liens personnels étroits avec les membres de sa famille établis au Canada et désire les rejoindre, cette situation ne lui permet pas en soi, à mon avis, d'invoquer les dispositions de la Loi sur l'immigration qui concernent les considérations humanitaires. Même lorsque j'applique le critère que vous définissez dans votre lettre, c'est-à-dire l'existence de facteurs qui « inciteraient un homme raisonnable vivant dans une société civilisée à vouloir aider une personne dans le malheur de telle sorte que ce malheur justifie l'octroi d'une dispense spéciale » , je ne vois aucun malheur dont votre client serait affligé et qui le rendrait admissible à une dispense spéciale. Il s'agit d'un homme relativement riche dont le statut juridique est reconnu aux États-Unis. Il peut rendre visite aux membres de sa famille établis au Canada aussi souvent qu'il le désire. Il n'est pas tenu d'obtenir le statut d'immigrant pour maintenir ses liens avec sa famille. Sa demande d'admission au Canada fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi doit être rejetée.

[3]                 Avant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire, le demandeur avait présenté une demande de résidence permanente au Canada et avait été évalué par un agent des visas, Cyril Joseph, en qualité retraité (CNP 9992.0). N'ayant pas obtenu les 70 points d'appréciation nécessaires, le demandeur a vu sa demande rejetée. Cette décision n'est pas révisée en l'espèce.


[4]                 Même si la décision de l'agent des visas Cyril Joseph n'est pas sous examen, le demandeur soutient, dans son dossier, que celui-ci a commis une erreur susceptible de révision en omettant d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'acceptation conformément au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-72 (Règlement). La demande de contrôle judiciaire dont la Cour est actuellement saisie concerne la décision relative à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et non la décision de l'agent des visas Cyril Joseph. Le paragraphe 11(3) du Règlement énonce qu'un agent des visas peut délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par la Loi sur l'immigration. Le paragraphe 11(3) ne s'applique nullement à une décision relative à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et, par conséquent, les arguments du demandeur concernant l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'acceptation ne seront pas examinés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]                 L'avocat du demandeur soutient que l'un des objectifs énoncés à l'article 3 de la Loi sur l'immigration est de faciliter la réunion au Canada de résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger. L'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, est cité au soutien de la proposition selon laquelle l'intérêt du demandeur doit être traité d'une façon compatible avec la tradition humanitaire suivie par le Canada. L'arrêt Baker portait sur une situation où les intérêts des enfants avaient été minimisés d'une façon incompatible avec la tradition humanitaire suivie par le Canada ainsi qu'avec les Lignes directrices du ministre (non souligné à l'original).

  

[6]                 Il convient de reproduire le paragraphe 6(3) de la Loi sur l'immigration :


6(3) Personnes déplacées ou persécutées - Les réfugiés au sens de la Convention et les personnes appartenant à une catégorie déclarée admissible par le gouverneur en conseil conformément à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l'égard des personnes déplacées ou persécutées peuvent être admis, sous réserve des règlements pris à cette fin et du plan d'immigration et par dérogation aux règlements d'application générale. (Je souligne)


6(3) Displaced and persecuted- Any Convention refugee and any person who is a member of a class designated by the Governor in Council as a class, the admission of members of which would be in accordance with Canada's humanitarian tradition with respect to the displaced and the persecuted, may be granted admission, subject to such regulations as may be established with respect thereto and to the immigration plan currently in force and notwithstanding any other regulations made under this Act. (Emphasis added)


[7]                 Une personne peut donc être admise conformément à la tradition humanitaire suivie par le Canada si elle appartient à une catégorie désignée, sous réserve des règlements et du plan d'immigration actuellement en vigueur.

[8]                 Avant 1992, un règlement pris en application de la Loi sur l'immigration prévoyait que certains retraités pouvaient être admissibles selon les critères de sélection relatifs à l'immigration. Le règlement a été révoqué le 21 juin 1991, conformément au plan d'immigration couvrant la période de 1991 à 1995. Selon l'explication contenue dans le résumé de l'analyse de la modification, il a été décidé d'éliminer le programme favorisant les retraités afin de conserver un nombre suffisant d'immigrants qualifiés plus jeunes sans sacrifier d'autres objectifs. De plus, il est précisé dans le résumé que la catégorie des retraités a été ajoutée à l'origine pour accommoder les personnes qui étaient nées au Canada, qui avaient abandonné leur citoyenneté et désiraient revenir plus tard. En 1989, cette situation ne s'appliquait plus, étant donné que 4 p. 100 seulement des 3 500 retraités ayant obtenu le droit d'établissement étaient nés au Canada.


