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Date : 20210419


Dossier : IMM‑7850‑19

Référence : 2021 CF 341

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

AVTAR SINGH

MANPREET SINGH

HARJEET SINGH

SIMARPREET KAUR

RAJINDER KAUR

SIMRAN DIWAN

YUVRAJ SINGH

JASLEEN KAUR

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont Manpreet Singh, son épouse Simarpreet Kaur et leurs enfants Jasleen Kaur et Yuvraj Singh, le frère de M. Singh, Harjeet Singh et son épouse Simran Diwan, et les parents de M. Singh, Avtar Singh et Rajinder Kaur. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté un appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 [la LIPR], étant donné qu’il existe des possibilités de refuge intérieur viables (PRI) à Mumbai et à Delhi.

[2] Les demandeurs affirment que la décision de la SAR est déraisonnable. Ils font également valoir qu’ils ont une crainte réelle et justifiée d’être soumis à la torture ou à un traitement inhumain ou dégradant à leur retour en Inde, et que la décision de la SAR viole les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte], ainsi que l’article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [la Convention contre la torture].

[3] Je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable et que les arguments des demandeurs concernant la Charte sont prématurés. Par conséquent, je dois rejeter la demande.

II. Contexte

[4] Les demandeurs sont des citoyens indiens originaires de Ludhiana, au Pendjab. Manpreet Singh dirigeait une société qui distribuait des vaccins aux médecins et aux pharmacies. Son frère Harjeet était chargé des achats et de la gestion des employés. Selon le récit figurant dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) de Manpreet Singh, les ennuis de la famille ont commencé après qu’il s’est plaint à la police en février 2017 d’un voisin qui exploitait une usine bruyante près de sa maison. Le voisin avait des liens avec des membres du Parti du Congrès et l’oncle du voisin était le superintendant de la police de leur région.

[5] Les demandeurs ont allégué avoir reçu des menaces de la part du voisin. Manpreet et Harjeet Singh ont été appelés au poste de police où le voisin et son oncle étaient présents. La police leur a dit qu’il y avait eu des accusations selon lesquelles des employés de la société des Singh vendaient des drogues injectables à des jeunes. Les Singh ont été autorisés à quitter le poste de police à condition de ne pas porter plainte contre le voisin.

[6] Selon les demandeurs, les menaces du voisin ne se sont pas arrêtées, mais ont plutôt augmenté après l’élection du Parti du Congrès au pouvoir dans l’État du Pendjab en mars 2017. Les demandeurs allèguent qu’en mai de la même année, à la suite d’une descente dans l’entreprise des Singh menée par l’oncle du voisin, Manpreet Singh et son frère ont été emmenés au poste de police et soumis à de la torture, et que Mme Kaur a été appelée au poste, où elle a été agressée sexuellement, battue et interrogée. M. Singh et son frère ont été libérés quelques jours plus tard avec l’aide d’un membre de la communauté et grâce à un pot‑de‑vin. En juin 2017, la police a demandé à M. Singh de se présenter au poste à deux reprises. Le mois suivant, deux hommes, des militants présumés, se sont présentés à l’entreprise, cherchant un employé qui avait caché des armes pour eux. En août, la police a fait une nouvelle descente dans l’entreprise, arrêtant Manpreet Singh et sa belle‑sœur, Mme Diwan. M. Singh allègue avoir été détenu, torturé et interrogé sur les militants, tandis que Mme Diwan a été battue et agressée sexuellement par la police.

[7] En septembre 2017, Manpreet Singh a emmené sa femme, leurs enfants et Mme Diwan chez des proches à Amritsar Kalan, dans l’État d’Haryana. Ces parents ont suggéré que la famille quitte l’Inde, et M. Singh a commencé à travailler avec un agent. Il a découvert que la police avait arrêté son père le 30 septembre 2017 et l’avait battu pour qu’il révèle l’endroit où se trouvait la famille dans l’Haryana. Cependant, la mère de M. Singh les a prévenus à temps et ils ont pu déménager à Delhi avec l’agent. Le père de M. Singh a été libéré sous conditions, et on lui a donné un mois pour remettre ses fils à la police. Le père, la mère et le frère de M. Singh ont rejoint le reste de la famille à Delhi et ont pris des dispositions pour quitter l’Inde. Ils sont partis en mars 2018.

[8] Une fois arrivés au Canada, les demandeurs ont présenté une demande l’asile. La SPR a rejeté leur demande et les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAR. En appel, ils ont contesté la conclusion défavorable que la SAR a tirée quant à leur crédibilité, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les demandeurs sont soupçonnés d’avoir des liens avec de dangereux militants sikhs, et ont contesté la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs ont des PRI viables à Mumbai et à Delhi.

