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Date : 20050926

Dossier : T-1168-01

Référence : 2005 CF 1310

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL

LIMITED et HOFFMANN-LaROCHE LIMITÉE

défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.         Introduction

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté par Syntex Pharmaceuticals International Limited (SPIL) et Hoffmann-LaRoche Limited (Roche) - défenderesses dans l'action principale - à l'encontre d'une ordonnance en date du 19 août 2005 par laquelle la protonotaire Aronovitch a refusé de radier la déclaration modifiée d'Apotex datée du 23 mai 2003 (la demande modifiée), en ce qui concerne SPIL, en tout ou en partie.

[2]                Dans le présent appel, les défenderesses prient la Cour de leur accorder ce qui suit :

1)    Une ordonnance autorisant le présent appel et annulant l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch prononcée le 19 août 2005.

2)    Une ordonnance radiant la déclaration modifiée du 23 mai 2003, dans sa totalité en ce qui concerne SPIL, sans autorisation de la modifier, ou, subsidiairement, si Apotex Inc. demande l'autorisation de modifier sa déclaration de manière à, une fois de plus, constituer SPIL comme partie défenderesse, une ordonnance enjoignant à Apotex de convaincre la Cour, avec preuve à l'appui, que, depuis la date de la présente requête, elle a obtenu des renseignements offrant un fondement raisonnable à ses allégations de fait concernant SPIL.

3)    Une ordonnance radiant toutes les mentions d'une partie défenderesse autre que Roche dans la déclaration modifiée, sans autorisation de la modifier, ou, subsidiairement, si Apotex demande l'autorisation de modifier sa déclaration de manière à ajouter une autre partie défenderesse, une ordonnance enjoignant à Apotex de convaincre la Cour, avec preuve à l'appui, que, depuis la date de la présente requête, elle a obtenu des renseignements offrant un fondement raisonnable à ses allégations de fait concernant cette autre partie défenderesse.

4)    Une ordonnance enjoignant à Apotex de produire une nouvelle déclaration modifiée en conformité avec le paragraphe 2 dans les dix jours de l'ordonnance de la Cour.

5)    Subsidiairement, si la réparation demandée aux paragraphes 1, 2 ou 3 est refusée, une ordonnance radiant le paragraphe 7 de la déclaration modifiée.

6)    Le cas advenant que la Cour ne rende pas une décision avant les dates convenues par les parties pour l'interrogatoire préalable, soit les 5 et 7 octobre 2005, une ordonnance suspendant toute ordonnance ou obligation par ailleurs exigeant l'interrogatoire préalable de SPIL et de Roche concernant les paragraphes 6, 7 et 36, et tout paragraphe connexe de la déclaration modifiée, dans l'attente de la décision relative à la présente requête et, en cas d'insuccès, pendant l'appel.

7)    Les dépens afférents à la présente requête et à la requête devant la protonotaire Aronovitch.

8)    Toute autre mesure de réparation qu'il peut sembler juste à la Cour d'accorder.

2.         Contexte factuel

[3]                Le 20 mars 1996, les défenderesses ont obtenu une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement au brevet canadien no 1,204,671 (le brevet 671). L'ordonnance a été maintenue en appel : Hoffmann-La Roche Ltée. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1996] A.C.F. no 1334 (QL), (1996), 70 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

[4]                Apotex a par la suite intenté une action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la fabrication et la vente de ses comprimés de naproxène à libération prolongée ne contrefaisaient pas le brevet 671 et que le brevet 671 n'était pas valide. Le 19 avril 1999, la juge Reed a tranché en faveur d'Apotex à l'égard des deux questions : Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International Limited, (1999), 1 F.T.R. 161, [1999] A.C.F. no 548 (QL), (1999), 1 C.P.R. (4th) 22. Dans une requête subséquente d'Apotex, la juge Reed a également annulé l'ordonnance d'interdiction : Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1999) 167 F.T.R. 111, [1999] A.C.F. no 662 (QL).