[9]                 Les Lignes directrices du ministre et le plan d'immigration découlent de la Loi sur l'immigration. Il convient de souligner que le demandeur ne conteste pas le droit du ministre de contrôler l'accès au moyen d'un règlement ou de mettre en oeuvre un plan d'immigration.

[10]            En ce qui concerne la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, le demandeur fait valoir que le gestionnaire du programme d'immigration n'a pas évalué de façon satisfaisante le désir qu'il a de rejoindre les membres de sa famille et n'a pas accordé suffisamment d'importance aux ressources économiques qu'il possède. Le demandeur allègue que la réunification garantirait qu'une personne s'occupera de lui lorsqu'il sera plus âgé et qu'il a besoin de sa famille au plan affectif. Selon le demandeur, ces faits justifient l'octroi d'une dispense spéciale. Le demandeur ajoute que les motifs écrits de la décision du gestionnaire du programme d'immigration étaient insatisfaisants, parce qu'ils n'ont pas démontré que l'agent a tenu compte du fait que le demandeur pouvait réussir son installation au Canada. Il reproche également au gestionnaire d'avoir commis un manquement au devoir d'équité procédurale en omettant de lui accorder une entrevue et d'avoir fondé sa décision sur des facteurs non pertinents, comme la capacité du demandeur de rendre visite à sa famille sans qu'il soit nécessaire pour lui d'obtenir le droit de résider en permanence au Canada.


[11]            Le défendeur répond que la décision négative du gestionnaire du programme d'immigration ne comporte aucune erreur susceptible de révision et souligne qu'un des facteurs d'ordre humanitaire que le demandeur a mentionnés est le fait qu'il est riche. Selon le défendeur, il ne convient pas d'utiliser le paragraphe 14(2) de la Loi sur l'immigration de façon à permettre aux gens riches de prendre leur retraite au Canada; le demandeur pourrait plutôt invoquer l'article 6.11 du Règlement et entrer au Canada comme investisseur. De plus, le défendeur ajoute que le gestionnaire a tenu compte du fait que la plupart des membres de la famille du demandeur habitent au Canada, mais n'a pas cru que cette situation justifiait l'octroi d'une dispense spéciale. Enfin, le défendeur estime qu'aucun manquement aux règles de l'équité procédurale n'a été commis, étant donné que le gestionnaire n'était pas tenu d'accorder une entrevue au demandeur.

[12]            Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a décidé que la norme d'examen d'une décision d'un agent d'immigration à l'égard d'une demande pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Pour déterminer si une décision donnée est déraisonnable, la Cour suprême a formulé les remarques suivantes dans l'arrêt Baker, à la page 857 :

J'examinerai maintenant si la décision dans la présente affaire, et l'interprétation par l'agent d'immigration de l'étendue du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré, étaient déraisonnables au sens où l'entend le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam, précité, au par. 56 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.

[13]            La question est donc de savoir si le gestionnaire du programme d'immigration a examiné de façon raisonnable la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire du demandeur.


[14]            Le demandeur soutient d'abord que le gestionnaire du programme d'immigration n'a pas accordé suffisamment d'importance au fait que la plupart des membres de la famille du demandeur en question habitent au Canada et que celui-ci subirait un préjudice moral s'il ne pouvait pas les rejoindre. À mon avis, cet argument n'est pas fondé. Dans sa lettre de refus datée du 8 novembre 2000, le gestionnaire du programme d'immigration indique clairement que le demandeur a des liens étroits avec sa famille et souhaite les rejoindre (dossier du tribunal, à la page 4) :

[TRADUCTION] Même si votre client a des liens personnels étroits avec les membres de sa famille établis au Canada et souhaite les rejoindre, cette situation ne lui permet pas en soi, à mon avis, d'invoquer les dispositions de la Loi sur l'immigration qui concernent les considérations humanitaires.

