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Dossier : IMM‑3680‑20

Référence : 2021 CF 794

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

BALEN AKRAM AHMED AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision (la décision) rendue le 29 juillet 2020, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. À la fin du présent contrôle judiciaire, j’ai rejeté la demande et indiqué que les présents motifs suivraient.

II. Contexte

[2] Le demandeur est citoyen de l’Iraq et provient de la région kurde, au nord du pays. Il allègue les faits énoncés ci‑dessous.

[3] Le 31 décembre 2014, il a rencontré une femme (C) et ils sont tombés amoureux l’un de l’autre. En juin 2014, le demandeur a demandé au père de C la permission d’épouser sa fille. Celui‑ci a refusé, car bien que le demandeur soit un musulman sunnite, comme la famille de C, il ne pratiquait pas la religion aussi assidûment qu’elle. Le père a ordonné au demandeur de cesser de voir sa fille. Entre‑temps, le père a fait des démarches pour que C épouse son cousin (le cousin) – le fils de son frère (l’oncle). L’oncle était, selon le demandeur, un homme influent responsable de la sécurité et du renseignement dans sa région en Iraq.

[4] Le mariage devait avoir lieu en juillet 2016 et C en a informé le demandeur. Les membres du couple ont convenu de se rencontrer dans un parc, où ils ont eu leur première relation sexuelle, dans un coin isolé. Ils ont continué de se voir en secret dans le parc pendant des mois. Cependant, en septembre 2015, le père de C a suivi celle‑ci au parc et a confronté le couple. Il a confiné C à la maison, a menacé de faire assassiner sa fille et le demandeur s’ils se voyaient encore, et a ajouté que l’oncle pouvait rendre les meurtres impossibles à retracer. Malgré ces menaces, C a camouflé les coordonnées du demandeur dans son téléphone et a continué de communiquer avec lui. Son père a pris son téléphone et l’a remis à l’oncle afin que celui‑ci l’analyse.

[5] Le demandeur s’est ensuite caché. La police a refusé d’intervenir, car il est trop dangereux d’enquêter sur les crimes d’honneur.

[6] Le demandeur a obtenu un visa de résident temporaire (VRT) canadien en novembre 2015, est venu au Canada au titre de ce visa le 10 janvier 2016 et a revendiqué le statut de réfugié.

A. Historique des procédures

[7] La SPR a initialement rejeté la demande du demandeur. Cependant, la SAR a accueilli l’appel au motif que l’interprétation était inadéquate. La présente demande se rapporte à une audience de novo devant la SPR, qui n’a pas admis en preuve la transcription de la première instance.

[8] L’allégation d’interprétation inadéquate constitue un point important de la présente demande. Au cours de sa deuxième audience devant la SPR, le demandeur a tenté d’ajouter des renseignements à son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA ou l’exposé circonstancié), à savoir que sa maison en Iraq avait été criblée de balles, pour prouver qu’il avait des motifs de craindre pour sa vie en raison des menaces réelles émanant de l’oncle et du cousin. L’exposé circonstancié du demandeur ne comporte aucune mention du fait que sa maison a été criblée de balles. L’explication que le demandeur a donnée au sujet de cette omission fait référence à un ami (l’interprète) qui l’a aidé à rédiger son formulaire FDA en anglais.

[9] Dans une déclaration solennelle (la déclaration solennelle) présentée à la deuxième audience devant la SPR, l’interprète a expliqué que le demandeur et lui avaient travaillé ensemble en soirée, pendant une semaine, pour rédiger le formulaire FDA. La déclaration solennelle indiquait que l’interprète pensait que l’incident au cours duquel la maison du demandeur avait été criblée de balles dans l’objectif de le menacer était un détail trop évident pour l’inclure dans le formulaire FDA. L’interprète a affirmé que, dans leur culture, le comportement que le demandeur avait adopté avec C (avoir, dans un parc, une relation sexuelle en dehors des liens du mariage et se faire prendre par le père de la partenaire sexuelle) ferait inévitablement en sorte que la vie du demandeur serait gravement menacée. L’interprète a expliqué qu’il a par conséquent inclus dans le formulaire FDA des détails sur leur période de fréquentations, le refus du père de C, les démarches que celui‑ci a faites pour que sa fille épouse le cousin et les menaces qu’il a proférées contre le demandeur. En conclusion de sa déclaration solennelle, l’interprète a affirmé qu’il avait pris l’initiative de ne pas inclure dans le formulaire FDA l’incident au cours duquel la maison du demandeur avait été criblée de balles et qu’il s’agissait en conséquence de son erreur.

