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Date : 20041029

 

Dossier : T‑537‑04

 

Référence : 2004 CF 1496

 

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2004

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

ENTRE :

 

 

                                                         REGINALD W. DAVEY

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

                                                                                                                                      défenderesses

 

 

                               MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 12 février 2004 dans laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la demande fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) qu’avait présentée le demandeur pour que soit examinée sa plainte. La Commission a rejeté la demande du demandeur au motif que celle‑ci était prescrite.

 

[2]               À titre préliminaire, les défenderesses ont attiré l’attention de la Cour sur le fait que le demandeur avait soumis des éléments de preuve dont n’était pas saisie la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision, et elles ont soutenu que la Cour ne devrait donc tenir aucun compte de ces éléments de preuve ou radier ceux‑ci. Ces éléments de preuve se trouvent aux paragraphes 2 à 5 et aux pièces A, B et C de l’affidavit du demandeur.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[3]               La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’examiner la demande du demandeur au motif que celle‑ci était prescrite en application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi?

 

CONTEXTE

 

[4]               Le demandeur, M. Reginald W. Davey (M. Davey ou le demandeur) travaillait comme vérificateur pour l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) à Calgary depuis mai 1997. Au mois d’août 2001, il s’est présenté à un concours en vue d’obtenir une promotion. Après avoir réussi l’examen écrit, il a assisté à une entrevue. Le 19 octobre 2001, il a reçu une lettre dans laquelle le président du comité de sélection l’informait qu’il n’avait pas satisfait aux exigences minimales du concours.

 

[5]               M. Davey a immédiatement engagé une procédure de redressement interne afin de déterminer pourquoi il n’avait pas réussi à obtenir la promotion. Ce n’est toutefois qu’à la fin du mois d’octobre 2003 que M. Davey a de fait contesté les résultats du concours pour cause de discrimination, soit lorsqu’il a pour la première fois déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant avoir été victime de discrimination du fait de son âge (fin de la cinquantaine), de sa race (caucasienne), de sa couleur (blanche) ou de son sexe (homme).

 

DÉCISION À L’ÉTUDE

 

[6]               Après une enquête initiale, la Commission a informé M. Davey qu’elle ne traiterait pas de sa plainte parce que, suivant l’alinéa 41(1)e) de la Loi, celle‑ci « a[vait] été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle [était] fondée [...] ».

 

OBSERVATIONS

Demandeur

 


[7]               Le demandeur soutient que la Commission n’aurait pas dû adopter une position aussi rigide relativement à sa plainte lorsqu’elle a jugé que celle‑ci était prescrite. Il affirme que la seule raison pour laquelle il a attendu aussi longtemps avant de déposer sa plainte auprès de la Commission est qu’il a eu recours aux mécanismes internes de règlement des différends et que ce n’est que lorsqu’il s’est rendu compte, dans un premier temps, que l’ADRC avait appliqué la procédure de recrutement de manière discriminatoire et, dans un deuxième temps, que les mécanismes de règlement des différends de l’ADRC ne lui permettrait pas d’obtenir une réparation adéquate, qu’il a déposé sa plainte auprès de la Commission. Dans sa plaidoirie orale, le demandeur admet qu’il espérait que les mécanismes de règlement des différends lui donneraient satisfaction, et que ce n’est qu’après avoir reçu le résultat défavorable de l’ADRC qu’il a décidé de déposer une plainte auprès de la Commission. Il admet également qu’il était au courant des faits sur lesquels reposait sa plainte depuis octobre 2001, bien qu’il ait reçu des renseignements additionnels en septembre 2002.

 

[8]               Dans sa documentation, le demandeur fournit une chronologie détaillée de faits à partir du moment où il a pour la première fois demandé de plus amples renseignements relativement aux résultats du concours jusqu’au moment où il s’est rendu compte qu’il était peu probable que l’ADRC lui donne satisfaction.

 

[9]               Le demandeur soutient qu’à la lumière de la preuve qui indique qu’il a fait des efforts de bonne foi pour suivre les procédures internes de règlement des différends de l’ADRC et que l’ADRC n’a pas fait d’efforts semblables, il ne devrait pas être pénalisé pour avoir attendu aussi longtemps avant de déposer sa plainte.

 


Défenderesses

 

[10]           Comme nous l’avons mentionné précédemment, les défenderesses soulèvent tout d’abord un argument préliminaire: que l’affidavit de M. Davey contiennent des renseignements dont n’était pas saisie la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision, et que la Cour ne peut donc pas tenir compte de ceux‑ci. Deuxièmement, les défenderesses soutiennent que, suivant la décision rendue par la juge Heneghan de cette Cour dans Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. no 1202, les décisions de la Commission fondées sur l’alinéa 41(1)e) doivent être contrôlées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[11]           Après avoir passé brièvement en revue le rôle de la Commission, les défenderesses prétendent que la décision de la Commission était raisonnable et sensée sur le vu de la preuve. Les défenderesses concèdent que la Commission a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai fixé pour le dépôt de la plainte et que la Commission n’a pas réellement expliqué pourquoi elle estimait qu’il n’y avait pas lieu de proroger ce délai en l’espèce; toutefois, la Commission, dans son rapport d’enquête, a analysé en profondeur les faits de l’espèce à la lumière des facteurs qu’elle devait prendre en considération pour décider s’il y avait lieu de proroger le délai fixé.

