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Date : 20011016

Dossier : IMM-5482-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1119

ENTRE :

                                                             GAGIK MARTIROSSIAN

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                              - et -

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de révision judiciaire de la décision de l'agent des visas, Andrée Blouin, en date du 11 septembre 2000, refusant la demande de résidence permanente au demandeur dans la catégorie "investisseur".

FAITS


[2]                 Le demandeurest un arménien né le 10 septembre 1962 à Kirovakan. Il est citoyen de Russie. Sa femme, Alla Kalamkarian est née le 13 décembre 1964 à Moscou, et ses deux filles jumelles, Elen Martirossian et Diana Martirossian sont nées le 28 août 1992 à Moscou. Elles sont toutes citoyennes de Russie.

[3]                 Le 14 octobre 1997, l'Ambassade du Canada à Paris a reçu la demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie "investisseur" et donc, a, en vertu de l'Accord Canada-Québec, déclenché le processus d'évaluation du demandeur.

[4]                 Le 20 juillet 1999, un agent des services canadiens du renseignement a rencontré le demandeur à Paris.

[5]                 La décision sécuritaire a été rendue le 10 novembre 1999.

[6]                 Peu après, le dossier du demandeur pour résidence permanente a été remis à un agent du service extérieur, Andrée Blouin ("agent des visas"), afin qu'elle le finalise. Elle procède alors, comme il se doit, à une revue complète des documents contenus dans le dossier du demandeur.


[7]                 N'étant pas satisfaite quant à l'aspect légal des transactions par lesquelles le demandeur semble avoir accumulé ses avoirs, l'agent des visas l'a convoqué à une entrevue. Elle lui a demandé d'apporter un relevé bancaire personnel couvrant les deux dernières années ainsi que la documentation pouvant établir l'origine de ses ressources financières.

[8]                 Le demandeur allègue qu'il avait gagné la somme de 750,000$US auprès de Gorros et K. Ltd pendant la période de 1996 et 1997 pour la vente de parfums et leur mise en marché. Le dossier du demandeur ne comportait aucune indication concernant d'autres sources de revenus ou d'autres activités rémunérées.

[9]                 Le 25 mai 2000, l'agent des visas a rencontré le demandeur en entrevue avec la participation d'un interprète.

[10]            Au début de l'entrevue, l'agent des visas a informé le demandeur que l'entrevue a pour but de s'assurer que les sommes d'argent qu'il a déclarées ont été obtenues par des moyens licites.

[11]            Pendant l'entrevue, l'agent des visas a insisté longuement sur la responsabilité du demandeur de démontrer que ses avoirs proviennent de sources licites.

[12]            L'agent des visas a informé le demandeur qu'elle n'était pas convaincue de la légitimité des transactions qu'il dit avoir effectuées pour le compte de la compagnie Gorros & K. Ltd.

[13]            L'agent a réitéré qu'il appartient au demandeur de faire la preuve du caractère licite de ses transactions. Elle l'a invité à fournir tout document additionnel qui pourrait justifier ses allégations.

[14]            Dans les jours suivant l'entrevue, le demandeur a fourni certains documents, notamment des lettres attestant le fait que le demandeur était un employé au sein de Gorros & K. Ltd. Encore une fois, il n'y avait aucune documentation indiquant la provenance des avoirs du demandeur.

[15]            Après avoir revu l'ensemble du dossier du demandeur, l'agent des visas a rejeté la demande au motif qu'il n'a pas fourni les documents requis et par conséquent, n'a pas démontré qu'il n'appartenait pas à la catégorie de personnes inadmissibles au sens de la Loi sur l'immigration (la "Loi").


[16]            Le procureur du demandeur a informé la Cour en se référant à la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans le dossier Guo Yong Biao c. Ministre de l'Immigration et de la Citoyenneté, [2001] F.C.J. no. 338 (C.A.F.), que le demandeur consentait à laisser tomber un certain nombre de motifs allégués dans ses documents écrits.