[10] Le demandeur a fait valoir à la deuxième audience devant la SPR que cette omission dans son formulaire FDA ne devrait pas être retenue contre lui, que le fait que sa maison avait été criblée de balles devrait être au cœur de sa demande, tout comme des pièces justificatives, par exemple des photographies de trous dans sa maison et des lettres de membres de sa famille portant sur l’incident.

[11] À la deuxième audience devant la SPR, le demandeur n’était pas certain s’il devait prêter serment quant à l’exactitude du formulaire FDA étant donné que la SPR en avait déjà contesté certains aspects à la première audience. Cela a entraîné une certaine confusion à l’audience quant à la question de savoir si le demandeur avait prêté serment en ce qui a trait au contenu du formulaire FDA. En fin de compte, l’avocat du demandeur à la deuxième audience a affirmé que le formulaire FDA pouvait être confirmé, sans modification, à condition d’être lu en parallèle avec la déclaration de l’interprète. Cependant, le commissaire de la SPR a continué de faire savoir qu’il avait des réserves quant à l’omission de cet événement.

B. La décision de la SPR

[12] La SPR a accordé peu de poids à la déclaration solennelle, car elle n’a pas accepté l’explication du demandeur quant à l’omission. La SPR a également relevé des incohérences entre deux rapports de police, à savoir le rapport que le demandeur avait obtenu à la fin du mois de septembre 2015 et un autre que sa mère avait obtenu en janvier 2016, après le départ du demandeur du pays, qui indiquaient que l’identité des assaillants était inconnue, et le témoignage du demandeur, selon lequel les actes avaient été commis par des agents de son oncle. Dans l’ensemble, la SPR a aussi conclu que le demandeur avait livré un témoignage vague et changeant sur l’organisation pour laquelle travaillait son oncle (c.‑à‑d. quelles forces de sécurité de la région). Enfin, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant au fait que le demandeur avait attendu deux mois avant de quitter l’Iraq. Le demandeur a interjeté appel d’une décision devant la SAR pour une deuxième fois, soit la décision contestée dans le présent contrôle judiciaire.

C. Observations à la SAR

[13] Le demandeur a soutenu devant la SAR que la SPR avait commis des erreurs, dont les suivantes :

III. La décision de la SAR faisant l’objet du présent contrôle

[14] La SAR a rejeté l’appel du demandeur. La question décisive pour la SAR était la crédibilité. Elle a conclu que, malgré quelques erreurs commises par le tribunal inférieur, la SPR avait évalué correctement les omissions dans le formulaire FDA et les incohérences dans le témoignage en totalité, lorsqu’elle a conclu que le demandeur manquait de crédibilité. La SAR a conclu que, bien que la SPR ait commis une erreur en omettant de justifier adéquatement sa décision de ne pas accorder de poids aux déclarations des membres de la famille corroborant que la maison avait été criblée de balles, elle en est venue à la même conclusion après avoir effectué sa propre analyse indépendante. En outre, elle n’a trouvé aucun manquement à l’équité procédurale en ce qui concerne la façon dont la SPR avait traité le formulaire FDA et a conclu que le demandeur s’était vu accorder une possibilité raisonnable de modifier ce formulaire en application des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012‑256) [les Règles de la SPR], particulièrement compte tenu de la longue période qui s’est écoulée entre la date d’achèvement du formulaire FDA, soit le 16 mars 2016, et la date à laquelle la deuxième décision de la SPR a été rendue, soit le 13 mars 2019. Cependant, il a choisi de ne pas modifier son formulaire FDA.

