Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060324

Dossier : IMM‑1503‑06

Référence : 2006 CF 378

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

TYRONE AUBRIE PERRY

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Le demandeur a présenté une requête d’urgence en vue d’obtenir un sursis d’exécution de la mesure de renvoi qui a été prononcée contre lui et qui doit être exécutée le 24 mars 2006.

 

LES FAITS

 

[2]               Le 13 mars 2006, une mesure d’exclusion était prononcée pour le renvoi du demandeur.

 

[3]               Lors de son arrestation en mars 2006, le demandeur n’avait plus de permis de travail valide ni de visa de visiteur depuis le 2 janvier 1991.

 

[4]               Le 15 mars 2006, il devait se présenter en vue de son renvoi le 24 mars 2006.

 

[5]               Le 17 mars 2006, le demandeur sollicitait un report d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande de droit d’établissement fondée sur des considérations humanitaires qu’il allait déposer depuis le Canada. La demande en question n’avait pas été déposée et devait être fondée sur l’intérêt supérieur des enfants du demandeur.

 

[6]               Le 20 mars 2006, la demande de report était refusée pour diverses raisons, à savoir : le demandeur pouvait trouver aux États‑Unis un emploi qui lui permettrait de subvenir aux besoins de ses enfants au Canada; les enfants du demandeur pouvaient le visiter aux États‑Unis; enfin il n’avait pris aucune mesure pour parfaire son statut au Canada durant la vingtaine d’années qu’avaient duré ses démêlés avec les autorités de l’immigration.

 

[7]               Il n’apparaît nulle part que le demandeur ait présenté une demande de résidence permanente, fondée sur des considérations humanitaires ou autres, depuis plus de vingt ans qu’il vit au Canada. Le demandeur n’a jamais demandé l’asile pendant qu’il se trouvait au Canada.

 

LE POINT LITIGIEUX

[8]               La question principale est de savoir si le demandeur satisfait aux conditions préalables d’un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi.

 

A.        Le critère

 

[9]               Pour prouver qu’il devrait bénéficier d’un sursis d’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur doit établir les trois éléments du critère conjonctif :

a)         il y a une question sérieuse à trancher;

b)         il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé; et

c)         la prépondérance des inconvénients milite en faveur du sursis.

Toth c. Canada (M.E.I.) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.)

 

B.        La question sérieuse à trancher

 

[10]           Dans sa requête, le demandeur n’a pas évoqué de question sérieuse à trancher. Le défendeur reconnaît que, selon la jurisprudence, cet aspect du critère présente un seuil assez faible, qui n’exige pas que les arguments du demandeur soient examinés d’une manière aussi approfondie que ce serait le cas dans une procédure de contrôle judiciaire. Toutefois, le demandeur doit quand même satisfaire au critère minimal en présentant certains des arguments qu’il présenterait dans une demande de contrôle judiciaire, afin que la Cour puisse dire s’il existe une question juridique sérieuse.

 

[11]           Selon la jurisprudence relative aux requêtes en sursis d’exécution, l’existence d’une demande de contrôle judiciaire ou autre procédure ne constitue pas en soi une question sérieuse aux fins de l’octroi d’un sursis (Akyol c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. n° 1182 (QL), au paragraphe 11).

 

[12]           Le dépôt d’une demande devant la Cour ne constitue pas par lui‑même une question sérieuse à trancher. En tant que recours interlocutoire, toute requête en sursis d’exécution doit s’insérer dans le contexte de quelque demande effective de contrôle judiciaire. Si tout ce qui était requis pour constituer une question sérieuse à trancher était le dépôt d’une demande devant la Cour, ce volet du critère serait dépourvu de signification.

 

[13]           L’étendue du pouvoir d’un agent de reporter un renvoi ne constitue pas en soi une question sérieuse à trancher. L’agent préposé aux renvois a un pouvoir très restreint de reporter un renvoi, étant donné la règle légale selon laquelle les mesures de renvoi doivent être exécutées dès que les circonstances le permettent. Il est clair en droit que le renvoi est la règle tandis que le report du renvoi est l’exception (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27, article 48) (Padda c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. n° 1353, aux paragraphes 7 à 9).

