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Date : 20210625


Dossier : IMM-3409-20

Référence : 2021 CF 652

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

MAMADOU BHOYE BARRY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Mamadou Bhoye Barry demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 juillet 2020, par la Section de l’immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada [la SI], ayant conclu qu’il est interdit de territoire et ayant pris une mesure d’expulsion contre lui.

[2] Pour les motifs exposés plus bas, la demande de contrôle judiciaire de M. Barry sera rejetée.

II. Contexte

[3] M. Barry est citoyen de la Guinée et a obtenu le statut de résident permanent des États-Unis, où il a été admis comme réfugié. Le ou vers le 7 septembre 2019, M. Barry entre au Canada en provenance des États-Unis et il y revendique le statut de réfugié.

[4] Le 16 septembre 2019, un agent de l’Agence des Services Frontaliers du Canada [ASFC] émet un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch 27 [la Loi]). L’agent consigne alors que M. Barry est une personne étrangère, non autorisée à entrer au Canada et, selon l’avis de l’agent, interdite de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)(b) de la Loi. Dans son rapport, lagent précise que le 18 mars 2011, M. Barry a été reconnu coupable aux États-Unis, de l’infraction de « Domestic Assault - Bodily Harm » en vertu de l'article 39-13-111 du Code de l’État du Tennessee. L’agent indique que, si plaidé au Canada, cette infraction correspondrait à l’article 266 (plutôt que l’article 265) du Code criminel (LRC (1985), ch C46) [Code Criminel], et il nomme l’infraction de « voies de fait ». L’agent note ensuite la peine prévue au paragraphe 266(a) du Code Criminel qui prévoit que quiconque commet des voies de fait est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans.

[5] Le même jour, un Délégué du ministre défère le rapport précité à la SI pour enquête, conformément au paragraphe 44(2) de la Loi, afin de déterminer si M. Barry est visé par l’alinéa 36(2)(b) de la Loi.

[6] Le paragraphe 36(2) de la Loi prévoit que certains faits emportent interdiction de territoire pour criminalité. L’alinéa 36(2)(b) prévoit particulièrement le fait d’être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation (..).

[7] L’alinéa 36(3)(a) de la Loi prévoit par ailleurs que l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu.

[8] Enfin, l’article 33 de la Loi prévoit que les faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de « motifs raisonnables de croire » qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[9] Le 4 février 2020, la SI entend le dossier. Selon la transcription de l’audience contenue au Dossier Certifié du Tribunal (DCT), le Ministre dépose 9 pièces tandis que M. Barry n’en dépose aucune. L’avocat de M. Barry confirme ne pas avoir d’objection au dépôt de documents rédigés en anglais. De façon générale, M. Barry nie alors avoir été déclaré coupable de l’infraction précitée, au Tennessee, le 18 mars 2011, mais paradoxalement, il reconnait y avoir reçu une sentence (page 13 de la transcription). M. Barry allègue que les documents déposés par le Ministre présentent des erreurs puisque M. Barry n’est pas « asian » et que sa fille ne porte pas le prénom de « Angela », tel qu’il y est consigné. M. Barry remet alors aussi en question l’établissement du rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. Lors de l’audience, le Ministre reconnait que le rapport réfère erronément à l’article 266 du Code Criminel et qu’il aurait plutôt dû référer à l’article 265, article qui définit l’infraction nommée de voies de fait. Le Commissaire lit d’ailleurs l’article 265 du Code Criminel pour l’enregistrement, avant que les parties ne présentent leurs arguments. Le Ministre souligne aussi alors que M. Barry a été trouvé coupable de « Domestic Assault-Bodily Harm », mais que le même document confirme par ailleurs qu’il n’a pas causé de « Harm ».

