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                                                                                                                         IMM-1809-96

 

 

ENTRE:

 

 

                                                   MOUSSA BOUROUISA

 

 

                                                                                                                              Requérant

 

                                                                       et

 

 

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

                                                                                                                                     Intimé

 

 

 

 

                                            MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

 

NADON J.:

 

 

 

            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le “tribunal”), datée le 2 mai 1996, selon laquelle le requérant n’est pas un réfugié au sens de la convention.

 

            Le requérant, né le 23 février 1958 est un citoyen de l’Algérie.  Il attaque la décision du tribunal principalement au motif que ce dernier a enfreint les principes de justice naturelle lorsqu’il a refusé d’acquiescer à sa demande de pouvoir témoigner à l’aide d’un interprète. 

 

            Les faits pertinents concernant l’argument du requérant sont les suivants:

 

1.         Aucun interprète n’a signé la “déclaration de l’interprète” du formulaire de renseignements personnels (“F.R.P.”) signé par le requérant.  Autrement dit, le requérant a pu lire et comprendre les questions apparaissant au F.R.P. sans l’aide d’un interprète.  Le requérant a complété la version française du formulaire.  De plus, le requérant a répondu en français à la question apparaissant à la case 37 du F.R.P., laquelle se lit comme suit:

 

37.    Vous prétendez être un réfugié au sens de la Convention parce que vous craignez avec raison d’être persécuté(e) dans votre pays de nationalité ou, si vous n’avez pas de pays de nationalité, dans le pays de votre résidence habituelle antérieure.  La crainte fondée de persécution que vous prétendez avoir doit reposer sur au moins un des cinq motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention figurant au paragraphe 2 (1) de la Loi sur l’immigration, à savoir la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques.  Pour étayer votre revendication, veuillez fournir les renseignements suivants:

 

A.Relatez dans l’ordre chronologique tous les incidents importants qui vous ont amené(e) à chercher protection à l’extérieur de votre pays de nationalité ou de résidence habituelle antérieure.  Veuillez aussi faire mention des mesures prises contre vous, des membres de votre famille ou d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue.

 

B.Quelle protection, le cas échéant, avez-vous cherché à obtenir auprès des autorités de votre pays?  Si vous ne l’avez pas fait, dites pourquoi?

 

 

            La réponse du requérant est dactylographiée et couvre deux pages.

 

 

2.         À la case 40 du F.R.P., le requérant a indiqué qu’il n’avait pas besoin d’un interprète relativement à ses “démarches” auprès de la Section du statut de réfugié.  À la case 41 du même formulaire, le requérant a demandé à ce que son audition se tienne dans la langue française.

 

 

3.         Dès le début de l’audition, le membre audiencier a demandé au requérant s’il comprenait bien ce qui se disait.  Le requérant a répondu qu’il comprenait.  Aux pages 373 et 374 du dossier du tribunal, l’on retrouve les questions et réponses suivantes:

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (à l’appelant)

 

Q.Est-ce que vous comprenez bien tout ce qui se dit?

 

R.Oui, ça va.

 

Q.Pas de problème?

 

R.Oui.

 

Q.Okay.  Si vous n’avez pas, si vous avez ...

 

R.... Si y’a quelque chose ...

 

-Pardon.

 

R.Okay.

 

-Si jamais vous avez des, des questions ou des problèmes, alors il faut nous aviser.  Nous chercherons à ce moment-là un interprète.

 

-Okay.