 

[14]           Le pouvoir d’un agent préposé aux renvois de reporter un renvoi en application de l’article 48 de la LIPR est extrêmement mince. Il se limite à dire à quel moment la mesure de renvoi sera exécutée. Lorsqu’il décide à quel moment « les circonstances […] permettent » l’exécution d’une mesure de renvoi, l’agent préposé aux renvois peut tenir compte de circonstances impérieuses ou de circonstances personnelles spéciales (Simoes c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 936, au paragraphe 12; Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 45; Kaur c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 1082, aux paragraphes 15 et 18; Mollaw c. Solliciteur général du Canada, (28 septembre 2004) IMM‑8072‑04).

 

[15]           Le demandeur vit au Canada depuis 1992. Une mesure d’exclusion a été prononcée contre lui le 13 mars 2006, et le demandeur a reçu le 15 mars 2006 les directives se rapportant à son renvoi. Le vendredi 17 mars 2006, à 16 h 57, l’avocat du demandeur sollicitait le report d’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de résidence permanente que le demandeur avait l’intention de déposer en alléguant des considérations humanitaires. À ce jour, il n’est pas établi que le demandeur a déposé une demande de cette nature, en dépit du temps considérable dont il a disposé pour le faire. Il se trouve plutôt que le demandeur a l’intention de déposer une telle demande.

 

[16]           La Cour a statué qu’une simple demande en instance fondée sur des considérations humanitaires ne fait pas en soi obstacle à un renvoi. Le défendeur dit que le raisonnement ne devrait pas être différent en ce qui concerne l’intention de déposer une telle demande, et que l’intention ne devrait pas faire obstacle à un renvoi, surtout si le demandeur n’a pas expliqué adéquatement pourquoi il n’a pas déposé une telle demande avant la veille de son renvoi du Canada (Simoes c. Canada (M.C.I.), précitée, au paragraphe 12; Wang c. Canada (M.C.I.), précitée, au paragraphe 45; Kaur c. Canada (M.C.I.), précitée, au paragraphe 18.).

 

[17]           Dans la décision Wang c. Canada, [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.), au paragraphe 31, la Cour a statué qu’un report ne devrait pas être accordé simplement pour retarder l’exécution du renvoi.

 

Comme point de départ pour établir un tel principe, on peut examiner les frontières logiques de la notion de report. Différer veut dire « remettre à plus tard » . Mais on ne diffère pas quelque chose simplement pour en retarder l’exécution. Afin d’être justifié en droit, le report doit être fait parce que, ce faisant, on pourrait trouver un motif légitime de ne pas exécuter la mesure de renvoi.

 

[18]           Le demandeur n’a pas déposé de demande fondée sur des considérations humanitaires, et il n’a pas non plus apporté une preuve convaincante des raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. Le demandeur n’a jamais sollicité l’asile au Canada avant que soit prononcée le 13 mars 2006 la mesure d’exclusion. L’octroi du sursis à ce stade équivaudrait à un report injustifié parce qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune procédure susceptible de conférer au demandeur un droit d’établissement au Canada (Wang c. Canada, précitée, au paragraphe 42).

 

[19]           Le demandeur fait valoir que l’alinéa 3(3)f) de la LIPR a transposé dans le droit canadien la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (la Convention) et que la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui s’accorde avec la Convention.

 

[20]           La Cour d’appel fédérale a jugé que l’alinéa 3(3)f) ne transpose pas dans le droit canadien les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, mais plutôt ordonne que la LIPR soit interprétée et mise en œuvre d’une manière conforme à ces instruments (De Guzman c. Canada (M.C.I.), 2005 CAF 436).

