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Date : 20210630


Dossier : IMM-883-20

Référence : 2021 CF 696

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

CHARLES EBHODAGHE AGAZUMA

EMMANUEL OMONKALO AGAZUMA (MINEUR)

TREASURE IVIE AGAZUMA (MINEURE)

MIRABEL OSEBWANHU AGAZUMA (MINEURE)

RICHIES ERONMOME AGAZUMA (MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] Le demandeur, monsieur Agazuma [le demandeur principal], et ses enfants mineurs [collectivement les demandeurs], sollicitent, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 18 décembre 2019 [la décision] de la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’égard de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle ceux-ci n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2] Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision de la SAR et déclarant qu’ils ont qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. À titre subsidiaire, les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision de la SAR et renvoyant la demande à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvel examen.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[4] Les demandeurs sont tous citoyens du Nigéria. Ils allèguent vivre dans la peur en raison du danger posé par les menaces émanant des aînés de la famille élargie du demandeur principal qui veulent que ses filles subissent la mutilation génitale féminine [la MGF]. Les menaces ont été brandies après la naissance de chacune des filles du demandeur principal au cours des dix dernières années, entrecoupées de longues périodes d’absence de menaces. De plus, les aînés ont menacé les demandeurs à leur domicile en octobre 2017.

[5] Les demandeurs ont obtenu des visas de voyage pour les États‑Unis [les É.‑U.] le 23 janvier 2018 et sont arrivés dans ce pays le 27 mars 2018. Ils sont arrivés au Canada trois jours plus tard et ont demandé l’asile. La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs le 7 août 2019.

III. La décision de la SAR

[6] La SAR a rejeté les cinq nouveaux éléments de preuve que les demandeurs ont produits. Elle a aussi confirmé la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR et a statué que cette dernière n’était pas tenue d’effectuer une analyse distincte au titre de l’article 97 de la LIPR lorsque l’analyse au titre de l’article 96 a échoué en raison de l’absence de crainte objective.

A. Rejet de nouvelle preuve

[7] La SAR a apprécié les cinq éléments de nouvelle preuve produits par les demandeurs. Les trois premiers étaient des documents présentés par l’ancienne logeuse des demandeurs, dont un affidavit, des rapports de police, et trois photographies non datées de personnes décédées. Bien que les demandeurs aient reconnu que les trois documents étaient antérieurs à la décision de la SPR, ils ont soutenu qu’ils n’avaient eu connaissance de leur existence qu’après que la décision défavorable fut rendue. La SAR a conclu que les observations des demandeurs quant à la façon dont les éléments de preuve remplissaient les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR ou étaient pertinents n’étaient pas suffisantes et a refusé de les admettre en preuve.

[8] Le second élément de nouvelle preuve consistait en des coupures de journaux. La SAR a conclu que les journaux étaient antérieurs à la décision de la SPR, et les demandeurs n’ont formulé aucune observation quant aux raisons pour lesquelles elle devait les admettre en preuve. La SAR a statué qu’il incombait aux demandeurs de montrer en quoi les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR étaient satisfaits et qu’il ne lui revenait pas de supposer quelle partie d’un document était pertinente et les raisons pour lesquelles elle l’était. La SAR a refusé d’admettre cet élément en preuve.

[9] Le dernier élément, une évaluation psychosociale du demandeur principal, était postérieur à la décision de la SPR. La SAR a remis en cause son caractère nouveau puisque l’information qu’il contenait décrivait des symptômes antérieurs à la décision de la SPR. La SAR a aussi conclu que les demandeurs n’avaient formulé aucune observation quant à sa pertinence au-delà d’un argument invoquant des raisons impérieuses, argument qu’elle a estimé être sans objet. La SAR a refusé d’admettre le rapport en preuve.

B. Conclusion défavorable quant à la crédibilité

[10] La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité reposant sur l’absence de fondement objectif d’une crainte de persécution, l’omission de mentionner la mort prématurée de la sœur du demandeur principal dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) de celui‑ci et le fait que les demandeurs aient tardé à quitter le Nigéria. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité.

[11] La SAR a statué que la crainte invoquée par le demandeur n’avait aucun fondement objectif parce qu’il n’avait pas présenté de preuve objective. De plus, elle a conclu qu’étant donné les longues périodes de [traduction] « paix relative » pendant une décennie de la part des agents de persécution allégués, elle n’était pas convaincue selon la prépondérance des probabilités, que, un jour, les aînés du village se livreraient à la circoncision forcée.

