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Date : 20050721

 

Dossier : T-1594-04

 

Référence : 2005 CF 1012

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2005

 

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

MARKS & CLERK

 

demanderesse

et

 

 

SPARKLES PHOTO LIMITED

 

défenderesse

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit en l’espèce d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce LRC 1985, ch T-13 (La Loi) et de l’alinéa 300d) des Règles des Cours fédérales 1998 (DORS/98-106), à l’égard de la décision du 28 juin 2004, du registraire des marques de commerce de modifier, mais de ne pas radier la marque de commerce NATURE’S CHOICE déposée par le demandeur et son dessin en vertu du paragraphe 45(3) de la Loi.

 


[2]               La marque de commerce a été déposée initialement en septembre 1993 par Anan Rustom et Gary Moshonas, faisant affaire sous le nom Nature’s Choice Company (« Nature’s Choice »), dans le but de distribuer et vendre des noix, des fruits secs, des bonbons et des croustilles emballés. La marque de commerce a été transférée en avril 1997 à A&G Corporation (dont les mêmes personnes sont propriétaires) et cette dernière a ensuite transféré la marque de commerce à Sparkles Photo Ltd.

 

[3]               Le 29 octobre 1999, Marks & Clerk a demandé au registraire qu’un avis soit envoyé à Nature’s Choice en vertu de l’article 45 de la Loi. L’article 45 exige que les propriétaires de la marque de commerce indiquent si la marque a été utilisée au Canada en association avec chacune des marchandises inscrites sur la liste au cours des trois années qui précèdent la date de l’avis; sinon, ils doivent indiquer la date à laquelle elle a été utilisée pour la dernière fois et le motif indiquant pourquoi elle n’a pas été utilisée depuis cette date.

 

[4]               Les parties ont ensuite déposé des observations par écrit et ont participé à une audience devant l’agente d’audience principale exerçant le pouvoir qui lui a été délégué par le registraire conformément au paragraphe 63(3) de la Loi.

 

[5]               Selon les dispositions de l’article 45, seuls les propriétaires inscrits peuvent déposer des preuves. En l’espèce, la défenderesse a déposé un affidavit de M. Rustom indiquant que lui et M. Moshonas ont fait affaire en tant que distributeurs en gros de grignotines à de petits commerçants pendant la période en question, d’abord en tant que société de personnes et ensuite comme société. Ils achetaient leurs marchandises en gros et les emballaient dans de petits sacs de portions individuelles portant la marque de commerce et le dessin de NATURE’S CHOICE. 

 

[6]               Au départ, M. Rustom a déclaré qu’ils utilisaient la marque de commerce sous une forme pratiquement identique à celle qui a été déposée. Au milieu de l’année 1994, ils ont été informés par un certain M. Peter Travers, un agent du ministère [sic] de l’Agriculture, que l’utilisation de la feuille d’érable à onze pointes était interdite par la loi fédérale et donnerait la fausse impression que les noix sont des produits canadiens. De plus, M. Rustom a déclaré qu’il leur a été demandé d’ajouter l’abréviation « Co. » à la suite des mots « Nature’s Choice » parce que l’utilisation de ces mots sans le suffixe donne l’impression que tous les ingrédients utilisés sont naturels, ce qui n’était pas le cas en ce qui concerne les bonbons vendus. Par conséquent, la société de personnes a mis à jour son emballage pour enlever la feuille d’érable et la remplacer par une boîte carrée contenant une version plus petite des mots « nature’s choice », et a ajouté à la marque de commerce le symbole (®) et le mot « Co. » dans une police de caractère légèrement plus petite. Le nouvel emballage a été introduit en 1995.

 

 

 

 

[7]               La marque telle qu’elle a été déposée apparaît comme suit :

 

 

[8]               La marque qui est utilisée depuis 1995 est la suivante :

 

 

 

 

[9]               L’agente d’audience principale a conclu que l’utilisation de la marque associée aux croustilles n’était pas établie et que le registre devrait être modifié à cet égard. Cette conclusion n’est pas contestée en l’espèce. Concernant les « noix, les fruits secs et les bonbons », l’agente était convaincue que des ventes avaient été réalisées en utilisant la nouvelle marque de commerce pendant la période de trois ans en question.