[9] La SAR a confirmé les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, estimant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour démontrer que la police soupçonnait réellement les demandeurs d’avoir des liens avec de dangereux militants sikhs. La SAR a également confirmé la conclusion de la SPR concernant les PRI. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la police ne serait pas motivée à retrouver les demandeurs s’ils déménageaient à Mumbai ou à Delhi. Elle a examiné les arguments des demandeurs selon lesquels un déménagement dans les PRI proposées serait déraisonnable dans leur situation, et n’était pas d’accord, estimant que les PRI étaient raisonnables.

III. Questions préliminaires

[10] Le nom exact du défendeur est le « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration », et non le « Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada » : LIPR, art. 4(1). L’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

[11] Au lieu d’un recueil de jurisprudence, les demandeurs ont déposé une liste de jurisprudence le soir avant l’audience. Le défendeur n’ayant pas formulé d’objection, j’ai autorisé les demandeurs à présenter des observations concernant les affaires figurant dans la liste, et j’en ai tenu compte pour rendre ma décision.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[12] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAR a conclu de façon déraisonnable que les demandeurs disposaient de PRI viables à Mumbai et à Delhi. Les demandeurs allèguent que les décisions de la SAR concernant les deux parties du critère à deux volets applicable aux PRI sont déraisonnables. Le critère étant conjonctif, la demande de contrôle judiciaire peut être accueillie si la décision de la SAR est déraisonnable à l’égard de l’une ou l’autre partie du critère.

[13] La norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable, laquelle est appliquée conformément au cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable qui est établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Voir également : Akinyemi‑Oguntunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 666 au para 15; Armando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 94 au para 31; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 17.

[14] Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Multani c Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6 pour avancer qu’une « norme de contrôle constitutionnel » devrait s’appliquer à l’examen, par la Cour, des arguments fondés sur la Charte. Puisque j’estime que les arguments des demandeurs relatifs à la Charte sont prématurés, il n’est pas nécessaire d’examiner la norme de contrôle applicable à ces arguments.

V. Analyse

1) La Charte et les lois internationales

[15] Comme il est indiqué ci‑dessus, les demandeurs font valoir qu’ils ont une crainte réelle et justifiée d’être soumis à de la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants à leur retour en Inde, et que la décision de la SAR viole les articles 7 et 12 de la Charte, ainsi que l’article 3 de la Convention contre la torture. Les demandeurs s’appuient sur la jurisprudence suivante : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1; Abdulrahman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 842 au para 26; Sharif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 346 aux para 20 et 21; et Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349 aux para 11 et 18.

[16] Les affaires invoquées par les demandeurs ne concernent pas le contrôle judiciaire d’une décision de la SAR.

[17] Le défendeur fait valoir que la question de savoir si l’expulsion des demandeurs violerait la Charte est prématurée à ce stade. Le défendeur renvoie à plusieurs décisions de la Cour pour soutenir cette position, notamment : Lozano Navarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 768 au para 38; Udeagbala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1507 au para 50; Mihayo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 18 au para 10; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 820 au para 32; et Kikina Biachi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 589 au para 22.

[18] Je suis d’accord avec le défendeur. Les demandeurs ne sont pas actuellement menacés d’expulsion, et leurs observations selon lesquelles leur expulsion violerait la Charte sont prématurées.

2) L’analyse de la SAR concernant la PRI

[19] Les demandeurs allèguent que l’analyse de la SAR concernant PRI est déraisonnable. Ils soutiennent que la SAR a [traduction] « mal utilisé » la conclusion concernant la PRI pour déterminer que les demandeurs pouvaient retourner dans un pays où ils ont été victimes de torture, et où ce risque existe toujours. Ils affirment que leur vie est en danger en raison de la corruption de la police et de l’impunité dont jouissent les policiers en Inde. Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR ne peut être justifiée à la lumière de l’arrêt Vavilov.

[20] Premièrement, les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de se concentrer sur l’attitude de la police à l’égard des militants dangereux, car leur demande n’était pas fondée sur le militantisme. Elle était fondée sur le comportement violent des policiers qui travaillent pour des individus puissants. En outre, les demandeurs affirment que la SAR a mal interprété le fondement de leur demande, invoquant la décision Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 709 au para 11.

[21] Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR a appliqué les mauvais critères pour déterminer que Delhi et Mumbai sont des PRI viables en se concentrant sur l’intérêt ou la motivation de la police à rechercher les demandeurs à Mumbai ou Delhi, plutôt que sur la question de savoir si l’État les protégerait. Les demandeurs font valoir que la SAR était tenue d’examiner s’ils bénéficieraient d’une protection adéquate de l’État dans les PRI proposées, conformément à l’affaire Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu] et au droit international.