[10] Devant la SI, M. Barry plaide que l’infraction américaine n’équivaut pas à l’infraction de voies de fait du Code Criminel puisque (1) l’infraction américaine est un « misdemeanor » et correspondrait plutôt à une infraction sommaire, non à une infraction poursuivie par acte criminel; (2) ce genre de situation n’engendrerait jamais une condamnation pour cinq ans d’emprisonnement au Canada; (3) le dossier du Ministre ne contient pas la déclaration de culpabilité nécessaire; (4) le droit criminel canadien ne contient pas d’article visant précisément la violence conjugale; (5) le Ministre n’a pas présenté de doctrine ou de preuve d’expert sur l’article de la loi américaine; (6) l’ASFC a commis des erreurs quant à l’article du Code Criminel cité dans le rapport et quant au type d’ERAR offert.

[11] Devant la SI, le Ministre (1) admet que le rapport 44(1) aurait dû référer à l’article 265 du Code Criminel; (2) souligne que le type d’ERAR offert à M. Barry a dû être modifié lorsque l’ASFC a appris que M. Barry avait été reconnu comme réfugié aux États-Unis; (3) l’équivalence examine les peines maximales de chaque infraction comparée; (4) l’infraction prévue à l’article 265 couvre les violences conjugales.

[12] Après l’audience, le Ministre transmet à la SI une pièce additionnelle, soit le compte rendu d’une entrevue de M. Barry par un agent de l’ASFC, tenue le 7 septembre 2019. M. Barry s’oppose au dépôt de cette pièce devant la SI.

III. La décision de la SI

[13] Le 14 juillet 2020, à l’issue de son enquête, la SI détermine que l’infraction pour laquelle M. Barry a été reconnu coupable aux États-Unis équivaut à l’infraction de « voies de fait » définie à l’alinéa 265(1)(a) du Code criminel. La SI conclut que M. Barry est donc interdit de territoire au sens de l’alinéa 36(2)(b) de la Loi et prend une mesure d’expulsion contre lui.

[14] Dans sa décision, la SI note que le Ministre a déposé dix pièces et que M. Barry n’en a déposé aucune; la preuve de ce dernier se limite donc à son témoignage. La SI n’accepte pas la preuve additionnelle du Ministre, soit le compte rendu de l’entrevue du 7 septembre 2019, reçue après l’audience.

[15] La SI résume le témoignage de M. Barry et les arguments des parties, et procède ensuite à l’analyse du dossier. La SI confirme que le fardeau est celui du Ministre de démontrer que les éléments essentiels de l’alinéa 36(2)(b) de la Loi sont établis, et énonce le standard de preuve applicable en vertu de l’article 33 de la Loi, soit celui des « motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir », tel qu’interprété par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 au para 114 [Mugesera].

[16] La SI conclut que le Ministre a soumis suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour rencontrer son fardeau. La SI ajoute que la version de M. Barry, celle d’une dénégation générale, ne permet pas à la SI de mettre en doute la condamnation prononcée contre lui. La SI conclut qu’il faut attribuer un poids supérieur à la documentation déposés par le Ministre. La SI note également que, bien que M. Barry nie avoir commis l’infraction, il ne peut expliquer la probation qui lui a été imposée et ne dépose aucune preuve additionnelle.

[17] La SI examine ensuite l’équivalence des dispositions législatives. La SI note les options offertes par la Cour dans la décision Hill c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1987] FCJ No 47 [Hill] et référant à la méthode numéro 2, note qu’il suffit que les éléments essentiels de l’infraction à l’étranger soient semblables à ceux d’une infraction au Canada. La SI reproduit les dispositions pertinentes et les éléments essentiels des infractions en jeu (paragraphes 31 et 37 de la décision) et retient la méthode numéro 2 de la décision Hill.

[18] La SI note que le Ministre n’a pas fait de représentations quant à la disposition spécifique de l’article 265 du Code Criminel, et ne suit pas le Ministre quant aux explications de ce dernier à ce sujet. En effet, la SI refuse de se prononcer sur la pertinence de l’absence de lésion; le Ministre soutenant qu’elle n’importait pas. La SI note plutôt qu’en vertu du paragraphe 265(2) du Code Criminel, la disposition couvre tout voies de fait, qu’elle cause ou non des lésions et qu’elle soit commises ou non envers un conjoint (la disposition étrangère nécessite ces deux éléments).