 

[10]           En comparant la marque qui a été déposée et la marque mise à jour qui a été utilisée après 1995, l’agente a conclu que les caractéristiques essentielles et distinctes de la marque n’avaient pas été modifiées et elle a rejeté la demande d’annuler l’enregistrement. Dans les motifs de sa décision, l’agente a déclaré :

[traduction]

 

Je ne doute pas que les mots NATURE’S CHOICE sont les caractéristiques principales et essentielles de la marque de commerce telle qu’elle a été déposée. En fait, les mots dominent la marque de commerce. La représentation de la feuille d’érable à onze pointes est importante, mais l’est moins. Le troisième élément, le dessin de la boîte, à mon avis, est une caractéristique insignifiante.

 

 

 

[11]           L’agente a conclu que la feuille d’érable à onze pointes n’était pas un élément distinct et son retrait ne décevrait le public ni ne lui porterait préjudice, et ne contreviendrait d’aucune façon aux principes exposés dans Honey Dew Ltd. c Rudd, [1929] 1 DLR 449 CanLII 353 (CF). Elle s’appuyait sur la décision de la Cour fédérale dans Saccone & Speed Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1982), 67 C.P.R. (2e) 119, faisant valoir la modification d’une marque de commerce en raison des dispositions d’une loi. L’agent a conclu que la situation était la même en l’espèce étant donné que la modification a été demandée par un ministère du gouvernement. Elle a conclu que le propriétaire de la marque de commerce a agi de bonne foi en tout point et qu’il ne serait pas équitable d’enlever les droits du propriétaire quand il a essayé de se conformer à des demandes faites par un ministère.


 

 

 

 

 

LÉGISLATION

 

[12]           Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites ci-dessous :

 

 Le registraire peut exiger une preuve d’emploi

 

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

 

 

 

Registrar may request evidence of user

 

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade‑mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade‑mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade‑mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

Forme de la preuve

 

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui‑ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle‑ci.

 

 

 

Form of evidence

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade‑mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

Effet du non‑usage

 

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

 

 

Effect of non‑use

 

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade‑mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade‑mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

Avis au propriétaire

 

(4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l’enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l’avis visé au paragraphe (1) a été donné.

 

 

 

Notice to owner

 

(4) When the Registrar reaches a decision whether or not the registration of a trade‑mark ought to be expunged or amended, he shall give notice of his decision with the reasons therefore to the registered owner of the trade‑mark and to the person at whose request the notice referred to in subsection (1) was given.

 

Mesures à prendre par le registraire

 

(5) Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n’en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

 

 

 

Action by Registrar

 

(5) The Registrar shall act in accordance with his decision if no appeal therefrom is taken within the time limited by this Act or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

 

 

 Appel

 

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

 

 

 

Appeal

 

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

Procédure

 

(2) L’appel est interjeté au moyen d’un avis d’appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

 

 

 

Procedure

 

(2) An appeal under subsection (1) shall be made by way of notice of appeal filed with the Registrar and in the Federal Court.

 

Avis au propriétaire

 

(3) L’appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l’avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

 

 

 

Notice to owner

 

(3) The appellant shall, within the time limited or allowed by subsection (1), send a copy of the notice by registered mail to the registered owner of any trade‑mark that has been referred to by the Registrar in the decision complained of and to every other person who was entitled to notice of the decision.

 

Avis public

 

(4) Le tribunal peut ordonner qu’un avis public de l’audition de l’appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu’il juge opportune.

 

 

 

Public notice

 

(4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

 

Preuve additionnelle

 

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

 

 

 

Additional evidence

 

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

 

QUESTIONS

 

[13]           Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant que :

1. le propriétaire de la marque de commerce a présenté la preuve indiquant que la marque de commerce en question a été utilisée au Canada pendant la période pertinente;

2. l’écart entre la marque de commerce telle qu’elle a été déposée et la marque de commerce telle qu’elle a été utilisée ne constituait-il pas un non-usage de la marque de commerce déposée?