[12] La SAR a conclu que l’omission du demandeur principal de mentionner la mort prématurée de sa sœur, qu’il croit avoir été causée par des divinités à la demande des aînés du village, n’avait pas été expliquée comme il se devait. Elle a soutenu que même si elle acceptait l’explication des demandeurs, la mort de la sœur illustrait la crainte subjective des demandeurs, mais ne constituait pas une preuve crédible et digne de foi d’une crainte objective.

[13] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son calcul du temps que les demandeurs avaient mis pour quitter le Nigéria, mais a maintenu la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR en raison de l’explication déraisonnable fournie par les demandeurs pour avoir tardé à partir. Les demandeurs ont reçu leurs visas pour les É.‑U. le 23 janvier 2018, mais n’ont quitté le Nigéria que le 27 mars 2018. Ils affirment qu’ils ont attendu jusqu’à la fin de l’année scolaire pour ne pas être soupçonnés de se livrer à la traite d’enfants. La SAR a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[…] il n’était tout simplement pas raisonnable qu’ils demeurent pendant plusieurs mois dans une situation qu’ils estimaient dangereuse au Nigéria, tout simplement pour pouvoir quitter ce pays après l’année scolaire de manière à éviter le risque d’être incarcérés pour trafic d’enfants alors qu’ils partaient accompagnés de leurs propres enfants biologiques.

[Souligné dans l’original.]

C. Analyse aux termes de l’article 97 superflue

[14] La SAR a conclu que la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse distincte au titre de l’article 97 de la LIPR, et ce, en raison [traduction] « [d]es conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR et, surtout, en ce qui [concernait] la SAR, en raison du fait que la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte alléguée par les demandeurs n’[avait] pas de fondement objectif [tranchait] les demandes d’asile tant au titre de l’article 96 que de l’article 97 ».

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[15] La seule question en litige est celle de savoir si la décision est raisonnable. Le demandeur formule les trois observations suivantes qui, selon lui, permettent de conclure que la SAR a rendu une décision erronée :

(1) Le rejet par la SAR des nouvelles preuves était déraisonnable;

(2) La conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR était déraisonnable;

(3) La conclusion tirée par la SAR quant à l’article 97 était déraisonnable.

[16] Le point de départ de l’examen des décisions administratives par la Cour est une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable à moins que l’intention du législateur ou la primauté du droit commande le contraire : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16 et 23. Les questions en litige dans la présente affaire n’entrent dans aucune de ces exceptions. La norme de contrôle applicable à toutes les questions en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable. En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit pas juger les motifs du tribunal au regard d’une norme de perfection, mais doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 91 et 99).

V. Positions des parties

A. Le rejet par la SAR des nouvelles preuves était-il raisonnable?

(1) Position des demandeurs

[17] Les demandeurs soutiennent que la SAR a rejeté de façon déraisonnable les nouvelles preuves et a dénaturé leurs observations. Ils affirment qu’ils ont formulé des observations exhaustives et détaillées sur l’admission des nouvelles preuves et contestent le degré de précision requis à l’égard des observations. Ils prétendent que la SAR aurait dû adopter une approche flexible et généreuse.

(2) Position du défendeur

[18] Le défendeur soutient que, selon le sous-alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés (les Règles de la SAR), DORS/2012-257, les demandeurs doivent transmettre des observations complètes et détaillées sur l’admission de nouvelles preuves. Il affirme que les demandeurs ont omis de fournir l’information demandée, et que la SAR a, par conséquent, eu raison de rejeter les éléments de preuve.

B. La conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR était-elle raisonnable?

(1) Position du demandeur

[19] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la crainte subjective. Ils affirment que la MGF est une pratique cruelle et barbare et que le fait que la SAR ait réduit la question [traduction] « aux croyances subjectives des demandeurs sur les divinités » visait à [traduction] « miner de façon déraisonnable l’objectivité de la crainte de persécution des demandeurs ». Ils affirment que la SAR s’est concentrée indûment sur leur crainte subjective et sur le décès de la sœur du demandeur principal. Cette façon de procéder était déraisonnable et a miné les demandes d’asile des demandeurs.

