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Date : 20060609

Dossier : T-2086-05; T-2118-05; T-2121-05

Référence : 2006 CF 720

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

T-2086-05

L'HONORABLE ALFONSO GAGLIANO

demandeur

et

 

L'HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

LE TRÈS HONORABLE JEAN CHRÉTIEN

 

demandeur

et

 

 

L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

 

M. JEAN PELLETIER

 

demandeur

 

et

 

L’ HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Le contexte

[1]               Les demandeurs, le très honorable Jean Chrétien (Chrétien), l’honorable Alfonso Gagliano (Gagliano) et M. Jean Pelletier (Pelletier) ont chacun présenté séparément une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir l’annulation du rapport de la phase I de la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission). Chacun des demandeurs a demandé à la Commission de lui transmettre divers documents aux termes de l’article 317 des Règles des Cours fédérales. La Commission ne s’est pas opposé à transmettre des copies de certains documents qui étaient en sa possession. La Commission s’est toutefois opposée à produire d’autres documents demandés par les différents demandeurs. Elle a estimé que ces documents n’étaient pas pertinents et elle a informé par écrit les parties des motifs de son opposition, comme l’exige le paragraphe 318(2) des Règles. Chrétien, Gagliano et Pelletier présentent maintenant des requêtes distinctes aux termes de l’article 318 des Règles des Cours fédérales en vue d’obtenir des ordonnances enjoignant à la Commission de fournir des copies certifiées conformes des documents demandés que la Commission ne leur a pas transmis et qu’elle a en sa possession.

 

[2]               Les demandeurs ont déposé leurs requêtes séparément mais, à la demande des parties, la Cour a entendu conjointement ces requêtes. Étant donné que les requêtes des demandeurs soulèvent pour l’essentiel des questions semblables, la Cour présente maintenant une série de motifs qui s’appliquent également aux trois requêtes.

 

II. Le cadre légal

[3]               Les règles applicables aux documents qui sont en la possession d’un office fédéral se lisent ainsi :

 

317.(1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l’office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

(3) Si le demandeur n’inclut pas sa demande de transmission de documents dans son avis de demande, il est tenu de signifier cette demande aux autres parties.

 

318 (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

 

317.(1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

 

 

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

 

(3) If an applicant does not include a request under subsection (1) in its notice of application, the applicant shall serve the request on the other parties.

318 (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

(2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

(3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

 

 

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

 

 

 

 

III. Les arguments de Jean Chrétien

[4]               Jean Chrétien sollicite une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir une copie certifiée conforme des documents suivants [traduction]:

a.       tous les documents remis à la Commission au cours des tables rondes tenues à Moncton, Québec, Toronto, Edmonton et Vancouver;

b.      un résumé des discussions tenues au cours des tables rondes de la Commission qui ont eu lieu à Moncton, Québec, Toronto, Edmonton et Vancouver;

c.       une copie des courriels envoyés au commissaire par des membres du public qui font référence à M. Chrétien, à M. Jean Pelletier ou au bureau du premier ministre, qui ont été reçus entre le 7 septembre 2004 et le 31 octobre 2005;

d.      une copie des courriels reçus en réponse à l’appel du commissaire lancé aux Canadiens le 25 août 2005;

e.       une copie des commentaires émanant de membres du public qui font référence au rôle qu’ont joué M. Chrétien, M. Jean Pelletier ou le bureau du premier ministre dans le programme des commandites.

 

Observations écrites de Jean Chrétien au par. 2.

 

Chrétien soutient que les documents demandés aux termes de l’article 317 sont pertinents et devraient donc lui être communiqués.

 

[5]               Le mandat de la Commission était scindé en deux phases distinctes mais reliées entre elles, et le demandeur ne conteste en fait que la première phase axée sur la recherche des faits. Il a toutefois demandé des documents concernant les phases I et II du mandat de la Commission, cette dernière phase constituant l’étape des recommandations de la Commission. Les courriels reçus entre le 7 septembre 2004 et le 31 octobre 2005 sont des documents qui ont dû être reçus au cours de la phase I. Par contre, les documents concernant les courriels et les commentaires présentés par la suite par les membres du public, ainsi que tous les autres documents concernant les consultations effectuées par la Commission au moyen de tables rondes constituent tous des documents provenant de la phase II.

 

[6]               Chrétien soutient que, si un document peut influencer la décision que prendra la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire, il est alors pertinent à cette demande et doit être produit par la Commission. Il soutient que, selon l’arrêt clé Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 [Pathak], la pertinence des documents demandés s’apprécie en fonction des motifs de contrôle exposés dans l’avis de requête introductif d’instance et dans l’affidavit à l’appui.

 

[7]               Le demandeur reconnaît l’existence d’une règle générale selon laquelle seuls les documents présentés à l’office fédéral en question peuvent être communiqués. Comme je le note plus loin, les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a pas le droit d’obtenir plusieurs documents demandés pour le motif que les documents n’avaient pas été soumis au commissaire lorsqu’il a rédigé le rapport sur la phase I. Le demandeur affirme cependant que cette règle générale souffre plusieurs exceptions. Il prétend que, lorsque la demande de contrôle judiciaire est fondée sur la violation de l’équité procédurale et la prise en compte d’éléments non pertinents, ou sur l’omission de tenir compte d’aspects pertinents, le demandeur a le droit de consulter les documents qui ont pu influencer la décision du décideur administratif : Premières nations Deh Cho c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2005] A.C.F. n474 [Premières nations Deh Cho]; Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] A.C.F. n557 (1re inst.) [Friends of the West]; Telus Communications Inc. c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n1587 (C.A.) [Telus]. Chrétien affirme qu’il a le droit de consulter les documents demandés parce que sa demande de contrôle judiciaire est en partie fondée sur l’argument selon lequel la Commission a violé l’équité procédurale et que les documents demandés se rapportent à sa demande.

 

[8]               Le demandeur soutient que les documents concernant la phase II sont pertinents puisqu’il existe des éléments qui permettent d’affirmer que le commissaire a reçu, au cours de la phase II, des commentaires portant sur le mandat de recherche des faits de la phase I. Il note qu’il existe un chevauchement entre la phase I et la phase II et que les documents reçus au cours de la phase II ont dû être présentés au commissaire au moment où il rédigeait le rapport de la phase I.

 

[9]               Chrétien soutient que le commissaire a pu être influencé par des documents reçus dans le cadre de la phase II au moment où il rédigeait le rapport de la phase I. Il soutient qu’il aurait dû avoir la possibilité de répondre aux documents de la phase II reçus par la Commission dont elle a pu disposer pendant la phase I. Il souligne qu’il n’a pas participé aux consultations privées tenues par le commissaire et que les courriels reçus par le commissaire en réponse à son appel au public en vue d’obtenir des commentaires ne lui ont pas été communiqués.