[5]                Le 4 mai 1999, Apotex s'est vu délivrer un avis de conformité à l'égard de sa version générique de naproxène.

[6]                Au moyen d'une déclaration datée du 6 juillet 2001, Apotex a intenté contre les défenderesses une action en recouvrement de dommages-intérêts et de profits au motif que sa version générique de naproxène avait été tenue à l'écart du marché en raison de la demande d'interdiction présentée par les défenderesses. La réclamation d'Apotex est établie sous le régime de l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), SOR/98-166 (le Règlement).

[7]                Le 1er août 2001, les défenderesses ont présenté une requête en radiation à l'égard de l'action d'Apotex parce qu'elle ne révélait aucune cause d'action valable. La requête a été accueillie par un protonotaire mais l'ordonnance a été annulée par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada : Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International Limited, [2001] A.C.F. no 1880 (QL), (2001), 1 C.P.R. (4th) 473. La décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale : 2002 CAF 222, [2002] A.C.F. no 800 (QL).

[8]                Le 29 avril 2002, les défenderesses ont présenté une requête visant à faire radier une partie de la réplique d'Apotex à leur défense. Cette question a été réglée par consentement des parties de manière qu'Apotex soit autorisée à modifier sa déclaration.

[9]                Apotex a produit sa déclaration modifiée le 23 mai 2003.

[10]            Les défenderesses ont ensuite présenté une requête en vue d'obtenir un jugement sommaire et une décision préliminaire sur diverses questions de droit. Le 11 mars 2004, le juge Hugessen a rejeté la requête des défenderesses : Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International Limited, 2004 CF 383, [2004] A.C.F. no 496 (QL).

[11]            À la suite de l'interrogatoire préalable de Bernard Sherman, président-directeur général d'Apotex, le 8 juillet 2005, les défenderesses ont déposé une nouvelle requête en radiation en application de l'article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283, art. 2. Les défenderesses sollicitaient notamment :

1)    une ordonnance radiant la déclaration modifiée dans sa totalité en ce qui concerne SPIL;

2)    une ordonnance supprimant toutes les mentions d'une partie défenderesse autre que Roche;

3)    subsidiairement, une ordonnance supprimant le paragraphe 7 de la déclaration modifiée.

Dans une ordonnance datée du 19 août 2005, la protonotaire Aronovitch a rejeté la requête. Cette ordonnance fait l'objet du présent appel.

[12]            Dans leur requête en radiation présentée à la protonotaire, les défenderesses s'étaient appuyées sur :

1)    l'interrogatoire préalable de Bernard Sherman, dirigeant d'Apotex;

2)    l'affidavit souscrit par H. B. Radomski, avocat d'Apotex;

3)    le contre-interrogatoire de H.B. Radomski.

[13]            Les défenderesses ont soutenu que la preuve des représentants d'Apotex établit clairement qu'Apotex ne dispose d'aucun élément de preuve pour faire valoir les faits allégués dans sa déclaration modifiée à l'égard de la relation entre Roche et SPIL. Elles ont de plus soutenu que les représentants d'Apotex reconnaissent qu'Apotex veut se servir de l'interrogatoire préalable pour cibler les défendeurs. Pour ces motifs, les défenderesses ont présenté une requête en radiation de la déclaration modifiée d'Apotex en ce qui concerne SPIL.

3.         La décision contestée

[14]            Dans sa décision, la protonotaire a jugé que les déclarations des représentants d'Apotex qui ont été invoquées par les défenderesses ne constituent pas [traduction] « un aveu ou ce qui pourrait équivaloir à un aveu » qu'Apotex n'a aucun fondement pour les allégations contenues dans sa déclaration modifiée ou qu'elle cherche à se servir de l'interrogatoire préalable pour essentiellement trouver une partie défenderesse. La protonotaire a de plus estimé qu'Apotex n'a pas abandonné l'allégation selon laquelle SPIL dirigeait les activités de Roche. Elle a conclu qu'il ne s'agissait pas d'un cas où la partie demanderesse a fait des allégations sans aucun fondement factuel dans le simple espoir « qu'elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions » .

