Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990408


Dossier : T-1862-98

ENTRE :

     HERBERT LEE MILLER,

     demandeur,

     et


LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Le demandeur est un des détenus de l'établissement Bowden, situé à Innisfail (Alberta). Entre le mois de mars 1995 et le mois de novembre 1997, il a travaillé comme préposé à l'entretien de l'unité no 5. Le programme d'emploi auquel il prenait ainsi part relève lui-même d'un ensemble plus large de programmes conçus dans l'intérêt des détenus afin d'" aider les détenus à devenir des citoyens respectueux des lois en leur facilitant la réalisation d'objectifs personnels prévus dans leur plan correctionnel "1. Le demandeur a été suspendu de son emploi en novembre 1997 après avoir refusé d'accomplir certaines des tâches que lui avait confiées son superviseur. Le litige concerne en l'occurrence le nombre d'heures de travail accomplies chaque jour par le demandeur. Le demandeur affirme qu'il était tenu de travailler, et travaillait effectivement, sept heures par jour, tous les jours de la semaine, c'est-à-dire 98 heures de travail par période de rémunération - 70 heures de travail ordinaires et 28 heures de travail supplémentaires. Le demandeur n'a jamais été rémunéré pour plus de 35 heures de travail par semaine, soit 70 heures par période de rémunération. Le demandeur réclame le paiement de 2 664,66 $ de gages qui lui sont dus : 36,48 $ pour ses congés payés, 246,15 $ pour sa rémunération de base et 2 382,03 $ pour ses heures supplémentaires.

[2]      Le demandeur invoque à l'appui de sa demande la directive du commissaire no 7301 (DC no 730), qui définit les modalités de rémunération des détenus participant aux programmes d'emploi qui leur sont destinés :

     12. Les détenus doivent être rémunérés pour leur participation aux programmes approuvés par le Comité des programmes, normalement jusqu'à concurrence de l'équivalent de cinq (5) jours complets par semaine..         
         . . .         
     31. La semaine normale de travail doit être établie dans les Ordres permanents de l'établissement.         
             
     32. Les jours fériés, les samedis et les dimanches ne sont pas des journées normales de travail. Le directeur peut autoriser des exceptions à cette règle pour les raisons suivantes :         
         a. l'exécution de tâches essentielles qui doivent être accomplies quotidiennement;                 
         b. les cas d'urgence; et                 
         c. les besoins exceptionnels liés au programme.                 
             
     33. Les détenus qui travaillent les samedis et les dimanches ne recevront pas d'indemnité d'heures supplémentaires, mais ils auront droit, durant la semaine, à des congés compensatoires d'une durée correspondant à la période travaillée. Le directeur doit s'assurer que le détenu est informé par écrit, avant d'accepter de participer à un programme, qu'il sera peut-être obligé de travailler ces journées .         
             
     34. Pour les jours fériés, les détenus sont payés au taux quotidien de leur salaire régulier.         
         . . .         
     37.En cas d'arrêt des activités de l'atelier, les règles suivantes s'appliquent :         
         a.(1) une rémunération régulière équivalant à une journée complète de travail pour chaque jour d'interruption des activités à condition qu'il travaille une partie de la journée;                 
         . . .         
     38. Des heures supplémentaires ne doivent être effectuées que s'il n'existe pas d'autres solutions raisonnables.         
             
     39. Un détenu qui effectue des heures supplémentaires ne recevra une rémunération additionnelle que lorsque le total cumulatif des heures travaillées dans tous les programmes excède le nombre d'heures fixé par l'établissement pour une semaine de travail normale.         
             
     40. Le taux horaire pour les heures supplémentaires correspond au cinquième du taux de rémunération quotidien pour chaque heure supplémentaire travaillée [non souligné dans l'original] [affidavit du défendeur, cote A].         