NORME DE CONTRÔLE

 

[14]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle devrait être la norme de la décision correcte étant donné que l’agente d’audience principale devait interpréter et appliquer la jurisprudence contradictoire liée aux dispositions de l’article 45. La défenderesse soutient que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[15]           La Cour doit appliquer une analyse pragmatique et fonctionnelle pour établir la norme de contrôle appropriée dans le cadre d’une décision administrative particulière. Cette approche demande à tenir compte de quatre facteurs : (1) l’existence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi, (2) l’expertise du tribunal par rapport à celle de la cour de révision sur la question en litige, 3) l’objet du texte législatif dans son ensemble, et en particulier des dispositions en cause, et 4) la nature de la question – question de droit, question de fait ou question mixte de droit et de fait : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 RCS 247; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 RCS 226; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982 (Pushpanathan).

 

[16]     Pour répondre au premier facteur de l’approche pragmatique et fonctionnelle, il n’existe pas de clause privative et cette poursuite a été engagée conformément au droit prévu par la loi d’interjeter appel en vertu de l’article 56 de la Loi. Cela donne lieu à moins de retenue envers la décision du registraire.


 

[17]           Dans l’analyse du facteur de l’expertise, il y a trois considérations : la nature de la ou des questions en litige, l’expertise du tribunal à l’égard de ces questions; la Cour doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 RCS 226, au paragraphe 28.

 

[18]           La demanderesse soutient que la présente affaire dépend de l’interprétation et de l’application de la jurisprudence pertinente, notamment dans Honey Dew Ltd. c Rudd & Flora Dew Co., et qu’il n’y a aucune raison de considérer que l’agente d’audience principale a en l’espèce une plus grande expertise que celle de la Cour pour appliquer les principes appropriés. La présente affaire diffère, poursuit la demanderesse, des utilisations de faits distincts ou de décisions confuses dans lesquelles les agents d’audience ont développé une expertise considérable dans l’examen de la preuve.

 

[19]           Les questions de la présente poursuite sont des questions mixtes de fait et de droit. Plus grand est l’élément factuel de la question, plus grande est la retenue qui doit être accordée envers la décision du registraire : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 RCS 226, au paragraphe 34.

 


[20]           Les agents d’audience du registraire ont une connaissance spécialisée en ce qui a trait aux marques de commerce, à leur interprétation et à l’application de la Loi. Comme l’a noté le juge Rothstein pour la majorité de la Cour d’appel, dans Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, (2000), 5 CPR (4e) 180 FTR, au paragraphe 29, l’autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. mentionnée, [2000] C.S.C.R. no 161 :

Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

 

 

[21]           La présente n’est pas une procédure qui demande à ce que la Cour examine de nouvelles preuves qui auraient pu affecter matériellement les conclusions du registraire.

 

[22]           Même si Brasseries Molson c. John Labatt Ltée était une affaire de l’utilisation distincte, la norme de la décision raisonnable simpliciter a été appliquée à une procédure de radiation d’une preuve d’emploi en vertu de l’article 45 de la Loi : Société Nationale des Chemins de Fer Français Sncf c. Venic Simplon-Orient-Express Inc. (2000), 9 CPR (4e) 443.

 


[23]           L’objet général de la Loi est « manifestement de permettre l’enregistrement et d’assurer le contrôle des marques de commerce utilisées dans le commerce » : Molson Companies Ltd. c. Moosehead Breweries Ltd. et al. (1990), 32 C.P.R. (3d) 363 (F.C.T.D.), au 372. Dans Ridout & Maybee LLP c. Omega SA (Omega AG) (Omega Ltd.) et le registraire des marques de commerce, 2004 CF 1703, au paragraphe 23, le juge Tremblay-Lamer a déclaré que notre Cour, ainsi que la Cour d’appel fédérale, ont maintes et maintes fois répété que l’article 45 avait pour objet « d’assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. » En résumé, l’objet des procédures liées à l’article 45 est d’enlever le « bois mort » du registre.

