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Date : 19980715


Dossier : IMM-3696-97

ENTRE :


MING KUANG YU,

     demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM :

INTRODUCTION

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision, en date du 30 juillet 1997, par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut de réfugié) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la convention.

FAITS

[2]      Le demandeur, un citoyen de la Chine, affirme être devenu catholique en 1992. Père de trois enfants, il a dû verser une amende à l'égard du troisième. Le demandeur soutient s'être engagé activement dans une église clandestine et avoir commencé à construire, avec d'autres personnes, une usine qui serait également utilisée pour les services religieux. Le demandeur a déclaré que les autorités ont appris l'existence de l'église et qu'ils le recherchent pour l'arrêter. Il s'est enfui de la Chine et est arrivé au Canada le 27 décembre 1995, où il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3]      La Section du statut de réfugié a refusé d'accorder le statut de réfugié au demandeur. Elle a conclu qu'il y avait des contradictions entre les notes du point d'entrée (PDE) et les dépositions orale et écrite du demandeur. Les notes du PDE indiquent que le demandeur est un travailleur de la construction, mais le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur rapporte qu'il était propriétaire d'une boutique de vêtements et qu'il avait auparavant travaillé comme gardien de l'entrepôt d'une entreprise de matériaux de construction et comme agriculteur. En outre, les notes du PDE précisent que le demandeur souhaitait demeurer au Canada à cause de problèmes engendrés par les politiques de planification des naissances de la Chine, mais ne mentionnent pas de motifs religieux. Toutefois, lorsqu'on lui a posé la question au PDE, il a affirmé que la religion et les opinions politiques étaient les motifs qu'il invoquait pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. De plus, le demandeur a dit qu'il n'était pas membre d'une organisation particulière, mais son récit dans le FRP relate son appartenance à une église clandestine. Dans les notes du PDE, le demandeur déclare qu'il n'est pas recherché, mais dans son FRP et dans d'autres éléments de preuve documentaire déposés, il affirme que le bureau de la sécurité publique (le BSP) le recherche.

[4]      Interrogé sur ces contradictions, le demandeur a répondu qu'il était fatigué et pris d'étourdissement. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait indiqué que la construction était son métier, il a dit avoir l'intention de mentionner tous ses emplois, en commençant par le premier. Le demandeur a également affirmé que l'interprète n'a pas correctement interprété sa déclaration selon laquelle le BSP le recherchait.

[5]      La Section du statut de réfugié a conclu que son témoignage était en général compatible avec son FRP, bien que certains points aient été jugés invraisemblables. Le demandeur a affirmé que près du tiers de son village, qui compte 300 personnes, priait à l'église clandestine le dimanche. La Section du statut de réfugié a jugé invraisemblable qu'un si grand nombre de personnes puissent prier en secret. Je suis convaincu que la déclaration de la Section du statut de réfugié paraît être une simple supposition parce qu'elle n'énonce pas les raisons, en termes précis, pour lesquelles elle ne croit pas cela vraisemblable.

[6]      De même, la Section du statut de réfugié n'a pas cru non plus l'histoire du demandeur quant à la construction d'une usine. Le demandeur a affirmé que les inspecteurs de bâtiments, lors de leur inspection des lieux, n'ont pas vu une niche construite dans le mur pour abriter des icônes religieuses parce qu'elle était dissimulée. Cependant, le demandeur a indiqué que les inspecteurs, au cours d'une seconde visite à l'improviste pour inspecter la machinerie, ont découvert la niche en question. La Section du statut de réfugié a remarqué que le demandeur a dit au départ que la machinerie n'était pas sur place lors de la première visite, mais il a par la suite changé son témoignage et dit qu'elle s'y trouvait, mais n'avait pas été installée. La Section du statut de réfugié a également remarqué que le demandeur ne pouvait expliquer de façon satisfaisante pourquoi, à leur première visite, les inspecteurs n'ont pas découvert la niche dans le mur pour l'examiner. De plus, les inspecteurs et le demandeur n'ayant pas discuté de la date de l'installation de la machinerie, la Section du statut de réfugié s'est demandé comment les inspecteurs auraient pu savoir à quelle date se présenter pour l'inspecter. Enfin, la Section du statut de réfugié a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur et ses compagnons croyants penseraient pouvoir employer une grande partie de la population locale et effectuer des services religieux à l'insu des autorités.

[7]      Par conséquent, la Section du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas membre d'une église clandestine, parce qu'elle a jugé que la preuve du demandeur quant au fonctionnement de l'église et à la construction de l'usine n'était pas vraisemblable. De plus, selon la Section du statut de réfugié, l'omission du demandeur de mentionner au PDE son emploi et les motifs pour lesquels il a fui la persécution étaient pertinents, sans être toutefois des facteurs déterminants dans sa revendication du statut de membre d'une église clandestine.

[8]      La Section du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté en Chine en raison de son appartenance à une église clandestine.

ARGUMENTATION

1. Argumentation du demandeur

[9]      Le premier argument du demandeur est qu'il a été privé du droit à la justice naturelle parce qu'il n'a pas eu à sa disposition un interprète compétent à l'audience. L'avocate du demandeur a renoncé à cet argument à l'audience devant moi.

[10]      Le deuxième argument du demandeur est que la Section du statut de réfugié n'a pas examiné dans sa décision une citation à comparaître qu'il avait reçue, lui intimant de comparaître en justice parce qu'il était accusé d'avoir participé à des activités religieuses illégales. Le demandeur soutient que cette citation, en plus de corroborer son témoignage, prouve clairement qu'il serait persécuté à son retour en Chine.