[3]      À l'établissement Bowden, la semaine de travail est de 35 heures. Selon le défendeur, les détenus qui participent à des programmes d'emploi à temps plein sont payés sur la base de 35 heures de travail par semaine. Ces 35 heures peuvent se répartir sur cinq jours, à raison de sept heures par jour, ou sur sept jours à raison de cinq heures de travail par jour. Le défendeur reconnaît que le demandeur n'a jamais signé de document déclarant qu'il travaillerait cinq heures par jour, sept jours par semaine, comme l'exige l'article 33 de la DC no 730, affirmant cependant que la teneur de ses responsabilités et l'horaire de travail qui devait être le sien avaient été portés à la connaissance du demandeur. Le défendeur se demande pourquoi le demandeur a attendu d'être suspendu de son emploi pour formuler une plainte concernant son horaire de travail et sa rémunération alors qu'au cours des deux ans et demi qu'a duré sa participation au programme de travail en question, il n'avait rien dit à ce sujet.

[4]      C'est auprès du superviseur de son unité, comme le prévoit l'article 74 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, que le 21 janvier 1998 le demandeur a déposé sa plainte concernant l'argent qu'on lui devait. Le coordinateur du programme examina ses registres de rémunération, étudia la plainte et, le 3 février 1998, rejeta la réclamation formulée par le demandeur. Le coordinateur du programme estima que le demandeur avait été payé en tant que préposé à l'entretien de l'unité, travail à plein temps comportant 70 heures de travail par période de rémunération, soit cinq heures par jour, sept jours par semaine. Le demandeur formula, le 16 février 1998, un grief de niveau 1; le 23 juin 1998, un grief de niveau 2; et le 10 août 1998, un grief de niveau 3. Ses griefs furent tous les trois rejetés. Le grief de niveau 3, tranché par le sous-commissaire par intérim, développement organisationnel, K. Wiseman, est le point d'aboutissement de la procédure applicable aux griefs des détenus. C'est de cette décision-là que le demandeur sollicite en l'espèce le contrôle judiciaire.

[5]      Selon la décision rendue par l'agent des griefs de niveau 3, le demandeur a reçu des réponses complètes et pertinentes aux plaintes qu'il avait formulées aux deux niveaux antérieurs. L'agent a indiqué que, vu le dossier et le fait que le demandeur n'y avait versé aucun élément nouveau, il n'y avait pas lieu, d'après lui, de réformer les décisions précédemment intervenues. La lettre transmise au demandeur en réponse à son grief était rédigée dans les termes suivants :

     [traduction] Votre grief a été examiné au troisième niveau.         
     J'ai également examiné les réponses que vous avez reçues aux niveaux antérieurs de cette procédure au sujet du paiement de vos heures supplémentaires. J'estime que les réponses qui vous ont été transmises sont complètes et pertinentes.         
     Peut-être pourrais-je, cependant, préciser certains des renseignements qui vous ont été transmis. Je vous renvoie à la directive du commissaire no 730, Affectation aux programmes et rémunération des détenus, paragraphe 39 " Un détenu qui effectue des heures supplémentaires ne recevra une rémunération additionnelle que lorsque le total cumulatif des heures travaillées dans tous les programmes excède le nombre d'heures fixé par l'établissement pour une semaine de travail normale ".         
     L'établissement de Bowden a instauré, pour le travail à plein temps, une semaine de 35 heures. Que vous ayez donc travaillé cinq heures par jour, sept jours par semaine, comme c'est votre cas, ou sept heures par jour, cinq jours par semaine, comme le prévoit l'horaire de la plupart des postes à temps plein, vous avez tous travaillé 35 heures par semaine. Notez que, dans les deux cas, cela donne 70 heures de travail par période de rémunération.         
     Votre établissement s'est en outre livré à un examen approfondi de la rémunération qui vous a été versée jusqu'ici et a décidé qu'aucun argent supplémentaire ne vous est dû au titre des jours fériés ou des jours de suspension des activités de l'établissement.         
     Étant donné que vous n'avez accompagné votre grief de troisième niveau d'aucune donnée nouvelle, il n'y a d'après moi pas lieu de réformer les décisions rendues aux niveaux antérieurs. Votre grief est rejeté [affidavit du défendeur, cote O].         