[15] Enfin, la SAR a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle la SPR avait fait fi d’éléments de preuve et a conclu que celle‑ci avait tenu compte de la déclaration solennelle, des photographies et des lettres des membres de la famille du demandeur, qui avaient été déposées en preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle sa maison avait été criblée de balles. La SAR a conclu que la SPR avait traité la preuve adéquatement. Elle a également confirmé d’autres conclusions de la SPR, comme je le précise ci‑dessous.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[16] Les parties conviennent, tout comme moi, que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable, car aucune des situations dans lesquelles la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut être réfutée n’est présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Notre Cour examine aussi, en fonction de la norme de la décision raisonnable, les allégations selon lesquelles la SAR a commis une erreur en concluant que la SPR n’avait pas violé le droit à l’équité procédurale du demandeur en ce qui concerne la possibilité de modifier son formulaire FDA (Omirigbe c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2021 CF 787 [Omirigbe] aux para 25‑26).

[17] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers les décideurs administratifs : Vavilov au para 13. Pour trancher la question de savoir si une décision est raisonnable, la Cour doit se demander si la décision possède les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision (Vavilov aux para 99 et 101).

V. Analyse

[18] Je dois d’abord préciser que le demandeur a eu trois avocats au cours de la présente affaire, avant sa quatrième avocate (Mme Chandrashekar), qui a pris la responsabilité du dossier à une étape avancée de l’instance et qui a habilement représenté le demandeur à l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire. J’ai souligné dès le début de l’audience que Mme Chandrashekar était dans une situation difficile, compte tenu de la possibilité que des irrégularités aient été commises plus tôt dans la présente affaire, notamment l’omission de modifier le formulaire FDA, qui était au cœur de l’affaire. Comme le défendeur l’a souligné dans ses observations écrites, et comme l’a indiqué la SAR, il n’y a eu de plainte contre aucun des anciens avocats, et si cela avait été le cas, ceux‑ci en auraient été avisés et auraient eu la chance de présenter des observations. L’avocate représentant le demandeur à l’audience devant notre Cour a reconnu qu’aucune plainte contre un avocat n’avait été versée au dossier.

A. Les conclusions de la SAR quant à l’équité procédurale étaient raisonnables

[19] Il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur – qui était, comme je le mentionne plus haut, représenté par un avocat au cours des années sur lesquelles s’est échelonnée l’instance devant le tribunal – a eu amplement la possibilité de modifier son formulaire FDA. Il ne l’a pas fait malgré les occasions qu’il a eues. L’article 9 des Règles de la SPR comprend des instructions claires sur la façon dont les demandeurs peuvent modifier leur formulaire FDA. Le demandeur n’a pas modifié son formulaire FDA avant sa première audience devant la SPR en 2016 ni à l’audience de novo tenue en 2018, bien qu’il ait eu amplement l’occasion de le faire.

[20] On a laissé entendre devant notre Cour que les tribunaux inférieurs auraient dû inviter le demandeur à remplir un tout nouveau formulaire FDA compte tenu de l’ensemble des circonstances. Je ne suis pas de cet avis. L’avocate savait dès le départ que le formulaire FDA était problématique, car l’exposé circonstancié ne mentionnait pas l’incident qui a poussé le demandeur à s’enfuir de son pays (les coups de feu tirés sur sa maison). En outre, l’avocat qui représentait au départ le demandeur aurait dû s’assurer que l’interprète avait lu le formulaire au demandeur, ce qui ne semble jamais avoir été fait (voir les articles 5 et 6 des Règles de la SPR). Le demandeur a eu plus d’une occasion de modifier son formulaire FDA et il a même été invité expressément à le faire. Il ne l’a jamais modifié.

