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Date : 20210625


Dossier : IMM‑1861‑20

Référence : 2021 CF 668

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

BERHE DEBESAY AFEWERKI

SIMRET HAILE WOLDEMICHAEL

ABRAHAM GEREMEDHIN GEREZGIHER

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 17 juillet 2019 qui rejette, en application du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] et de l’alinéa 153(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], la demande de résidence permanente d’une famille de réfugiés parrainés par le secteur privé.

II. Question préliminaire

[2] Une question préliminaire se pose quant à l’identité du ou des demandeurs en l’espèce et au besoin de modifier l’intitulé de la cause.

[3] Le demandeur désigné dans le présent contrôle judiciaire, Senait Haile Teklezghi, de concert avec quatre autres membres du groupe Tesfa [le groupe de cinq répondants (G5)], a présenté une demande de parrainage d’une famille de trois demandeurs d’asile [les demandeurs d’asile]. Les répondants forment un « groupe de cinq », un groupe de parrainage constitué selon le Programme de parrainage privé de réfugiés.

[4] Les demandeurs d’asile sont des ressortissants d’Érythrée et demeurent au Soudan. La famille comprend le demandeur d’asile principal, Berhe Debesay Afewerki, son épouse, Simret Haile Woldemichael et son beau‑fils, Abraham Geremedhin Gerezgiher. Ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou en tant que personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières.

[5] Durant l’audience, les avocats des deux parties ont demandé la modification de l’intitulé de la cause afin de radier le nom du répondant désigné comme demandeur au contrôle judiciaire et de le remplacer par les noms des demandeurs d’asile comme parties demanderesses. L’accord a été conclu après que les avocats eurent soulevé que la jurisprudence de notre Cour a établi que les personnes qui parrainent un demandeur d’asile n’ont pas la qualité pour agir comme parties à l’instance dans ce type de demande (Jeevaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1371 aux para 3‑4; Douze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1337 aux para 14‑19).

[6] Du consentement des parties, l’intitulé de la cause est par les présentes modifié afin de radier le nom du répondant désigné et d’ajouter celui des demandeurs d’asile comme parties.

III. Contexte

[7] Le groupe de cinq répondants (G5) ont désigné Ermias Haile Girma comme le représentant du groupe dans leur demande de parrainage [le représentant du groupe de cinq répondants (G5)].

[8] Le 6 juin 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a envoyé une lettre au représentant du groupe de cinq répondants (G5) et au demandeur d’asile principal [la lettre de demande]. Cette lettre a été expédiée aux adresses courriel des destinataires communiquées dans le cadre de leurs demandes respectives. La lettre de demande était adressée au demandeur d’asile principal et l’informait de ce qui suit :

[traduction]

Vous avez fourni un document joint à votre demande comme preuve de votre statut de réfugié au Soudan. IRCC n’est pas en mesure de vérifier le document de statut de réfugié que vous avez fourni avec l’autorité qui l’a délivré. Au moment de votre inscription, on vous a attribué un numéro ProGres du HCR. IRCC demande ce numéro afin de vérifier votre inscription au Soudan […]

[…]

Si vous ne pouvez pas nous fournir votre numéro ProGres du HCR (par exemple, parce que vous l’avez égaré ou parce que vous avez été inscrit en utilisant un autre format) vous devez nous fournir les renseignements suivants sur votre inscription […]

[9] Ni le représentant du groupe de cinq répondants (G5) ni le demandeur d’asile principal n’ont répondu à la lettre de demande dans le délai prescrit de 30 jours. La demande de résidence permanente a de ce fait été rejetée dans la décision du 17 juillet 2019.

[10] Les demandeurs d’asile ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision. Ils sollicitent une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre agent pour être examinée de nouveau.

IV. Décision contestée

[11] Le fondement de la décision tient au fait qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’était pas en mesure de vérifier auprès de l’autorité de délivrance le document relatif à la détermination du statut de réfugié qui était joint à la demande de résidence permanente :

[traduction]

[…] Afin de nous permettre de vérifier l’authenticité du document, tout comme la date et l’emplacement de l’inscription à titre de réfugié du demandeur au Soudan, nous vous avons demandé de nous fournir le numéro de cas ProGres du HCR.

La demande n’exigeait pas du demandeur qu’il obtienne un nouveau document, mais simplement qu’il fournisse le bordereau photo reçu du HCR dans le cadre du processus d’inscription initial ou des renseignements précis tirés du document. Si le demandeur n’était pas en possession de son numéro de cas ProGres du HCR, les répondants étaient priés de fournir suffisamment de renseignements précis pour qu’une vérification soit possible, y compris le nom exact du demandeur au moment de l’inscription, sa date de naissance et la date et l’emplacement de l’inscription auprès du HCR.