[15]            La protonotaire a estimé qu'Apotex avait des motifs raisonnables de croire que Roche était assujettie au contrôle de SPIL parce que :

a)    SPIL est propriétaire du brevet 671.

b)    SPIL était partie à l'instance qui a mené à l'interdiction.

c)    SPIL est une société liée à Roche.

[16]            La protonotaire a conclu que les défenderesses ne s'étaient pas acquittées du fardeau de prouver que les allégations d'Apotex ne révélaient aucune cause d'action valable, qu'elles n'étaient pas pertinentes, qu'elles étaient frivoles et vexatoires et qu'elles constituaient un abus de procédure. Elle a par conséquent rejeté la requête en radiation des défenderesses.

4.          Norme de contrôle applicable

[17]            L'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire à l'encontre de laquelle un appel est interjeté ne doit pas être modifiée à moins :

a)       qu'elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal;

b)       qu'elle ne soit entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

En pareilles circonstances, le juge chargé de la révision doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début : Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F. 425, A.C.F. no 103 (QL), dont le principe a été reformulé dans Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, (2003) 30 C.P.R. (4th) 40, au paragraphe 19.

[18]            Puisque la requête a pour objet en fait de demander la radiation d'une codéfenderesse à l'action, il s'agit manifestement d'une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. J'exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

5.         Les questions soulevées en appel

[19]            Dans le présent appel, les défenderesses soulèvent les questions suivantes :

1)    La Cour devrait-elle radier la déclaration modifiée d'Apotex en ce qui concerne SPIL, en totalité ou en partie, ou en ce qui concerne toute partie défenderesse autre que Roche?

2)    La Cour devrait-elle radier le paragraphe 7 de la déclaration modifiée d'Apotex?

3)    La Cour devrait-elle suspendre le processus d'interrogatoire préalable si elle ne rend pas sa décision avant la date prévue pour l'interrogatoire préalable des défenderesses?

6.         Requête en radiation de la déclaration modifiée d'Apotex

A.        Arguments et preuve

[20]            Dans leur requête initiale, les défenderesses ont allégué que la déclaration modifiée d'Apotex devrait être radiée en ce qui concerne SPIL parce qu'elle ne révélait aucune cause d'action valable. Toutefois, à l'audience de l'appel, les défenderesses ont reconnu que la question n'était plus de savoir si les actes de procédures d'Apotex étaient suffisants ou s'ils ne révélaient aucune cause d'action valable contre la défenderesse SPIL.

[21]            Les défenderesses allèguent essentiellement que les actes de procédure d'Apotex en ce qui concerne SPIL doivent être radiés parce que les allégations se rapportant à des faits substantiels tiennent de la conjecture, particulièrement en ce qui a trait au contrôle exercé par SPIL à l'endroit de Roche et à leur entreprise commune. Elles soutiennent de plus qu'Apotex abuse de la procédure en alléguant des faits hypothétiques dans l'espoir de découvrir un véritable fondement à une cause d'action à l'étape de l'interrogatoire préalable.

[22]            Les défenderesses s'appuient sur les témoignages du Dr Sherman et de M. Radomsky pour corroborer leurs allégations. Il importe de noter que les défenderesses n'ont présenté aucun élément de preuve qui leur soit propre dans la requête.

[23]            À l'appui de leur requête, les défenderesses signalent le témoignage du Dr Sherman au contre-interrogatoire lorsqu'il a affirmé qu'Apotex croyait que SPIL était la société-mère de Roche et que, à ce titre, c'était elle qui donnait les directives. En outre, les défenderesses font état des propos du Dr Sherman lorsqu'il a déclaré qu'Apotex saura quelles sociétés devront être désignées dans son action en dommages-intérêts après l'interrogatoire préalable des défenderesses.