 

[10]           Le demandeur soutient également que certaines parties des documents de la phase II se retrouvent dans le rapport de la phase I.

 

[11]           Chrétien présente des preuves pour appuyer sa demande selon laquelle les documents relatifs à la phase II qu’il demande sont pertinents à la demande de contrôle judiciaire qui vise le rapport de la phase I de la Commission. Il affirme que la Commission a obtenu des conseils secrets du professeur Donald Savoie, qui a été nommé conseiller spécial auprès du commissaire pour la phase des recommandations (phase II) du mandat de la Commission. Il soutient que la Commission a pu obtenir des conseils supplémentaires émanant d’autres universitaires et analystes de politique au cours des tables rondes privées. Chrétien se plaint du fait qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux allégations qu’ont pu faire M. Savoie ou les participants aux tables rondes. Il soutient également que l’opinion de Savoie selon lequel le pouvoir s’est concentré dans le bureau du premier ministre se retrouvait dans le rapport sur la phase I et qu’étant donné qu’il n’existait aucune preuve permettant de tirer une telle conclusion des audiences de la phase I, les observations présentées au cours de la phase II ont certainement été utilisées pour la phase I.

 

[12]           Le demandeur soutient également qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux commentaires présentés par le public en réponse à l’appel lancé par le commissaire le 25 août 2005 et que les opinions du public se retrouvent dans la phase I. Il affirme que le commissaire a sollicité la participation du public concernant son mandat, qui a été décrit de la façon suivante par la Commission :

 

La mesure dans laquelle il est encore possible d’identifier les personnes, au niveau politique et administratif, qui doivent répondre de la mise en oeuvre et de la gestion des initiatives en matière de commandites et des activités publicitaires, ou, de façon plus générale, des programmes du gouvernement.

 

« Appel aux Canadiens – Commentaires sur le document de consultation » [« Appel aux Canadiens »]

 

 

Chrétien soutient que l’invitation ci-dessus prolongeait en fait de façon irrégulière le mandat factuel de la Commission et que les réponses du public ont certainement influencé le commissaire, étant donné que plusieurs conclusions de fait tirées au cours de la phase I ne sont pas étayées par le dossier public de la phase I.

 

[13]           Chrétien soutient également que les courriels qu’a reçus la Commission au cours de la phase I sont pertinents. Il soutient que le commissaire a reçu du public des courriels dans lesquels celui-ci exprimait son appui au commissaire. Il est allégué que le secrétaire de presse de la Commission, François Perreault, a fait référence à ces courriels. Le demandeur soutient que ces courriels ont été reçus au cours de la phase I, étaient à la disposition du décideur lorsqu’il a rédigé le rapport de la phase I et appuient l’allégation du demandeur selon lequel le commissaire s’est inquiété de la couverture des médias et que, pour  toutes ces raisons, ils sont pertinents et devraient être communiqués aux parties.

 

IV. Les observations d’Alfonso Gagliano

[14]           Alfonso Gagliano sollicite une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir les documents suivants :

a.       Une copie de tout document afférant au mandat de M. François Perreault; à toute instruction qu’il aurait reçue relativement aux activités et audiences de la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (Commission); aux entrevues accordées aux médias par le Commissaire les 16 et 17 décembre 2004;

b.      Tous les documents remis à la Commission aux tables rondes de la Commission à Moncton, Québec, Toronto, Edmonton et Vancouver;

c.       Une copie des courriels du public adressés à la Commission qui faisaient référence à l’honorable Alfonso Gagliano, reçus entre le 7 septembre 2004 et le 21 octobre 2005 inclusivement;

d.      Une copie des soummissions [sic] du public en référence au rôle de l’honorable Alfonso Gagliano ou d’autres ministres dans les activités de commandites;

e.       La liste des sujets qui devaient être traités lors des consultations publiques qui a été retirée du site Internet de la Commission.

 

Dossier de requête d’Alfonso Gagliano à la p. 31 [soulignement supprimé].

 

[15]           Gagliano fait siennes les observations de Chrétien et celles de Jean Pelletier. Il affirme également que les documents de la phase II et les courriels demandés sont pertinents puisqu’ils vont l’aider à savoir si les procureurs de la Commission, qui sont, allègue-t-il, l’alter ego du commissaire, ont obtenu des documents concernant le demandeur qui n’ont pas été présentés en preuve. Le demandeur soutient également que les consultations publiques ont eu pour effet de le livrer à l’opprobre du public. Il affirme que ces consultations lui ont donné une visibilité telle que le public pouvait penser qu’il était responsable de la situation.

 

[16]           Gagliano soutient que les documents concernant les entrevues données aux médias par le commissaire sont pertinents, étant donné que le commissaire a fait des déclarations qui suscitent une crainte raisonnable que le commissaire ait tiré ses conclusions avant que toutes les preuves aient été présentées.

 

[17]           Les documents concernant François Perreault seraient pertinents parce que Perreault a écrit un livre intitulé Gomery l’enquête (Inside Gomery en anglais), et que Gomery a écrit le préface du dudit livre. Le livre prétend révéler le fonctionnement interne de la Commission. Les documents concernant François Perreault seraient également pertinents parce que Perreault aurait déclaré à la presse que les Canadiens appuyaient Gomery. Gagliano soutient qu’il est important de savoir quel était le mandat exact qui a été confié à l’attaché de presse de la Commission, que les documents viennent appuyer l’allégation du demandeur selon laquelle la conduite du commissaire suscite une crainte raisonnable de partialité et que la Commission a violé ses droits procéduraux.

 

V. Les observations de Jean Pelletier

[18]           Jean Pelletier sollicite maintenant une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir les documents suivants :

a) Une copie de tout courriel ou autre correspondance reçu et/ou sollicité par la Commission relative au rôle du cabinet du premier ministre et de son chef de cabinet;

b) Une copie de tout document afférent au rapport ou tout commentaire que monsieur François Perreault, porte-parole de la Commission, fit au commissaire relativement au rôle du cabinet du premier ministre ou de son chef de cabinet; au mandat de monsieur Perreault; à toute instruction qu’il aurait reçue relativement aux activités et audiences de la Commission; aux entrevues accordées aux médias par le Commissaire les 16 et 17 décembre 2004; les transcriptions et preuves documentaires afférentes à la présente demande;

Observations écrites de Jean Pelletier, au par. 19.

