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Date : 20060404

Dossier : IMM-2720-05

Référence : 2006 CF 432

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

GUANG SHENG HAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans des motifs détaillés et convaincants, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), s’appliquait. L’article 98 de la LIPR prescrit qu’une personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 150 (la Convention sur les réfugiés), ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. M. Han demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Je conclus que cette demande doit être rejetée.

 

I. Les faits

[2]               M. Han, un citoyen de la Chine, s’est joint au Parti communiste chinois (PCC) en 1980 et a été embauché par le Bureau de la sécurité publique (BSP) en 1982. En 1992, il est devenu directeur adjoint du BSP à Shen Yang. Environ quatre ans plus tard, il a été promu directeur adjoint du Bureau des affaires judiciaires à Shen Yang et, en avril 1999, il est devenu directeur de ce même bureau. Ses tâches en tant que directeur comprenaient la direction de deux prisons et de quatre camps de travail à Shen Yang.

 

[3]               M. Han allègue que, déjà en 1989, il était désillusionné quant au gouvernement de la Chine. Cependant, ce sont ses voyages à l’étranger, y compris ses voyages aux États-Unis en 1994 et en 1997, qui l’ont inspiré au sujet de la réforme du système judiciaire de la Chine.

 

[4]               M. Han était bien disposé envers les pratiquants du Falun Gong. En 2000, malgré le fait qu’il eût exprimé des réserves (en raison d’un manque d’espace), il a dû recevoir 190 pratiquants du Falun Gong dans des centres de détention qui étaient sous sa direction. Il a placé ces pratiquants dans deux centres de réforme et a ordonné à ses subalternes de ne pas les maltraiter. Il a puni un employé qui n’avait pas suivi ses directives. Après l’évasion de trois détenus en février 2001, il a reçu l’ordre de rédiger une autocritique, mais a refusé de le faire. En avril 2001, M. Han a ordonné la libération anticipée (de 14 jours) d’un vieux militant célèbre, qui avait mis au jour des actes de corruption et de détournement de fonds à Shen Yang. En mai 2001, il a écrit un rapport détaillé au sujet des mauvais traitements qu’avaient subis deux femmes dans un centre de réforme qui n’était pas sous sa direction. Il a envoyé ce rapport au directeur du Bureau des affaires judiciaires, qui a été mécontent parce que M. Han avait révélé l’affaire. La SPR a relevé qu’au cours de la même période, au moins deux incidents importants de violation des droits de la personne avaient eu lieu dans des camps qui étaient sous la direction de M. Han.

 

[5]               En août et en septembre 2001, sans avoir consulté qui que ce soit, M. Han a organisé la libération de 159 pratiquants du Falun Gong. À son retour d’un voyage aux États-Unis en septembre de la même année, il a eu le sentiment d’être surveillé et a quitté la Chine pour venir au Canada quelques jours plus tard. M. Han est arrivé au Canada le 16 septembre 2001 et a déposé une demande d’asile le 10 décembre 2002.

 

II. Les dispositions légales applicables

ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS

 

Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees,

189 U.N.T.S. 150

 

F.  Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F.  The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Immigration and Refugee Protection Act,

S.C. 2001, c. 27

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

III. La décision

[6]               La SPR a relevé des violations aux droits de la personne généralisées et systémiques en Chine entre 1982 et 2001 (années durant lesquelles M. Han était membre de l’administration gouvernementale de la Chine). Bien qu’elle se soit concentrée en grande partie sur les mauvais traitements administrés aux pratiquants du Falun Gong, la SPR a noté que la violence n’était pas uniquement exercée contre ce groupe. Des preuves documentaires d’Amnistie Internationale et de Human Rights Watch appuyaient les conclusions selon lesquelles de nombreux prisonniers et détenus étaient décédés des suites de la torture et des mauvais traitements administrés par les autorités chinoises. Le Country Report on Human Rights Practices de 2003, publié par le Département d’État des États-Unis, signalait que des membres du corps policier et des services de sécurité avaient recours à la torture.