[20] De plus, les demandeurs prétendent que la SAR a commis une erreur en affirmant que l’épouse du demandeur principal était instruite et en appliquant les éléments de preuve contenus dans le Cartable national de documentation (le CND) sur le Nigéria, selon lequel les parents qui refusent la MGF ne s’exposent à aucune conséquence, à plus forte raison s’ils sont instruits. Ils ajoutent que la SAR a été indûment influencée par sa croyance erronée selon laquelle l’épouse était instruite, ce qui l’a rendue incapable d’effectuer une appréciation raisonnable.

[21] Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas tardé à quitter le Nigéria. De plus, ils prétendent que le tribunal de la SAR ne peut pas être perçu comme ayant accepté l’argument qu’ils ont avancé sur l’erreur commise par la SPR, d’une part, tout en confirmant la conclusion contestée tirée par la SPR avec une différence quelque peu bizarre, d’autre part. Ils affirment que, alors que la SPR avait jugé qu’un retard de trois mois était excessif, la SAR ne pouvait pas conclure qu’un retard de deux mois était excessif. Ils précisent que la SAR n’a pas tenu compte de leur explication quant à savoir pourquoi ils avaient attendu avant de quitter le Nigéria. Ils invoquent la décision Ojogwu c Canada (Secrétaire d’État) (1995), 27 Imm LR (2d) 201 (ACF, 1re inst.).

(2) Position du défendeur

[22] Le défendeur réitère les motifs fournis par la SAR pour chacune des trois questions en litige qui ont contribué à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, en soutenant que chaque conclusion à cet égard était raisonnable.

C. La conclusion tirée par la SAR quant à l’article 97 était-elle raisonnable?

(1) Position des demandeurs

[23] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse au titre de l’article 97. Ils affirment qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité n’est pas nécessairement concluante quant à une demande fondée sur le paragraphe 97(1) (Odetoyinbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 501; Asu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1693).

(2) Position du défendeur

[24] Le défendeur invoque la décision Ikeme c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 21 [Ikeme] pour soutenir qu’il n’était pas nécessaire qu’une analyse distincte au titre de l’article 97 soit faite. Il précise que les conclusions défavorables quant à la crédibilité en l’espèce vont au cœur même de la demande d’asile des demandeurs et rompent tout prétendu lien entre les éléments de preuve documentaire relatifs à la MGF et le risque auquel les demandeurs seraient personnellement exposés, de sorte que les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées en l’espèce peuvent avoir une incidence sur la demande fondée sur l’article 97 de la LIPR.

VI. Analyse

[25] Après avoir examiné la décision dans son ensemble, je conclus qu’elle est justifiée, transparente et intelligible au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov, aux para 91 et 99).

A. Le rejet par la SAR des nouvelles preuves était-il raisonnable?

[26] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh]), la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de savoir comment doit être interprété le paragraphe 110(4) de la LIPR et a énoncé cinq questions que devrait se poser la SAR quand elle statue sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Il s’agissait de déterminer dans l’arrêt Singh si les conditions implicites d’admissibilité énoncées à l’alinéa 113a) de la LIPR, telles qu’elles ont été examinées dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], s’appliquaient au paragraphe 110(4). En affirmant qu’elles s’appliquaient, la Cour, dans l’arrêt Singh, a confirmé les questions comme étant celles de savoir si les éléments de preuve proposés étaient : 1) crédibles; 2) pertinents; 3) nouveaux; 4) substantiels; 5) assujettis à des conditions légales explicites.

[27] Il incombe aux demandeurs d’établir que les critères ont été remplis selon la prépondérance des probabilités. Les demandeurs n’ont formulé devant la SAR aucun argument quant à l’admissibilité de l’article de journal. Bien qu’ils soutiennent devant la Cour que leurs observations sur l’admissibilité des éléments de preuve présentés par la propriétaire visaient à inclure aussi le journal, il ne ressort pas clairement quels articles les demandeurs estiment pertinents ni en quoi ils le seraient. Il ne ressort pas clairement non plus pourquoi les demandeurs n’avaient pas accès au journal avant la décision de la SPR. Il était raisonnable que la SAR conclue que les observations formulées par les demandeurs devant elle n’étaient pas exhaustives et détaillées étant donné que ces derniers n’avaient pas précisé à quel élément de preuve leurs observations se rapportaient. Je conclus que la SAR a eu raison de refuser d’admettre en preuve les articles de journaux.

