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Date : 20210628


Dossier : IMM-1785-20

Référence : 2021 CF 676

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

OMAR MOHAMED HASHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, monsieur Omar Mohamed Hashim, est un citoyen éthiopien et un résident permanent du Canada. Il a présenté une demande de parrainage de son épouse et de ses quatre enfants aux fins de l’obtention de la résidence permanente au Canada. L’agent des visas a accueilli la demande en ce qui concerne l’épouse de M. Hashim et l’un de ses quatre enfants. Toutefois, l’agent n’était pas convaincu que les trois autres enfants, Sameya, Ibrahim et Tewabech, étaient des enfants à charge au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. L’agent des visas a donc rejeté la demande de parrainage de Sameya, Ibrahim et Tewabech.

[2] Dans une décision datée du 14 février 2020, la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a fait droit à l’appel concernant Sameya. Elle a cependant conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas qu’Ibrahim et Tewabech avaient été adoptés conformément à la législation éthiopienne. Par conséquent, la SAI a confirmé la décision de l’agent de rejeter les demandes de parrainage relatives à ces deux enfants.

[3] M. Hashim sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il soutient que la SAI a rejeté l’appel de manière déraisonnable en ce qui concerne Ibrahim et Tewabech, et que la SAI a pris une décision injuste parce que le dossier dont elle disposait était incomplet.

[4] Pour les motifs qui suivent, je ne peux conclure que la décision de la SAI était déraisonnable, ou que M. Hashim peut maintenant invoquer un prétendu manquement à l’équité, ce qui justifierait l’intervention de la Cour. La demande sera rejetée.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[5] La SAI a rejeté l’appel, concluant qu’il incombait à M. Hashim de démontrer, à l’aide d’une preuve convaincante, que les deux enfants avaient été légalement adoptés. La SAI a reconnu que les documents d’adoption, délivrés par une autorité étrangère, bénéficiaient d’une présomption d’authenticité, mais a conclu que la présomption de validité avait été réfutée. À l’appui de cette conclusion, la SAI a fait mention de traductions contradictoires des documents originaux, de témoignages confus concernant l’origine des documents et d’incohérences dans les témoignages formulés de vive voix relatifs aux adoptions.

[6] En ce qui concerne les témoignages formulés de vive voix, la SAI a relevé des incohérences non résolues, particulièrement en ce qui concerne l’adoption présumée de Tewabech en 1997. Citant ces incohérences, la SAI a conclu que le témoignage était « particulièrement vague et parfois peu pertinent », mais a souligné que cela « peut être attribué[es] aux souvenirs estompés ».

[7] Cependant, selon la SAI, ces souvenirs confus n’ont pas permis de dissiper les préoccupations concernant les documents d’adoption. La SAI a détaillé ses préoccupations concernant les preuves documentaires, constatant que : 1) la preuve n’a pas permis de démontrer que les documents présentés à la SAI étaient les mêmes que ceux montrés à l’agent des visas; 2) le demandeur n’a pas réussi à expliquer clairement les raisons du retard dans la production des documents d’adoption originaux devant la SAI; 3) il existe des différences importantes et inexpliquées entre les traductions certifiées et non certifiées des documents. La SAI a conclu que les problèmes constatés soulevaient des doutes quant à l’authenticité des documents d’adoption.

[8] Après avoir examiné tous les éléments de preuve, la SAI a conclu qu’ils étaient insuffisants pour démontrer qu’Ibrahim et Tewabech avaient été légalement adoptés en Éthiopie.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[9] La présente demande soulève deux questions :

  1. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

  2. La SAI a-t-elle conclu de manière déraisonnable que M. Hashim ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’Ibrahim et Tewabech avaient été légalement adoptés?