 

[7]               La Commission a retenu des preuves au sujet des mauvaises conditions et de la violence dans les centres de détention dirigés par M. Han. Elle a conclu que le témoignage de M. Han au sujet des conditions de travail dans ces centres comportait des contradictions et elle a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. La SPR a privilégié la preuve documentaire au sujet des conditions dans les centres de détention plutôt que le témoignage de M. Han. Bien que la preuve provînt de rapports préparés par deux sources du Falun Gong, la Commission l’a acceptée au motif que les renseignements obtenus de ces sources étaient généralement compatibles avec ceux d’Amnistie Internationale et de Human Rights Watch.

 

[8]               M. Han a occupé des postes supérieurs au BSP et au Bureau des affaires judiciaires à Shen Yang. La Commission n’a pas accepté sa déclaration selon laquelle il ignorait que des violations des droits de la personne avaient été commises par des gens qui travaillaient dans les centres qu’il dirigeait. Elle a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que M. Han était au courant autant de la violence commise dans ses camps de travail que de celle commise dans le reste de la Chine.

 

[9]               De plus, la SPR a conclu que M. Han était resté à son poste au sein du régime et qu’il avait accepté un certain nombre de promotions. Refuser d’obéir à un ordre ou refuser une promotion auraient pu avoir pour conséquence que M. Han aurait été discrédité ou congédié. Cependant, la Commission a conclu que ces conséquences auraient été beaucoup moins graves que la violence commise par le régime. Au sujet des activités d’opposition de M. Han, la SPR a conclu qu’elles étaient essentiellement sans rapport avec la situation de violence et qu’elles ne correspondaient pas à une volonté de réformer le système pénal de la Chine. Elle a noté que M. Han n’avait quitté son poste et la Chine que lorsqu’il s’était senti personnellement visé. Malgré ses doutes sur l’idéologie, il avait continué à appuyer le régime jusqu’en 2000.

 

[10]           La Commission a conclu que M. Han avait été complice des violations des droits de la personne commises dans les centres de détention qu’il dirigeait et de celles commises par le régime chinois. Par conséquent, il a été exclu aux termes de l’article 98 de la LIPR.

 

IV. Questions préliminaires

[11]           M. Han a déposé un affidavit supplémentaire au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Une lettre datée du 1er février 2006, envoyée par la Falun Dafa Association of Canada et adressée à l’avocat de M. Han, était jointe à cet affidavit. Le défendeur s’est opposé à l’admission de cette lettre parce qu’elle n’avait pas été présentée à la SPR. La lettre date du 1er février 2006 et la décision de la Commission, du 21 avril 2005. Indéniablement, la lettre n’a pas été présentée à la SPR. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’à moins de circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire est d’examiner la décision par rapport au dossier qui a été présenté au décideur. Le juge MacKay, dans l’affaire Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (1re inst.), a mentionné au paragraphe 34 :

Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, une cour peut uniquement tenir compte de la preuve mise à la disposition du décideur administratif dont la décision est examinée; elle ne peut pas tenir compte de nouveaux éléments de preuve (voir Brychka c. Canada (Procureur général), supra; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne (re Mills) (19 août 1997), dossier du greffe T-1399-96, [1997] A.C.F. no 1089; Lemiecha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, 24 Imm. L.R. (2d) 95; Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 100 F.T.R. 139, 29 Imm. L.R. (2d) 1).

 

Par conséquent, la lettre ne sera pas examinée aux fins du contrôle judiciaire.