[28] De plus, les demandeurs soutiennent que, contrairement à ce qu’a conclu la SAR, ils ont bel et bien présenté des observations sur le rapport d’évaluation psychosociale. Ils ont prétendu devant la SAR que le rapport répondait aux conditions énoncées au paragraphe 110(4) étant donné qu’il était postérieur à la décision de la SPR. Ils affirment que le rapport est crédible parce qu’il repose sur l’opinion d’un spécialiste et des tests psychologiques normalisés. Ils n’ont toutefois pas abordé les autres facteurs relatifs à l’admissibilité.

[29] La SAR a estimé que le caractère nouveau du rapport était douteux. Il est possible qu’un document qui est créé après l’audience devant la SPR ne remplisse pas les critères relatifs au caractère nouveau (Raza, au para 16). Selon les critères énoncés dans l’arrêt Singh à ce sujet, les preuves nouvelles doivent être aptes à prouver un événement postérieur à l’audition de la demande d’asile, à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile ou à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR. Étant donné que les symptômes rapportés ne constituaient pas un événement postérieur à l’audition de la demande d’asile ou un fait qui n’était pas connu des demandeurs au moment de l’audience devant la SPR et ne réfutaient pas une conclusion tirée par la SPR, je conclus que la conclusion de la SAR était raisonnable.

[30] Même si la SAR a établi que le document pouvait se rapporter à l’affirmation des demandeurs selon laquelle il y avait des raisons impérieuses de ne pas renvoyer le demandeur principal au Nigéria, elle a soutenu que les demandeurs ne pouvaient pas invoquer l’exception des raisons impérieuses. Les demandeurs n’ont pas contesté cette conclusion devant la Cour. Par conséquent, la pertinence du rapport n’est pas clairement établie. En conséquence, la SAR a rejeté de façon raisonnable le rapport en tant que nouvelle preuve.

[31] En ce qui concerne les documents présentés par l’ancienne propriétaire des demandeurs, les observations formulées par ceux-ci devant la SAR n’expliquaient pas en quoi ils remplissaient les critères énoncés au paragraphe 110(4). Voici l’intégralité des observations des demandeurs quant à l’admissibilité de ces éléments de preuve :

[traduction]

55. Par la présente, l’appelant produit de nouvelles preuves qui étayent ses craintes que sa famille soit déterminée à leur causer des préjudices à cause de leur refus de la MGF. Dans leurs efforts pour retrouver l’appelant et sa famille, les agents de persécution ont harcelé leurs anciens voisins. Leur propriétaire a signé un affidavit et a fait des dépositions à la police au sujet des visites des agents de persécution. En mars 2019, le rapport de police mentionnait que les agents de persécution, dans leurs efforts visant à retrouver l’appelant et sa famille, ont fini par tuer certains des résidents. Les rapports sont joints au présent dossier, de même que des photographies des cadavres. Il est respectueusement soumis que cela prouve de manière concluante que les agents de persécution ont les moyens et la motivation de causer un préjudice aux appelants s’ils en ont la possibilité.

56. Les éléments de preuve satisfont au critère qui est énoncé au paragraphe 110(4) parce que, même s’ils sont antérieurs à la décision défavorable de la SPR, l’appelant n’a appris leur existence qu’après avoir reçu la décision défavorable. Les éléments de preuve sont crédibles parce qu’ils consistent en un témoignage sous serment et en des rapports crédibles émanant de la police nigériane. Il est soumis que si ces éléments de preuve avaient été disponibles avant que la décision ne soit rendue, le tribunal aurait rendu une décision différente.

[32] Même si les demandeurs ont expliqué que les éléments de preuve présentés par la propriétaire étaient crédibles parce qu’ils comprenaient un témoignage sous serment et des rapports de la police nigériane, ils n’ont formulé aucune observation quant à leur source ou quant aux circonstances dans lesquelles ils étaient apparus, comme l’exige l’arrêt Singh. Les demandeurs n’ont pas fourni d’explication quant à la façon dont ils leur sont parvenus.

