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     Date : 19990401

     Dossier : T-1700-98

Ottawa (Ontario), le 1er avril 1999

En présence de Monsieur le juge Lutfy

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'une juge de la citoyenneté

Entre

     CHONG MENG SIO,

     demandeur,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU l'appel formé contre la décision en date du 23 juin 1998 de la juge de la citoyenneté Pam F. Glass,

     APRÈS AUDITION de cet appel le 24 février 1999 en la ville de Vancouver (C.-B.),

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     L'appel est accueilli.

     Signé : Allan Lutfy

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990401

     Dossier : T-1700-98

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'une juge de la citoyenneté

Entre

     CHONG MENG SIO,

     demandeur,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge LUTFY

[1]      Dans sa décision du 23 juin 1998, la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Il se trouvait au Canada 530 jours sur les 1 095 jours de résidence requis, durant les quatre années qui précédaient la date de sa demande de citoyenneté. Le demandeur a interjeté appel de cette décision en application du paragraphe 14(5) de la Loi et de la règle 300c) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]      Le demandeur, qui a 40 ans, a visité le Canada la première fois en compagnie de sa femme, à l'occasion de l'Expo 86. Ils ont prolongé leur séjour et leur premier enfant est né au Canada en novembre 1986. La famille est revenue pour une seconde visite à l'été de 1991. Le demandeur est ensuite entré au Canada le 2 juillet 1994 en qualité d'immigrant entrepreneur, en compagnie de sa femme et de leur second fils. Informé que sa demande de résidence permanente avait été accueillie, il a vendu à des parents son entreprise à Macao, qui est son lieu natal et ancien lieu de résidence. Quelque deux mois après l'installation de sa famille au Canada, il est retourné à Macao pour apprendre aux nouveaux propriétaires à exploiter l'entreprise qu'il leur avait vendue. Il s'est également occupé à vendre d'autres biens.

[3]      Au début, la famille vivait chez des parents à Coquitlam (C.-B.). En août 1994, le couple a acheté sa propre maison à Coquitlam, où la famille habite toujours et où les enfants vont à l'école.

[4]      Le demandeur a fait trois investissements notables au Canada depuis qu'il y a acquis le statut de résident permanent. En janvier 1996, il a acquis, pour 90 000 $, une participation de 20 p. 100 dans une maison d'exportation de fruits de mer, pour laquelle il s'occupait de commercialisation à Hong Kong et en Chine. En juin 1996, il a acquis 25 p. 100 des parts de deux compagnies associées, savoir une agence de randonnées en autocar et une agence de voyages. Il y a investi 220 000 $ et siège à leur conseil d'administration respectif. Selon le demandeur, ces deux compagnies comptent sur son expérience en matière de commercialisation pour s'étendre en Asie. En octobre 1996, il a vendu sa part dans la maison d'exportation de fruits de mer pour se concentrer sur ces deux nouveaux investissements. La même année, il payait l'impôt sur son revenu d'emploi au Canada.

[5]      Dans ses motifs de décision, la juge de la citoyenneté n'a mentionné qu'en passant les investissements du demandeur au Canada :

     [TRADUCTION]

     Le demandeur, qui a 39 ans, est l'exploitant d'une compagnie d'organisation de randonnées en autocar, et est arrivé au Canada en 1994. Il est allé à l'école à Macao pendant 12 ans, et au Canada pendant 3 mois. Selon la computation faite par la Cour, il lui manque 495 jours pour atteindre le total des jours de résidence requis. Je l'ai questionné et ai examiné son dossier. Comme il ne remplit pas la condition de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c), je ne saurais recommander l'approbation de sa demande (voir lettre jointe).         

La juge de la citoyenneté ne tirait aucune conclusion des voyages faits par le demandeur en Asie dans le cadre de ces investissements. Sa lettre portant décision ne comporte aucune autre analyse des faits. Elle fait état de principes qui traduisent les décisions contradictoires de la Cour sur l'interprétation de l'alinéa 5(1)c), mais ne dit pas lesquelles de ces dernières elle a choisi d'appliquer.

[6]      Dans Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow s'est prononcé en ces termes, pages 213 et 214 :

     Il me semble que les termes " résidence " et " résident " employés dans l'alinéa 5(1)b ) de la Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps.         

Le même principe a été rappelé par le juge Dubé dans Re Banerjee (1994), 25 Imm. L.R. (2d) 235 (C.F. 1re inst.), par cette formule laconique en page 238 : " C'est la qualité de l'attachement au Canada qui doit être examinée ".

[7]      Dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), pages 293 et 294, Mme le juge Reed, après avoir passé en revue la jurisprudence de notre Cour à la suite de la décision Papadogiorgakis, qui remonte à quelque 15 ans, a conclu qu'il s'agit de se demander si l'intéressé " vit régulièrement, normalement ou habituellement " au Canada ou si sa vie y est centrée. Dans cet examen, dit-elle, les facteurs déterminants doivent comprendre la durée des séjours de l'intéressé au Canada, le lieu de résidence de sa famille immédiate et étendue, la durée et les raisons de ses absences, la qualité de ses liens avec le Canada par comparaison aux liens avec tout autre pays, et la question de savoir si le Canada est le pays où il revient chez lui chaque fois et non pas simplement un lieu de visite.