 

 

[19]           Pelletier adopte les observations des autres demandeurs. Il admet que l’arrêt Pathak, ci-dessus, précise les documents qui sont considérés comme étant pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Il cite également de la jurisprudence qui montre que les documents demandés peuvent être pertinents, même s’ils n’ont pas été nécessairement présentés à la Commission ou examinés par le commissaire, dans le cas où il est allégué que le rapport d’une commission est partial et incomplet : Société Radio-Canada c. Paul, 2001 CAF 93 au par. 65 [Paul]; Friends of the West; précité; Lindo c. Banque Royale 162 F.T.R. 142, [1999] A.C.F. n85, au par. 14 [Lindo].

 

[20]           Pelletier soutient également que la Cour fédérale a récemment confirmé dans Cooke c. Canada (Service correctionnel), [2005] A.C.F. n886, 2005 CF 712 au par. 23, le principe exposé dans Pathak, ci-dessus, selon lequel les documents pertinents comprennent les documents susceptibles d’influencer la décision que la Cour peut prendre.

 

[21]           Pelletier soutient que le mandat du commissaire ne l’autorisait à procéder à des consultations publiques qu’au cours de la phase II de son rapport. Il reprend les arguments de Chrétien et de Gagliano en faisant référence aux commentaires qu’aurait faits François Perreault dans lesquels celui-ci indiquait que le commissaire avait reçu du public des courriels avant que le commissaire ait officiellement sollicité des courriels du public dans le cadre de l’exécution de son mandat de la phase II. Pelletier soutient que les commentaires faits par Perreault indiquent que le commissaire a sollicité et obtenu des communications concernant le rôle bureau du premier ministre avant que soit achevé le rapport relatif à la phase I. Il cite ensuite des passages du livre Gomery l’enquête pour conforter son opinion selon laquelle le commissaire a examiné les courriels qu’il a reçus.

 

[22]           Pelletier allègue que ces communications appuient son argument selon lequel la décision du commissaire est viciée par l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Il soutient que les documents demandés sont pertinents et qu’étant donné qu’il a soigneusement précisé sa demande de documents, on ne peut lui reprocher de faire une demande « à l’aveuglette ».

 

[23]           Pour ce qui est des documents concernant François Perreault, Pelletier estime qu’ils sont pertinents étant donné qu’il est important pour le demandeur de savoir quelles sont les instructions qui ont été données à M. Perreault et pour comprendre son rôle de porte-parole de la Commission. Il affirme que Gomery l’enquête montre que le commissaire et Perreault ont travaillé ensemble pour renforcer la visibilité de la Commission. L’argument de Pelletier est que la Commission a l’obligation d’agir de façon équitable et d’éviter toute publicité susceptible de causer un préjudice à sa réputation. Les efforts déployés par le commissaire et l’attaché de presse pour renforcer la couverture accordée par les médias à la Commission soulèvent, allègue-t-il, des questions de justice naturelle. Pelletier affirme également que les attributions de M. Perreault comprenaient notamment la gestion des preuves, ce qui soulève des questions d’équité procédurale.

 

[24]           Pelletier souligne que la grande visibilité de la Commission dans les médias et le traitement des preuves sont tous deux des questions importantes, puisqu’elles soulèvent des questions de justice naturelle et d’équité procédurale. Il affirme que la justice naturelle et l’équité procédurale sont des principes que les commissions doivent respecter puisque ces principes protègent les personnes dont la réputation pourrait être compromise de façon injustifiée lorsqu’elles témoignent devant une commission : Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.S.C. 440; Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30. Il soutient donc que les documents concernant le travail accompli par M. Perreault pour la Commission sont pertinents.

 

VI. Les observations du procureur général du Canada

[25]           Le procureur général du Canada soutient que les demandeurs utilisent l’article 317 des Règles pour procéder à des demandes « à l’aveuglette » et donc irrégulières. Il explique que la demande de transmission présentée aux termes de l’article 317 n’est pas comparable à la communication préalable des documents dans une action. Les demandes présentées aux termes de l’article 317 doivent être précises et le procureur général note que la Cour a rejeté les demandes trop générales qui constituent en fait des tentatives d’obtenir la communication préalable de preuves : Bradley-Sharpe c. Banque Royale du Canada, 2001 CFPI 1130, aux par. 23-25; Atlantic Prudence Fund Corp. c. Canada (M.C.I), [2000] A.C.F. n1156, au par. 11; Paukuutit, Inuit Women’s Assn. c. Canada, 2003 CFPI 165 (Proto.) au par. 15.

 

[26]           Le procureur général admet que l’arrêt Pathak, ci-dessus, indique clairement qu’aux fins de l’article 317 des Règles, la pertinence s’apprécie en fonction de l’avis de demande, des motifs de contrôle invoqués par le demandeur et de la nature du contrôle judiciaire. Il soutient également qu’habituellement, les demandes de contrôle judiciaire sont examinées en se fondant sur les documents dont disposait le décideur à l’époque où il a pris la décision et que la Cour n’ordonne donc généralement, aux termes de l’article 317, que la transmission des documents dont disposait le décideur au moment où il a pris sa décision : Pathak, ci-dessus, au par. 23; Hiebert c. Canada (Service correctionnel), [1999] A.C.F. n1957, confirmé par la Cour d’appel fédérale : [2001] A.C.F. n297, demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2001] S.C.C.A. n227.

 

[27]           Le procureur général du Canada estime que la réponse qu’a fournie la Commission aux demandes des demandeurs présentées aux termes de l’article 317 des Règles était appropriée pour trois raisons. Premièrement, chacune des demandes est trop générale et constitue une expédition d’exploration qui vise à découvrir des documents susceptibles de renforcer la cause des demandeurs. Deuxièmement, la réponse fournie par la Commission aux demandes présentées aux termes de l’article 317 des Règles est appropriée, étant donné que les documents recherchés ne font pas partie des preuves déposées dans le dossier public et qu’ils n’ont donc pas été pris en compte par la Commission. Troisièmement, le procureur général soutient que les documents demandés par chacun des demandeurs ne concernent pas les motifs sur lesquels repose la demande de contrôle judiciaire.

 

A. Les demandes sont formulées en termes trop généraux

[28]           Le procureur général note que Chrétien demande « tous les documents » présentés à la Commission au cours des tables rondes, ce qui semble incompatible avec l’obligation qu’a Chrétien de demander des documents précis.

 

[29]           Le procureur général soutient de la même façon que Gagliano demande « tous » les documents concernant certains points, ce qui est trop général. Comme cela a été noté ci-dessus, Gagliano demande :

 

Une copie de tout document afférent au mandat de M. François Perreault; à toute instruction qu’il aurait reçue relativement aux activités...; Tous les documents remis à la Commission aux tables rondes de la Commission » [non souligné dans l’original].

 

 

Le procureur général soutient que la demande formulée par Gagliano en vue d’obtenir tous les courriels le concernant et des copies des observations formulées à son sujet et à celui d’autres ministres sur la question du programme des commandites est également trop générale.