[10] Les questions d’équité procédurale sont contrôlées en examinant si un processus juste et équitable a été suivi, compte tenu de toutes les circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [CPR]. Cet exercice de contrôle est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (CPR, au para 54; voir aussi Grewal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 1186 au para 5; Sun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 477 au para 27; Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 319 au para 49; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[11] Le traitement de la preuve par la SAI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 19, le juge Peter Annis a confirmé que la présomption du caractère raisonnable s’applique à l’appréciation de la crédibilité par la SAI car elle est « essentiellement de nature factuelle » (au para 28). La décision sera jugée raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85).

IV. Analyse

A. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[12] M. Hashim fait valoir que l’acceptation par la SAI de la déclaration écrite de l’agent des visas indiquant que les documents d’adoption qui lui avaient été présentés avaient été délivrés récemment constituait un manquement à l’équité procédurale. Cela est dû au fait que le dossier produit par le défendeur en appel ne comprenait pas les documents d’adoption présentés à l’agent. Par conséquent, la SAI n’était pas en mesure d’examiner les documents et de confirmer la conclusion de l’agent. M. Hashim fait également valoir qu’en ne produisant pas ces documents, le défendeur a agi en violation du paragraphe 4(1) des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 [les Règles de la SAI] selon lequel le ministre doit préparer un dossier d’appel comprenant « tout document en la possession du ministre qui a trait aux demandes[…] ».

[13] Le défendeur soutient que la question aurait dû être soulevée devant la SAI. Elle ne l’a pas été et, par conséquent, la SAI n’a pas eu l’occasion de se pencher sur cette question. Il n’est pas approprié de soulever maintenant la question dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[14] M. Hashim soutient que la question du dossier incomplet a été soulevée devant la SAI. Il soutient que la question a été soulevée lorsque son conseil a demandé à la SAI de ne pas tenir compte de la conclusion de l’agent selon laquelle les documents d’adoption présentés avaient été délivrés récemment, car ces documents ne figuraient pas dans le dossier présenté à la SAI.

[15] Toutefois, le conseil de M. Hashim a soulevé l’absence des documents présentés à l’agent des visas. Il l’a fait dans le contexte de l’argumentation sur le poids à accorder aux motifs de l’agent des visas. La question maintenant soulevée dans la présente demande, à savoir un manquement à l’équité procédurale ou aux règles de la SAI, n’a pas été soulevée devant la SAI.

[16] Bien que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire d’examiner une nouvelle question dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il est généralement inapproprié de le faire lorsque la question aurait pu être soulevée devant le décideur (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 23 [ATA]). Procéder ainsi prive la Cour du bénéfice de l’avis du décideur chargé par le législateur de trancher la question, et peut porter préjudice à la partie adverse (ATA, aux para 24-26).

[17] C’est également un principe bien établi qu’une partie doit soulever une question d’équité procédurale à la première occasion. Si elle ne le fait pas, cela équivaut à une renonciation implicite au manquement perçu (McCallum c Nation crie Peter Ballantyne, 2019 CF 898 au para 54 citant Muskego c Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732 au para 42 et Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 338 aux para 51–52).

[18] Je souscris à la position du défendeur selon laquelle le fait que M. Hashim n’ait pas soulevé de préoccupation en matière d’équité concernant l’exhaustivité du dossier devant la SAI l’empêche de le faire maintenant. Même si je devais me pencher sur cette nouvelle question dans le cadre d’un contrôle judiciaire, je n’estimerais pas que les circonstances révèlent un manquement à l’équité procédurale. Les documents qui, selon M. Hashim, manquaient au dossier (les documents d’adoption originaux) ont été produits devant la SAI par M. Hashim et son épouse. Bien que M. Hashim conteste la façon dont la SAI a traité la preuve de l’adoption, cela ne soulève pas de problème en matière d’équité procédurale.