 

[12]           La deuxième question porte sur le fait que M. Han se fonde, dans ses observations écrites, sur les motifs rendus par le juge Blanchard dans l’affaire Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, pour appuyer son argument selon lequel l’application de la Directive no 7 (ordre inversé de l’interrogatoire) [TRADUCTION] « s’ajoutant à la nature particulière de l’audience, avait eu une incidence négative sur la demande ». Il soutient que la SPR, qui aurait apparemment été influencée par l’ordre de l’interrogatoire établi pour l’analyse de l’exclusion, aurait suivi le même ordre dans son examen au sujet de l’inclusion.

 

[13]           Cet argument n’a pas été invoqué à l’audience et pose en tout cas de nombreuses difficultés. M. Han n’a pas précisé de quelle façon l’ordre de l’interrogatoire a affecté l’affaire. Son avocat a reconnu que l’ordre de l’interrogatoire prévu au à l’alinéa 21 de la Directive no 7 est semblable à la pratique qui existait pour les audiences concernant une exclusion, avant la mise en pratique de la Directive. Qui plus est, la décision de la Commission se limite à la question de l’exclusion. Comme les arguments de M. Han se rapportent uniquement à l’ordre de l’interrogatoire pour l’inclusion, ils ne sont pas pertinents. Vu que cet argument n’a pas été sérieusement avancé, je n’ai pas l’intention de poursuivre sur le sujet.

 

V. La norme de contrôle

[14]           En ce qui a trait à une décision d’exclusion, la norme qui s’applique aux conclusions de fait est la décision manifestement déraisonnable et, aux conclusions qui découlent de l’application du droit aux faits, la décision raisonnable : Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 302 N.R. 178 (C.A.F.)

 

VI. Les questions en litige

[15]           Les observations écrites de M. Han soulèvent principalement trois questions. J’examinerai ces questions à tour de rôle. Lors de l’audience, une nouvelle observation, décrite par l’avocat de M. Han comme étant « inédite », a été présentée. Je traiterai de cette observation après avoir d’abord examiné les questions dont le défendeur a pu prendre connaissance. Je suis convaincue que les questions que j’analyse ci-dessous définissent correctement toutes les erreurs alléguées. 

 

A. La SPR a-t-elle commis une erreur en privilégiant la preuve documentaire plutôt que le témoignage du demandeur, sans présenter de motifs valides?

 

[16]           La SPR a conclu qu’il existe des raisons sérieuses de croire que M. Han est une personne décrite à l’article premier, section Fa) de la Convention sur les réfugiés, et elle l’a exclu en vertu de l’article 98 de la LIPR. Elle n’a pas retenu le témoignage de M. Han au sujet des conditions dans les prisons et les camps de travail qui étaient sous sa direction. Elle a conclu, selon la prépondérance de la preuve, qu’il avait eu connaissance des mauvais traitements qui y avaient été commis. La Commission a conclu que le témoignage de M. Han manquait de crédibilité en raison de contradictions internes. Cette conclusion a été tirée expressément par rapport au témoignage au sujet des conditions dans les camps de travail qui étaient sous la direction de M. Han.

 

[17]           M. Han avait d’abord témoigné que les détenus dans les camps passaient la majorité de leurs journées à des activités telles que regarder la télévision, lire les journaux et faire des exercices d’étirement. Il avait laissé entendre que tout travail était majoritairement effectué de façon volontaire de la part des détenus et qu’il ne s’agissait pas de tâches physiques exigeantes. Lors d’une audience ultérieure, lorsqu’il a été informé d’un rapport au sujet de détenus dans l’un de ses camps travaillant seize heures par jour, M. Han a témoigné qu’il avait donné l’ordre de ne pas surcharger les détenus, que les directeurs des camps organisaient leur propre horaire de travail et qu’il était possible que le directeur ait exigé de longues heures de travail de la part des détenus afin de compléter une commande, sans l’en avoir avisé. M. Han a aussi reconnu qu’il était possible qu’un des incidents de mauvais traitements ait eu lieu. Bien qu’il ait donné des ordres afin que les prisonniers pratiquants du Falun Gong ne soient pas maltraités, il a reconnu qu’il y avait eu occasionnellement des cas de violence contre d’autres prisonniers dans les camps qu’il dirigeait.