[…]

J’ai soigneusement évalué l’ensemble de la preuve et des renseignements en ma possession et je ne suis pas convaincu que la demande est accompagnée d’un document valide qui certifie le statut de réfugié du ressortissant étranger […]

Je rejette donc la demande de résidence permanente. Si la situation change radicalement ou que de nouveaux renseignements font surface pour remédier aux lacunes actuelles, le demandeur peut présenter une nouvelle demande complète.

V. Question en litige

[12] La question est de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs d’asile.

VI. Norme de contrôle

[13] La norme de contrôle applicable à une question d’équité procédurale est celle de la décision correcte.

VII. Dispositions pertinentes

[14] Le paragraphe 16(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

Obligation du demandeur

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

Obligation — answer truthfully

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[15] De plus, l’alinéa 153(1)b) du Règlement est ainsi libellé :

Exigences de parrainage

153 (1) Pour parrainer un étranger et les membres de sa famille qui appartiennent à une catégorie établie à la section 1, le répondant doit satisfaire aux exigences suivantes:

b) faire une demande de parrainage dans laquelle il inclut un plan d’établissement, un engagement et, s’il n’a pas conclu d’accord de parrainage avec le ministre, un document émanant du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou d’un État étranger reconnaissant à l’étranger le statut de réfugié selon les règles applicables par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou les règles de droit applicables de l’État étranger, selon le cas; […]

Sponsorship requirements

153 (1) In order to sponsor a foreign national and their family members who are members of a class prescribed by Division 1, a sponsor

(b) must make a sponsorship application that includes a settlement plan, an undertaking and, if the sponsor has not entered into a sponsorship agreement with the Minister, a document issued by the United Nations High Commissioner for Refugees or a foreign state certifying the status of the foreign national as a refugee under the rules applicable to the United Nations High Commissioner for Refugees or the applicable laws of the foreign state, as the case may be; and …

VIII. Analyse

[16] Les demandeurs d’asile font valoir que la lettre de demande n’a jamais été envoyée ou reçue, ce qui viole l’obligation d’équité procédurale envers eux. Le Système mondial de gestion des cas [SMGC] révèle que la lettre de demande a été acheminée au groupe de cinq répondants (G5), mais est avare d’autres détails prétendument pertinents. En outre, il existe des contradictions sur les destinataires prévus des communications d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Par exemple, la lettre de demande a prétendument été envoyée au demandeur d’asile principal et au représentant du groupe de cinq répondants (G5), alors que la décision a été envoyée à l’ensemble des répondants.

[17] Le défendeur soutient que la thèse présentée par les demandeurs d’asile est dénuée de toute valeur. La preuve démontre qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a envoyé la lettre de demande par courriel au demandeur d’asile principal et au représentant du groupe de cinq répondants (G5) aux adresses courriel appropriées, mais qu’elle est restée sans réponse.

[18] Selon la prépondérance des probabilités, la lettre de demande a été acheminée au demandeur d’asile principal et au représentant du groupe de cinq répondants (G5). La missive a été placée dans le dossier certifié du tribunal et inscrite dans le SMGC (où cependant, les destinataires sont identifiés comme [traduction] « tous les répondants ») (Khan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1029 au para 34 [Khan]; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935 au para 12 [Kaur]).

[19] La lettre de demande a été envoyée par courriel le 6 juin 2019, précisément aux adresses que le demandeur d’asile principal et le représentant du groupe de cinq répondants (G5) ont fournies dans leurs demandes respectives. Les destinataires n’ont fait parvenir aucune réponse dans le délai de 30 jours et la décision a été prononcée par la suite.

[20] La thèse des demandeurs d’asile ne remet pas en question le dossier de la preuve. Je n’accepte pas la proposition selon laquelle le défendeur était tenu de faire en sorte qu’un mécanisme d’accusé de réception soit institué, que ce soit par accusé de lecture ou par un autre moyen. Cette situation ne ressemble pas à celle prévue par l’article 147 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 qui concerne les conditions entourant la validation de la signification.

[21] L’avocat des demandeurs d’asile a eu l’occasion de contre‑interroger Mme Caroline Lestage sur le contenu de son affidavit, souscrit le 12 mai 2021. Mme Lestage est une gestionnaire à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Son témoignage établissait que l’envoi des courriels au demandeur d’asile principal et au représentant du groupe de cinq répondants (G5) avait, pour autant qu’elle sache, été couronné de succès et qu’il n’y avait pas de trace de problèmes dans l’acheminement ou la délivrance. Malgré l’occasion de tenir un contre‑interrogatoire, ce témoignage n’a pas été contesté.