[24]            Les défenderesses soutiennent également que les réponses vagues de M. Radomski au contre-interrogatoire démontrent qu'Apotex ne possède aucun élément de preuve sur lequel elle pourrait appuyer ses allégations en ce qui concerne SPIL. Elles soulignent les propos de M. Radomski lorsqu'il a déclaré qu'il se pouvait qu'Apotex n'ait pas désigné la bonne entité dominante et qu'elle ait à modifier ses actes de procédure et qu'il n'avait personnellement aucune connaissance d'un contrôle exercé par une société-mère, quel qu'il soit, dans le cas du naproxène. À propos de son témoignage concernant des litiges semblables, les défenderesses soutiennent que M. Radomski n'avait pas été en mesure de donner [traduction] « un seul exemple factuel où il était question que l'entreprise canadienne avait expressément fait savoir qu'elle ne pouvait procéder tant que l'approbation n'avait pas été obtenue d'une société-mère étrangère » .

[25]            Les défenderesses reconnaissent que SPIL est propriétaire du brevet 671, qu'elle était partie à l'instance qui a mené à l'interdiction et qu'elle est une société liée à Roche. Elles allèguent que ces facteurs ne sont pas pertinents quant à la question préliminaire de savoir si Apotex possède un motif valable pour affirmer que SPIL exerce un contrôle sur Roche. Elles soutiennent que, en tant que propriétaire du brevet, SPIL était tenue, en vertu du paragraphe 6(4) du Règlement, d'être partie à la procédure d'interdiction. De plus, comme Roche et SPIL font partie des trois cents sociétés de la famille d'entreprises pharmaceutiques Roche, le fait que SPIL et Roche soient liées n'est pas suffisant pour établir que SPIL exerce un contrôle sur Roche.

[26]            Subsidiairement, les défenderesses prétendent que le paragraphe 7 de la déclaration modifiée devrait être supprimé parce qu'il n'est pas pertinent. Elles font valoir qu'il y est affirmé que SPIL exerce présentement un contrôle sur Roche. Autrement dit, le libellé ne fait pas état de la relation existant entre SPIL et Roche durant la période de temps pertinente mais intéresse plutôt le présent. Les défenderesses soutiennent que la relation actuelle entre Roche et SPIL n'est pas pertinente.

[27]            En réponse à la requête, Apotex soutient que les défenderesses n'ont manifestement pas démontré que la radiation des actes de procédure était justifiée. Elle déclare qu'il était tout à fait approprié et non spéculatif pour Apotex d'avoir désigné SPIL comme une partie défenderesse à l'action principale. En fait, Apotex qualifie la présente requête de nouvelle tentative des défenderesses de retarder l'audition sur le fond de l'action principale.

[28]            Apotex a avancé nombre de facteurs sur lesquels elle appuie l'allégation selon laquelle SPIL exerce un contrôle sur Roche. Elle souligne le fait que SPIL est propriétaire du brevet 671 et que Roche est titulaire d'une licence exclusive à l'égard de ce brevet. Elle fait valoir que la nature même de la relation qui existe entre Roche et SPIL [traduction] « présuppose un certain contrôle » . Elle fait remarquer que le consentement de SPIL avait été nécessaire pour que Roche (ou plutôt son prédécesseur Syntex Inc.) puisse inscrire le brevet 671 dans la liste de brevets. De plus, à l'audience, Apotex a déclaré que SPIL était partie demanderesse à la demande d'interdiction. Apotex soutient également que le témoignage de M. Radomski établit, en tenant compte d'autres litiges, particulièrement l'affaire du kétorolac devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario (dossier 02-CV-22071), que Roche peut être sous le contrôle d'une partie liée étrangère.