[21] Je ne souscris pas à l’observation du demandeur selon laquelle le commissaire de la SPR présidant l’audience, s’il avait l’intention de tirer une conclusion défavorable en raison de l’omission alléguée du demandeur de modifier son formulaire FDA avant sa deuxième audience devant la SPR, aurait dû l’indiquer clairement au début de cette audience afin de donner au demandeur l’occasion de modifier son exposé circonstancié. Les règles de l’équité procédurale n’exigent pas qu’on porte à l’attention des demandeurs les renseignements qu’ils connaissaient et qu’ils ont, par surcroît, eux‑mêmes fournis (Omirigbe au para 40). Il est clair que le fardeau de rédiger un formulaire FDA exact incombe au demandeur, car il s’agit d’un élément central du processus d’audience en matière de revendication du statut de réfugié au Canada. Les omissions dans un formulaire FDA peuvent être pertinentes pour déterminer la crédibilité d’un demandeur (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 161 au para 30; Hos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 791 aux para 20, 33, 41). En l’espèce, les coups de feu tirés sur la maison du demandeur étaient un élément essentiel de l’affaire; la SAR a jugé que cet élément manquait de crédibilité, tout comme d’autres éléments clés de la demande que j’examine plus bas.

B. Les rapports de police et les photographies montrant des trous de balle dans la maison du demandeur

[22] La SAR a aussi relevé différentes autres incohérences et omissions, qui étaient raisonnables lorsqu’elles sont évaluées en fonction de l’ensemble de la preuve. Par exemple, le demandeur a déposé deux rapports de police concernant l’incident des coups de feu. Selon le rapport de police de 2015, le demandeur a déclaré que des assaillants inconnus avaient tiré des coups de feu en direction de sa maison et l’avaient menacé. Ce rapport a apparemment été enregistré et présenté à un juge d’instruction, qui a ordonné la réalisation d’une enquête sur l’incident et l’arrestation des assaillants. Le demandeur a également déposé une photographie montrant de grands trous de balle dans un immeuble, et la personne qui a pris cette photographie a déclaré (à titre de témoin à l’audience devant la SPR) qu’il s’agissait de trous de balle. Le deuxième rapport de police, qui date de 2016 et qui aurait été déposé par la mère du demandeur, indique que celle‑ci se serait rendue au service de police le 17 janvier 2016, soit une semaine après le départ du demandeur de l’Iraq, pour signaler le même incident.

[23] La SAR a souligné que, compte tenu du fait que le demandeur avait déjà déposé une plainte et qu’une enquête était déjà en cours, d’autant plus que le demandeur avait quitté le pays, « la question de savoir comment cette plainte auprès de la police aurait permis d’assurer sa protection [était] ambiguë ». La SAR a conclu que le rapport de 2016 n’ajoutait pratiquement rien à la plainte formulée en 2015. La SAR a également relevé des incohérences dans les rapports, dont les suivantes :

La SPR a admis que des coups de feu avaient été tirés sur la maison et avaient laissé des trous de balle, mais pas que des coups avaient été tirés en direction de la maison comme il était énoncé dans le rapport de police. […] La SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité de cette incohérence, mais a plutôt simplement reconnu qu’il ne pouvait être vrai que des coups de feu avaient seulement été tirés en direction de la maison et tirés sur la maison en même temps. Elle n’a pas commis d’erreur en faisant cette observation sommaire sans l’avoir exposée [au demandeur] au cours de l’audience. Étant donné que la question de l’incohérence ressortait clairement du dossier et que le tribunal y a attiré précisément l’attention [du demandeur], celui‑ci aurait eu l’occasion d’y répondre s’il avait décidé de le faire.

Ces conclusions étaient raisonnables.

C. Le traitement de la déclaration solennelle par la SAR

[24] Je ne peux pas souscrire à la prétention du demandeur selon laquelle la SPR a fait fi de la déclaration solennelle de l’interprète ou a commis une erreur dans la conclusion qu’elle a tirée en application de la norme de la décision correcte à cet égard. La SAR a souligné que la SPR avait consacré une page de ses motifs à l’examen de la déclaration solennelle. Elle a aussi mentionné, comme l’a fait la SPR, que la déclaration solennelle avait été faite sous serment après que la SPR a rejeté la demande du demandeur pour la première fois. La SAR a affirmé que, malgré le fait que la SPR ait accepté la déclaration du demandeur selon laquelle on ne lui a pas lu le formulaire FDA une fois celui‑ci rempli avec l’aide de l’interprète, le demandeur aurait dû relever cette omission avant l’une de ses deux audiences devant la SPR et déposer une modification au formulaire FDA.