[33] De plus, les demandeurs ont dénaturé les éléments de preuve en affirmant que ceux-ci illustraient les activités de leurs agents de persécution. Dans l’affidavit et les rapports de police, il n’est fait mention que d’un [traduction] « groupe d’individus suspects » qui se sont rendus à l’ancien domicile des demandeurs. Les demandeurs n’ont fourni aucune explication quant à ce qui leur avait permis de conclure qu’il s’agissait des agents de persécution allégués ou en quoi des photographies non datées de cadavres non identifiés venaient étayer leurs affirmations. Pour être jugées pertinentes, les preuves nouvelles doivent être « aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile » (Singh, au para 38). Pour être substantielles, les preuves nouvelles doivent pouvoir influer sur l’appréciation globale de la SAR de la décision rendue par la SPR (Singh, au para 47). Il ne ressort pas clairement en quoi des éléments de preuve relatifs à des visiteurs inconnus à l’ancien domicile des demandeurs et à la mort de personnes innocentes pourraient prouver ou réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile des demandeurs ou influer sur l’appréciation de la SAR. Par conséquent, il ne ressort pas clairement en quoi les preuves nouvelles sont pertinentes. La SAR a de façon raisonnable rejeté les éléments de preuve pour ces raisons.

B. La conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR était-elle raisonnable?

[34] Je conviens avec les demandeurs que la MGF est une pratique cruelle et barbare; toutefois, la SAR ne devait pas se prononcer sur la pratique, mais bien apprécier le fondement objectif de la crainte des demandeurs. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que, un jour, les aînés du village circonscriraient de force les appelantes mineures. Les demandeurs ne craignent pas la pratique en soi, mais les conséquences qu’ils subiraient en la refusant. Le demandeur principal a dit craindre que les aînés de sa famille fassent appel à des divinités pour leur causer des préjudices. Pour conclure que cette crainte n’avait pas de fondement objectif, la SAR s’est appuyée sur les éléments de preuve dont elle disposait montrant que les demandeurs avaient vécu dans une paix relative pendant dix ans au Nigéria sans le moindre incident de préjudice. Cette conclusion était raisonnable.

[35] La conclusion de la SAR selon laquelle les parents ne subiraient pas de conséquences pour avoir refusé que leurs filles soient soumises à la MGF ne reposait pas sur le niveau d’instruction de l’épouse du demandeur principal. La scolarité de l’épouse est mentionnée une seule fois dans la phrase suivante :

[traduction]

Étant donné que le demandeur principal et son épouse sont instruits et unis dans leur refus de la MGF, selon les éléments de preuve sur la situation dans le pays et fournis par les appelants, la SAR n’est pas convaincue qu’il existe davantage qu’une simple possibilité que les appelantes mineures soient soumises de force à la MGF contre la volonté de leurs parents.

La SAR a conclu que le demandeur principal avait 16 ans de scolarité, ce qui est supérieur à la moyenne au Nigéria. Bien que le degré d’instruction des parents soit pertinent, il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. Selon la RDI 5.12, dans le CND sur le Nigéria qui porte sur la MGF, les conséquences d’un refus sont particulièrement nulles lorsque les parents sont instruits. Cela ne signifie pas que le refus porte à conséquence lorsque l’un des parents ou les deux sont moins instruits. La SAR a pris en compte les éléments de preuve figurant dans le CND avec les faits énoncés dans la demande d’asile des demandeurs pour, de façon raisonnable, conclure que les demandeurs n’avaient pas établi un fondement objectif pour leur crainte alléguée.

[36] La SAR a statué que le demandeur principal n’avait pas expliqué de façon adéquate l’omission du décès prématuré de sa sœur dans son formulaire FDA et que, même si elle acceptait l’explication donnée, le décès de sa sœur constituait la preuve de la crainte subjective des demandeurs, et non pas le fondement objectif de cette crainte. Il ne s’agissait pas d’une fixation sur le décès de la sœur, et cela n’a pas servi à miner la demande d’asile des demandeurs. La SAR n’a pas débouté les demandeurs dans cette conclusion à cause de leurs opinions métaphysiques. Elle a plutôt pris en compte le décès de la sœur pour expliquer pourquoi cet événement ne constituait pas la preuve d’un fondement objectif pour la crainte. J’estime que c’était raisonnable.