            B.         Droit applicable

[29]            Les requêtes en radiation d'actes de procédure sont régies par l'article 221 des Règles des Cours fédérales, lequel est rédigé comme suit :

221. (1) Requête en radiation - À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Preuve - Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a)

221. (1) Motion to strike - On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) Evidence - No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[30]            Les décisions concernant les requêtes en radiation des allégations contenues dans une déclaration partent de la prémisse selon laquelle les faits substantiels soulevés doivent être considérés comme vrais, à moins que les allégations ne soient fondées sur des suppositions et des conjectures : Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, (1985) 18 D.L.R. (4th) 481, au paragraphe 27.

[31]            Le fardeau de preuve qui incombe à la partie requérante est très lourd. Le pouvoir discrétionnaire de radier les actes de procédure ne devrait être exercé que dans les cas manifestes et évidents où la Cour est convaincue au-delà de tout doute que l'allégation ne peut être soutenue et qu'elle est vouée à l'échec à l'instruction parce qu'elle comporte un vice fondamental : Hunt c. Carey Canada Ltd., [1990] 2 R.C.S. 959, (1990), 74 D.L.R. (4th) 321.

[32]            L'arrêt Hunt c. Carey portait sur une requête en radiation pour défaut de démontrer une cause d'action valable. Les tribunaux ont jugé que le critère applicable aux autres motifs de radiation est au moins aussi exigeant : Connaught Laboratories Ltd. c. Smithkline Beecham Pharma Inc. (1998), 158 F.T.R. 194, 86 C.P.R. (3d) 36, au paragraphe 9. La Cour n'ordonnera la radiation que dans les cas les plus manifestes et évidents.

[33]            La radiation d'un acte de procédure est une mesure draconienne. Une déclaration ne doit pas être radiée pour le motif qu'elle est vexatoire ou frivole ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures, à moins qu'il ne soit évident que l'action du demandeur est « tellement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de réussir » : Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732, au paragraphe 6, (1972) 72 DTC 6215 (C.F. 1re inst.).

[34]            Apotex ne conteste pas que le critère applicable aux requêtes en radiation est celui énoncé dans l'arrêt Hunt c. Carey. Les défenderesses, par ailleurs, affirment qu'il faut appliquer un autre critère eu égard aux circonstances de l'espèce. Elles soutiennent que, dans des circonstances où la partie qui poursuit a été prise en défaut de n'avoir aucune preuve à l'appui de ses allégations, le fardeau de la preuve revient à cette dernière qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses allégations sont étayées sur des éléments de preuve. Elles allèguent que pareilles circonstances existent en l'espèce. Les défenderesses citent la décision Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Limited, [1983] 1 CF 487, (1982), 67 C.P.R. (2d) 135, à l'appui du principe voulant qu'il soit futile et vexatoire, de la part de la partie à qui le fardeau de la preuve incombe, d'alléguer des faits substantiels sans preuve à l'appui. Elles citent Kastner c. Painblanc, (1994) 58 C.P.R. (3d) 502, [1994] A.C.F. no 1671, à l'appui du principe voulant qu'il y ait abus de procédure de la part d'une partie demanderesse qui utilise l'interrogatoire préalable pour faire une enquête à l'aveuglette et qui intente des poursuites en se fondant sur le simple espoir « qu'elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions » .

[35]            À mon avis, Caterpillar, précité, et Painblanc, précité, ne sont pas incompatibles avec la norme énoncée dans Hunt c. Carey en ce qui a trait à la radiation d'actes de procédure. Toutes ces décisions portent sur la suffisance des actes de procédure. Elles reposent sur la prémisse selon laquelle les actes de procédure ont pour but de faire en sorte que la partie opposée sache ce qui lui est reproché. La partie qui poursuit a l'obligation de soulever les faits substantiels sur lesquels repose l'allégation générale. Si aucun fait substantiel n'est soulevé, les actes de procédure peuvent alors être radiés au motif qu'ils ne révèlent aucune cause d'action valable.