[11]      Le troisième argument du demandeur est que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en omettant d'évaluer la revendication du demandeur fondée sur son manque de liberté de pratiquer sa religion, en dépit de la vraisemblance de la preuve que les autorités le recherchaient. Le demandeur soutient que la Section du statut de réfugié n'a pas conclu qu'il n'était pas un catholique et n'a pas non plus rejeté la preuve qu'il pratiquait le catholicisme au Canada.

2. Argumentation du défendeur

[12]      Le défendeur soumet des arguments quant aux conclusions de crédibilité que la Section du statut de réfugié a tirées et affirme que la Cour ne devrait pas modifier la décision de la Section du statut de réfugié quant à la question de la crédibilité.

[13]      Il est de droit constant que la Cour ne modifie pas les conclusions de crédibilité, à moins que celles-ci paraissent avoir été rendues de façon arbitraire. Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose.

ANALYSE

[14]      Le deuxième argument du demandeur est que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en ne mentionnant pas la citation à comparaître dans sa décision. Dans la décision Gourenko c. Le Solliciteur général du Canada (1995), 93 F.T.R. 264, le juge Simpson dit à la page 264 :

         Toutefois, la question se pose de savoir quand un document est si important qu'on doit le mentionner expressément dans la décision. Ou, autrement dit, quand l'omission de mentionner un document sera-t-elle considérée comme une erreur susceptible de contrôle?                 
         À mon avis, un document doit seulement être mentionné dans une décision si, en premier lieu, il est pertinent, en ce sens qu'il porte sur la période en cause. En second lieu, il doit être rédigé par un auteur indépendant de bonne réputation qui soit la source de renseignements la plus fiable. En troisième lieu, il me semble que le sujet abordé dans le document doit se rapporter directement à la revendication d'un requérant. [...] En outre, si un document se rapporte directement aux faits allégués par un requérant, on s'attendrait à ce que ce document soit abordé dans les motifs de la Commission.

[15]      Je suis convaincu que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en ne mentionnant pas la citation à comparaître dans sa décision. Pour reprendre les termes de la décision Gourenko, précitée, ce document était pertinent, sa fiabilité n'a pas été contestée, il a un rapport direct avec la revendication du demandeur et les faits que ce dernier a allégués. À mon avis, ce document devrait avoir une certaine influence sur la décision de la Section du statut de réfugié; or, on ne sait pas si elle en a tenu compte, ni quelle importance elle lui donnerait.

[16]      Même si la Section du statut de réfugié croyait que le demandeur manquait de crédibilité, elle aurait dû tenir compte de la citation à comparaître et ensuite l'écarter à cause du manque de crédibilité du demandeur. Elle ne l'a pas fait.

[17]      Le dernier argument du demandeur est que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en n'évaluant pas sa revendication fondée sur son manque de liberté de pratiquer sa religion. Le demandeur cite la décision Fosu c. Canada (M.E.I.) (1994), 90 F.T.R. 182, dans laquelle la cour dit aux pages 184 et 185 :

         Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. [...] Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l'interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en oeuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu'elles pratiquent leur religion.                 

[18]      Le dernier paragraphe du FRP du demandeur indique :

         [TRADUCTION] J'ai peur de retourner en Chine, parce que je crois que je serai arrêté si j'y retourne à cause de mon engagement dans l'église clandestine et parce que je pratique une religion illégale. Si je suis arrêté, je crois que je serai battu et torturé. Je sais également que si je suis obligé de retourner en Chine, je ne serai pas libre de pratiquer ma religion comme je le suis au Canada.                 

[19]      Le demandeur cite également les affaires Ming Guo Wang c. Canada (M.C.I.), C.F. 1re inst., IMM-250-97, 22 décembre 1997, le juge Lutfy et Lim Man Chong c. Canada (M.C.I.), C.F. 1re inst., IMM-3438-97, 7 juillet 1998, le juge Rothstein.

[20]      La décision de la Section du statut de réfugié indique que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté à cause de son appartenance à une église clandestine, mais elle ne décide pas s'il a raison de craindre d'être persécuté en raison de ses croyances religieuses. La Section du statut de réfugié s'est préoccupée de savoir si le demandeur était persécuté à cause de son appartenance à une église clandestine, mais n'a pas cru qu'il était membre d'une telle église. À mon avis, cela revient à décider s'il était persécuté à cause de ses croyances religieuses, parce que l'église clandestine était utilisée pour la pratique du catholicisme. Par conséquent, je suis convaincu que la Section du statut de réfugié a abordé la question de la crainte de persécution du demandeur en raison de ses croyances religieuses.

CONCLUSION

[21]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie au motif que la Section du statut de réfugié aurait dû évoquer la question de la délivrance d'une citation à comparaître et en tenir sérieusement compte.

[22]      Je renvoie la présente affaire à un comité différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition. Je conseille à la Section du statut de réfugié de retenir les services d'un interprète plus compétent.

[23]      Les parties n'ont pas présenté de question aux fins de la certification.

                         " Max M. Teitelbaum "

                             J.C.F.C.

TORONTO (ONTARIO)

Le 15 juin 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                      IMM-3696-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MING KUANG YU

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 14 JUILLET 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                      15 JUIN 1998

ONT COMPARU :                     

                             Mme Maureen Silcoff

                                 pour le demandeur

                             Mme Bridget O'Leary

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :             

                             Lewis & Associates

                             175, rue Harbord

                             Toronto (Ontario)

                             M5S 1H3

                                 pour le demandeur

                              George Thomson

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 pour le défendeur


                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19980715

                        

         Dossier : IMM-3696-97

                             Entre :

                             MING KUANG YU,

     demandeur,

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            


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