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Date : 20041216

Dossier : IMM-604-04

Référence : 2004 CF 1745

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE Mactavish

ENTRE :

                                                              OSZKAR HOLMIK

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Oszkar Holmik est un ressortissant hongrois. Il dit être une personne à protéger parce qu'il aurait été repéré par des membres du crime organisé, qui l'auraient forcé à participer à une opération de blanchiment d'argent.

[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Holmik, estimant qu'il n'était pas un témoin crédible et digne de foi. La Commission a dit aussi que, en tout état de cause, M. Holmik aurait pu bénéficier d'une protection de l'État en Hongrie, s'il l'avait demandée.


[3]                M. Holmik voudrait maintenant que la décision de la Commission soit annulée. Selon lui, la conclusion de la Commission selon laquelle il n'était pas crédible est manifestement déraisonnable. Il dit aussi que la Commission a commis une erreur parce qu'elle a appliqué le mauvais critère et parce qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve qu'elle avait devant elle à propos de la protection de l'État. Finalement, M. Holmik dit que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas adéquatement étudié sa demande déposée en application de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Les allégations de M. Holmik

[4]                M. Holmik exploitait une entreprise de construction à Budapest. Il dit que c'était une entreprise [traduction] « de taille moyenne » qui s'en sortait bien et qui faisait des bénéfices.

[5]                En mai 2000, M. Holmik a reçu un appel téléphonique anonyme. La personne qui appelait lui a dit qu'une grosse somme d'argent avait été déposée dans son compte bancaire. Elle l'a informé ensuite qu'on lui dirait en temps voulu à qui il devrait remettre l'argent. Puis elle a ajouté qu'il n'avait d'autre choix que d'apporter son aide dans le blanchiment de l'argent. M. Holmik dit qu'il a eu peur de signaler l'affaire aux autorités et que, à contrecoeur, il s'est exécuté.

[6]                Cette mise en demeure fut suivie d'autres mises en demeure de même nature. Finalement, M. Holmik a été prié de verser plus d'argent que ce qui avait été déposé dans son compte. Il a fini par se rendre compte qu'il était la victime d'une opération d'extorsion et de blanchiment d'argent menée par le crime organisé.

[7]                Lorsqu'il a voulu se sortir de ce mauvais pas en menaçant de signaler l'affaire à la police, des menaces ont été proférées contre lui. Le lendemain, la voiture de M. Holmik était poussée dans un fossé, et on lui a dit que, la prochaine fois, il verrait pire. Plus tard ce même jour, sa voiture a été cambriolée, et certains de ses papiers personnels ont été volés.

[8]                C'est alors que M. Holmik s'est rendu à la police. Il a témoigné avoir parlé aux policiers du blanchiment d'argent, et les policiers lui auraient dit que c'était peine perdue que de chercher à mener l'affaire plus loin. Ils ont pris des photos de son véhicule et rédigé un rapport faisant état des dommages au véhicule et des documents volés.

[9]                M. Holmik dit qu'il a quitté Budapest après cet incident, pour se rendre durant plusieurs mois dans une autre région de la Hongrie. Il a finalement été contraint de revenir à Budapest en raison des nécessités de son entreprise. Peu après son retour à Budapest, de dire M. Holmik, l'extorsion a repris. En octobre 2000, la voiture de M. Holmik était de nouveau forcée, et une grosse somme d'argent qui s'y trouvait était dérobée. M. Holmik s'est rendu à la police pour signaler le vol. Les policiers ont rédigé un rapport, mais l'enquête en est restée là.


[10]            M. Holmik a alors rencontré les extorqueurs et leur a montré un double du rapport de police, pour leur prouver que ce n'était pas lui qui avait pris l'argent. M. Holmik dit qu'il a de nouveau été menacé. À ce stade, craignant pour sa vie, M. Holmik a fermé son entreprise de construction et a quitté le pays. À son arrivée au Canada, il a immédiatement demandé l'asile.

La décision de la Commission

[11]            La Commission n'a pas cru M. Holmik lorsqu'il a dit qu'il avait été repéré par le crime organisé en Hongrie ou qu'il avait été contraint de participer à une opération de blanchiment d'argent.

[12]            La Commission n'a pas mis en doute la validité des rapports de police produits par M. Holmik, et elle a également reconnu que M. Holmik avait été la victime d'actes criminels, à savoir les deux cambriolages et les deux vols dans sa voiture. Cependant, la Commission a pensé que M. Holmik avait inventé toute l'histoire du blanchiment d'argent.

