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     Date : 20000504

     Dossier : T-453-00

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 4 MAI 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX


Entre

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     demandeur

     - et -


     JACOB FAST

     défendeur



     ORDONNANCE


     Par les motifs pris en l'espèce, la Cour rejette la requête en suspension d'instance et, eu égard aux circonstances de la cause, dit qu'il n'y a pas lieu d'allouer des dépens en la matière.

     Signé : François Lemieux

     _____________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet




     Date : 20000504

     Dossier : T-453-00


Entre

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     demandeur

     - et -


     JACOB FAST

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Transcription révisée des motifs prononcés

     à l'audience, le jeudi 27 avril 2000)


Le juge LEMIEUX


[1]      Je vais maintenant rendre mon jugement sur la requête de M. Fast en suspension des procédures dans le renvoi enregistré sous le numéro T-453-00, laquelle requête est rejetée.

[2]      Le défendeur, Jacob Fast, citoyen canadien né en Ukraine et âgé maintenant de 89 ans, s'est vu notifier en septembre 1999 l'avis que le demandeur, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), entendait soumettre au gouverneur en conseil, en application de la Loi sur la citoyenneté (la Loi), un rapport tendant à la révocation de la citoyenneté conférée au défendeur en 1954, par ce motif que celui-ci se serait fait admettre au Canada à titre de résident permanent et accorder la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, et ce du fait qu'il n'a pas révélé certains renseignements aux autorités canadiennes.

[3]      Cet avis indique en premier lieu que M. Fast n'a pas révélé qu'il était citoyen allemand, c'est-à-dire citoyen d'un pays ennemi et, de ce fait, non admissible au Canada, et, en second lieu, qu'il n'a pas révélé ce qu'il faisait durant la Seconde Guerre mondiale, à savoir a) sa collaboration avec les autorités d'occupation allemandes en Ukraine, b) son enrôlement dans la milice parrainée par les Allemands dans une localité en Ukraine et sa collaboration avec la police secrète et le service de renseignement allemands.

[4]      L'article 10 de la Loi prévoit que, sous réserve de l'article 18, le gouverneur en conseil, sur rapport du ministre, peut révoquer la citoyenneté s'il est convaincu que l'intéressé l'a obtenue par fraude, déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[5]      L'article 18 de la Loi prévoit de son côté que le ministre ne peut soumettre le rapport visé à l'article 10 au gouverneur en conseil que 30 jours après en avoir prévenu la personne qui en fait l'objet. Ce délai de trentaine permet à cette dernière de lui demander de renvoyer l'affaire à la Cour.

[6]      M. Fast a effectivement fait une telle demande par lettre en date du 25 octobre 1999 de son avocat, mais sans préjudice d'un recours en annulation de l'avis ci-dessus pour cause de nullité et d'iniquité.

[7]      De fait, le 29 octobre 1999, il a saisi la Cour, dans le dossier no T-1892-99, d'un recours en contrôle judiciaire tendant à l'annulation de l'avis susmentionné. Le 3 décembre 1999, le ministre y a opposé une fin de non-recevoir. J'ai entendu l'affaire les 10 et 11 avril, et aujourd'hui même.

[8]      Entre-temps, le 3 mars 2000, le ministre a déposé, en application des règles 171 et 169 des Règles de la cour fédérale (1998) (les Règles), une déclaration dans le dossier no T-453-00 contre Jacob Fast, défendeur, et tendant au jugement par la Cour, en application de l'alinéa 18(1)b) de la Loi, que celui-ci a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[9]      Voyons tout d'abord la nature de la procédure qui fait l'objet des présents motifs. Par avis de requête déposé le 22 mars 2000, le défendeur Jacob Fast conclut à la suspension de la procédure de renvoi soit jusqu'à ce que la Cour se prononce sur son recours en contrôle judiciaire dans le dossier no T-1892-99, soit, subsidiairement, jusqu'à l'expiration des cinq jours qui suivent la décision de la Cour sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre au recours en contrôle judiciaire. J'ai décidé de prendre la matière en délibéré.

[10]      Le défendeur invoque l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale. J'ai entendu sa requête en suspension d'instance en même temps que la fin de non-recevoir opposée par le ministre à son recours en contrôle judiciaire.

[11]      L'article 169 susmentionné des Règles actuellement en vigueur prévoit que la partie 4 régissant les actions s'applique aux renvois visés à l'article 18 de la Loi, et, aux termes des articles 171 et 63 des mêmes Règles, les actions s'engagent par déclaration sur formule 171A, ce qu'a fait le ministre le 3 mars 2000, comme noté supra. La déclaration a été signifiée au défendeur M. Fast le 7 mars 2000.