 

[24]           La question centrale dans l’examen de la norme de contrôle, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan, au paragraphe 26, est d’établir le degré auquel le législateur a l’intention d’assujettir à l’examen judiciaire la décision administrative faisant l’objet du contrôle.

 

[25]           Je suis convaincu que, lorsque le registraire conclut que la marque de commerce demeure active et qu’elle ne déroge pas substantiellement de la marque de commerce déposée et qu’une preuve neuve n’est pas présentée à l’appel, une retenue considérable doit être démontrée à la décision du registraire afin d’éviter d’interjeter inutilement des appels contre une procédure décisionnelle que le législateur voulait « simple, sommaire et expéditive. » Par conséquent, je ne vois aucune raison de déroger de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[26]      Comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 56, « est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. »


 

ARGUMENTS ET DISCUSSION

 

Les preuves présentées

 

[27]           L’agente d’audience principale a accepté l’affidavit de M. Rustom comme comportant une preuve de continuité de l’utilisation de la marque de commerce et a conclu que les modifications qui ont été apportées à la marque de commerce qui était utilisée n’étaient pas importantes. L’agente a également accepté l’explication de M. Rustom selon laquelle les modifications avaient été incitées par un représentant d’un ministère qui s’inquiétait du fait que la marque de commerce telle qu’elle a été déposée et utilisée pourrait induire en erreur les consommateurs canadiens.

 

[28]           La demanderesse soutient qu’en vertu de l’article 45, la preuve n’est pas assujettie au contre-interrogatoire et que la partie à la demande ne peut déposer une preuve pour contredire la preuve inscrite du propriétaire, la responsabilité de produire une preuve fiable et de bonne qualité revient à la défenderesse. La preuve au paragraphe 15 de l’affidavit de M. Rustom est ambiguë et n’est pas fiable, soutient la demanderesse, elle aurait donc dû être insuffisante pour établir pourquoi une modification avait été exigée par le ministère de l’Agriculture : Gowling, Strathy & Henderson c. 200219 AB. Ltd. (1997), 80 C.P.R. (3e) 292 (T.M.H.O.); Mantha & Associates c. Cravatte di Pancaldi S.r.L (1998), 84 C.P.R. (3e) 455 (F.C.T.D..), conf. (2000), 4 C.P.R. (4e) 176 (C.A.F.) (Mantha).

 

[29]           Je ne suis pas d’accord pour dire que l’affidavit de M. Rustom n’est pas fiable. La description de l’intervention d’un représentant du gouvernement et la réaction de l’entreprise à cet égard est claire et sans équivoque. À part cette intervention, il n’y avait aucun motif pour que la défenderesse modifie son emballage et utilise la marque de commerce. Elle l’a fait seulement parce qu’un représentant du gouvernement l’a informée que la marque de commerce telle qu’elle a été déposée n’était pas conforme à la loi fédérale et pouvait induire en erreur les consommateurs sur la provenance de la marchandise.

 

[30]           Je suis convaincu qu’il était permis à l’agente d’audience principale d’accepter l’explication fournie dans l’affidavit de M. Rustom et que ses motifs de le faire peuvent résister à un examen assez poussé. La preuve n’a pas à être parfaite, elle doit simplement suffire pour démontrer l’utilisation (ou, en l’espèce, indiquer les motifs des modifications) : Mantha, précitée.

 

[31]           La conclusion de l’agente selon laquelle la défenderesse a agi de bonne foi en tout temps en se fiant aux conseils reçus d’un représentant ministériel est appuyée par la preuve et était entièrement raisonnable à mon avis, comme l’était sa conclusion qu’il serait inéquitable dans ces circonstances de priver le propriétaire de ses droits à la marque de commerce déposée après qu’il a suivi ces conseils.