[22] Troisièmement, selon les demandeurs, les conclusions de la SAR selon lesquelles Delhi et Mumbai sont des PRI viables étaient fondées sur des spéculations et n’étaient pas étayées par la preuve : Salamat c Canada (Commission d’appel de l’immigration), [1989] ACF no 213 (CAF); Muresan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 819 au para 17; Bansal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 531 au para 10. Ils prétendent que les éléments de preuve documentaire montrent que les forces policières en Inde sont puissantes et efficaces, et ils citent un document du cartable national de documentation (CND) qui décrit la capacité de la police à surveiller toutes les communications téléphoniques et par Internet dans le pays, l’existence d’une base de données nationale de la police, la surveillance généralisée par la police, et mentionne également l’existence d’une base de données des locataires utilisée pour surveiller de près certaines personnes en Inde. En outre, les demandeurs soutiennent qu’une PRI viable n’existe tout simplement pas lorsque des acteurs étatiques tiennent lieu d’agent de persécution, s’appuyant sur la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706 et les principes directeurs du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés sur les possibilités de refuge intérieur (juillet 2003).

[23] Pour appuyer le troisième point, les demandeurs allèguent également que la situation au Pendjab a été examinée dans la décision Shahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 9048 (CF) [Shahi], et qu’aux paragraphes 25 et 26, la Cour a conclu que les éléments de preuve démontrant l’innocence ne sont pas pertinents lorsque les craintes du demandeur à l’égard de la police découlent des soupçons injustes et erronés de cette dernière portant que le demandeur est un terroriste sikh. En l’espèce les demandeurs prétendent qu’ils sont innocents et qu’ils n’ont pas de liens avec des groupes militants, mais allèguent être victimes de fausses allégations de la part d’un homme dont l’oncle est un policier éminent dans leur région et qu’il est impossible pour eux de bénéficier d’une protection dans de telles circonstances. Les demandeurs affirment que la torture policière est toujours monnaie courante et que les militants présumés et leurs familles ou sympathisants courent un risque grave. Ils prétendent que ceux qui tentent d’obtenir justice contre la police font l’objet de menaces, d’intimidation et de violence, invoquant la décision Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1491 [Kaur] aux para 28 à 30, et que la situation objective en Inde est que l’État est incapable de protéger ses citoyens. De même, les demandeurs se fondent sur l’arrêt Chahal c Royaume‑Uni (demande 22414/93), (1996) 23 EHRR 413, (1996) Times, 28 novembre, [1996] ECHR 22414/93 [Chahal], une décision de la Cour européenne des droits de l’homme. Les demandeurs font valoir que l’arrêt Chahal décrit le danger du retour d’un homme sikh en Inde à la fin de 1996.

[24] Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR leur demande effectivement de se cacher, notamment de ne pas utiliser leurs téléphones ou Internet pour éviter d’être découverts. Une personne qui doit se cacher de ses persécuteurs n’a pas de PRI : Sabaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1992 CarswellNat 1182, [1992] ACF no 901 (CAF); Ehondor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1143 au para 19. En outre, les demandeurs prétendent que les demandeurs d’asile ne devraient pas être tenus de taire leurs opinions politiques ou religieuses ou d’autres caractéristiques protégées pour éviter la persécution dans la PRI selon les Principes directeurs sur la protection internationale no 4 : « La possibilité de fuite ou de réinstallation interne » dans le cadre de l’application de l’Article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (HCR/GIP/03/04).

[25] Je ne suis pas convaincue que la décision de la SAR soit déraisonnable, car les demandeurs n’ont pas démontré qu’il y avait eu erreur dans son analyse de la PRI.

[26] Comme le défendeur le prétend à juste titre, la question de savoir si une PRI existe est une question de fait, et une fois qu’une PRI est proposée, il incombe aux demandeurs de démontrer qu’elle n’est pas sûre, ou qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs de s’y réinstaller dans tous les cas : arrêt Thirunavukkarasu. Dans le cadre de ce fardeau de preuve, les demandeurs sont tenus d’établir l’incapacité ou le refus de se prévaloir de la protection de l’État. Un État est présumé capable de protéger ses citoyens en l’absence de preuve du contraire : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689.

[27] À mon avis, la SAR a correctement examiné les erreurs que, selon les demandeurs, la SPR aurait commises.

[28] Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR s’est concentrée de manière déraisonnable sur la question de savoir si les demandeurs sont réellement soupçonnés d’avoir des liens avec des militants dangereux. Les motifs de la SAR doivent être lus à la lumière de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus, y compris les observations des parties et la façon dont les demandeurs ont formulé leur appel : arrêt Vavilov au para 94; Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 23. La SAR a analysé la question des liens présumés avec des militants parce que c’était une question que les demandeurs avaient soulevée. En effet, les motifs de la SAR font expressément référence à l’allégation des demandeurs selon laquelle la SPR a commis une erreur en concluant que la police ne soupçonnait pas les demandeurs d’avoir des liens avec des militants dangereux.