 

[30]           Le procureur général présente des arguments similaires au sujet de la demande de Pelletier qui concerne « tous » les courriels et « tous » les documents. Comme cela est noté ci-dessus, Pelletier demande :

 

Une copie de tout courriel ou autre correspondance reçu et/ou sollicité par la Commission relative ou rôle du cabinet du Premier ministre et de son Chef de cabinet; Une copie de tout document afférent au rapport ou tout commentaire que monsieur François Perreault, porte-parole de la Commission,... à toute instruction qu’il aurait reçue relativement aux activités et audiences de la Commission  [non souligné dans l’original].

 

 

 

[31]           Le procureur général soutient que les demandes générales présentées par les demandeurs ne peuvent être autorisées parce qu’elles n’identifient pas avec précision les documents recherchés et constituent en fait une tentative de « fouiller dans les dossiers de la Commission pour y trouver des renseignements parce que la décision de cette dernière ne lui plaît pas » : Beno c. Canada (Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie – Commission Letourneau) (1997), 130 F.T.R. 183, au par. 8; Bradley Sharpe c. Banque Royale du Canada, [2001] A.C.F. n1561, 2001 CFPI 1130, au par. 24.

 

B. Les documents ne sont pas pertinents parce qu’ils ne font pas partie du dossier public et n’ont pas été pris en compte par le commissaire

[32]           Le procureur général souligne que le commissaire a déclaré qu’il a uniquement tenu compte des preuves contenues dans le dossier public lorsqu’il a rédigé le rapport relatif à la phase I :

 

De très nombreux documents ont été déposés en preuve devant la Commission et font partie de son dossier officiel. On trouvera à l’appendice F une liste des pièces déposées, dont beaucoup sont des volumes de documents multiples. Dans mon rôle de commissaire, j’ai systématiquement évité de prendre connaissance de tout document n’ayant pas été déposé officiellement devant la Commission lors des audiences publiques, mais je sais que les procureurs de la Commission ont eu accès à de nombreux documents que je n’ai pas vus, et qu’ils ont eu des rencontres et des discussions avec des témoins et d’autres personnes sur des questions qui ne font pas partie de la preuve que j’ai entendue. Les procureurs de la Commission ont respecté le désir que j’avais exprimé de ne me communiquer aucune information obtenue de cette manière. Ce rapport a été rédigé uniquement en fonction de la preuve qui constitue le dossier public de la Commission.

 

Chapitre I : Introduction, rapport de la phase I, à la p. 5

 

 

 

[33]           Le procureur général affirme qu’il n’existe aucun élément de preuve qui puisse jeter un doute sur la déclaration ci-dessus. Il soutient donc que la Commission a eu raison de rejeter les demandes présentées par les parties en vue d’obtenir des documents qui ne figuraient pas dans le dossier public pour le motif que le commissaire n’avait pas pris en compte les documents demandés. Le procureur général soutient que la déclaration du commissaire selon laquelle il n’a pas tenu compte des preuves qui ne figuraient pas dans le dossier public bénéficie d’une forte présomption de véracité : Stevens c. Parti conservateur du Canada, [2004] A.C.F. n451, 2004 CF 396, aux par. 15 à 22.

 

C. Les documents ne concernent pas les motifs du contrôle judiciaire

[34]           Le procureur général affirme également qu’il convient d’apprécier la pertinence des documents demandés par rapport aux motifs de contrôle allégués par les demandeurs, et qu’il ressort de cette analyse que les documents demandés ne sont pertinents à aucune des demandes.

 

[35]           Le procureur général soutient que les documents demandés par le demandeur ne sont pertinents à aucun des trois principaux motifs de contrôle judiciaire allégués par chacune des parties. Les demandeurs allèguent tous que la Commission a tiré des conclusions de fait erronées. Le procureur général soutient que cet argument doit se fonder sur les preuves figurant dans le dossier et que les documents demandés ne sont pas pertinents à cette question. Chacun des demandeurs allègue que son droit à l’équité procédurale a été violé au cours de la phase I de la Commission. Le procureur général soutient que les documents demandés ne sont pas susceptibles d’étayer l’argument des demandeurs, et que celui-ci peut être présenté en se référant exclusivement aux documents contenus dans le dossier public. Enfin, les demandeurs allèguent tous qu’il existait une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire. Il est possible que les demandeurs souhaitent examiner les documents sollicités pour pouvoir soutenir ensuite qu’ils ont influencé le rapport factuel du commissaire, mais le procureur général réitère son argument antérieur selon lequel il n’existe aucun motif de mettre en doute la déclaration du commissaire selon laquelle il s’est uniquement fondé sur les documents se trouvant dans le dossier public pour prendre sa décision.

 

VII. Les observations de la Commission

[36]           La Commission affirme qu’elle s’est opposée à bon droit à la demande de documents présentée par les demandeurs. La Commission estime que l’article 317 des Règles a pour but d’empêcher des parties de demander des renseignements « à l’aveuglette ». Elle affirme, comme l’a fait le procureur général, que, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, la divulgation de documents est plus limitée que dans le contexte d’une action, et affirme qu’elle n’est pas tenue de préparer de nouveaux documents : Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Canada (Commission des relations du travail), 1993 Carswell Nat 815 (C.A.F.), aux par. 8 à 10.

 

[37]           La Commission soutient qu’en général, les seuls documents que peuvent obtenir les demandeurs sont ceux dont disposait le décideur au moment où il a pris sa décision. La Commission cite plusieurs décisions à l’appui de cette affirmation : S.C.F.P. Local 301 c. Québec (Conseil des services essentiels), 1997 Carswell Que 82 (C.S.C.) par. 75; Farhadi c. Canada (M.C.I.), [1998] 3 C.F. 315, [1998 A.C.F. n381, (conclusion non soulevée en appel [2000] C.A.F. n646; Ominayak c. Élection de la Première nation de Lubicon Lake (directeur du scrutin), [2000] A.C.F. n2056; Nametco Holdings Ltd. c. Canada (M.R.N..), [2002] A.C.F. n592, 2002 CAF 149; Hoeschst Marion Roussel Canada c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n633, 2004 CF 489.

 

[38]           Le procureur de la Commission soutient que le commissaire a clairement indiqué qu’il s’était uniquement fondé sur les preuves contenues dans le dossier public pour rédiger le rapport de la phase I et qu’il a clairement indiqué qu’il avait toujours considéré que les deux phases de son mandat étaient distinctes. Le commissaire fait référence aux deux phases comme constituant « deux tâches distinctes mais reliées » : annexe C : Déclaration préliminaire, rapport de la phase I, p. 555.