B. La SAI a raisonnablement conclu que M. Hashim ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver qu’Ibrahim et Tewabech avaient été légalement adoptés

[19] M. Hashim soutient que les documents d’adoption présentés à la SAI étaient suffisants pour démontrer qu’Ibrahim et Tewabech ont été adoptés conformément aux lois de l’Éthiopie. Il s’appuie sur l’exposé dans Halsbury’s Laws of England pour affirmer qu’une ordonnance ou un jugement définitif constitue la meilleure preuve d’une adoption conforme aux lois d’un pays et que cette preuve ne doit pas être écartée, sauf si elle a été obtenue par fraude ou irrégularité. Il fait valoir que les incohérences entre les traductions certifiées et non certifiées des documents d’adoption sont des erreurs de traduction, et que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte des explications fournies pour la traduction non certifiée inexacte. Il soutient également que la SAI a commis une erreur en ne prenant pas en compte le fait que la note de l’agent des visas relative aux documents « délivrés récemment » ne faisait pas référence aux documents d’adoption, mais plutôt aux documents attestant du décès de la mère d’Ibrahim.

[20] En l’espèce, je ne peux relever aucune faute dans le traitement de la preuve par la SAI qui justifierait l’intervention de la Cour.

[21] Bien que M. Hashim conteste la conclusion de la SAI selon laquelle les documents présentés à l’agent des visas avaient été délivrés récemment, la SAI pouvait raisonnablement tirer cette conclusion et les motifs de celle-ci sont clairement exposés.

[22] Il n’est pas contesté que les témoignages formulés de vive voix concernant certaines des circonstances entourant les adoptions étaient contradictoires et incohérents. Selon M. Hashim, ces incohérences sont normales compte tenu du passage du temps. La SAI n’est pas en désaccord avec cet argument. La décision de la SAI porte plutôt sur ses préoccupations concernant la preuve documentaire, et en particulier les incohérences incontestées entre les traductions certifiées et non certifiées des documents d’adoption.

[23] Dans son examen des traductions, la SAI a accepté l’explication de M. Hashim selon laquelle les dates incohérentes sont le résultat d’une confusion dans la conversion des dates du calendrier éthiopien en calendrier géorgien. Cependant, la SAI fait remarquer que les erreurs de conversion de date ne peuvent pas expliquer suffisamment d’autres incohérences importantes. Ces incohérences sont relevées par la SAI et sont évidentes lors de l’examen du dossier :

  1. La traduction non certifiée du document d’adoption de Tewabech fournit une explication de la raison pour laquelle la mère biologique ne peut plus s’occuper de Tewabech. La traduction non certifiée fournit également ce qui semble être une citation de M. Hashim et de sa femme. La traduction certifiée indique simplement que M. Hashim et sa femme vont adopter Tewabech et précise qu’il y a eu une audience complète. La traduction non certifiée indique que le document a été délivré par le [traduction] « Tribunal de la ville de Dessie », alors que la traduction certifiée indique qu’il a été délivré par la [traduction] « Cour suprême de la zone sud de Wello, au service du tribunal civil municipal de la ville de Dessie ».

  2. La traduction concernant Ibrahim porte le même nom de cour de délivrance. Cependant, les traductions certifiées et non certifiées contiennent un contenu différent. La traduction non certifiée explique la situation du père biologique d’Ibrahim et mentionne que des témoins ont été entendus. La traduction certifiée, cependant, reconnaît simplement qu’il y a une adoption et dit qu’il y a eu une audience complète.

[24] Aucune explication n’a été fournie pour ces incohérences. En l’absence d’explication, il était raisonnable pour la SAI de conclure, comme elle l’a fait, que l’authenticité des documents d’adoption originaux était remise en question.

[25] Après avoir apprécié l’ensemble de la preuve, la SAI a raisonnablement conclu que M. Hashim n’avait pas réussi à démontrer que les adoptions étaient légalement valides en Éthiopie et que, par conséquent, Ibrahim et Tewabech ne pouvaient pas être parrainés en tant qu’enfants à charge.

V. Conclusion

[26] La demande sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1785-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1785-20

 

INTITULÉ :

OMAR MOHAMED HASHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Dalwinder S. Hayer

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dalwinder S. Hayer

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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