Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210618


Dossier : IMM‑6497‑18

Référence : 2021 CF 629

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2021

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ISSAM AL YAMANI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) sollicite une ordonnance en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir une interdiction de divulgation de renseignements versés au dossier certifié du tribunal (le DCT) dans le cadre de la présente demande d’autorisation de contrôle judiciaire. Une ordonnance de la Cour exigeait que le DCT soit mis à disposition avant que l’autorisation puisse être accordée. Le DCT contient plus de 950 pages. Le ministre soutient que la divulgation des renseignements qu’il demande de caviarder porterait atteinte, s’ils étaient divulgués, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

[2] Sur l’ensemble du DCT, qui est d’une ampleur considérable, le défendeur demande le caviardage de passages à certaines pages seulement. En fait, les passages qu’il est proposé de caviarder se trouvent aux pages 156 à 160, 164, 173, 182, 187 et 204‑205.

[3] Le défendeur ne demande pas le caviardage des 11 pages susmentionnées au complet. Il demande plutôt, à certaines pages, le caviardage de certains paragraphes et, à d’autres pages, le caviardage d’éléments courts, comme le nom de témoins devant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS) il y a une trentaine d’années ou un bloc de signature d’un document. Le caviardage de passages non liés à l’identité de personnes est demandé uniquement aux pages 156 à 160 et aux pages 204 et 205. Les pages 156 à 160 concernent un document ministériel signé en avril et en mai 1992 qui faisait partie du DCT. Les pages 204 et 205 contiennent un document daté du 4 septembre 2007 qui concerne deux fonctionnaires. Il est important de souligner que le ministre déclare que les renseignements non divulgués dans le DCT ne seront pas utilisés si l’autorisation est accordée et qu’il y a un contrôle judiciaire de la décision visée en l’espèce.

[4] Le demandeur s’oppose à la demande du ministre au motif que ses intérêts dans la présente instance sont importants et que la Cour devrait donc rejeter le caviardage proposé. Autrement, le demandeur sollicite, si la Cour envisageait d’accueillir la requête en interdiction de divulgation, la nomination d’un avocat spécial afin que ses intérêts puissent être représentés dans toute procédure ex parte tenue à huis clos.

[5] Un affidavit classifié a été déposé à l’appui de la requête du ministre, après quoi une audience ex parte à huis clos a eu lieu, au cours de laquelle la personne qui a souscrit l’affidavit a fourni des renseignements supplémentaires et a répondu aux questions de la Cour. Au début de l’audience ex parte à huis clos tenue en vertu de l’article 87, l’avocat du Procureur général du Canada (le PGC) m’a informé qu’il retirait sa demande de caviardage de la première phrase du dernier paragraphe de la page 156. La phrase est la suivante : [traduction] « Le 2 février ... du FPLP ». Par conséquent, j’ordonne au PGC de fournir une page de remplacement pour le dossier public faisant état de la suppression du caviardage au bas de la page 156.

[6] L’audience a également servi à établir s’il s’agissait d’une affaire qui justifiait la nomination d’un avocat spécial, compte tenu des renseignements supplémentaires sur les renseignements non divulgués. Une audience ultérieure ex parte à huis clos a eu lieu.

[7] Dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1140, le juge Simon Noël a dressé une liste d’éléments dont il faut tenir compte pour établir s’il est nécessaire de nommer un avocat spécial. Le résumé suivant, tiré de la décision de notre ancien collègue le juge René Leblanc dans la décision Malikaimu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1026, [2018] 3 RCF 512 [Malikaimu], est utile en l’espèce :

[22] Dans la décision A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1140 (A.B.), le juge Simon Noël a indiqué qu’afin d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée pour nommer ou pas un avocat spécial en vertu de l’article 87.1 de la Loi, le juge président devait i) examiner les caviardages, ii) garder à l’esprit l’ensemble du dossier, iii) tenir au besoin une audience ex parte à huis clos, iv) demander une justification aux caviardages, v) s’interroger sur la pertinence telle qu’elle est présentée, vi) suggérer et, si nécessaire, ordonner le dévoilement des renseignements si leur retranchement n’est pas justifié en droit et en fait et vii) lire la décision visée par la procédure de contrôle judiciaire. C’est uniquement à ce moment, selon le juge Noël, à la lumière des connaissances acquises en suivant cette approche, que les normes d’équité et de justice naturelle seront mieux comprises et appliquées à l’affaire à l’étude (A.B., au paragraphe 9).