[13]            Au coeur de l'analyse faite par la Commission, il y avait sa conclusion selon laquelle il était invraisemblable que le crime organisé puisse cibler l'entreprise de M. Holmik ou puisse contraindre M. Holmik à participer contre son gré à une opération de blanchiment d'argent. Selon la Commission, « il existait des moyens beaucoup plus faciles et plus plausibles pour le crime organisé de blanchir son argent » .


[14]            La Commission a aussi relevé qu'aucun des deux rapports de police ne faisait état de l'affirmation de M. Holmik selon laquelle il était une victime du crime organisé. Selon la Commission, M. Holmik aurait pu facilement exposer son problème à la police, mais il a décidé de ne pas le faire.

[15]            La Commission a ensuite examiné la question de la protection de l'État, pour conclure que M. Holmik n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle son pays serait en mesure de le protéger.

[16]            Finalement, la Commission a conclu que M. Holmik n'était pas exposé à une menace à sa vie, à des traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture, dans le cas où il serait tenu de retourner en Hongrie. En conséquence, la demande d'asile présentée par M. Holmik a été refusée.

Points litigieux

[17]            M. Holmik fonde sur trois points sa demande de contrôle judiciaire :

1.         Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité et à la vraisemblance de son témoignage étaient-elles manifestement déraisonnables?


2.         La Commission a-t-elle commis une erreur sur la question de la protection de l'État en appliquant le mauvais critère et en ne tenant pas suffisamment compte de la preuve qu'elle avait devant elle?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans la manière dont elle a évalué la demande de M. Holmik déposée en application de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés?

Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité et à la vraisemblance étaient-elles manifestement déraisonnables?

[18]            La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a une spécialisation bien établie en ce qui a trait à l'appréciation des questions de fait, notamment l'évaluation de la crédibilité des demandeurs d'asile. L'appréciation des questions de fait constitue d'ailleurs le coeur même de la compétence de la Commission. Par conséquent, avant qu'une conclusion de fait tirée par la Commission puisse être annulée par la Cour, il doit être prouvé que cette conclusion était manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[19]            Lorsque les conclusions de la Commission en matière de crédibilité reposent sur des invraisemblances décelées par les commissaires, la Cour peut intervenir par contrôle judiciaire « si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de l'affaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun » . (Voir Yada et autres c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 264. Voir aussi Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 875).

[20]            En l'espèce, la Commission, se fondant principalement sur ce qu'elle qualifiait de conclusion quant à la vraisemblance, a dit que M. Holmik n'avait pas apporté une preuve crédible et digne de foi au soutien de sa demande d'asile. La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer dans la présente affaire requiert une retenue judiciaire considérable, mais je suis d'avis que l'une des conclusions essentielles tirées par la Commission ne peut ici résister à l'examen.

[21]            Au coeur de l'analyse faite par la Commission se trouve sa conclusion selon laquelle il n'était pas vraisemblable que le crime organisé s'en prenne à l'entreprise de M. Holmik ou contraigne M. Holmik à participer contre son gré à une opération de blanchiment d'argent. On se rappellera que, selon la Commission, « il existait des moyens beaucoup plus faciles et plus plausibles pour le crime organisé de blanchir son argent » .


[22]            Cette conclusion soulève trois difficultés : d'abord, la Commission n'a pas tenu compte des raisons avancées par M. Holmik pour lesquelles le crime organisé s'en était pris à son entreprise. Deuxièmement, la Commission n'a pas traité de la preuve documentaire impartiale qui appuie la version donnée par M. Holmik. Finalement, nous n'avons aucun moyen de savoir ce que la Commission avait à l'esprit lorsqu'elle a dit qu'il existait des moyens beaucoup plus faciles et plus plausibles de blanchir de l'argent.

[23]            Dans son témoignage, M. Holmik a expliqué que son entreprise de construction s'en sortait bien et qu'elle générait de bons bénéfices. Selon M. Holmik, le crime organisé s'en prenait souvent à des petites et moyennes entreprises, parce qu'elles n'étaient pas aussi surveillées par le gouvernement que l'étaient les entreprises de grande taille.

[24]            Même si, d'après la Commission, il existait des moyens plus faciles et plus plausibles de blanchir de l'argent, l'examen de la preuve documentaire impartiale que la Commission avait devant elle révèle que la méthode de blanchiment d'argent décrite par M. Holmik était une méthode communément employée par le crime organisé en Hongrie. Elle avait même été employée si souvent que le gouvernement a dû à la fin de 2000 déposer un projet de loi interdisant formellement le dépôt anonyme de sommes d'argent dans des comptes bancaires.