[37] Selon la conclusion de la Cour dans la décision Ojogwu, il peut arriver que le fait d’attendre avant de demander l’asile après être entré au Canada se justifie. Il ne s’agit pas ici de savoir s’il était raisonnable que les demandeurs restent à leur domicile au Nigéria pendant deux mois après avoir obtenu des visas pour les É.‑U. La SAR n’a pas fait abstraction de l’explication donnée par les demandeurs pour leur retard à quitter le Nigéria. Elle a plutôt pris en compte l’explication et l’a rejetée. La SAR a conclu qu’il n’était pas raisonnable ou crédible que les demandeurs aient attendu deux mois s’ils estimaient courir un danger. La conclusion de la SAR selon laquelle le retard des demandeurs à quitter le Nigéria minait leur crédibilité était raisonnable.

C. La conclusion de la SAR selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’une analyse au titre de l’article 97 soit faite était-elle raisonnable?

[38] Une demande d’asile fondée sur l’article 96 doit établir une crainte comportant des éléments subjectifs et objectifs, tandis qu’une demande fondée sur l’article 97 ne nécessite qu’un risque objectif. Pour cette raison, lorsqu’une demande fondée sur l’article 96 est rejetée au motif que le demandeur n’a pas établi une crainte subjective, la SPR doit effectuer une analyse distincte au titre de l’article 97 reposant sur le risque objectif. C’est le principe reconnu dans les affaires citées par les demandeurs. Cependant, en l’espèce, la SPR a rejeté la demande fondée sur l’article 96 au motif que les demandeurs n’avaient pas établi un fondement objectif pour leur crainte. Lorsqu’une crainte de persécution n’a pas de fondement objectif, il n’y a pas de risque objectif.

[39] Les extraits qui suivent des observations de ma collègue la juge McDonald dans la décision Ikeme montrent l’interaction entre l’article 96 et l’article 97 de la LIPR :

[39] La Cour a établi par le passé que les critères des articles 96 et 97 sont distincts (Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 21). Pour cette raison, comme il a été mentionné dans la décision Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41 [Bouaouni], une conclusion de non-crédibilité à l’égard d’un demandeur dans le cadre d’une analyse en vertu de l’article 96 de la LIPR ne signifie pas nécessairement que cette personne n’est pas en besoin de protection au sens de l’article 97. En effet, puisque l’article 97 de la LIPR vise principalement une évaluation objective du risque, la question de la crédibilité n’est pas nécessairement déterminante.

[40] Toutefois, il n’est pas toujours nécessaire d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97. L’analyse du risque objection en vertu de l’article 97 doit être personnalisée (Bouaouni, au paragraphe 41) afin d’assurer un lien entre la preuve générale et le demandeur.

[40] Par conséquent, j’accepte les arguments formulés par les demandeurs selon lesquels une conclusion défavorable quant à la crédibilité n’est pas nécessairement concluante dans le cadre d’une demande d’asile fondée sur l’article 97, mais je conclus que la conclusion de la SAR selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’une analyse au titre de l’article 97 soit faite puisqu’il n’y avait pas de risque objectif était raisonnable compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée.

VII. Conclusion

[41] La SAR a raisonnablement rejeté la preuve nouvelle présentée au motif que les demandeurs avaient omis de lui fournir suffisamment d’information pour lui permettre d’établir si la preuve remplissait les critères applicables à l’admission de nouveaux éléments de preuve. La conclusion de la SAR selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’une analyse distincte au titre de l’article 97 soit faite en l’espèce était aussi raisonnable. Enfin, la conclusion de laSAR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas suffisamment établi de fondement objectif à l’égard de la crainte alléguée était raisonnable. La conclusion selon laquelle les préoccupations relatives à la crainte objective, au décès de la sœur du demandeur principal, et au retard à quitter le Nigéria, ont miné la crédibilité des demandeurs, était aussi raisonnable.

[42] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-883-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-883-20

 

INTITULÉ :

CHARLES EBHODAGHE AGAZUMA, EMMANUEL OMONKALO AGAZUMA (MINEUR), TREASURE IVIE AGAZUMA (MINEURE), MIRABEL OSEBWANHU AGAZUMA (MINEURE), RICHIES ERONMOME AGAZUMA (MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par vidéoconférence

ENTRE Ottawa (Ontario) ET toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER FÉVRIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Henry Igbinoba

pour les demandeurs

 

Christopher Crighton

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henry Igbinoba

Henry Law

North York (Ontario)

pour leS demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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