[19] Ultimement, la SI conclut, compte tenu du contexte et de la preuve jugée crédible et digne de foi, que l’infraction canadienne équivalente à l’infraction américaine est celle prévue à l’alinéa 265(1)(a) du Code Criminel. La SI note que la disposition canadienne est plus large que celle du Tennessee, mais conclut, vu la situation factuelle mise en preuve, que, si les faits avaient été commis au Canada, ils seraient tombés sous l’application de l’article 265 du Code Criminel.

[20] Enfin la SI note que l’alinéa 265(1)(a) du Code Criminel est une infraction hybride et que, selon l’alinéa 36(3)(a) de la Loi « l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu ».

IV. Arguments des parties et analyse

[21] M. Barry demande à la Cour de déterminer si (1) la conclusion qu’il est interdit de territoire est raisonnable, (2) la SI a commis une erreur en évaluant les facteurs relatifs à l’établissement de l’équivalence de l’offense américaine à celle au Canada; et (3) la SI a bien exercé son pouvoir discrétionnaire lors de l’enquête.

A. Norme de contrôle

[22] Les parties conviennent que la Cour doit analyser la décision de la SI à l’aune de la norme du caractère raisonnable de la décision. En effet, la Cour suprême du Canada a établi, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans trois types de situations et aucune ne s’applique en l’espèce.

[23] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle de la Cour est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La Cour doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[24] Certains des arguments soulevés par M. Barry relèveraient de l’équité procédurale. La Cour suprême, dans Vavilov, n’a pas traité de la norme applicable à une allégation de violation d’équité procédurale, sauf pour réitérer les facteurs énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 (au para 77). Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a récemment réitéré qu’à « l’heure actuelle, il n’y a pas unanimité à la Cour au sujet de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale » (voir l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux para 67 à 71). La Cour d’appel a confirmé que la Cour suprême n’a donné aucune indication à ce sujet dans l’arrêt Vavilov, dans un arrêt qu’elle a rendu récemment (CMRRA-SODRAC Inc c Apple Canada Inc, 2020 CAF 101 au para 15).

[25] Dans la décision Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56, la Cour d’appel fédérale avait noté que:

Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

B. Caractère raisonnable de la décision de la SI

[26] Premièrement, M. Barry soumet que la SI a erré dans l’appréciation de la preuve en ignorant son témoignage, en retenant la preuve du Ministre comme pertinente, malgré ses irrégularités, et en tirant une inférence négative du manque de corroboration de son témoignage. M. Barry précise que le fardeau repose sur le Ministre et qu’accepter un élément de preuve altéré contrevient au principe de véracité du témoignage (Kaur v Canada (Minister of Employment and Immigration) 1993 21 IMM LR; Maldonado c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1980] 2 FC 302). Il ajoute que la SI ne pouvait le déclarer interdit en l’absence d’un certificat de culpabilité (Singleton c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), 1983 CarswellNat 547).

[27] Le Ministre répond que l’évaluation de la preuve soumise est raisonnable. Il précise que la norme de preuve est celle de « l’existence de motifs raisonnable de croire » selon l’article 33 de la Loi sur l’immigration, et que la SI a raisonnablement conclu que la preuve soumise par le Ministre était suffisante pour établir l’interdiction.

[28] Le Ministre ajoute que les éléments de preuve, soit, le dossier judiciaire et le rapport de police, satisfont à cette norme de preuve et qu’il est établi, en vertu de l’arrêt Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 576 au para 85, que les documents d’autorités étrangères sont présumés véridiques.

[29] Le Ministre note que la conclusion de la SI quant à la valeur des documents est raisonnable et que les deux erreurs ne remettent pas en question lesdits documents, puisque les informations de base ne sont pas contestées. De plus, M. Barry a reconnu qu’on lui avait imposé une période de probation, situation qu’il pouvait difficilement expliquer puisqu’il niait avoir plaidé coupable ou avoir été reconnu coupable d’actes criminels au Tennessee.

[30] Le Ministre ajoute qu’il était raisonnable pour la SI de soulever l’absence de documents corroborant le témoignage de M. Barry, puisque celui-ci contredisait la preuve documentaire, composée de documents obtenus d’autorités étrangères et jugés crédibles et dignes de foi (citant Romero Castañeda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 393 au para 18; Bhagat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1088; Ortiz Sosa c Canada (Citoyenneté et Immigration) au para 19).