[6]      Le demandeur estime que l'agent des griefs de niveau 3 a manqué à son devoir d'équité. Il fait notamment valoir que l'agent a restreint l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui appartient en se fondant trop exclusivement sur les décisions rendues aux étapes antérieures de la procédure de grief. Aux yeux du demandeur, M. Wiseman n'a pas fait du dossier qui lui était soumis un examen juste ou impartial.

[7]      Le demandeur fait également valoir qu'il a subi un déni de justice naturelle et d'équité procédurale dans le cadre du grief de niveau 2 étant donné que l'agent des griefs a pris contact avec le coordinateur du programme à l'établissement Bowden afin de se faire communiquer la description d'emploi correspondant au travail de préposé à l'entretien de l'unité. Cette communication n'a pas été portée à l'attention du demandeur qui n'a donc pas eu la possibilité d'y répondre. Le demandeur affirme que la description d'emploi communiquée à l'agent de niveau 2 (et selon laquelle il est bien précisé que l'horaire de travail compte cinq heures par jour, sept jours par semaine1) a été rédigée après qu'il eut formulé sa plainte. Il a versé au dossier, en tant que pièce G accompagnant son affidavit, la description d'emploi qu'il a signée immédiatement après avoir été suspendu de son travail. Cette description d'emploi prévoit simplement que le préposé à l'entretien de l'unité travaille sept jours par semaine, mais ne précise aucunement le nombre quotidien d'heures de travail.

[8]      Et enfin, le demandeur fait valoir que la décision rendue par l'agent des griefs de niveau 3 repose sur des erreurs de fait puisque l'agent a estimé que les exigences prévues dans la DC no 730, telles que celle qui accorde au demandeur du temps libre pendant la semaine pour compenser le travail effectué en fin de semaine, avait été respectées. Le demandeur sollicite de la Cour une déclaration portant annulation de la décision de M. Wiseman ou une injonction de mandamus ordonnant qu'on restitue au demandeur les droits et privilèges qu'il s'est vu dénier.

[9]      Le défendeur soutient pour sa part que l'agent des griefs de niveau 3 a rendu une décision raisonnable au vu des éléments du dossier, qu'il a agi conformément aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale et qu'il a satisfait à l'ensemble des exigences prévues dans les textes applicables. Le défendeur fait notamment valoir que M. Wiseman n'a commis aucune erreur en prenant en compte les décisions antérieures rendues dans le cadre de ce même grief car l'article 82 du Règlement lui impose l'obligation de prendre en compte les efforts du personnel et du détenu en vue de résoudre le problème, y compris toute recommandation formulée par eux1. En ce qui concerne le déni de justice naturelle invoqué par le demandeur, le défendeur estime que le problème ne se pose plus étant donné que le demandeur a eu la possibilité de présenter de nouveaux éléments dans le cadre du grief de niveau 3 et qu'il aurait pu soulever la question à l'égard de la décision de niveau 2. C'est aussi mon avis.

[10]      Et enfin, le défendeur fait valoir que les directives du commissaire n'ont pas force de loi et ne confèrent au contrevenant aucun droit ou privilège. Il s'agit simplement de règles concernant la procédure et l'administration interne. Dans les affaires Laprette c. Établissement d'Edmonton (directeur) et autres (1992), 58 F.T.R. 101, jugement du juge en chef adjoint Jerome, et Canada (Procureur général) c. Plante (1995), 103 F.T.R. 161, jugement du juge Pinard, la Cour a estimé que la question essentielle, lorsqu'il s'agit de dire s'il y a eu inobservation d'une directive du commissaire, est celle de savoir si l'inobservation de cette directive a causé au détenu préjudice. Si l'inobservation de la directive a entraîné un manque d'équité ou un déni de justice, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire et intervenir.