J’ai suivi scrupuleusement la directive susénoncée.

[8] Comme dans la décision Malikaimu, la Cour a énoncé d’autres facteurs à examiner, comme « l’ampleur de la non‑divulgation, l’importance et la valeur probante des renseignements visés par la non‑divulgation et la capacité du demandeur à présenter sa défense » (au para 52).

[9] Premièrement, je suis persuadé que la nomination d’un avocat spécial n’est pas nécessaire en l’espèce. J’ai examiné intégralement et attentivement les éléments caviardés, ainsi que les observations présentées et, à mon avis, ceux‑ci ne justifient pas la nomination d’un avocat spécial. Les renseignements caviardés n’ont aucune incidence sur l’équité ni sur la justice naturelle. Les renseignements se trouvent dans des documents qui sont eux‑mêmes inactuels (1992 et 2007). Les intérêts du demandeur ne requièrent pas « la nomination d’un avocat spécial en vue de [leur] défense » (art 87.1 de la LIPR) : la partie caviardée est minime considérant que le DCT comporte 958 pages, l’importance relative des renseignements est également minime (voire inexistante compte tenu de l’affaire dont la Cour est saisie) et il est évident que la capacité du demandeur de faire valoir ses arguments et de répondre à ceux du défendeur ne sera pas compromise de quelque manière que ce soit.

[10] Deuxièmement, les renseignements en tant que tels ainsi que la preuve présentée par le ministre m’ont convaincu que la divulgation des renseignements caviardés nuirait à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui en raison de la nature des renseignements caviardés (Henrie c Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 CF 229 [Henrie]), ce qui constitue le fondement du caviardage. Comme l’a constaté la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Soltanizadeh, 2019 CAF 202 au paragraphe 26, « l’article 87 de la LIPR ne prévoit pas de critère de mise en balance de l’intérêt public comme celui énoncé à l’article 38 de la LPC ». Il s’ensuit qu’une fois qu’une atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui est constatée, la divulgation doit être interdite. De nombreux motifs examinés dans notre jurisprudence justifient le caviardage, à commencer par ceux énoncés dans la décision Henrie. Par exemple, les méthodes de fonctionnement ou les techniques d’enquête, ou encore l’identité des témoins ou du personnel du service, doivent généralement être protégées contre la divulgation. Il en va de même pour les enquêtes (durée, envergure, succès). Par conséquent, je dois interdire la divulgation des renseignements caviardés en l’espèce.

[11] Je suis convaincu qu’un avocat spécial ne m’aiderait pas davantage à établir si la Cour doit maintenir le caviardage, étant donné la nature des renseignements. Je suis en outre convaincu que les renseignements caviardés n’aideraient pas le demandeur dans sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire ni dans le contrôle judiciaire si l’autorisation est accordée.

[12] Le fait que les renseignements caviardés ne seront pas utilisés pour justifier l’issue du contrôle judiciaire, si l’autorisation est accordée, est bien sûr un élément supplémentaire, bien que non déterminant, dont la Cour a tenu compte.

[13] Par conséquent, étant donné le type de renseignements à caviarder, la Cour doit interdire la divulgation des renseignements caviardés en l’espèce. Par conséquent, la requête en interdiction de divulgation présentée en vertu de l’article 87 de la LIPR est accueillie.

 


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑6497‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en interdiction de divulgation des renseignements caviardés dans le dossier certifié du tribunal est accueillie.

  2. Le procureur général du Canada doit fournir une page de remplacement pour le dossier public faisant état de la suppression du caviardage au bas de la page 156 du dossier certifié du tribunal.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6497‑18

INTITULÉ :

ISSAM AL YAMANI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

REQUÊTE EN INTERDICTION DE DIVULGATION EN VERTU DE L’ARTICLE 87 DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS ET DE L’ARTICLE 18.1 DE LA LOI SUR LE SCRS EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 18 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

(observations écrites)

POUR LE DEMANDEUR

James Todd

Robert Reid

Proja Filipovich

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.