 

[21]           Le demandeur fait aussi valoir que l’agent préposé aux renvois avait l’obligation de considérer l’intérêt supérieur des enfants du demandeur avant de refuser le report du renvoi. Dans la décision Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, la Cour fédérale écrivait que l’agent préposé aux renvois n’a pas le pouvoir, la formation requise ni l’obligation de faire l’examen de considérations humanitaires. Cette tâche est du ressort de l’agent préposé aux considérations humanitaires, et l’agent préposé aux renvois doit uniquement tenir compte de l’intérêt à court terme des enfants, par exemple l’achèvement de l’année scolaire si les enfants accompagneront leur mère ou leur père.

 

Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que le fait de déposer une demande CH ne constitue pas un empêchement automatique à l’exécution d’une ordonnance de renvoi, même si le résultat est la séparation d’un enfant de ses parents. De la même façon, on ne peut pas exiger des agents de renvoi qu’ils se livrent à un examen approfondi des motifs humanitaires que l’on doit examiner dans le cadre d’une évaluation CH. Ceci constituerait non seulement une « demande préalable » CH, comme le dit le juge Nadon dans l’affaire Simoes, mais il y aurait double emploi jusqu’à un certain point avec la vraie évaluation CH. Ce qui est plus important encore, c’est que les agents de renvoi n’ont aucune compétence ou autorité déléguée pour décider d’une demande de résidence permanente présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR. Ils sont employés par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui est sous la responsabilité du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et non par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Ils n’ont pas la formation requise pour faire une évaluation CH. Munar c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1180, paragraphe 36 [non souligné dans l’original].

 

 

[22]           C’est précisément le même raisonnement qui s’applique ici. L’agent préposé aux renvois n’avait pas le pouvoir, inhérent ou délégué, de décider de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur selon l’article 25 de la LIPR. Dans les décisions Morello et Lawes, la Cour a récemment confirmé qu’une demande fondée sur des considérations humanitaires ne fait pas par elle‑même obstacle à un renvoi et que les agents préposés aux renvois n’ont pas le pouvoir, inhérent ou délégué, d’examiner les demandes à caractère humanitaire présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR (Morello c. Canada (M.C.I.), (décision non publiée, 1er novembre 2005, IMM‑6552‑05); Lawes c. Canada (M.C.I), (décision non publiée, 3 février 2006, IMM‑555‑06)).

 

[23]           L’agent préposé aux renvois a estimé que l’intérêt supérieur à court terme des enfants du demandeur ne serait pas desservi par son renvoi du Canada. Les enfants vivaient avec leur mère à Airdrie. L’intérêt à long terme des enfants sera comme il convient évalué dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations humanitaires. Encore une fois, le demandeur n’a pas établi qu’il a déposé une telle demande.

 

[24]           La mesure de renvoi prononcée contre le demandeur est valide, et le défendeur a l’obligation légale de l’exécuter.

 

En l’instance, la mesure dont on demande de différer l’exécution est une mesure que le ministre a l’obligation d’exécuter selon la loi. La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la loi. Cette justification doit se trouver dans la loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l’autoriser à ne pas respecter l’article 48 de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, ainsi que l’obligation de s’y conformer, il y a lieu de faire grand état à l’encontre de l’octroi d’un report de la disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non‑respect d’une obligation imposée par la loi. Pour ce motif, je serais plutôt d’avis qu’en l’absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne ne peut justifier un report, parce qu’il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la loi. Wang c. Canada, précité, au paragraphe 45

 

[25]           L’agent préposé aux renvois n’a pas commis d’erreur de droit quand il a refusé au demandeur la demande de report de renvoi qu’il avait faite en alléguant son intention de déposer une demande fondée sur des considérations humanitaires.

 

[26]           Le demandeur fait aussi valoir que le droit que lui confère l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) a été nié parce qu’il n’a pas eu la possibilité d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. La Cour a jugé que « la portée de l’alinéa 10b) de la Charte ne s’étend pas au‑delà des circonstances de l’arrestation ou de la détention pour inclure les interrogatoires de routine effectués par les agents d’immigration, mais qui ne sont pas des audiences » (Korniakov c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n° 611, au paragraphe 27).