[29] La SAR a conclu que les demandeurs avaient fourni des éléments de preuve incohérents sur ce qui a motivé la police à les placer en garde à vue. En fin de compte, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour indiquer que la police avait de réels soupçons que les demandeurs étaient impliqués dans le militantisme sikh ou que la police avait un intérêt sérieux à poursuivre les demandeurs en tant que militants dangereux. Cette question était pertinente pour déterminer si les demandeurs seraient à l’abri des persécutions dans l’une des PRI proposées.

[30] Les demandeurs avaient également fait valoir devant la SAR que la SPR les avait jugés généralement crédibles. La SAP s’est également penchée sur cet argument et a conclu que rien n’indiquait que la SPR avait trouvé les demandeurs généralement crédibles. La SAR a souligné qu’il n’était pas nécessaire que la SPR détermine si les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution dans leur région d’origine avant d’envisager une PRI : Kanagaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1996), [1996] ACF no 75, 36 Imm. L.R. (2d) 180 (CAF).

[31] La SAR n’est pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la SPR a commis une erreur en examinant de façon sélective les sources du CND qui décrivaient la capacité de la police à suivre les gens, et en ne tenant pas compte de la totalité des éléments de preuve. La SAR a conclu que le fait que la police dispose de nombreux moyens afin de poursuivre une personne recherchée à travers le pays n’était pas pertinent eu égard aux faits en question, car il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles démontrant que les noms des demandeurs figureraient sur une liste de personnes recherchées. La SAR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion. Un élément de preuve documentaire peut être insuffisant pour étayer une demande d’asile si les demandeurs n’établissent pas de lien entre la preuve et leur situation particulière : Baradji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 589 au para 25; Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, [2002] 3 CF 537 au para 29; Samuels c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 366 aux para 27 et 28.

[32] Les affaires sur lesquelles les demandeurs s’appuient ne sont pas convaincantes. Dans la décision Shahi, qui concernait une demande fondée sur des motifs humanitaires et non une décision de la SAR, la Cour a estimé que l’agent avait commis une erreur en évaluant les éléments de preuve du demandeur selon lesquels il pouvait raisonnablement s’attendre à subir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en Inde en raison de la suspicion erronée de la police quant à son implication au sein d’un groupe de militants sikhs. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas établi d’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve par la SAR, et de plus, la SAR a constaté que la police ne soupçonnait pas réellement les demandeurs d’être impliqués dans le militantisme sikh. Les demandeurs se sont appuyés à tort sur les décisions Kaur et Chahal. On ne peut reprocher à la SAR de ne pas avoir pris en considération des faits qui étaient devant un autre tribunal, dans des affaires qui ont été jugées il y a 16 et 25 ans. Pour avoir gain de cause dans la présente demande, les demandeurs doivent établir que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle d’après la preuve au dossier, et ils ne l’ont pas fait. De plus, il semble que les demandeurs n’aient pas soulevé la question des menaces de représailles contre ceux qui demandent justice contre la police dans leur recours devant la SAR.

[33] Les demandeurs n’ont pas établi d’erreur susceptible de révision dans l’analyse de la SAR concernant le deuxième volet de l’analyse de la PRI, à savoir s’il serait raisonnable pour les demandeurs de se réinstaller à Mumbai ou à Delhi dans les circonstances. Le seuil de ce deuxième volet du critère applicable aux PRI exige une preuve réelle et concrète des conditions qui mettraient en danger la vie et la sécurité des demandeurs s’ils se rendaient ou se réinstallaient à l’emplacement tenant lieu de PRI : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 (CA) au para 15. En appel devant la SAR, les demandeurs n’ont pas soulevé l’argument selon lequel les emplacements tenant lieu de PRI étaient déraisonnables parce qu’ils seraient tenus de taire leurs opinions politiques ou religieuses. Les demandeurs ont plutôt soutenu que la SAR a fait abstraction de la difficulté de s’établir et s’est livrée à un examen sélectif de la documentation nationale concernant la situation des sikhs dans d’autres régions de l’Inde. La SAR a abordé la question soulevée, notant que les demandeurs sont instruits, qu’ils ont l’habitude de voyager à l’extérieur de l’Inde et qu’ils ont vécu à New Delhi pendant quatre mois avant leur départ de l’Inde.

[34] En résumé, il était loisible à la SAR de conclure que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que Mumbai et Delhi n’étaient pas des PRI viables : arrêt Thirunavukkarasu.

VI. Conclusion

[35] Les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[36] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier. Aucune question de ce type ne se pose en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7850‑19

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié pour refléter la désignation appropriée du défendeur en tant que « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

  2. ‎La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7850‑19

 

INTITULÉ :

AVTAR SINGH ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 décembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2021

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

Pour les demandeurs

 

Sherry Rafai Far

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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