[11]      En l'espèce, l'inobservation alléguée concerne la question de savoir si le demandeur a été payé conformément aux exigences prévues dans la DC no 730. À la source de cette question concernant la rémunération à laquelle le détenu avait droit, se trouve une question de fait, celle de savoir si le demandeur a travaillé cinq ou sept heures par jour. Les preuves documentaires accompagnant les affidavits du demandeur et du défendeur n'étayent pas la thèse du demandeur. Les bordereaux de rémunération contenus dans les rapports de présence à l'atelier des détenus permettent de savoir si le demandeur était présent ou absent le matin ou l'après-midi de chaque journée de travail. Selon ces documents, il travaillait en général l'équivalent de 10 journées de sept heures toutes les deux semaines, soit 70 heures de travail pour chaque période de rémunération de deux semaines. Ces documents notent également les jours fériés et les jours où étaient suspendues les activités de l'établissement. Étant donné que le demandeur a travaillé pendant deux ans et demi sans se plaindre de l'insuffisance ou de l'iniquité de sa rémunération, et qu'il a attendu pour se plaindre d'avoir été suspendu de son emploi, il est difficile d'admettre l'argument qu'il fait actuellement valoir, et selon lequel il était obligé de travailler sept heures par jour.

[12]      Le dossier ne contient rien qui porte à penser que, dans sa décision, l'agent des griefs de niveau 3 se serait mépris sur le droit applicable, ne se serait pas fondé sur les documents qui lui étaient soumis, ou aurait agi de mauvaise foi. De même, les décisions concernant la plainte initiale et les griefs de niveau 1 et 2 portent à penser que les préoccupations évoquées par le demandeur ont fait l'objet d'un examen attentif - les mentions portées sur les bordereaux de rémunération indiquent que ses allégations ont été attentivement examinées afin de savoir si de l'argent lui était effectivement dû. Je ne saurais conclure que l'agent des griefs de niveau 3 s'est trompé dans son appréciation de la situation du demandeur. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

     " B. Reed "

     juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 8 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      T-1862-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              HERBERT LEE MILLER,

     demandeur,

                             et
                             LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE REED

EXAMEN FAIT CONFORMÉMENT

À LA RÈGLE 369 À :                  TORONTO (ONTARIO)
DATE :                          LE JEUDI 8 AVRIL 1999
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Herbert L. Miller
                             B.P. 6000 - Unité no 5
                             Innisfail (Alberta)
                             T4G 1V1

                            

                                 Agissant en sa propre cause

                             Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                            

                                 pour les défendeurs

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990408

                        

         Dossier : T-1862-98

                             Entre :

                             HERBERT LEE MILLER,

     demandeur,

                             et
                             LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
                            

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

__________________

     1      Directive du commissaire no 730, affidavit du défendeur, cote A.

     2      Les directives du commissaire sont des règles élaborées par le commissaire en vertu de l'article 97 de la Loi sur système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, désignées en tant que directives conformément à l'article 98. Ces règles contribuent à la gestion du service ainsi qu'à la réalisation et à la mise en oeuvre des objectifs et des dispositions de la Loi et du Règlement. Ces directives sont, comme elles doivent l'être, à la disposition du public, du personnel des divers établissements et des détenus eux-mêmes.

     3      Voir l'affidavit du défendeur, cote L.

     4      L'article 82 prévoit que :          Lors de l'examen de la plainte ou du grief, la personne chargée de cet examen doit tenir compte :          a) des mesures prises par les agents et le délinquant pour régler la question sur laquelle porte la plainte ou le grief et des recommandations en découlant;          b) des recommandations faites par le comité d'examen des griefs des détenus et par le comité externe d'examen des griefs;          c) de toute décision rendue dans le recours judiciaire visé au paragraphe 81(1).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.