 

Les modifications ont-elles dépassé les limites de dérogation permises pour les marques de commerce déposées?

 

[32]           La demanderesse soutient que le critère dans Honey Dew, Ltd. c Rudd et al., concernant la dérogation permise dans une marque de commerce par rapport à sa marque de commerce déposée devrait s’appliquer. Seules sont permises des « modifications prudentes », la conservation des « mêmes caractéristiques dominantes » et des différences si peu importantes afin de ne pas induire en erreur les acheteurs non avertis. Promafil Canada Ltée. C. Munsingwear Inc. (1992), 44 C.P.R. (3e) 59 (C.A.F.).

 

[33]           La demanderesse soutient que la part de la feuille d’érable de Nature’s Choice était importante et distincte et que cette omission était un motif suffisant pour annuler la marque de commerce : Beiersdorf AG c. Becton, Dickinson & Co. (1992), 44 C.P.R. (3e) 151 (T.M.H.O.), à 154. Dans cette affaire, la marque de commerce B-D inscrite à l’intérieur du dessin d’une feuille d’érable n’était plus utilisée. Seules les lettres B-D étaient utilisées. L’enregistrement a été radié parce qu’une caractéristique importante avait été omise.

 

[34]           La défenderesse soutient que Beiersdorf se distingue facilement, étant donné que la feuille d’érable dans le dessin de cette marque de commerce était l’une de deux caractéristiques importantes de la marque. L’agente d’audience principale a conclu que les caractéristiques qui ont été modifiées dans la marque de commerce Nature’s Choice n’étaient pas importantes.

 

[35]           Le critère pour établir si un propriétaire utilise la marque de commerce telle qu’elle a été déposée est d’établir si elle est utilisée d’une manière qui permet de ne pas perdre son identité et qu’elle demeure reconnaissable, que les différences sont si peu importantes qu’un acheteur non averti pourrait supposer que les deux marques identifient des marchandises de même origine : Registrar of Trade Marks c. Compagnie International pour l’informatique CII Honeywell Bull et al. (1985), 4 C.P.R. (3e) 523 (C.A.F.), à 525.

 

[36]           Dans Saccone & Speed c Registrar of Trade Marks, précitée, sur laquelle l’agente d’audience principale s’appuie en l’espèce, le juge Cattanach a conclu que l’obligation de se conformer à d’autres lois que la Loi sur les marques de commerce ne doit pas se faire au détriment des détenteurs de marques de commerce qui changent leurs marques de commerce pour se conformer à de nouvelles lois : voir également The Molson Companies c. Mitches & Co. (1980), 50 C.P.R. (2e) 180 (F.C.T.D.), au paragraphe 4.

 

[37]           Dans la présente affaire, les modifications n’ont pas été apportées à cause d’une nouvelle loi, mais parce qu’un représentant du gouvernement en a fait la demande. Toutefois, il est raisonnable à mon avis que l’agent d’audience ait conclu que la situation devant elle était comparable à ce qui s’est produit dans Saccone, étant donné qu’une entreprise de petite envergure pourrait facilement ne pas voir la différence entre les exigences imposées par une nouvelle loi et l’administration de règlements déjà en place par un ministère fédéral.

 


[38]           La demanderesse souligne une décision d’un autre agent d’audience dans Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3e) 535, qui indique que le principe de Saccone s’applique seulement à des variations plus importantes exigées par la loi. À part cette décision, il n’y a rien dans la jurisprudence qui a été portée à mon attention qui soutient cette proposition. Je note que l’agente dans la présente affaire n’était pas liée par cette décision et, de toute façon, elle a conclu que les modifications n’étaient pas importantes et n’induiraient pas en erreur ou ne causerait pas de préjudice au public de quelque manière que ce soit.

 

[39]           Je suis d’accord avec l’agente pour dire que les caractéristiques dominantes de la marque de commerce en question sont les mots « Nature’s Choice » dans la police de caractère et le dessin que la société continue d’utiliser. La feuille d’érable n’était pas une caractéristique prédominante du dessin. « Co. » n’est pas non plus une caractéristique importante du dessin.