 

[39]           La Commission cite l’arrêt Pathak, ci-dessus, et Stevens, ci-dessus, pour étayer sa reprise de l’argument présenté par le procureur général à l’effet que la déclaration du commissaire selon laquelle il a uniquement tenu compte des documents contenus dans le dossier public bénéficie d’une forte présomption de véracité. La Commission étoffe également cet argument en mentionnant que le commissaire Gomery n’agissait pas en qualité de juge pendant les travaux de la Commission mais qu’il avait la capacité intellectuelle et la formation d’un juge et qu’il était donc en mesure d’apprécier la pertinence des preuves et de ne pas tenir compte des éléments de preuve écartés. La Commission s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion & d’élimination des déchets (SIGED) Inc., [2004] 1 R.C.S. 456, [2004] S.C.J. No. 18, 2004 CSC 18, aux par. 46 et 47 :

 

46. Cette partie de l’arrêt de la Cour d’appel n’a pas satisfait la Ville qui demande toujours d’interdire la production des documents, qu’elle affirme toujours visés par le secret professionnel. Elle s’oppose même à ce que le tribunal de première instance en prenne connaissance.

 

47. Une pareille attitude s’explique sans doute par un souci de prudence tactique, qui veut éviter que le juge du procès soit influencé par le contenu de documents que l’on estime inadmissibles. Sans doute fréquentes, ces inquiétudes ne se justifient pas. Il faut se souvenir que, quotidiennement, les juges doivent se prononcer sur la recevabilité d’éléments de preuve qu’ils doivent examiner ou entendre avant de les écarter, et que cette fonction constitue une part indispensable de leur rôle dans la conduite des procès civils ou criminels. Ils savent qu’ils doivent oublier les éléments de preuve qu’ils ont jugés inadmissibles et ne rendre jugement que sur la base de la preuve reçue au dossier du tribunal.

 

 

 

[40]           La Commission applique les principes énoncés ci-dessus aux demandes de documents dont il s’agit ici et soutient que les documents sollicités par les demandeurs ne font pas partie du dossier public, n’ont pas été pris en compte par le commissaire et ne sont donc pas pertinents.

 

A. Les courriels reçus au cours de la phase I

[41]           La Commission soutient que les allégations des demandeurs ne contiennent aucun élément susceptible d’appuyer leur affirmation selon laquelle la Commission a « sollicité » des courriels, si ce n’est dans le cadre de la phase II de l’enquête. Elle soutient également que, même si elle avait reçu des courriels émanant du public au cours de la phase I, ils n’ont pas été pris en compte par le commissaire et leur existence ne saurait à elle seule susciter une crainte de partialité. Elle maintient que les demandes présentées par les demandeurs concernant ces courriels ont été refusées à juste titre, étant donné que ces documents n’ont eu aucun effet sur les preuves présentées et qu’ils concernent des aspects qui n’entrent pas dans le mandat de la Commission.

 

B. Les renseignements relatifs à François Perreault

[42]           La Commission soutient que les documents concernant Perreault et son livre Gomery l’enquête n’ont eu aucun effet sur les preuves déposées et concernent des aspects qui n’entrent pas dans le mandat de la Commission. La Commission soutient que les documents demandés concernant Perreault n’ont rien à voir avec la préparation du rapport de la phase I. Elle affirme que la couverture que les médias ont accordée à la Commission, le rôle qu’a joué Perreault et les instructions qu’a pu lui donner le commissaire n’ont pas pour effet de priver les demandeurs de leur capacité de contester certaines preuves présentées à la Commission ou de formuler des observations au sujet de leur pertinence.

 

[43]           La Commission affirme que les demandeurs ne peuvent invoquer l’équité procédurale dans le seul but d’avoir accès à des documents auxquels ils ne pourraient avoir accès autrement.

 

C. Les documents de la phase II

[44]           Les courriels et commentaires reçus à la suite des tables rondes du commissaire font partie de la phase II du mandat de la Commission et il est allégué qu’ils ne sont aucunement reliés à la phase I. La Commission soutient que le commissaire n’a pas tenu compte de ces documents lorsqu’il a rédigé le rapport de la phase I et qu’elle a refusé à juste titre de transmettre une copie de ces documents aux demandeurs.

 

[45]           La Commission affirme que les consultations de la phase II font partie d’un processus distinct qui avait pour but de déterminer si le système en place [traduction] « nous permet de savoir qui doit répondre d’une action ou d’une décision donnée ».

Mémoire des faits et du droit de la Commission (Chrétien, T-2118-05) au par. 44.

 

[46]           La Commission soutient qu’il incombera au demandeur d’établir que le commissaire n’aurait pu faire de commentaires au sujet de la concentration du pouvoir au sein du Bureau du premier ministre en se fondant sur les seules preuves présentées au cours de la phase I du mandat de la Commission. Elle affirme qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les documents provenant des tables rondes de la phase II ou les écrits antérieurs du professeur Savoie pour effectuer cette analyse. La Commission soutient qu’étant donné que la référence au pouvoir du Bureau du premier ministre par le commissaire était le seul motif sur lequel Chrétien fondait sa demande d’accès aux documents concernant les tables rondes et les commentaires présentés par le public, il n’a pas démontré que la Cour devait écarter la règle générale selon laquelle seuls les documents dont disposait le commissaire au moment où il a rédigé son rapport doivent être produits.

 

[47]           La Commission affirme que les allégations des demandeurs selon lesquelles le commissaire a tiré des conclusions de fait erronées et que leurs droits procéduraux ont été violés peuvent être examinées en se fondant uniquement sur les preuves contenues dans le dossier public. Il est également soutenu que si les demandeurs allèguent qu’il y a eu partialité de la part de la Commission, ils n’ont pas démontré l’existence d’une partialité réelle et identifiable.

 

VIII. Analyse

[48]           Pour décider si des copies des documents demandés doivent être fournies, il faut partir de l’arrêt Pathak, ci-dessus. Il a été qualifié d’« arrêt clé concernant l’interprétation de l’article 317 des Règles » : Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n588, 2001 CFPI 1164, au par. 6; voir Canadian Arctic Resources Committee Inc. c. Diavik Diamond Mines Inc., 35 C.E.L.R. (N.S.) 1, 183 F.T.R. 267, [2000] A.C.F. n910, au par. 30.

 

[49]           D’après l’arrêt Pathak, ci-dessus, et la jurisprudence ultérieure, un document est pertinent au sens de l’article 317 des Règles s’il peut influencer la décision de la cour de révision. La pertinence des documents demandés s’apprécie en fonction de l’avis de demande, des motifs d’examen invoqués par le demandeur et de la nature du contrôle judiciaire.