 


NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           Le paragraphe 41(1) accorde à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle est appelée à déterminer si elle devrait accepter une demande aux fins d’enquête. C’est donc à bon droit que les défenderesses prétendent qu’une telle décision ne devrait être contrôlée que selon une norme commandant une très grande retenue (c.‑à‑d., la décision manifestement déraisonnable). (Voir Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. no 1202, aux paragraphes 36 à 42.)

 

ANALYSE

 

[13]           Étant donné la nature de la présente affaire et l’argument préliminaire soulevé par les défenderesses, la Cour, tenant compte de la conclusion tirée par la Commission, n’ignorera pas et ne radiera pas les éléments de preuve en question. La Cour considère les éléments de preuve soumis comme des faits qui illustrent la situation. Le fait que le demandeur ait passé la majeure partie de l’année qui s’est écoulée entre septembre 2001 et septembre 2002 à tenter de régler son problème au moyen des mécanismes de règlement des différends confirme qu’il était au courant des renseignements qui pouvaient justifier le dépôt d’une plainte devant la Commission au plus tard en septembre 2002. Vu que le demandeur n’est pas représenté par avocat, la documentation déposée par le demandeur montre comment celui‑ci envisageait la situation.

 

[14]           Comme l’indique son article 2, la Loi a pour objet d’empêcher dans certaines circonstances la discrimination fondée sur certains motifs :

 


La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

 

The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

 

 

 


 

[15]           L’article 41 prévoit toutefois des limites au type de plaintes qu’on peut soumettre à la Commission. Cette disposition est rédigée en partie comme suit :

 


41. (1) [...] la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

 

41. (1) [...] the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that:

a)    la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

(a)   the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;


b)    la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

(b)   the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;        c)             la plainte n’est pas de sa compétence;

 

(c)   the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d)    la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

(d)   the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e)     la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

(e)   the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.


 

[16]           Un examen de la preuve montre clairement qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de refuser d’entendre la plainte au motif que celle‑ci avait été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après les faits sur lesquels elle était fondée. Le rapport d’enquête aborde la question des retards qu’aurait subis M. Davey dans la poursuite de sa demande auprès de l’ADRC; toutefois, les faits dont il se plaint se sont produits entre le mois d’août et le 19 octobre 2001, et bien qu’il ait poursuivi de manière diligente les autres modes de règlement des différends prévus par sa convention collective et qu’on ne puisse lui reprocher de l’avoir fait, M. Davey n’a pas communiqué avec la Commission ou par ailleurs évoqué le spectre de la discrimination avant octobre 2003, soit bien après l’expiration du délai dans lequel il aurait dû le faire.

 


[17]           M. Davey a admis que la plainte n’avait pas été déposée auprès de la Commission dans le délai d’un (1) an prescrit parce qu’il espérait que les mécanismes internes de règlement des différends lui donneraient satisfaction. Il a également admis qu’il disposait de tous les renseignements nécessaires pour établir les actes (de septembre et d’octobre 2001) sur lesquels reposait sa plainte en septembre 2002, soit lorsqu’un gestionnaire de la dotation en personnel l’avait informé du contenu des références fournies par certains superviseurs, lesquelles avaient pu nuire à l’obtention de sa promotion. Ce n’est qu’au mois d’août 2003 que le demandeur s’est adressé à la Commission et ce n’est qu’en octobre 2003 qu’il a déposé officiellement sa plainte. La plainte a donc été déposée deux (2) ans après les faits sur lesquels elle était fondée.

 

CONCLUSION

 

[18]           Rien ne semble permettre de modifier la décision de la Commission de refuser de pousser plus loin l’examen de la plainte du demandeur. Cette décision n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[19]           Il n’y a pas lieu en l’espèce d’accorder les dépens aux défenderesses. Le demandeur, qui n’est pas représenté par avocat, a une compréhension de la situation qui dénote une compréhension insuffisante du droit. Par conséquent, aucun dépens ne seront accordés.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

 


                                                               ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

 

                                                                                                                                   « Simon Noël »               

                                                                                                                                                     Juge                      

 


                                                            COUR FÉDÉRALE

 

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑537‑04

 

INTITULÉ :                                                  REGINALD W. DAVEY

c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 14 OCTOBRE 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 29 OCTOBRE 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

Reginald W. Davey                                        POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Kerry Boyd                                                     POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Calgary (Alberta)                                            POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Morris Rosenberg                                            POUR LES DÉFENDERESSES

Sous‑procureur général du Canada

Bureau régional d’Edmonton

Edmonton (Alberta)


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