[31] M. Barry ne m’a pas convaincue que la décision est déraisonnable. D’abord, la SI n’a pas ignoré la preuve testimoniale de M. Barry, mais elle a plutôt retenu la preuve documentaire contradictoire. En fait la SI a considéré la dénégation générale de culpabilité de M. Barry comme peu crédible compte tenu qu’il reconnait, paradoxalement, avoir reçu une sentence et compte tenu de la preuve documentaire confirmant sa déclaration de culpabilité. De plus, la SI n’a pas ignoré les irrégularités dans les documents tel que soulevé par M. Barry, notamment quant à son origine ethnique, mais elle a plutôt conclu que ces irrégularités ne permettent pas de remettre en question l’authenticité ou le contenu des documents. La SI justifie notamment cette conclusion par le fait que l’information nominative qui apparait dans ces documents est exacte. En vertu de l’arrêt Vavilov, la Cour doit considérer le « résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (au para 15). La conclusion de la SI est intelligible et justifiée eu égard à la preuve. Elle est particulièrement raisonnable en vertu du standard de preuve qui s’applique. Il s’agit en effet d’un standard plus élevé que le simple soupçon, mais moins élevé que la prépondérance des probabilités. Il doit y avoir un fondement objectif pour la conclusion, fondé sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera au para 114 [Mugesera]). Il s’agit donc d’une sanction extraordinaire, puisque l’interdiction de territoire peut découler d’une preuve qui ne rencontre pas le standard de la prépondérance des probabilités.

[32] La SI connaissait ce standard de preuve, l’ayant énoncé correctement au paragraphe 21 de sa décision. L’argument de M. Barry qu’il faudrait ici avoir exigé un certificat de culpabilité, en plus des documents soumis par le Ministre, s’arrime difficilement avec le standard de preuve qui s’applique.

[33] Les arguments de M. Barry quant à la valeur de son témoignage doivent également échouer. Il ne s’agit pas, tel qu’il le mentionne, d’un témoignage non contredit et donc présumé véridique. M. Barry tentait plutôt de contredire l’authenticité des documents produits par le Ministre et la véracité des informations qui y sont contenues. Les autorités citées par M. Barry ne me permettent pas de conclure que son témoignage quant à l’inauthenticité des documents est présumé véridique, et la SI pouvait conclure que le témoignage de M. Barry n’avait pas permis de diminuer la valeur probante de ces documents. Cette conclusion est exacerbée par le fait que M. Barry a proposé une situation factuelle incohérente, en soutenant une dénégation générale de culpabilité tout en reconnaissant avoir reçu une sentence. La SI pouvait également noter que M. Barry n’a pas produit de preuve documentaire.

[34] Il n’appartient pas à la Cour, en contrôle judiciaire, de soupeser de nouveau les éléments de preuve ou de lui substituer son appréciation de la preuve, et c’est ce que demande M. Barry. Il n’a pas démontré que la décision de la SI est déraisonnable.

C. Évaluation des facteurs relatifs à l’établissement de l’équivalence au Canada

[35] M. Barry soumet que le Ministre n’a pas su établir une équivalence entre l’infraction étrangère et son équivalent dans la loi canadienne, et il soumet que l’infraction américaine de « Domestic Assault Bodily Harm » n’a pas d’équivalent dans les dispositions du Code Criminel. Au surplus, M. Barry soumet qu’il s’agit d’une infraction mineure ou sommaire au Tennessee. Il cite les affaires Dayan c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1987] 2 FC 569 et Hill à l’effet qu’il doit y avoir une certaine équivalence entre les deux infractions, et qu’il incombe aux agents d’audience de présenter la preuve pertinente quant au droit étranger et les définitions. M. Barry soumet que le libellé précis des dispositions de chacune des lois révèlent que les éléments essentiels des infractions respectives ne concordent pas, et qu’au surplus, l’infraction reprochée à M. Barry ne serait jamais poursuivie par acte d’accusation au Canada.