[17]            Les arguments retenus par le demandeur sont les suivants:

1.        La conclusion de l'agent quant à l'insuffisance de la preuve est déraisonnable et abusive;

2.        Le processus pour arriver à cette conclusion était inéquitable et ne respectait pas les principes de justice naturelle;

3.        Le fardeau de preuve exigé du demandeur était trop élevé.

[18]            À mon avis, l'agent des visas n'a pas erré en concluant que le demandeur n'a pas démontré la légalité de la provenance de ses fonds.

[19]            L'agent des visas était bien fondée, dans les circonstances, de s'interroger sur la provenance des fonds du demandeur et se déclarer insatisfaite de la preuve qu'il a présenté à cet égard.

[20]            L'agent des visas a donné l'occasion au demandeur de clarifier la provenance de ses avoirs. Dans son affidavit en date du 19 décembre 2000, l'agent des visas a écrit:

J'ai longuement insisté sur la nécessité de présenter ces informations et sur la responsabilité du demandeur de me démontrer que ses avoirs avaient été acquis de façon licite.


[21]            Le paragraphe 9(3) de la Loi énonce:


(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


[22]            Selon les faits, l'agent des visas a donné l'occasion au demandeur de produire toute preuve de la provenance de ses avoirs. Elle l'a invité, après son entrevue du 25 mai 2000, à envoyer de la preuve supplémentaire pour la convaincre de la légitimité de ses fonds. L'agent se devait, dans la cadre de ses obligations, en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi, de vérifier si les sommes d'argent accumulées par le demandeur provenaient d'activités légales.

[23]            Les faits de l'affaire Biao c. MCI, [2000] 2 C.F. 348 (C.F. (1re inst.), ressemblent énormément à ceux en l'espèce. Le demandeur dans Biao, prévoyant s'installer au Québec, avait présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie "investisseur". Le demandeur n'avait pas fourni une preuve satisfaisante relativement à la source de ses fonds, malgré les demandes faites à cet égard par l'agent des visas en vertu du paragraphe 9(3) de la Loi. Or, le juge Nadon a statué que:


The visa officer had the power to request these documents by virtue of Immigration Act, subsection 9(3) and the applicant had the burden of proving that his entry into Canada would not contravene the Act. The applicant had not met the obligation imposed by subsection 9(3) nor had he discharged the burden set out in section 8. A visa officer has both the right and the duty to require an applicant to produce documents which the officer believes are necessary to consider an application.

[24]            Le juge Nadon fait référence à l'affaire Kaur c. MCI (1995), 98 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.) et dit:

Where documentation is properly sought by the visa officer and is not produced, the applicant cannot be granted admission, as she is a person who has not complied with a request lawfully made under the Immigration Act.

[25]            Les faits dans l'affaire Hao c. MCI, [2000] F.C.J. No. 2013 (C.F. 1re inst.), sont également similaires à ceux en l'espèce, puisque le demandeur avait fait sa demande pour la résidence permanente dans la catégorie "investisseur", mais n'avait pas présenté une preuve suffisante pour permettre à l'agent de tirer une conclusion favorable. Le juge Pinard affirme :

In my view, the visa officer's contention was proper and he denied the visa on appropriate grounds, namely, that in the absence of the documentation he had requested, he was unable to verify the admissibility of the applicant with respect to section 19 of the Act.


[26]            En l'espèce, l'agent des visas a donné l'occasion au demandeur de présenter une preuve additionnelle pour la convaincre de la source licite de ses avoirs. Il n'a pas pu la convaincre, et donc, l'agent des visas était justifiée de refuser la demande pour résidence permanente, car le demandeur était alors en violation du paragraphe 9(3) de la Loi.

[27]            Après une étude approfondie de la preuve en l'espèce, il est clair qu'il n'y a rien dans le dossier du demandeur qui permettrait à l'agent des visas de conclure que les transactions étaient légitimes. Il n'y a aucune facture, aucun reçu, aucun document attestant de livraison, aucun connaissement, aucun récépissé, aucun paiement de frais de transport, aucune preuve du paiement de dédouanement ou de quoi que ce soit qui aurait pu démontrer l'existence et l'aspect légal des ventes.