 

[18]           La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison des incohérences dans le témoignage de M. Han au sujet de la situation dans les camps. Elle a retenu la preuve documentaire à ce sujet, plutôt que celle de M. Han. Comme je l’ai déjà mentionné, la preuve documentaire provenait de rapports émanant de deux sources du Falun Gong, que la Commission a acceptés parce que les renseignements fournis par ces sources correspondaient généralement aux renseignements d’Amnistie Internationale et de Human Rights Watch.

 

[19]           M. Han a raison lorsqu’il affirme que les motifs de la SPR doivent être précis lorsqu’elle tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité, et que ces motifs doivent indiquer de façon claire et en termes non équivoques pourquoi elle privilégie la preuve documentaire plutôt que son témoignage.

 

[20]           À mon avis, la Commission a clairement énoncé les raisons pour lesquelles elle doutait de la crédibilité de M. Han et elle a aussi expliqué la raison pour laquelle elle était prête à accepter des preuves de sources susceptibles d’être partisanes. La conclusion défavorable quant à la crédibilité n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[21]           Cependant, les preuves qui appuient la conclusion défavorable quant à la crédibilité portent expressément sur les conditions de travail dans les camps, et non sur les atrocités qui y ont été commises. La conclusion de la Commission au sujet de ces atrocités est que, selon la prépondérance de la preuve, M. Han savait que cette violence avait lieu. Cette conclusion n’est pas expliquée en détail et il n’y a aucune preuve documentaire à l’appui. La seule preuve reliant M. Han aux atrocités qui ont été commises dans ses camps porte sur un incident au cours duquel M. Han a puni un des agents d’un camp parce qu’il avait torturé un jeune détenu. En l’absence d’explications plus approfondies justifiant le rejet des dénégations de M. Han, je ne peux pas conclure que la SPR a fourni des motifs adéquats pour expliquer sa conclusion selon laquelle M. Han était au courant des atrocités qui étaient commises dans les centres de détentions dont il avait la direction.

 

[22]           Ceci dit, ma conclusion à cet égard ne porte que sur la situation et la violence qui existaient dans les camps de M. Han et sur la connaissance qu’il en avait. Elle ne porte pas sur le fait que M. Han a avoué qu’il savait que les droits de la personne étaient violés ailleurs en Chine.

 

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Han était complice de crimes contre l’humanité qui auraient été commis par le gouvernement de la Chine?

 

[23]           M. Han soutient énergiquement qu’afin de conclure qu’il avait atteint le niveau de complicité nécessaire pour le déclarer complice de crimes contre l’humanité, la SPR devait conclure qu’il avait eu connaissance des crimes en question et qu’il partageait les mêmes objectifs que le régime dans la perpétration de ces crimes. Il allègue que la Commission a fondé sa conclusion de complicité sur son statut au sein du gouvernement de la Chine et sur l’état des violations des droits de la personne commises par le gouvernement, sans examiner s’il avait participé personnellement aux outrages allégués. J’analyserai cette question conjointement avec la prochaine question.

 

C. La SPR a-t-elle commis une erreur en ne précisant pas de quels crimes contre l’humanité elle déclarait M. Han complice?

 

[24]           M. Han prétend que la Commission a dressé un tableau détaillé des violations des droits de la personne commises par les autorités chinoises sans le lier à des activités criminelles précises. D’après M. Han, les mauvaises conditions de vie dans les camps de travail, au sujet desquelles la SPR a conclu que le témoignage du demandeur était incohérent, ne sont pas des crimes contre l’humanité.

 

VII. Analyse

[25]           La jurisprudence au sujet de la « complicité » repose sur trois arrêts de la Cour d’appel fédérale : Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) (Ramirez); Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) (Moreno); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.) (Sivakumar).