 

 

4.         Lors de l’interrogatoire en chef du requérant, son procureur, à la page 21 de la transcription du 28 juillet 1995 (dossier du tribunal, page 393), lui a demandé quel était “l’élément qui vous a fait décider ...” de quitter l’Algérie.  Le requérant a répondu qu’il avait reçu des menaces par écrit, soit par le biais de trois lettres.  Son procureur lui a alors demandé de relater le contenu des dites lettres.  À la page 28 de la transcription (dossier du tribunal, page 400), l’agent d’audience, constatant la difficulté rencontrée par le requérant à expliquer les menaces contenues dans les trois lettres, lui demande d’expliquer, en termes simples, “L’objectif de la lettre c’est quoi?”.  À la page suivante, le procureur du requérant, suite à l’inabilité de son client de relater d’une façon claire le contenu des lettres, déclare au tribunal qu’il serait peut-être préférable d’avoir un interprète.  Le requérant déclare alors à son procureur, (voir page 29 de la transcription -- dossier du tribunal, page 401), ce qui suit:

 

-Non, non c’est que je trouve même pas parfois le mot, parce que je sais pas, je n’ai jamais été, c’est-à-dire à une audience comme ça parce que c’est, parfois le mot, un simple mot je ne sais pas, parce que si j’étais menacé et tout ça, mais comme ça, ça déjà je me sens pas bien, c’est vraiment que ...

 

...

 

-C’est-à-dire que lorsque je me souviens de ces menaces-là, c’est-à-dire je ne sais pas quoi dire, d’égorger des gens comme ça et tout ça, c’est, ça m’a, j’ai plus le, je me souviens même pas des dates.  D’ailleurs, la première fois où vous dites quatre, je vous ai dit 1984.  1984, c’était en 1994.  Je suis, j’ai plus de, de, je ne suis pas à l’aise même comme ça.

 

 

            Suite à ces propos du requérant, son procureur demande au tribunal un ajournement de cinq minutes, lequel est accordé.  Au retour, le procureur du requérant demande formellement à ce qu’un interprète soit fourni.  Après discussion entre le procureur du requérant et le membre audiencier, le tribunal refuse la demande formulée par le procureur.  Aux pages 40, 41 et 42 de la transcription (dossier du tribunal, pages 412, 413 et 414), on retrouve les questions et réponses suivantes:

 

PAR L’AGENT D’AUDIENCE (au conseiller)

 

-Parce que dans, dans celle-ci, moi je, je ne sais pas là, la demande me paraît un peu abusive-là, c’est un moyen de gagner du temps.

 

-Non, on abuserait pas parce qu’on veut gagner du temps.

 

-Mais parce que ...

 

-Vous savez comment qu’il, il voulait absolument procéder ce matin pour pas que ce soit remis dans vitam eternam (phonétique), c’est vraiment pas pour gagner du temps.

 

-C’est parce que vous l’avez préparé votre client.  Avant de venir ici, vous l’avez indiqué dans la réunion préparatoire qu’on a eue ce matin.

 

-Oui, je l’ai préparé.

 

-Et j’imagine que vu que c’est le point, euh, les, le point essentiel de sa crainte, c’est les lettres, j’imagine qu’on a touché à ces points-là, euh, lors de cette préparation.

 

-Oui.

 

-Et, y’a pas eu de demande d’interprète seulement qui est sorti, c’est ça que j’ai de la difficulté.

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER 2 (à l’agent d’audience)

 

-Effectivement, c’est vrai.

 

PAR L’AGENT D’AUDIENCE (au conseiller)

 

-La loi, la loi nous oblige de procéder avec célérité.

 

-On verra.  Prenez votre décision puis je verrai après ce que je ferais avec cette décision-là.

 

-Écoutez ...

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER 2 (au conseiller)

 

-Avec des recours.

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (au conseiller)

 

-On doit procéder, on doit procéder.

 

-Bon, on va procéder.

 

-Je regrette infini, c’est pas, on doit procéder parce que y’a eu tout, toute, on a offert toutes les possibilités et même on peut lui offrir d’écrire en arabe ce que la lettre disait, tiens.

 

-Bon, mais si, okay, s’il l’écrit, qui va nous la traduire.