[28]            Par ailleurs, j'ai examiné avec attention les notes manuscrites de l'agent des visas et notamment la dernière mention à la page 4 du dossier du tribunal en date du 20 août 2000:

Rien ne nous permettant, hors de tout doute d'établir que ces avoirs ont été obtenus licitement.

[29]            Le procureur du demandeur a fait état que par cette mention l'agent a utilisé une norme de contrôle plus sévère que la normale. Par ailleurs, les deux parties semblent d'accord à l'effet que la Loi n'a pas établi le fardeau de preuve que devait rencontrer le demandeur. À cet effet, l'article 8(1) de la Loi se lit comme suit:



8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.


[30]            L'article 9(3) se lit comme suite:


(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


[31]            À la lecture des notes de l'agent des visas, le demandeur ne m'a pas convaincu que l'agent des visas avait utilisé une norme déraisonnable dans les circonstances.

[32]            Comme je l'ai dit précédemment, l'agent des visas a donné l'occasion au demandeur de présenter une preuve additionnelle pour la convaincre de la source licite de ses avoirs et le demandeur n'a pas réussi à la convaincre.

[33]            Le fardeau incombe au demandeur de convaincre l'agent des visas et ce dernier n'a manifestement pas réussi à rencontrer ce fardeau.

[34]            En l'espèce, l'agent des visas, Andrée Blouin, a évalué le cas du demandeur selon les circonstances particulières et a fait les vérifications appropriées. Cependant, le demandeur était incapable de se décharger de son fardeau.

[35]            L'agent des visas n'a jamais fait croire que le demandeur était impliqué dans des activités illégales. Mais, pour pouvoir éliminer cette possibilité, elle désirait que le demandeur fasse preuve de toute absence d'activité illicite. Voici pourquoi l'origine des fonds du demandeur était un élément extrêmement pertinent eu égard à son admissibilité, laquelle relevait de la compétence de l'agent des visas. En effet, sans accuser le demandeur de quoi que ce soit, il est raisonnable de croire, en absence de preuve contraire, que les importantes sommes acquises par le demandeur pourraient provenir d'activités illégales visées par l'article 19 de la Loi tel que, par exemple, le blanchiment d'argent, la fraude, le crime organisé ou des transactions sur le marché noir.

[36]            L'agent des visas était insatisfaite par la preuve, car lors de son entrevue, le demandeur n'a produit que des états bancaires. Le demandeur ignorait et ignore toujours le fait qu'un état bancaire fait preuve uniquement de la possession de ressources financières et non de sa provenance. Il dit dans son affidavit en date du 17 novembre 2000 :


En effet, j'ai produit diverses attestations bancaires, produites au soutient de mon affidit [sic] commme [sic] Pièce A-6; de plus, l'agent des visas avait à son dossier divers contrats et reçus, établisasnt [sic] mes relations d'affaires durant les années 1996 et 1997 qui ont été à l'origine des fonds dont je disposais, les dits documents sont produits comme Pièce A-7 au soutien du présent affidavit.

[37]            La pièce A-7 contient quelques contrats simples et sept (7) documents intitulés "ACCEPTANCE CERTIFICATS" qui font référence aux montants des transactions.    Ces documents ne démontrent pas comment le demandeur a gagné ces sommes d'argent. (mon soulignement)

[38]            Le demandeur n'a pas fait preuve qu'il n'appartient pas à une catégorie inadmissible et donc, l'agent des visas a rejeté sa demande.

[39]            En conclusion, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[40]            Le demandeur suggère la question suivante:

Quelle est la nature du fardeau de preuve imposé à l'immigrant par l'article 8(1) de la Loi sur l'immigration?

[41]            Le défendeur a déposé des notes écrites, et s'oppose à la certification.


[42]            Je suis d'accord avec les arguments avancés par le procureur du défendeur. En effet le législateur a décidé de confier à l'agent la discrétion d'apprécier la preuve présentée. Les cas doivent être jugés au mérite. Cette question suggérée n'est pas de portée générale et ne sera pas certifiée.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 16 octobre 2001

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