[25]            La preuve documentaire confirmait aussi que le crime organisé était un problème de taille en Hongrie et que jusqu'à 60 p. 100 de toutes les entreprises hongroises étaient sous la coupe d'organisations criminelles.


[26]            Il était loisible à la Commission de ne pas accepter le témoignage de M. Holmik à propos de ce que la Commission elle-même considérait comme l'aspect central du dossier. Cependant, avant d'arriver à la conclusion que sa version des faits était invraisemblable, la Commission avait l'obligation à tout le moins d'étudier l'explication donnée par M. Holmik et de se référer à la preuve documentaire qui appuyait ses dires. Si la Commission a choisi de rejeter ce témoignage, il lui incombait à mon avis d'expliquer pourquoi elle le rejetait. Comme elle ne l'a pas fait, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant à l'invraisemblance de l'opération de blanchiment d'argent décrite par M. Holmik.

[27]            Même si la Commission avait accepté la version donnée par M. Holmik, il faudrait encore se demander s'il pouvait obtenir la protection de l'État en Hongrie. En conséquence, il est nécessaire d'étudier le deuxième point soulevé par M. Holmik.

La Commission a-t-elle commis une erreur sur la question de la protection de l'État en ne tenant pas suffisamment compte de la preuve qu'elle avait devant elle?

[28]            La Commission a jugé que la preuve documentaire qu'elle avait devant elle et qui concernait la situation ayant cours dans le pays montrait que la Hongrie était disposée et apte à apporter une protection de l'État suffisante, à défaut d'être parfaite. La Commission a donc conclu que M. Holmik n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle un État sera en mesure de protéger ses citoyens.


[29]            La Commission avait effectivement devant elle une preuve attestant que la Hongrie reconnaissait le grave problème du crime organisé dans ce pays et qu'elle prenait véritablement des moyens pour combattre ce phénomène, mais il existait aussi une preuve assez abondante qui montrait que les efforts ainsi accomplis n'ont pas donné de résultats.

[30]            Plus précisément, la recherche menée par la Commission elle-même révèle qu'il n'y a jamais eu d'enquête sur un nombre élevé d'affaires de corruption liée au crime organisé au sein des corps policiers de la Hongrie. La preuve que la Commission avait devant elle indiquait même que le niveau de la corruption policière s'était en réalité accru au fil des ans.

[31]            L'édition européenne du magazine Time rapportait que la police hongroise n'avait pas fait beaucoup de progrès dans sa lutte contre le crime organisé. Un rapport de 2000 relève qu'une unité spécialisée constituée pour combattre le crime organisé avait été dissoute l'année antérieure, huit ans après sa création, sans qu'elle ait jamais procédé à une seule arrestation qui eût valu la peine.

[32]            Encore une fois, il était loisible à la Commission d'apprécier cette preuve, en même temps que l'autre preuve qui révélait que des progrès étaient accomplis dans la lutte contre le crime organisé, et de choisir cette dernière preuve plutôt que la première. La Commission n'avait pas cependant le loisir de simplement omettre de tenir compte de la preuve qui contredisait sa conclusion selon laquelle une protection de l'État suffisante était offerte aux victimes du crime organisé en Hongrie. Cette preuve renforçait la version donnée par M. Holmik et elle méritait à tout le moins d'être étudiée.


[33]            Vu mes conclusions sur les deux premiers points soulevés par M. Holmik, il n'est pas nécessaire d'étudier le troisième point.

[34]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Question à certifier

[35]            Aucune des deux parties n'a proposé qu'une question soit certifiée, et aucune question n'est soulevée en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Commission, pour nouvelle décision.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

            « Anne L. Mactavish »             

Juge                           

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-604-04

INTITULÉ :                                                  OSZKAR HOMLIK c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                          LE 24 NOVEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                           TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                 LA JUGE Mactavish

DATE DES MOTIFS :                                LE 16 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Amina Sherazee

(416) 934-4535                                                                        pour le demandeur

Marcel Larouche

(416) 952-7262                                                                        pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amina Sherazee

DOWNTOWN LEGAL SERVICES

655, avenue Spadina

Toronto (Ontario)

M5S 2H9                                                                                  pour le demandeur

Marcel Larouche

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

130, rue King ouest

Bureau 3400, casier 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6                                                                                 pour le défendeur

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