[36]            Les décisions Caterpillar et Painblanc, précitées, peuvent être distinguées de la présente affaire. Dans Caterpillar, la défenderesse n'a pas invoqué de faits substantiels pour soutenir les allégations formelles contenues dans sa défense. La défenderesse, dans cette affaire, s'est contentée de reprendre l'essentiel de certaines parties de la Loi sur les brevets. De la même manière que les Règles des Cours fédérales qui s'appliquent maintenant, les règles qui s'appliquaient alors prévoyaient que les allégations touchant des questions de droit devaient être étayées sur des faits substantiels. Lorsque des précisions lui ont été demandées, la défenderesse n'en a pas fourni, et, au cours de l'interrogatoire préalable, elle a admis ne disposer d'aucun fait substantiel pour soutenir ses allégations. L'enjeu est alors devenu une question de preuve. La Cour dans Caterpillar a jugé que la défenderesse a de fait admis ne disposer d'aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations.

[37]            De la même manière, dans l'arrêt Painblanc, précité, la Cour a accordé une requête en radiation parce que les faits substantiels soulevés ne constituaient pas un fondement pour établir la responsabilité personnelle de M. Painblanc. Il était allégué dans la déclaration que, « [a]gissant seul ou de concert avec d'autres, Painblanc a directement autorisé [...] l'exploitation de [l'entreprise intimée] et en est directement responsable » . Le seul fait substantiel avancé à l'appui de cette allégation était que M. Painblanc était le directeur général et l'actionnaire majoritaire de l'entreprise intimée. La Cour a jugé que ce fait substantiel ne suffisait pas à lui seul à satisfaire au critère juridique permettant d'établir la responsabilité personnelle.

[38]            Par ailleurs, dans la présente affaire, les défenderesses ne contestent pas que des faits substantiels concernant le lien de dépendance entre SPIL et Roche ont été soulevés. Il n'est pas non plus contesté que, si les faits substantiels allégués à propos de la participation de SPIL sont prouvés, il existerait alors un motif à partir duquel la responsabilité de SPIL pourrait être plaidée.

            C.         Analyse

[39]            Dans le contexte des requêtes en radiation où l'existence d'une cause d'action valable n'est pas à l'étude, la Cour doit être convaincue avant de radier l'acte de procédure :

a) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

b) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

c) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

d) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

e) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

[40]            Dans la présente affaire, la suffisance des actes de procédure n'est pas contestée et, à mon avis, le dossier dont je dispose ne permet pas de soutenir que les actes de procédure sont vexatoires ou frivoles, qu'ils ne sont pas pertinents ou qu'ils constituent un abus de procédure, comme l'ont allégué les défenderesses.

[41]            Je suis d'avis que les témoignages du Dr Sherman et de M. Radomski ne permettent pas d'établir que les faits substantiels allégués ne sont pas suffisamment étayés par la preuve. Il n'est pas contesté que SPIL est le titulaire du brevet 671, qu'elle était partie demanderesse à la procédure qui a mené à l'interdiction et qu'elle a donné son consentement à Roche pour inclure le brevet dans la liste. En outre, et surtout, SPIL a conclu une entente de licence exclusive avec Roche. Ces facteurs constituent un fondement factuel suffisant pour les faits substantiels allégués concernant le contrôle qu'exercerait SPIL sur Roche et leur entreprise commune.

[42]            Je suis également d'avis que le fait que le Dr Sherman et M. Radomski aient témoigné qu'il se pouvait bien qu'Apotex modifie ses actes de procédure à la suite de l'interrogatoire préalable n'équivaut pas à une preuve d'enquête à l'aveuglette, comme l'ont allégué les défenderesses. Je suis d'accord avec la qualification faite par la protonotaire Aronovitch à l'égard du processus autorisé par les Règles des Cours fédérales : [traduction] « Il arrive couramment que, au cours de l'interrogatoire préalable, les faits soient mis en lumière, ou deviennent connus, ce qui donne lieu à des modifications aux actes de procédure pour corriger les allégations. Cela fait partie de la finalité de l'interrogatoire préalable, puisque, dans bon nombre de cas, il est plus probable que certains faits ne soient connus que d'une seule partie. »