[22] Dans des circonstances similaires où le défendeur n’a pas de raisons de penser que l’envoi a échoué, le risque d’une défaillance dans l’acheminement des courriels est assumé par les demandeurs d’asile (Khan, précité, au para 34, Kaur, précité, au para 12, voir aussi Chandrakantbhai Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 900 aux para 24‑38 [Chandrakantbhai Patel]).

[23] Dans la décision Khan, la Cour fédérale a établi au paragraphe 34 :

[34] Enfin, il convient de noter que, pour faciliter la transmission d’informations dans les deux sens dans les affaires de ce genre, élément manifestement important pour les deux parties afin d’assurer l’équité du processus, la jurisprudence a établi qu’il incombe aux demandeurs de fournir des coordonnées à jour, et non pas le contraire. Lorsqu’une lettre a été « envoyée correctement par un agent des visas à une adresse (électronique ou autre) fournie par un demandeur, que cette adresse n’a pas fait l’objet d’une révocation ou d’une révision, et qu’on a reçu aucun indice de la possibilité que la communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur » (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935 au par. 12) Une fois qu’il a établi qu’une lettre a été dûment envoyée, l’agent d’immigration n’est pas tenu de s’assurer que chaque lettre a été reçue ou ouverte par le demandeur (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503 au par. 14; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 124 au par. 14).

[24] Dans leurs observations, les demandeurs d’asile n’ont pas réfuté la présomption voulant qu’ils aient reçu les documents en question – en se fondant sur des notes du SMGC prétendument lacunaires au niveau de la précision ou sur des contradictions concernant les destinataires des communications d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. La simple assertion de non‑réception des demandeurs d’asile n’est pas suffisante en l’espèce pour réfuter la présomption (Chandrakantbhai Patel, précité, au para 33). Rien n’indique que les courriels n’ont pas été acheminés correctement.

[25] J’accepte les éléments de preuve du défendeur selon lesquels tous les membres du groupe de parrainage G5 sont contactés seulement à certaines étapes du processus d’une demande de parrainage. À d’autres étapes du processus, les répondants du groupe de cinq (G5) peuvent être avisés par l’intermédiaire du représentant du groupe. Ainsi, il n’y a rien d’intrinsèquement problématique au fait que le demandeur d’asile principal et le représentant du groupe soient les destinataires désignés de la lettre de demande. Je remarque en outre que le représentant du groupe est le représentant désigné par tous les répondants du groupe.

[26] Enfin, le recours approprié ouvert aux demandeurs d’asile est précisé dans la décision. Plus particulièrement, si de nouveaux renseignements font surface pour remédier aux lacunes actuelles, une nouvelle demande complète pourra être présentée. Ainsi, les demandeurs d’asile ne se retrouvent pas dépourvus de tout recours.

A. Question proposée aux fins de certification

[27] Les demandeurs d’asile ont proposé la question suivante aux fins de certification :

[traduction]

Lorsque l’obligation d’équité exige que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration envoie une lettre relative à l’équité procédurale, cette obligation englobe‑t‑elle l’obligation de chercher à en confirmer la réception ?

[28] Le seuil établi pour la certification d’une question consiste à savoir si l’affaire soulève une question grave de portée générale qui permettrait de trancher le sort de l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 au para 11).

[29] Ce seuil n’a pas été atteint en l’espèce. La jurisprudence est bien établie dans ce domaine et l’issue de la demande repose sur l’application aux faits de ces principes bien établis. Bien que les demandeurs d’asile renvoient à la décision Chandrakantbhai Patel de la Cour et à deux tendances jurisprudentielles relatives à quelle partie assume le risque d’une communication défaillante, cela ne change rien aux principes sous‑jacents (Chandrakantbhai Patel, aux paras 36‑38). En l’espèce, le défendeur a démontré que la communication avait été envoyée, ce qui a transféré le fardeau de preuve aux demandeurs d’asile qui devaient alors démontrer la non‑réception de la communication.

[30] De plus, la question soulevée n’est pas de portée générale, mais est plutôt propre aux faits de l’espèce.

IX. Conclusion

[31] Pour les motifs ci‑dessus, la demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1861‑20

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la cause est par les présentes modifié afin de radier le nom de Senait Haile Teklezghi et d’ajouter les noms de Berhe Debesay Afewerki, Simret Haile Woldemichael et Abraham Geremedhin Gerezgiher;

  2. La demande est rejetée;

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1861‑20

 

INTITULÉ :

SENAIT HAILE TEKLEZGHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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