 

[50]           Il est bien établi que, d’une façon générale, seuls les documents dont disposait le décideur au moment où il a pris sa décision sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Cependant, la jurisprudence a apporté des exceptions à cette règle. La Commission a écrit dans ses observations écrites : [traduction] « Il existe une exception lorsqu’il est allégué que l’office fédéral a violé l’équité procédurale ou a commis une erreur de compétence : David Sgayias et al., Federal Practice, (Toronto: Thomson, 2005) à la p. 695, reproduit dans le mémoire des faits et du droit de la Commission (Chrétien, T-2118-05) au par. 24. L’observation ci-dessus est clairement étayée par la jurisprudence selon laquelle les documents dont ne disposait pas le décideur peuvent être considérés comme étant pertinents lorsqu’il est allégué que le décideur a violé l’équité procédurale ou lorsqu’il y a une allégation de crainte raisonnable de partialité de la part du décideur : Premières nations Deh Cho, ci-dessus; Friends of the West, ci-dessus; Telus, ci-dessus; Lindo, ci-dessus.

 

[51]           Les demandeurs soulèvent des motifs d’examen qui sont visés par les exceptions qui autorisent la communication de documents dont ne disposait pas le décideur. La Cour n’est cependant pas tenue de fournir aux demandeurs les documents sollicités pour la seule raison qu’ils invoquent une violation de l’équité procédurale. Le paragraphe 318(3) des Règles énonce que la Cour « peut ... ordonner » que des documents ou des éléments matériels soient transmis « en totalité ou en partie, au greffe » [non souligné dans l’original]. Cette disposition est facultative et donne à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’ordonner, ou de refuser d’ordonner, la communication des documents demandés.

 

[52]           La Cour estime que, même dans un cas où une partie allègue une violation de l’équité procédurale, la Cour doit encore apprécier la pertinence des documents demandés par rapport à l’avis de demande du demandeur, aux motifs d’examen invoqués par lui et à la nature de l’examen judiciaire, tel que le prévoit l’arrêt Pathak, ci-dessus.

 

A. La liste des sujets affichés sur Internet

[53]           Gagliano demande la communication d’une copie de la liste des sujets qui devaient être examinés par la Commission au cours de ses consultations. Il est allégué que la liste demandée a été affichée sur le site Web de la Commission mais qu’elle a été par la suite retirée du site. La Cour n’a pas reçu d’explication satisfaisante de la façon dont ce document pourrait être pertinent. Gagliano souhaite consulter les documents qui étaient anciennement affichés en ligne pour examiner s’ils peuvent étayer ses allégations de crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire et de violation de l’équité procédurale. Aux termes de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, le demandeur est toutefois tenu d’établir la pertinence des documents qu’il demande. Les documents dont la production est demandée aux termes de l’article 317 des Règles ne peuvent être communiqués à la partie pour que celle-ci puisse ensuite décider s’ils sont pertinents. Cette disposition a été formulée de cette façon dans le but d’éviter de récompenser les demandeurs qui présentent des demandes « à l’aveuglette ».

 

[54]           Le demandeur sollicite ces documents particuliers sans fournir aucun élément de preuve concernant leur pertinence. L’affirmation selon laquelle les documents affichés sur le Web pourraient être pertinents est purement hypothétique. Étant donné que la Cour n’a pas reçu d’explication satisfaisante au sujet de la pertinence des documents qui ont été affichés et ensuite retirés du site Web de la Commission, la Cour n’est pas disposée à ordonner à la Commission de les transmettre à Gagliano.

 

B. Les documents de la phase II

[55]           Les demandeurs sollicitent divers documents concernant la phase II de la Commission, y compris les documents présentés aux tables rondes de la Commission, un résumé des discussions tenues au cours de ces tables rondes et des copies des courriels obtenus à la suite de l’appel aux Canadiens lancé par le commissaire. Les demandeurs notent que les consultations relatives à la phase II ont commencé avant que le commissaire ait achevé de rédiger le rapport de la phase I. Ils soutiennent que le commissaire a peut-être entendu, au cours des audiences privées de la phase II, des éléments qui portaient sur des questions qui relevaient uniquement de la phase I de la Commission. Ils craignent que les éléments obtenus au cours des consultations de la phase II aient influencé le commissaire et se soient retrouvés dans la décision de la phase I. Les demandeurs soutiennent que les documents de la phase II sont pertinents étant donné qu’ils étayent l’argument selon lequel les conclusions de la phase I ont été tirées sans tenir compte des preuves. Ils soutiennent également que le commissaire a, au cours de la phase II, sollicité des renseignements qui relevaient uniquement de la phase I et qu’il est inéquitable que le commissaire ait entendu ces arguments au cours de la phase II sans fournir aux demandeurs la possibilité d’y répondre.

 

[56]           Les demandeurs s’appuient principalement sur deux arguments pour établir que les documents de la phase II sont pertinents à l’examen judiciaire de la phase I. Le premier argument, qui a été présenté par Chrétien, est qu’au cours des consultations de la phase II, le public a été invité à faire des commentaires sur des sujets qui, selon ce qu’estime Chrétien, relèvent uniquement de la phase I. Le deuxième argument est que le rapport de la phase I contient des conclusions et des déclarations qui démontreraient que les opinions du professeur Savoie et celles d’autres participants aux tables rondes de la phase II et du public se sont retrouvées dans le rapport de la phase I.

 

[57]           Chrétien soutient que le public a été invité à fournir des documents supplémentaires au cours de la phase II qui touchaient le rôle de constatation des faits de la Commission qui aurait dû relever exclusivement de la phase I de la Commission. Il fonde son argument sur le passage suivant de l’invitation aux Canadiens lancée par le commissaire :

 

La mesure dans laquelle il est encore possible d’identifier les personnes, au niveau politique et administratif, qui doivent répondre de la mise en oeuvre et de la gestion des initiatives en matière de commandites et des activités publicitaires, ou, de façon plus générale, des programmes du gouvernement.

 

 

Le demandeur soutient que ce passage montre que le commissaire recherchait encore des faits au cours de la phase II.

 

[58]           Lorsqu’on examine le passage ci-dessus dans son contexte, il apparaît clairement qu’il ne s’agissait pas d’un appel au public pour qu’il aide le commissaire à établir des faits, aspect qui, les parties le reconnaissent, relevait exclusivement de la phase I. L’appel aux Canadiens indique clairement que le commissaire invitait le public à l’aider à répondre à la question : [traduction] « Que devrait-on faire pour renforcer les contrôles au sein du gouvernement du Canada? » [non souligné dans l’original]. Cette demande générale n’invite pas le public à dire ce qui est arrivé ou ce qui aurait dû être fait; elle demande au public de donner son avis sur ce qui pourrait être fait à l’avenir.