 

[26]           Dans l’affaire Ramirez, la Cour d’appel a conclu que la perpétration d’un crime international nécessite une « participation personnelle et consciente » (paragraphe 15) et que « la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction ne permet pas d'établir une telle participation » (paragraphe 17). La cour a aussi noté qu’un « associé des auteurs principaux ne pourrait jamais être qualifié de simple spectateur » (paragraphe 17). Elle a conclu que « dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » (paragraphe 18). Dans cette affaire, le demandeur avait déserté l’armée du Salvador principalement en raison des activités de cette armée. Cependant, il avait été en service actif pendant vingt mois, avait été pleinement conscient de la violence commise par l’armée et avait été présent lors de nombreux incidents de persécution. La Cour d’appel a conclu qu’il avait fait partie de ces opérations « même si, personnellement, il n'applaudissait pas les actions accomplies » (paragraphe 38). Son changement d’opinion ultérieur et sa désertion de l’armée n’atténuaient pas sa participation antérieure.

 

[27]           Dans l’affaire Moreno, la Cour d’appel a conclu que « les actes ou les omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas d'invoquer la disposition d'exclusion » (paragraphe 50). Elle a aussi mentionné qu’elle se fondait sur l’idée que « plus une personne est impliquée dans le processus décisionnel et moins elle tente de contrecarrer la perpétration d'actes inhumains, plus il est vraisemblable qu'elle soit criminellement responsable » (paragraphe 53). Dans cette affaire, un homme qui avait été conscrit de force dans l’armée et qui avait été posté à l’extérieur d’une pièce dans laquelle une personne était torturée, mais dont il n’avait pas la clé, n’a pas été déclaré visé par la disposition d’exclusion.

 

[28]           Dans l’affaire Sivakumar, la Cour d’appel a noté qu’un « commandant militaire peut être tenu responsable des crimes internationaux commis par ses subordonnés, mais seulement s'il était au courant ou devait l'être » (paragraphe 8). De plus, la cour a affirmé que « le fait de continuer à occuper un poste de direction tout en sachant que l'organisation est responsable de crimes contre l'humanité peut constituer de la complicité ». La cour a conclu qu’il « est crucial que la Commission rapporte dans ses motifs de décision les crimes contre l'humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis » (paragraphe 33). Dans l’affaire Sivakumar, la cour a conclu que les motifs n’étaient pas suffisants parce qu’ils n’exposaient pas les conclusions de fait au sujet des actes commis et de l’intention partagée et de la connaissance qu’avait le demandeur de ces actes. Cependant, la cour a conclu que le demandeur avait témoigné au sujet de la connaissance qu’il avait des mauvais traitements commis par l’organisation dont il faisait partie, bien qu’il eût protesté contre ces mauvais traitements, et qu’il existait suffisamment de preuves objectives sur les mauvais traitements pour que n’importe quel tribunal puisse reconnaître que les allégations contre l’organisation étaient vraies.

 

[29]           Dans l’affaire Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.), la juge Reed a tiré la conclusion suivante : « […] sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, […] a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et […] ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais […] l'appuie activement. »

 

[30]           Le défendeur soutient que de nombreux facteurs ont contribué à la conclusion de complicité qu’a tirée la Commission, notamment : les mauvais traitements commis par le régime pendant la période d’emploi de M. Han; le fait que M. Han a continué d’afficher son soutien envers le régime; le fait qu’il était au courant des violations générales des droits de la personne; le fait qu’il ne s’est opposé aux politiques du gouvernement qu’en 2000; les preuves que des détenus dans les camps sous sa direction ont été torturés et tués; le manque de crédibilité de certains de ses témoignages; le fait qu’il ne s’est pas dissocié du régime.