[36] M. Barry soumet aussi que l’équité procédurale n’a pas été respectée puisque le procureur de la partie adverse n’a pas, lors de l’audience, fait de représentations quant à la disposition spécifique de l’article 265 du Code criminel et que la SI a suppléé à ce manquement. Par ailleurs, lors de l’audience, M. Barry a abandonné son argument en lien avec les documents rédigés en anglais.

[37] Le Ministre répond que la décision de la SI sur l’équivalence est raisonnable. Le Ministre soumet que la SI a appliqué la deuxième des trois méthodes prévues par l’arrêt Hill, telles que reprises par la Cour fédérale dans l’arrêt Touré c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 752 (au para 14) soit la comparaison des éléments essentiels des infractions. Le Ministre ajoute que la SI avait suffisamment d’informations, qu’elle a évalué les dispositions et déterminé que l’infraction équivalait à celle définie à l’alinéa 265(1)(a) du Code criminel, puisque le rapport de police révèle que M. Barry a employé la force contre sa conjointe en la frappant à la tête et en lui donnant un coup de poing dans le dos intentionnellement, et sans le consentement de cette dernière. Cette infraction hybride est, en vertu de l’alinéa 36(3)(a) de la Loi, assimilée à une infraction punissable par mise en accusation. Le Ministre réitère que la Cour n’a pas pour mission, en vertu de l’arrêt Vavilov de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer son appréciation de la preuve à celle du tribunal.

[38] M. Barry ne m’a pas convaincue que la SI a erré dans son évaluation des facteurs relatifs à l’établissement de l’équivalence au Canada. La SI explique qu’elle utilise la seconde méthode de l’arrêt Hill; soit (..) l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères.

[39] La SI a énoncé les éléments essentiels des infractions et elle a noté, inter alia, que la sentence n’est pas un élément essentiel d’un test d’équivalence ce qui a été validé par la jurisprudence de notre Cour (Lu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) 2011 CF 1476 para 16) et que les deux dispositions ne sont pas identiques, ce qui n’est pas requis (Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) 2013 CF 804). La SI compare les éléments essentiels de l’infraction avec les faits au dossier; et elle justifie sa conclusion à l’effet que les actes commis au Tennessee rencontrent les critères de l’alinéa 265 (1)(a) du Code criminel. L’analyse de la SI est intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, tel que l’exige l’arrêt Vavilov. Ainsi, la conclusion de la SI est raisonnable.

[40] La Cour note que la lecture de la transcription de l’audience devant la SI ne permet pas de soutenir les arguments de M. Barry en lien avec une violation de l’équité procédurale. La SI avait devant elle les dispositions pertinentes et les a reproduites dans sa décision en identifiant clairement les éléments essentiels. Par ailleurs, la lecture de la transcription de l’audience démontre que les parties ont fait des représentations détaillées sur la nature de l’infraction commise au Tennessee et sur son équivalent en droit Canadien – et en particulier sur l’article 265 du Code criminel, que le Commissaire a lu pour l’enregistrement. M. Barry ne m’a pas convaincue que le fait que la SI ait précisé l’alinéa spécifique constitue une violation de l’équité procédurale ou qu’il s’agisse d’une erreur qui justifie l’intervention de la Cour, compte tenu de toutes les circonstances de l’instance.

D. L’exercice de la compétence discrétionnaire

[41] M. Barry soumet qu’en lumière des points qu’il soulève quant à l’équivalence des offenses, le tribunal a mal exercé sa compétence discrétionnaire en se substituant au procureur de la partie adverse, qui avait le fardeau d’établir « qu’il existe des motifs raisonnables de croire » à l’existence de faits constituant le fondement de l’interdiction de territoire.

[42] Cet argument fait référence aux arguments soulevés plus haut. Les mêmes conclusions s’y appliquent.

V. Conclusion

[43] En somme, la décision de la SI est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans IMM-3409-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3409-20

INTITULÉ :

MAMADOU BHOYE BARRY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec) – par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 juin 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 25 juin 2021

COMPARUTIONS :

Me Mohamed Diaré

Pour le demandeur

Me Suzon Létourneau

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mohamed Diaré

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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