 

C.        Le préjudice irréparable

 

[27]           Le demandeur n’a pas prouvé qu’il subira un préjudice irréparable s’il retourne aux États‑Unis. Aucune des conclusions du demandeur ne laisse présager un préjudice irréparable, tout au plus un dérangement dans sa vie, ce qui est le résultat normal d’une expulsion. Pour ce motif également, la demande de sursis d’exécution devrait être rejetée (Aktora c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. n° 826 (C.F. 1re inst.)).

 

[28]           Dans la décision Akyol, précitée, la Cour a réaffirmé que le préjudice irréparable doit être personnel et non hypothétique et doit dépasser les conséquences normales d’une expulsion. Les arguments du demandeur touchant les conséquences possibles de son renvoi reposent sur des conjectures. Il n’a apporté aucune preuve montrant qu’il est exposé à un risque de persécution aux États‑Unis ou que quiconque aux États‑Unis voudra l’arrêter, le détenir, l’interroger ou le torturer s’il retourne dans ce pays. Le demandeur n’a pas fait état de sources objectives donnant à penser que son retour aux États‑Unis l’exposera personnellement à une menace pour sa vie. De plus, l’existence d’une procédure judiciaire pendante ne constitue pas un préjudice irréparable. Par conséquent, il n’y a pas manquement aux principes de justice naturelle si la mesure de renvoi est exécutée avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire (Akyol c. Canada (M.C.I.), précitée, aux paragraphes 6, 7, 9 et 11).

 

[29]           Le préjudice irréparable doit aussi être beaucoup plus substantiel et plus sérieux que des inconvénients ou difficultés de nature personnelle. Il doit plutôt s’appuyer sur une menace pour la vie ou la sécurité de la personne, ou sur une menace évidente de mauvais traitements dans le pays d’origine. Le préjudice irréparable est le préjudice qui est irrévocable ou permanent. Là encore, il n’y a tout simplement aucune preuve ici d’un tel préjudice (Louis c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. n° 1101; Soriano c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n° 414).

 

[30]           Même quand la séparation entraînée par le renvoi risque de causer à la cellule familiale de considérables difficultés économiques ou psychologiques, le critère demeure la question de savoir si le demandeur lui‑même subira un préjudice irréparable (Mariona c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n° 1521 (1re inst.); Carter c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. n° 1011 (1re inst.); Balvinder c. Canada (M.C.I.), décision non publiée, 15 décembre 2005, IMM‑7360‑05).

 

[31]           La Cour a jugé que la rupture ou le déménagement de la famille d’un demandeur ne permet pas de conclure que le demandeur subira un préjudice irréparable en cas de renvoi (Mallia c. Canada (M.C.I), [2000] A.C.F. n° 369 (C.F. 1re inst.); Mikhailov c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n° 642 (C.F. 1re inst.); Aquila c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n° 36 (C.F. 1re inst.)).

 

[32]           Dans l’arrêt Tesoro, la Cour d’appel fédérale examinait récemment d’une manière assez détaillée la question du préjudice irréparable. Elle a jugé que la dispersion familiale ne permet pas nécessairement de conclure à un préjudice irréparable. Au contraire, la dispersion familiale n’est que l’une des conséquences de l’expulsion (Tesoro c. Canada (M.C.I), 2005 CAF 148, aux paragraphes 34 à 42).

 

[33]           Le défendeur dit respectueusement que les circonstances de la présente affaire ne sont pas inusitées. L’expulsion peut déplaire au demandeur et lui causer des inconvénients, mais il n’a pas apporté la preuve d’un préjudice irréparable eu égard aux circonstances de la présente affaire.

 

D.        La prépondérance des inconvénients

 

[34]           S’agissant de la prépondérance des inconvénients, la Cour doit considérer l’intérêt public dans l’application des lois qui ont été promulguées pour le bien commun par des assemblées démocratiquement élues. Si une loi investit une instance publique du pouvoir de prendre telle ou telle mesure, la Cour doit dans la plupart des cas présumer que l’entrave à l’exécution de cette mesure causera un préjudice irréparable à l’intérêt public (RJR – MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110).