 

[31]           Le ministre doit prouver que les violations des droits de la personne ont été commises, et une conclusion d’exclusion est assujettie à la norme de preuve selon laquelle il y a des raisons sérieuses de penser qu’un demandeur a commis une violation des droits de la personne. Il n’y a aucune distinction de fond entre les expressions « raisons sérieuses de penser » et « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables » : Ramirez, Moreno. La norme « exige davantage qu'un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » : Mugesera, [2005] 2 R.C.S. 100. La SPR a conclu que M. Han avait été complice des violations pour deux raisons : premièrement, parce que des personnes sous son autorité ont violé des droits de la personne, et deuxièmement, parce qu’il faisait partie du gouvernement de la Chine.

 

[32]           En ce qui a trait à la conclusion de la Commission selon laquelle des violations des droits de la personne avaient été commises dans les camps de travail dirigés par M. Han, elle n’est pas manifestement déraisonnable. M. Han n’a pas contesté le fait que les deux graves incidents de mauvais traitements cités par la Commission avaient eu lieu. Dans l’un des deux cas, il a admis que cela avait pu se produire. La SPR doit se fonder sur des motifs sérieux pour tirer une conclusion de fait. Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a obtenu une partie des renseignements de la part de sources partisanes, mais sa décision de les accepter parce qu’ils correspondent généralement avec ceux des rapports d’organisations non gouvernementales indépendantes n’est pas manifestement déraisonnable. Pour ces motifs, la SPR pouvait raisonnablement conclure qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’il y avait eu violation des droits de la personne.

 

[33]           Cependant, je conclus que la Commission n’a pas rendu de motifs justifiant sa conclusion selon laquelle M. Han était complice de ces violations. Comme je l’ai déjà mentionné, la SPR n’a pas présenté un examen complet des allégations de M. Han selon lesquelles il n’avait pas eu connaissance de ces violations. Pour que la SPR puisse conclure qu’un demandeur a été complice de violations des droits de la personne, elle doit conclure qu’il y a eu participation personnelle et consciente de la part du demandeur. Dans l’affaire Sivakumar, la Cour d’appel a affirmé que le simple fait d’occuper un poste d’autorité n’est pas suffisant pour satisfaire à cette exigence. Par conséquent, le fait que M. Han était directeur de ces camps n’est pas, à mon avis, une raison suffisante pour conclure qu’il était complice. En l’absence de motifs adéquats de la Commission justifiant la conclusion selon laquelle M. Han avait eu connaissance des mauvais traitements commis dans les camps, la conclusion de complicité à cet égard ne peut être maintenue.

 

[34]           La SPR n’a pas tiré de conclusion de fait au sujet d’autres incidents précis de violation des droits de la personne en Chine. Cependant, elle a mentionné le contenu de rapports d’organisations non gouvernementales, telles qu’Amnistie Internationale, Human Rights Watch et le rapport du Département d’État des États-Unis, qui faisaient état de violations largement répandues et systématiques en Chine. Dans l’affaire Sivakumar, la Cour d’appel avait accepté de telles preuves comme fondement pour affirmer qu’aucun tribunal ne pourrait conclure que les accusations portées contre l’organisation étaient fausses. De plus, M. Han a admis que les violations des droits de la personne étaient répandues en Chine.

 

[35]           Si, d’une part, M. Han a apparemment pris des mesures afin de protéger des membres du Falun Gong entre 2000 et 2001, d’autre part, il travaillait déjà depuis de nombreuses années en tant que cadre supérieur pour le gouvernement, il savait que l’administration gouvernementale pour laquelle il travaillait se livrait à des violations des droits de la personne et il avait publiquement appuyé l’idéologie de cette administration. Dans l’affaire Ramirez, la Cour d’appel a conclu que le changement d’opinion du demandeur et sa désertion ultérieure de l’armée du Salvador n’atténuaient pas l’association qu’il avait eue avec cette organisation. Dans l’affaire Sivakumar, le fait que le demandeur eût protesté de façon répétée contre la façon dont l’organisation dont il faisait partie traitait les civils n’atténuait pas son association continue avec cette organisation. Il est admirable que M. Han ait finalement décidé de s’opposer à l’administration gouvernementale, mais cela ne change pas le fait qu’il a appuyé ce régime pendant des années.