[43]            En ce qui a trait à l'argument subsidiaire par lequel les défenderesses demandent que le paragraphe 7 de la déclaration modifiée d'Apotex soit radié parce qu'il n'est pas pertinent, je suis d'accord avec la protonotaire pour dire que, d'après son libellé, il n'apparaît pas « manifeste et évident » que la période de temps pertinente de l'action principale d'Apotex ne soit pas incluse. À mon avis, la raison pour laquelle les défenderesses veulent que le paragraphe 7 soit supprimé n'est pas de limiter l'interrogatoire préalable à une période de temps pertinente, mais plutôt de supprimer le fondement de la cause d'action d'Apotex contre SPIL.

[44]            En conséquence, je suis convaincu qu'il n'est pas manifeste et évident, et au-delà de tout doute, que les allégations contenues dans la déclaration modifiée d'Apotex ne peuvent être corroborées et sont vouées à l'échec à l'instruction parce qu'elles comportent un vice fondamental.

7.         Suspension de l'instance

[45]            Les défenderesses demandent la suspension de toute ordonnance ou obligation exigeant qu'elles se soumettent à un interrogatoire préalable dans l'attente de la décision relative à la présente requête et, en cas d'insuccès, pendant l'appel. Comme l'ordonnance relative à la présente requête sera prononcée avant la reprise de l'interrogatoire préalable prévue le 14 octobre 2005, il est suffisant d'examiner la demande de sursis pendant l'appel.

            A.         Droit applicable

[46]            Le critère relatif à la suspension de l'instance, articulé dans l'arrêt RJR Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334, (1994), 111 D.L.R. (4th) 385, comprend trois volets :

1. Existe-t-il une question sérieuse à juger?

2. Dans l'affirmative, le refus d'accorder l'injonction causera-t-il un préjudice irréparable aux requérants?

3. La prépondérance des inconvénients favorise-t-elle la délivrance d'une injonction ou non?

La partie requérante doit convaincre la Cour qu'il est satisfait aux trois volets du critère.

            B.         Arguments et preuve

[47]            Les défenderesses soutiennent qu'elles peuvent satisfaire aux trois volets du critère. Elles déclarent que la requête soulève une question sérieuse, à savoir si SPIL devait être radiée comme codéfenderesse à l'action parce qu'il n'y a pas de preuve pour soutenir la participation alléguée à son endroit. En outre, elles allèguent que le refus d'accorder une suspension entraînera un préjudice irréparable pour les défenderesses parce que Roche et SPIL pourraient être tenues de remettre des documents confidentiels à un concurrent et que les dommages qui s'ensuivraient seraient irréparables. À l'audience, les défenderesses ont également allégué que, si l'interrogatoire préalable avait lieu, Apotex pourrait obtenir des renseignements qui lui permettraient de maintenir SPIL comme défenderesse ou de cibler d'autres codéfendeurs potentiels à l'action. Les défenderesses font valoir que pareille situation constituerait un préjudice irréparable pour les besoins de la présente demande de décision interlocutoire. Finalement, elles soutiennent que la prépondérance des inconvénients les favorise parce que ce préjudice dépasse largement les inconvénients que pourrait subir Apotex en raison du report de l'interrogatoire préalable, compte tenu du fait que l'action principale a été engagée il y a plus de quatre ans.

[48]            Apotex s'oppose à la requête en suspension d'instance présentée par les défenderesses. Elle allègue qu'aucune question sérieuse n'a été soulevée et que la requête des défenderesses est en fait frivole et vexatoire. Apotex allègue également que les défenderesses n'ont fourni aucun élément de preuve à l'appui de l'affirmation selon laquelle elles subiraient un préjudice irréparable ou seraient désavantagées si le processus d'interrogatoire préalable n'est pas suspendu.

            C.        Analyse

[49]            Le critère préliminaire pour établir l'existence d'une question sérieuse est peu strict. À mon avis, la question de savoir si SPIL devrait être radiée comme codéfenderesse à l'action principale est une question sérieuse pour les besoins de la requête en suspension.