[15]            Dans ses notes CAIPS, le gestionnaire formule les commentaires suivants au sujet de la séparation du demandeur et de sa famille (dossier du tribunal, à la page 93) :

[TRADUCTION] L'immigration est un acte qui sous-entend en soi la séparation d'une personne d'avec les membres de sa famille, ses amis et son environnement habituel. Dans bien des cas, elle entraîne le morcellement des familles. La situation du demandeur à cet égard n'est pas inhabituelle et les difficultés qui en découlent ne sont pas indus; de plus, les « malheurs » causés par cette situation ne sont pas pénibles au point de justifier l'octroi d'une dispense spéciale.


[16]            La Ligne directrice 9.07 du Manuel de l'immigration vise à guider les agents des visas appelés à décider si des considérations humanitaires existent en précisant que ces considérations existent « lorsque des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada » . Dans la présente affaire, le gestionnaire du programme d'immigration a tenu compte des liens qui existaient entre le demandeur et la mère, les frères et les soeurs de celui-ci et du fait que le demandeur ferait face à certaines difficultés en quittant le Canada. Cependant, il a également tenu compte du fait que le demandeur possède des ressources financières importantes et qu'il est un résident permanent des États-Unis qui n'est assujetti à aucune restriction quant à ses possibilités de séjour au Canada. Compte tenu de ces faits, j'estime que la conclusion du gestionnaire du programme d'immigration selon laquelle le demandeur ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'il devait quitter le Canada est une conclusion raisonnable.

[17]            La même analyse s'applique à l'examen par le gestionnaire du programme d'immigration de la possibilité pour le demandeur de réussir son installation au plan économique. Selon le demandeur, le gestionnaire n'a pas suffisamment tenu compte des ressources financières qu'il possède et de la possibilité pour lui de s'établir au Canada. Le gestionnaire du programme d'immigration a tenu compte du fait que le demandeur est riche, mais n'a pas ajouté ce fait au plaidoyer fondé sur les considérations humanitaires. Comme il l'a expliqué dans sa lettre de refus (dossier du tribunal, à la page 4) :

[TRADUCTION] Je ne vois aucun malheur dont votre client serait affligé et qui le rendrait admissible à une dispense spéciale. Il s'agit d'un homme relativement riche dont le statut juridique est reconnu aux États-Unis.

  

De plus, dans ses notes CAIPS, le gestionnaire mentionne ce qui suit (dossier du tribunal, à la page 93) :

[TRADUCTION] Le demandeur est un résident permanent des États-Unis : il s'agit d'un homme relativement riche qui possède des immobilisations d'une valeur dépassant 1 000 000 $.

Le gestionnaire du programme d'immigration a examiné les ressources financières du demandeur, mais n'a pas jugé que ce fait appuyait la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de celui-ci. Cette évaluation est raisonnable et il n'y a pas lieu de la modifier.


[18]            Enfin, le demandeur allègue qu'il s'est vu refuser le droit à l'équité procédurale du fait qu'aucune entrevue ne lui a été accordée. Comme l'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Baker, à la page 842, une entrevue n'est pas une exigence générale dans le cas des décisions relatives aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire :

Il n'est pas indispensable qu'il y ait une entrevue pour exposer à un agent d'immigration les renseignements relatifs à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et pour que les raisons d'ordre humanitaire présentées puissent être évaluées de façon complète et équitable. En l'espèce, l'appelante a eu la possibilité d'exposer par écrit, par l'entremise de son avocat, sa situation, celle de ses enfants et leur dépendance émotive vis-à-vis d'elle...

De la même façon, le demandeur a présenté en l'espèce des observations écrites dans lesquelles il a expliqué les considérations humanitaires qu'il a invoquées et dont le gestionnaire du programme d'immigration a pleinement tenu compte. À mon avis, le gestionnaire n'a pas commis de manquement aux règles d'équité procédurale en omettant d'accorder une entrevue au demandeur.

[19]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20]            Les parties ne m'ont pas demandé de certifier une question grave de portée générale au sens de l'article 83 de la Loi sur l'immigration, malgré la possibilité qu'elles avaient de le faire. En conséquence, je n'ai pas l'intention de certifier de question grave de portée générale.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »                  

                                                                                                                                                                 Juge                              

      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              IMM-5953-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Lau Ting Ming Stephen c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 21 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                           Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                     le 15 novembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Cecil Rotenberg, c.r.                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. Jamie Todd                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Cecil Rotenberg, c.r.

Don Mills (Ontario)                                                           POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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