[25] La SAR a souligné que l’exposé circonstancié du formulaire FDA fait environ trois pages à simple interligne, et que ce n’est qu’à la fin de la deuxième page que le demandeur indique qu’il a demandé au père de C la permission d’épouser sa fille. Le formulaire FDA précise ensuite que le demandeur s’est caché dans la maison d’un ami et a formulé une plainte à la police, mais ne comprend pas des détails importants que le demandeur a ajoutés par la suite lorsqu’il a livré son témoignage de vive voix, comme le fait qu’il était surveillé par des agents prétendument engagés par son oncle, que des coups de feu avaient été tirés sur sa maison et qu’il changeait sans cesse de maison lorsqu’il se cachait.

[26] À mon avis, la SAR pouvait conclure de façon tout à fait raisonnable que la SPR avait tenu compte de ces aspects du dossier du demandeur, et de ne pas être convaincue que la déclaration solennelle expliquait les omissions importantes dans son formulaire FDA. J’accepte l’argument du demandeur selon lequel une revendication du statut de réfugié n’est pas censée être un test de mémoire et que la mémoire humaine n’est pas un magnétoscope : Pazmandi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1094 au para 28; Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15200 au para 28). Cependant, ce qui était en jeu dans la présente affaire était l’événement central qui l’a poussé à s’enfuir du pays et le fondement même de son allégation de persécution.

D. La SAR n’a pas fait fi d’autres éléments de preuve

[27] La SAR, au paragraphe 24 de sa décision, a donné un aperçu des lettres des membres de la famille que le demandeur a déposées à sa deuxième audience devant la SPR. Elle a mentionné des lettres rédigées par deux oncles, indiquant toutes deux que le demandeur avait rendu visite au père de C en juin 2015 pour lui demander la permission d’épouser C. Elle a également mentionné une lettre d’une tante, indiquant que le demandeur s’était caché chez elle pendant quelques jours en octobre 2015 en raison d’un conflit avec la famille de C, qui était très influente et liée au gouvernement, et qu’il ne se cachait pas plus que quelques jours au même endroit. Enfin, elle a mentionné une lettre d’un autre oncle, dont le contenu était semblable à celui de la lettre rédigée par la tante.

[28] Manifestement, la SAR, comme la SPR, n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents. En outre, la SAR avait le droit d’accorder peu de poids à ces éléments de preuve compte tenu des contradictions et des incohérences relevées entre la preuve et l’exposé circonstancié. La SAR a reconnu à juste titre que les déclarations de tiers ne peuvent pas être rejetées en raison du simple fait qu’elles ont été rédigées par des membres de la famille qui ne sont pas des parties désintéressées : Tabatadze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 24 aux para 5‑6; Varon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 356 au para 56. Par conséquent, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en rejetant les lettres provenant des membres de la famille du demandeur.

[29] Cependant, la SAR a ensuite effectué sa propre évaluation des lettres et a tiré ses propres conclusions indépendantes sur leurs faiblesses internes, y compris le fait qu’elles n’étayaient pas le rôle central de l’oncle dans les menaces et n’indiquaient pas le nom de son organisation et des renseignements connexes (comme la source de l’information et la date à laquelle ils ont appris que le demandeur était pris pour cible). Compte tenu des différents problèmes relatifs à la preuve, la SAR avait le droit d’accorder une faible valeur probante ou peu de poids aux pièces justificatives faibles provenant de sources non objectives : Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422 au para 49; Sayed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 796 aux para 22, 24 [Sayed]. La SAR a fourni des motifs clairs justifiant sa décision et ses conclusions possédaient manifestement les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Vavilov au para 86; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 60‑61, 67).

VI. Conclusion

[30] Il était en fin de compte raisonnable pour la SAR de ne pas être convaincue de l’explication du demandeur concernant l’omission de l’incident des coups de feu et de ses explications concernant d’autres problèmes relevés ci-dessus, y compris d’autres omissions et incohérences dans les éléments de preuve au cœur de sa demande, comme je l’indique plus haut. Comme je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, je refuse l’invitation à modifier les conclusions de cette décision. Les parties estimaient, à juste titre à mon avis, que la présente affaire ne soulevait aucune question à certifier.




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