[8]      Dans Re Lam (25 mars 1999), T-1310-98 (C.F. 1re inst.), je suis revenu, à la lumière de deux faits nouveaux, sur la question de la norme de contrôle applicable dans les appels en matière de citoyenneté. En premier lieu, le juge saisi ne fait plus fonction de juge des faits depuis l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998), mais entend l'appel à titre de demande visée à la règle 300c). En second lieu, on prévoit l'adoption d'une nouvelle loi sur la citoyenneté qui apporterait de profonds changements au processus d'instruction des demandes de citoyenneté et à la fonction de contrôle de notre Cour. Après avoir relevé certains facteurs objectifs qui imposeraient une plus grande retenue au juge judiciaire, j'ai conclu, eu égard à la période transitoire, qu'il ne fallait pas trop dévier de la norme de contrôle actuellement en vigueur (paragraphe 33) :

     La justice et l'équité, pour ceux qui cherchent à acquérir la citoyenneté canadienne comme pour le ministre, requièrent une certaine continuité dans la norme de contrôle tant que la loi actuelle demeure en vigueur, et ce bien que le procès de novo n'ait plus cours en la matière. La norme qui s'impose dans ces conditions est toute proche de celle du bien-jugé. Dans le cas cependant où le juge de la citoyenneté, par des motifs clairs qui attestent sa connaissance de la jurisprudence, conclut légitimement des faits que le demandeur remplit la condition légale de l'alinéa 5(1)c), telle qu'il la comprend, il ne faut pas que le juge saisi de l'appel substitue arbitrairement à cette décision sa propre conception de la condition de résidence. Telle est la limite de la retenue à observer par le juge judiciaire durant cette période transitoire, eu égard aux connaissances et à l'expérience spécialisées du juge de la citoyenneté.         

[9]      Dans sa lettre portant décision1, la juge de la citoyenneté a fait, pour commencer, l'observation suivante :

     [TRADUCTION]

     La jurisprudence de la Cour fédérale pose que, pour faire la preuve de la résidence, le demandeur doit prouver que sa vie est centrée au Canada, psychologiquement et dans les faits. Une fois cette résidence prouvée, elle est acquise malgré les absences du Canada, s'il est prouvé qu'il n'a été absent que de façon momentanée et a toujours gardé sa résidence au Canada sous forme réelle et tangible. J'ai donc examiné attentivement votre cas pour voir si vous aviez établi, avant vos absences, votre résidence au Canada telle que ces absences puissent néanmoins compter comme périodes de résidence.         

[10]      Cette observation fait référence aux décisions de notre Cour qui font suite à la jurisprudence Papadogiorgakis et qui tolèrent les absences momentanées dans le cas où la vie du demandeur est, à d'autres égards, centrée au Canada. Cependant, la juge de la citoyenneté s'est encore longuement référée à Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), où il a été jugé, par stricte interprétation de l'alinéa 5(1)c), que la période requise de trois ans est " le temps minimum pour se canadianiser ". L'évocation, simultanée et sans autre explication, de deux jurisprudences contradictoires dans la lettre portant décision peut trahir une mauvaise compréhension du point de droit à la lumière duquel elle doit juger le cas du demandeur. À mon avis, cette méprise constitue un motif d'appel valide.

[11]      Il ressort du dossier que la vie du demandeur et de sa famille était centrée au Canada. Rien ne prouve que la famille ait des attaches notables avec quelque autre pays. Les investissements faits par le demandeur au Canada étaient dans l'exportation des fruits de mer et dans l'industrie des voyages. Ce qui explique ses voyages à l'étranger. Chaque fois qu'il revient au Canada, c'est chez lui qu'il rentre. Par application des principes définis par Papadogiorgakis et Re Koo, le dossier soumis à la juge de la citoyenneté ne laissait d'autre choix que de faire droit à sa demande, malgré les 565 jours où il avait été absent du Canada.

[12]      Par ces motifs, la Cour fait droit à l'appel.

     Signé : Allan Lutfy

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 1er avril 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-1700-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Chong Meng Sio

                     c.

                     La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      24 février 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

LE :                      1 er avril 1999

ONT COMPARU :

M. Robert Seto                  pour le demandeur

Mme Larissa Easson                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Robert Seto                  pour le demandeur

Jang Cheung Lee

Vancouver (C.-B.)

Paige Purcell                      pour la défenderesse

Ministère de la Justice

Bureau régional de Vancouver

__________________

1      La première lettre portant décision est datée du 23 juin 1998. À la demande du demandeur, la juge de la citoyenneté a signé une seconde lettre, essentiellement identique à la première, le 26 août 1998, pour lui permettre de déposer l'avis de demande dans le délai de 60 jours prévu au paragraphe 14(5). Je n'attache aucune importance à l'omission, manifestement par inadvertance, d'un bref paragraphe dans la transcription de cette seconde lettre.

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