[12]      Les règles de la partie 4 régissant les actions visent à la mise en état méthodique et diligente de la cause. Normalement, le défendeur est tenu de déposer sa défense dans les 30 jours de la signification de la déclaration. À la suite de la réponse que la partie demanderesse peut déposer et signifier dans les 20 jours qui suivent le dépôt de la défense, les affidavits d'énumération des documents doivent être signifiés dans les 30 jours qui suivent la clôture des actes de procédure; viennent ensuite les interrogatoires préalables.

[13]      Dans RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a réitéré le triple critère de la suspension, par injonction interlocutoire, de la mise en application d'un texte de loi, à savoir : question sérieuse à trancher, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients.

[14]      Par ailleurs, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, qui était une affaire de révocation de la citoyenneté, elle était saisie d'un recours en arrêt définitif des procédures, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, où il est question, non pas d'un arrêt permanent des procédures, mais juste d'une suspension temporaire d'instance pour les raisons exposées supra. Dans Tobiass, la Cour a conclu que l'intérêt général engageait à rejeter la suspension d'instance dans les circonstances de la cause.

[15]      Dans RJR-MacDonald susmentionné, page 350, les juges Sopinka et Cory relèvent, dans l'examen du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, certains facteurs à prendre en considération pour juger s'il y a lieu d'accorder le redressement interlocutoire et quelles circonstances débouchent sur le préjudice éventuel déterminant. Voici leur conclusion à ce sujet, sous la rubrique " La prépondérance des inconvénients " :

     Pour déterminer lequel de l'octroi ou du refus du redressement interlocutoire occasionnerait le plus d'inconvénients, il faut notamment procéder à l'examen des facteurs suivants : la nature du redressement demandé et du préjudice invoqué par les parties, la nature de la loi contestée et l'intérêt public.

[16]      En l'espèce, le ministre reconnaît l'existence d'une question sérieuse, encore qu'avec des réserves en ce qu'à son avis, si je comprends bien M. Vita, il y a d'autres voies de recours ouvertes au défendeur.

[17]      Je pense qu'en l'espèce, le facteur auquel s'achoppent les prétentions du défendeur M. Fast, c'est le rapport des préjudices éventuels de part et d'autre et, à mon avis, la Cour suprême du Canada a, par son arrêt Tobiass susmentionné, posé catégoriquement que l'intérêt général ou public était un facteur déterminant contre l'arrêt des procédures de révocation de la citoyenneté. Elle s'est prononcée en ces termes, page 435 :

     De l'autre côté de la balance, l'intérêt de la société à ce que soit rendu un jugement définitif sur le fond est évident. Il est impératif que la vérité se manifeste. S'il n'est pas prouvé que les appelants ont fait les choses qu'on leur reproche, ils garderont leur citoyenneté. Mais si les actes allégués sont établis, en tout ou en partie, les mesures appropriées devront être prises. Ce qui est en jeu ici, si peu que ce soit, c'est la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale. À notre avis, cette préoccupation est de la plus haute importance.

[18]      Je ne conviens pas avec l'avocat de M. Fast que les prescriptions de l'arrêt Tobiass doivent être confinées aux cas où la personne visée par l'avis de révocation possible est expressément accusée d'avoir tué des civils. Une telle interprétation revient à restreindre excessivement les conclusions tirées par les juges de la Cour suprême dans cette affaire. Ainsi que je l'ai fait observer durant les débats, les crimes contre l'humanité ne sont pas limités à la participation ouverte au meurtre de civils, mais revêtent un sens plus large dans les circonstances.

[19]      Je ne suis pas indifférent aux preuves administrées au sujet des conséquences patrimoniales dont souffrirait M. Fast. De fait, dans l'examen du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, il semble qu'il faut prendre en considération le préjudice qu'il pourrait subir.

[20]      J'estime cependant que dans ce contexte, ce facteur ne l'emporte pas sur la nécessité de poursuivre la procédure pour découvrir la vérité au bout du compte, dans l'intérêt de M. Fast tout comme dans l'intérêt du ministre. De même, le fait que M. Fast peut contester la validité de l'avis par voie de contrôle judiciaire ne fait pas pencher en sa faveur le rapport des préjudices éventuels.

[21]      Par ces motifs, la requête en suspension d'instance de M. Fast est rejetée. Je ne pense pas, compte tenu des circonstances de la requête, qu'il s'agisse d'un cas justifiant l'allocation de dépens.

     Signé : François Lemieux

     _____________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 4 mai 2000



Traduction certifiée conforme,




Martine Brunet


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-453-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Jacob Fast


LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :          10, 11 et 27 avril 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LEMIEUX


LE :                      4 mai 2000



ONT COMPARU :


Peter Vita, c.r.                  pour le demandeur

Madeleine Schwarz

Peter Doody                      pour le défendeur

Lawrence Elliott



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Morris Rosenberg                  pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

Borden Ladner Gervais              pour le défendeur

Avocats

Ottawa (Ontario)

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