 

[35]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés oblige le solliciteur général du Canada à exécuter une mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. La prépondérance des inconvénients favorise ici le ministre. Le demandeur est en état d’être renvoyé, et le ministre a l’obligation légale de veiller à ce que le renvoi ait lieu dès que les circonstances le permettent (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 48).

 

[36]           Si celui qui demande un sursis d’exécution n’établit pas qu’il subira un préjudice irréparable en cas de refus du sursis qu’il demande, la prépondérance des inconvénients militera en faveur de la décision de ne pas surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, parce qu’un tel sursis sera présumé causer un préjudice irréparable à l’intérêt public (Hill c. Ministre des Pêches et des Océans (17 mars 2000), T‑284‑00 (C.F. 1re inst.); Dugonitsch c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. n° 320 (C.F. 1re inst.)).

 

[37]           Dans la décision Dugonitsch c. Canada (M.E.I.), le juge MacKay écrivait ce qui suit :

En l’absence d’un préjudice irréparable, il est, à strictement parler, inutile d’examiner la question de la prépondérance des inconvénients. Il est néanmoins utile de rappeler que, dans la discussion du critère de l’octroi d’une suspension d’instance ou d’une injonction interlocutoire dans l’affaire Metropolitan Stores, le juge Beetz a insisté sur l’importance d’attribuer un poids approprié à l’intérêt public dans un cas où une suspension d’instance est demandée à l’encontre d’un organisme agissant en vertu de lois et de règlements publics dont on n’a pas encore déterminé qu’ils sont inopérants ou inapplicables à l’espèce. Cet intérêt public appuie le maintien des programmes prévus par la loi et des efforts de ceux qui sont chargés de les appliquer. C’est seulement dans des cas exceptionnels que l’intérêt du particulier, qui, selon la preuve, pourrait subir un préjudice irréparable, l’emportera sur l’intérêt public. L’espèce n’est pas un tel cas exceptionnel. (Dugonitsch c. Canada (M.E.I.), précitée)

 

[38]           Le simple fait que l’auteur de la demande de sursis n’a pas de casier judiciaire, qu’il ne constitue pas une menace pour la sécurité et qu’il est financièrement établi et socialement intégré au Canada ne signifie pas que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi du sursis. Rejetant une requête en sursis d’exécution, la Cour d’appel fédérale écrivait ce qui suit :

[21] L’avocate des appelants dit que, puisque les appelants n’ont aucun casier judiciaire, qu’ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu’ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l’équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu’à l’issue de leur appel.

 

[22] Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu’ils sont arrivés ici. À mon avis, l’équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de l’obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s’agit pas simplement d’une question de commodité administrative, il s’agit plutôt de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

 

Selliah c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CAF 261.

 

[39]           En l’absence de circonstances spéciales, l’intérêt public devrait, dans la présente affaire, l’emporter sur l’intérêt personnel du demandeur. Ainsi que le faisait observer la Cour dans l’affaire Membreno‑Garcia c. Canada (M.E.I) :

 

Il y va de l’intérêt public d’avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus.

 

Membreno‑Garcia c. Canada (M.E.I), [1992] A.C.F. n° 535 (C.F. 1re inst.)

 

[40]           Selon le défendeur, l’intérêt public est une importante préoccupation du législateur, et la présente affaire ne laisse pas voir de circonstances spéciales susceptibles de l’emporter sur cette préoccupation. Par conséquent, la prépondérance des inconvénients favorise ici le ministre. Le demandeur est en état d’être renvoyé, et le ministre a l’obligation légale de veiller à ce que le renvoi ait lieu dès que les circonstances le permettent (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 48).

 

DISPOSITIF

[41]           La requête en sursis d’exécution sera rejetée.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE : la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1503‑06

 

 

INTITULÉ :                                       TYRONE AUBRIE PERRY

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 MARS 2006, PAR TÉLÉCONFÉRENCE

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE SHORE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jolene M. Fairbrother

Michael Greene

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SHERRITT GREENE

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑ministre de la Justice et

Sous‑procureur général

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.