 

[40]           La demanderesse soutient que le détenteur de la marque de commerce n’a pas donné de bons motifs précisant que la marque de commerce n’aurait pas pu continuer à être utilisée avec la feuille d’érable pour les marchandises d’origine canadienne ni que la marque de commerce sans « Co. » n’aurait pas pu être encore utilisée pour des aliments naturels. C’était l’utilisation de la marque pour les produits choisis par la société qui était contestée par le représentant d’Agriculture, non la marque de commerce elle-même. De plus, l’utilisation du symbole® n’a pas l’effet suggéré par l’agente d’audience principale, soit de rendre évident le fait que les mots « Nature’s Choice » sont une marque de commerce. « Co. » ne veut rien dire tout seul : Nightingale, précitée.

 


[41]           La justification de l’agente suppose, à mon avis, que, si la requête de retirer la feuille d’érable s’appliquait aux noix parce qu’elles étaient importées, elle s’appliquerait également aux autres marchandises. L’emballage montre clairement que tous les produits ont été importés. Je m’en remets à son opinion sur l’utilisation du symbole® pour mieux préciser que les mots constituent une marque de commerce, bien que je sois d’accord avec le fait que l’ajout de « Co. » ajoute très peu de sens autre que celui d’indiquer qu’une société fait affaire sous ce nom.

 

[42]           Je conclus que l’agent d’audience principale a appliqué le bon critère et a conclu raisonnablement que les caractéristiques principales et les plus importantes de la marque de commerce ont été préservées : Honey Dew, précitée. Une retenue considérable devrait être accordée à l’interprétation du dessin et de la description orale de la marque de commerce : Novopharm c. Astrazeneca AB (2001), 13 C.P.R. (4e) 61 (C.A.F.), au paragraphe 19.

 

[43]           La demanderesse a soulevé plusieurs autres questions collatérales, comme la conformité de la défenderesse à la Loi sur les noms commerciaux de l’Ontario, dont l’agent d’audience principale a conclu qu’elles ne devaient pas être abordées dans le cadre des procédures intentées en vertu de l’article 45. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que, bien que l’agent d’audience puisse tenir compte d’une autre loi d’un point de vue juridique au moment d’interpréter la Loi sur les marques de commerce, il n’y a aucune obligation de le faire. La validité de l’enregistrement d’une société ne fait pas partie des procédures en vertu de l’article 45, de même que pour établir si la société utilise la marque de commerce de manière appropriée. Je ne vois aucun motif d’intervenir dans ses conclusions en la matière.

 


[44]           Je conclus que l’agent d’audience principale a pris une décision raisonnable qui ne doit pas être modifiée. Les principales conclusions de fait sont raisonnables. Les modifications ont été nécessaires à cause de l’intervention d’un ministère fédéral. Il n’aurait pas été judicieux du point de vue de l’entreprise de revoir toute la gamme de produits pour utiliser des produits canadiens ou de le faire pour utiliser seulement des produits naturels afin de garder les droits de la marque de commerce. Cela n’aurait pas non plus eu aucun sens d’utiliser deux variations de la marque de commerce ou plus, selon les marchandises emballées. Faire plutôt un examen prudent de la marque était le seul choix qui avait un sens.

 

[45]           L’appel est par conséquent rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1594-04

 

INTITULÉ :                                                   MARKS & CLERK c.

                                      SPARKLES PHOTO

                                      LIMITED

                                                     

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 mars 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 juillet 2005        

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Gary Partington

Me Coleen Morrison                      POUR LA  DEMANDERESSE

 

Me Tamara Ramsey                                          POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GARY PARTINGTON

COLEEN MORRISON

MARKS & CLERK

OTTAWA (ONTARIO)                                             

POUR LA DEMANDERESSE

 

TAMARA RAMSEY

MCCARTHY TÉTRAULT LLP

TORONTO (ONTARIO)                                           

                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

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