 

[59]           Lorsqu’on lit le passage cité par Chrétien dans le contexte des remarques introductives ci-dessus, il apparaît clairement que la demande n’avait pas pour but de rechercher des renseignements visant des individus, ni à poursuivre la recherche des faits de la phase I. En outre, le passage dans son entier se lit ainsi :

 

[TRADUCTION]

De plus, les témoignages entendus au cours des audiences publiques soulevaient un certain nombre de questions touchant la responsabilité des ministres, notamment :

● La mesure dans laquelle il est encore possible d’identifier les personnes, au niveau politique et administratif, qui doivent répondre de la mise en oeuvre et de la gestion des initiatives en matière de commandites et des activités publicitaires, ou, de façon plus générale, des programmes du gouvernement.

● La mesure dans laquelle le Parlement a été ou aurait dû être informé de la forme que prenaient les initiatives en matière de commandites et de publicité.

● Le rôle que le Parlement a ou aurait dû jouer dans les initiatives en matière de commandites et de publicité.

● Le rôle que les fonctionnaires de carrière ont ou auraient dû jouer à l’égard des initiatives en matière de commandites et de publicité.

● La mesure dans laquelle la responsabilité administrative et financière à l’égard de la mise en œuvre des initiatives gouvernementales devrait incomber aux fonctionnaires de carrière.

● L’opportunité de rendre publics les rapports de vérification internes une fois préparés.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

Je reconnais avec les procureurs de la Commission que cet extrait avait pour but de préciser si les structures gouvernementales permettaient de savoir qui doit répondre de certaines décisions.

 

[60]           Enfin, précédant le questionnaire en ligne du site Web qui faisait partie du document contenant l’appel aux Canadiens, la Commission avait inséré un paragraphe contenant l’invitation suivante :

 

Nous invitons les Canadiens à regarder l’avenir, à réfléchir aux mécanismes de contrôle qu’ils aimeraient voir adopter ou renforcer ainsi que le rôle des ministres, de leurs députés et des fonctionnaires de carrière chargés de gérer les programmes gouvernementaux. [...] Les réponses obtenues seront très utiles au juge Gomery pour formuler ses recommandations finales.

 

 

Cette invitation est suivie par une liste de questions qui demandent ce qui « devrait » être fait à l’avenir. La seule exception est la question ouverte suivante : [traduction] « Y a-t-il autre chose que vous aimeriez suggérer au juge Gomery dans l’exécution de son mandat? » Il est impossible de voir dans cette question, qu’elle soit lue de façon isolée ou dans le contexte des autres questions, une invitation à la population de présenter des commentaires concernant les activités de recherche des faits de la Commission. Il est clair que le « mandat » mentionné dans la question est l’obligation de la Commission d’élaborer des recommandations.

 

[61]           En bref, le passage auquel Chrétien fait référence, qu’il soit considéré de façon isolée ou, préférablement, dans le contexte de l’appel aux Canadiens lancé par la Commission, invitait clairement le public à transmettre des commentaires que le commissaire pourrait utiliser pour élaborer des recommandations. Le commissaire n’a pas donné au public la possibilité de fournir des commentaires qu’il aurait pu utiliser pour le volet recherche des faits de la phase I de l’enquête de la Commission.

 

[62]           Les demandeurs soutiennent non seulement qu’il n’existait aucun élément dans le dossier de la phase I susceptible d’étayer plusieurs conclusions factuelles clés tirées par la Commission mais que les preuves indiquent que le commissaire s’est peut-être fondé sur des documents provenant de la phase II pour formuler des conclusions pour la phase I. À titre d’exemple, Gagliano soutient que tous les témoins de la phase I ont déclaré que le mot « programme » avait un sens particulier au sein du gouvernement mais que la décision qu’a prise le commissaire au sujet du sens du mot « programme » risque d’avoir été influencée par les commentaires obtenus du public au cours de la phase II.

 

[63]           Chrétien soutient également que la déclaration du commissaire au sujet de la concentration du pouvoir au sein du Bureau du premier ministre montre que les documents obtenus au cours de la phase II se retrouvent dans la phase I. La phrase en question se trouve à la page 434 du rapport de la phase I :

 

La concentration du pouvoir entre les mains du premier ministre est un phénomène relativement récent dans l’histoire des gouvernements au Canada, phénomène que des universitaires et des observateurs ont constaté avec une certaine inquiétude.

 

 

[64]           L’avocat de Chrétien soutient que le dossier public ne contient aucun élément permettant d’appuyer les affirmations qui se trouvent dans la phrase ci-dessus, mais que le professeur Savoie a formulé des commentaires semblables dans ses travaux et que l’on trouve des commentaires semblables dans le rapport de la phase II.

 

[65]           Le problème que posent ces arguments est qu’ils sont entièrement hypothétiques. L’affirmation de Gagliano selon laquelle les documents de la phase II ont influencé la conclusion du commissaire au sujet du sens du mot « programme » n’est pas étayée par les preuves. La Cour estime que les allégations découlant des commentaires du commissaire au sujet de la concentration du pouvoir au sein du Bureau du premier ministre sont également très hypothétiques. Le commentaire du commissaire ne prétend pas expressément être fondé sur des documents provenant de la phase II. La référence que fait le commissaire aux « universitaires et observateurs » est très générale; elle n’attribue pas les opinions mentionnées dans la phrase au professeur Savoie ou aux autres universitaires qui ont pu participer aux tables rondes de la phase II.

 

[66]           Les demandeurs invitent la Cour à faire une déduction au sujet de la source de ce commentaire, déduction qui n’est que l’une des nombreuses déductions qu’il serait possible de faire à ce sujet. Les demandeurs soutiennent que ce commentaire ne repose sur aucun élément du dossier public de la phase I, mais c’est une question qui pourra être débattue devant le juge des demandes.

 

[67]           La phrase unique au sujet de la concentration du pouvoir au sein du Bureau du premier ministre n’établit pas de façon convaincante que le commissaire a pu entendre des arguments qui auraient influencé la phase consacrée à la recherche des faits ou qu’il a tenu compte de documents provenant de la phase II pendant qu’il rédigeait le rapport de la phase I. Aucun argument, si ce n’est de simples hypothèses, n’a été présenté à la Cour pour établir que le commissaire avait tenu compte de documents obtenus au cours de la phase II pour tirer des conclusions concernant la phase I, ou qu’il ait demandé au cours de la phase II des commentaires sur des questions relevant de la phase I.