 

-Bien, on demandera surement à un traducteur de nous traduire ce que c’est écrit dans cette lettre-là, ce qui était écrit dans cette lettre-là.  Il va nous dire ce qu’il y avait, ce qu’il y a eu comme, on va continuer à poser des questions, et puis, s’il veut écrire ce qui était dans la lettre-là, il va l’écrire en arabe, et puis on demandera une traduction.  On vous offre ça.

 

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

 

Q.En arabe ...

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER 2 (au conseiller)

 

-Oui, oui.

 

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

 

Q.... est-ce que vous pourriez l’écrire sur une ...?

 

R.Oui, j’écrirai.

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (à l’appelant)

 

-Donc, vous allez nous dire ça.  Maintenant, on va vous poser des questions là-dessus

 

 

5.         Tel qu’il appert de la transcription, le tribunal a demandé au requérant d’écrire, en langue arabe, le contenu des trois lettres de menaces qu’il avait reçues.  Après que le requérant ait écrit ses trois lettres en arabe, le tribunal lui a demandé de relater en français le contenu des dites lettres.  Subséquemment, le tribunal a demandé à un interprète de traduire de l’arabe au français les lettres écrites en arabe par le requérant.  Le tribunal a dès lors constaté que l’explication fournie par le requérant en français des lettres qu’il avait écrites en arabe était presqu’identique à l’explication fournie par l’interprète mandaté par le tribunal. 

 

 

6.         Suite à son témoignage concernant le contenu des trois lettres, le requérant a continué de témoigner en français relativement aux autres questions que lui ont posées les membres du tribunal.

 

            Il est indéniable, à mon avis, que le requérant comprenait le français d’un façon suffisante pour pouvoir répondre, en français, aux questions posées par son procureur et par les membres du tribunal.  Il est vrai que lorsque les membres du tribunal lui ont posé des questions concernant les trois lettres de menaces, le requérant a eu beaucoup de difficultés à relater le contenu de ces lettres.  À la lecture de la transcription, il ne peut y avoir de doute que les difficultés du requérant à relater le contenu des trois lettres de menaces ne peuvent être attribuées au fait qu’il témoignait en français.  Par conséquent, l’argument du requérant sur ce point doit être rejeté.

 

            Les autres arguments du requérant apparaissent aux paragraphes 35, 36 et 37 de son mémoire.  Ces paragraphes se lisent comme suit:

 

35.Even if the Court were of the opinion that no breach of justice occurred and that the hearing was conducted in accordance with all principles of natural justice, it is submitted that the Board, in making its decision, did not have regard to the totality of the evidence properly before it, and many of the inferences drawn by the Board were unsupported by the record;

 

36.The Board erred in concluding, from the fact that the applicant returned to reside at his parents’ home, prior to his departure, despite having received threatening letters there, that such action contradicted his alleged fear of prosecution;

 

37.The departure from one’s homeland, by force, is not always an easy decision to make, and naturally, one’s emotions often take a much more important role in the decision-making process than does one’s logic;

 

 

            À mon avis, ces arguments doivent aussi être rejetés.

 

            Le tribunal a conclu que l’histoire relatée par le requérant pour justifier sa crainte de persécution n’était pas crédible.  Je suis d’avis que, compte tenu de la preuve, la conclusion du tribunal n’est pas déraisonnable.  Je ne peux concevoir comment, à la lumière de cette preuve, le tribunal aurait pu conclure autrement.

 

            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                   

                                                                                                                                         Juge         


 

 

 

                                                                                                                         IMM-1809-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO) LE VENDREDI 23 MAI 1997

 

EN PRÉSENCE DE: MONSIEUR LE JUGE NADON

 

 

ENTRE:

 

 

                                                   MOUSSA BOUROUISA

 

 

                                                                                                                              Requérant

 

                                                                       et

 

 

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                     Intimé

 

 

                                                     O R D O N N A N C E

 

 

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

                                                                                                                 “MARC NADON”              

                                                                                                                                         Juge                  

 

 

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