[50]            Je rejette néanmoins la requête en suspension parce que les défenderesses n'ont pas établi de préjudice irréparable. Les défenderesses dans la présente affaire soutiennent qu'un préjudice irréparable serait causé par la possibilité qu'elles aient à dévoiler des renseignements confidentiels à Apotex et par la possibilité qu'Apotex utilise les renseignements obtenus à l'interrogatoire préalable pour cibler d'autres codéfendeurs. En ce qui concerne la protection des documents confidentiels, les parties ont régulièrement recours à des ententes de confidentialité pour prévoir ces situations. De plus, même s'il était établi que des renseignements confidentiels seraient divulgués au cours du processus d'interrogatoire préalable, les défenderesses n'ont pas démontré en quoi la divulgation de cette preuve entraînerait un préjudice irréparable. L'allégation des défenderesses relativement au préjudice irréparable tient de la conjecture.

[51]            La prépondérance des inconvénients ne penche pas en faveur de nouveaux délais dans l'action principale. Comme les défenderesses elles-mêmes l'ont fait remarquer, il y a déjà plus de quatre ans que l'action d'Apotex a été introduite. Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise Apotex.

[52]            Par conséquent, je suis d'avis de rejeter la requête en suspension.

8.         Conclusion

[53]            Pour les motifs précédents, la requête portant appel de l'ordonnance rendue le 19 août 2005 par la protonotaire Aronovitch est rejetée et la suspension d'instance est refusée.

9.         Dépens

[54]            Apotex soutient que les dépens de la requête devraient être adjugés à un tarif supérieur en raison des tentatives continues des défenderesses en vue de repousser l'instance et en particulier les interrogatoires préalables. Dans l'ordonnance rendue le 19 août 2005, la protonotaire Aronovitch s'est dite d'accord avec Apotex. Elle a écrit ce qui suit dans une directive jointe à l'ordonnance :

[traduction]

[...] Compte tenu des antécédents et des circonstances particulières de la présente affaire, je suis portée à souscrire à l'opinion d'Apotex voulant qu'il s'agisse encore d'une tentative des défenderesses en vue de parvenir essentiellement aux mêmes fins, par d'autres moyens, que celles recherchées dans les requêtes précédentes en radiation et en jugement sommaire et en vue de retarder les interrogatoires préalables.

[55]            Je souscris au point de vue exprimé par la protonotaire. Je suis d'avis, eu égard aux circonstances, que l'adjudication de dépens accrus est justifiée. Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré, j'accorde les dépens à Apotex, lesquels seront calculés en utilisant la valeur moyenne de la colonne IV du tarif B des Règles des Cours fédérales. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le montant des dépens, elles devront en informer la Cour dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance. Dans ce cas, j'en fixerai le montant après avoir pris connaissance des observations des parties, lesquelles ne devront pas dépasser cinq (5) pages.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête portant appel de l'ordonnance rendue le 19 août 2005 par la            protonotaire Aronovitch est rejetée.

2.          La requête en suspension d'instance est rejetée.

3.          Les dépens sont adjugés à Apotex et seront calculés à l'aide de la valeur moyenne de la            colonne IV du tarif B des Règles des Cours fédérales.

4.         Si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le montant des dépens, elles devront en informer     la Cour dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance. Dans ce cas, j'en         fixerai le montant après avoir pris connaissance des observations des parties, lesquelles ne            devront pas dépasser cinq (5) pages.

« Edmond P. Blanchard »

                                                                                                                               Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              T-1168-01

INTITULÉ :                                                            APOTEX INC.

                                                                                c.

                                                                                SYNTEX PHARMACEUTICALS          INTERNATIONAL LIMITED et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 19 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                           LE 26 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Gunars A. Gaikis                                                       POUR LES DÉFENDERESSES

Nancy P. Pei

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Smart & Biggar                                                          POUR LES DÉFENDERESSES

Ottawa (Ontario)

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