 

[36]           De plus, la SPR a conclu que les mesures prises par M. Han pour protéger les pratiquants du Falun Gong ne correspondaient pas à une volonté de promouvoir une réforme en matière pénale. M. Han a admis que s’il avait refusé d’obéir à un ordre ou s’il avait refusé des promotions, il aurait été discrédité ou congédié. La Commission a considéré que cette sanction aurait été bien moins dure que la violence infligée par le régime pour lequel il travaillait.

 

[37]           Il n’y a aucun fondement qui justifie que j’annule la décision de la Commission à cet égard. Les motifs qui ont été rendus comprennent une analyse de la preuve qui a permis à la SPR de tirer ses conclusions. L’analyse résiste à un examen assez poussé et, par conséquent, n’est pas déraisonnable. M. Han est à juste titre assujetti à l’exclusion en raison de sa participation et de son soutien public donné à un régime qu’il savait coupable de violations des droits de la personne perpétrées sur une grande échelle.

 

[38]           Avant de conclure sur cette question, je réitère le doute que j’ai exprimé à l’avocat de M. Han lors de l’audience, soit que ses arguments semblent quelque peu anormaux par rapport au paragraphe 4 de l’affidavit du 31 mai 2005 qui énonce que M. Han admet [TRADUCTION] « les faits tels qu’ils ont été énoncés par le tribunal dans ses motifs écrits ».

 

VIII. L’argument inédit

[39]           L’avocat de M. Han a soulevé une objection au fait que la Commission n’a pas tiré une conclusion subsidiaire relativement à l’inclusion. Il soutient que cette omission laisse M. Han sans protection contre un renvoi en Chine, où il sera certainement exposé à des risques. Selon l’avocat de M. Han, l’objectif de la disposition d’exclusion est [TRADUCTION] « d’apporter un climat de changement dans le pays d’origine pour que les gens n’aient tout simplement plus à partir ». Pour que cet objectif puisse être atteint, les « nouveaux convertis » doivent être protégés.

 

[40]           Aucune jurisprudence n’a été citée à appui de cette interprétation. Dans l’affaire Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 1 R.C.F. 305; (2004), 243 D.L.R. (4th) 385 (C.A.) (Xie), la Cour d’appel fédérale a conclu que la SPR doit trancher la question de l’exclusion d’un demandeur du statut de réfugié avant de traiter du bien-fondé de sa demande. Une fois que la Commission conclut qu’un demandeur est exclu de la protection accordée aux réfugiés, elle ne peut et ne doit rien faire de plus.

 

[41]           L’affaire Xie répond aux arguments de M. Han, particulièrement aux paragraphes 26, 28, 29 et 30. Je renvoie l’avocat à cette décision parce que je n’ai pas l’intention de citer ces paragraphes dans les présents motifs.

 

[42]           La Cour d’appel résume ses conclusions au sujet de l’économie de la LIPR, en ce qui a trait aux décisions au sujet des demandes d’asile, au paragraphe 33 de ses motifs. Elle prévoit qu’il existe deux volets, le premier concernant les demandes d'asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l'examen des risques avant le renvoi (ERAR). Ceux qui font l'objet de l'exclusion prévue à l'article 98 n'ont pas droit à l'asile mais peuvent présenter une demande de protection à l'étape de l’ERAR. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait d'accorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada.

 

[43]           À mon avis, la décision rendue dans l’affaire Xie répond complètement à l’argument « inédit » du demandeur.

 

[44]           L’avocat n’a proposé aucune question aux fins de certification, et aucune question n'est énoncée.

 

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

                                                                                                      « Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2720-05

 

INTITULÉ :                                       GUANG SHENG HAN c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Layden-Stevenson

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 4 avril 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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