 

[68]           La seule déclaration claire que la Cour ait obtenue au sujet du rapport entre les documents reçus au cours de la phase II et les travaux de la Commission relatifs à la phase I est celle du commissaire lui-même. Le commissaire a déclaré que le rapport sur la phase I avait été rédigé uniquement à partir des preuves contenues dans le dossier public. Par souci de clarté, je reproduis encore une fois les commentaires introductifs au rapport de la phase I du commissaire :

 

Dans mon rôle de commissaire, j’ai systématiquement évité de prendre connaissance de tout document n’ayant pas été déposé officiellement devant la Commission lors des audiences publiques, mais je sais que les procureurs de la Commission ont eu accès à de nombreux documents que je n’ai pas vus, et qu’ils ont eu des rencontres et des discussions avec des témoins et d’autres personnes sur des questions qui ne font pas partie de la preuve que j’ai entendue. Les procureurs de la Commission ont exprimé le désir que j’avais exprimé de ne me communiquer aucune information obtenue de cette manière. Ce rapport a été rédigé uniquement en fonction de la preuve qui constitue le dossier public de la Commission. De très nombreux documents ont été déposés en preuve devant la Commission et font partie de son dossier officiel. On trouvera à l’appendice F une liste des pièces déposées, dont beaucoup sont des volumes de documents multiples.

 

 

[69]           La Cour estime que cette déclaration très claire du commissaire a pour effet de créer une forte présomption selon laquelle il a uniquement tenu compte des documents qui se trouvaient dans le dossier public. En l’absence de preuve contraire, claire et convaincante, lorsqu’un commissaire déclare qu’il n’a pas utilisé un document donné, alors il faut présumer que cela est vrai.

 

[70]           Les avocats des demandeurs soutiennent que la Cour devrait ordonner que les documents obtenus au cours de la phase II soient communiqués aux parties, et que l’importance qu’il convient d’attribuer à ces documents soit décidée par la suite. Le problème que pose cet argument qui porte sur les documents de la phase II est que les demandeurs n’ont fourni aucune preuve claire et convaincante à l’appui de leurs affirmations selon lesquelles les questions de la phase I font partie de la phase II de la Commission.

 

[71]           Comme cela a été noté ci-dessus, la phase II devait être une opération distincte de la phase I, même si elle y était reliée. Dans Pathak, ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 21 qu’elle ne souhaitait pas « établir une fiction juridique illimitée fusionnant l’identité de l’enquêteur et celle de la Commission, deux personnes à bien des égards distinctes ». Il est possible d’établir une distinction avec la situation actuelle, étant donné que l’on pourrait soutenir que le commissaire est à la fois enquêteur et décideur, mais la Cour craint néanmoins que les demandeurs n’invitent à créer une fiction juridique en fusionnant la phase I et la phase II de la Commission. Les demandeurs ont invité la Cour à autoriser la production de documents de la phase II. Cet argument revient pour l’essentiel à demander à la Cour de fusionner les mandats de la phase I et de la phase II de la Commission, éléments qui sont à bien des égards distincts. Le commissaire a écrit qu’il avait traité les deux phases de façon distincte, et en l’absence de preuve claire et convaincante indiquant que la Commission a elle-même fusionné les deux phases, la Cour ne voit aucune raison de le faire. Pour le moment, la Cour ne voit aucune raison de fusionner les phases essentiellement distinctes du mandat de la Commission dans le but de déclarer que les documents de la phase II sont pertinents au contrôle judiciaire du rapport de la phase I de la Commission.

 

[72]           En résumé, les demandeurs n’ont pas fourni de preuve claire et convaincante susceptible de réfuter la présomption selon laquelle le commissaire n’a pas tenu compte des documents de la phase II pour rédiger le rapport de la phase I. Les documents de la phase II demandés ne font pas partie du dossier public, et il n’est pas contesté que le commissaire n’aurait pas dû prendre en compte les documents de la phase II pour rédiger le rapport de la phase I. La déclaration du commissaire indique clairement qu’il n’a pas utilisé les documents de la phase II pendant la phase I, et la Cour n’a aucune raison de mettre en doute la véracité de la déclaration du commissaire au sujet de l’emploi qu’il a fait des documents de la phase II. Les demandeurs soutiennent aussi qu’ils devraient obtenir des copies des documents de la phase II parce que ceux-ci pourraient contenir des documents que l’on retrouve dans la phase I. L’argument est que les demandeurs auraient dû avoir la possibilité de répondre à ces observations. La Cour a toutefois jugé plus haut que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément, autre que de simples hypothèses, pour appuyer l’affirmation selon laquelle les documents de la phase II contenaient peut-être des renseignements se rapportant à la phase I ou utilisés pour celle-ci. Il s’ensuit que les documents de la phase II ne sont pas pertinents et ont été refusés à juste titre. Ces documents ne sont pas pertinents aux fins de l’article 317 des Règles étant donné que, s’ils étaient admis, ils n’influenceraient pas la décision que la cour de révision pourrait prendre.

 

C. Les courriels reçus entre septembre 2004 et octobre 2005

[73]           Les demandeurs soutiennent que les courriels que la Commission a reçus au cours de la phase I sont pertinents et que des copies de ces documents devraient donc leur être communiquées. Ils se basent sur des commentaires faits par François Perreault qui confirment que la Commission a reçu des courriels pendant la phase I. Ils soutiennent que les défendeurs n’ont pas clairement nié que le commissaire a pu voir les courriels reçus par la Commission au cours de la phase I, et, étant donné que l’on peut en déduire qu’il était en possession de ces courriels, ils devraient être considérés comme étant pertinents. Il est allégué que les courriels en question étayent les allégations de crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire et de violations de l’équité procédurale.

 

[74]           À titre de question préliminaire, je conclus que l’allégation selon laquelle la Commission a sollicité les courriels qu’elle a reçus au cours de la phase I avant l’appel aux Canadiens lancé par le commissaire, ne repose sur aucun élément présenté à la Cour. Si la Commission avait invité le public à lui envoyer ces courriels et qu’elle n’avait pas fourni aux demandeurs la possibilité d’y répondre, alors cette situation soulèverait certainement des questions d’équité procédurale. Cependant, en l’absence de preuve indiquant que le public a été invité à présenter des commentaires, la Cour tient pour acquis, aux fins de la présente requête, que ces courriels ont été reçus sans avoir été sollicités au départ.

 

[75]           Ces courriels non sollicités sont néanmoins pertinents aux fins de l’article 317 des Règles et doivent être communiqués aux parties. Ces courriels ont été reçus au cours de la phase I et l’on peut en déduire qu’ils concernent le mandat de la phase I de la Commission. Le Commissaire a affirmé qu’il n’avait pas pris « connaissance » de ces courriels lorsqu’il a rédigé le rapport de la phase I puisqu’ils ne faisaient pas partie du dossier public, mais sa déclaration à ce sujet ne précise pas clairement si ces courriels lui ont été présentés. Le commissaire a écrit que les procureurs de la Commission avaient eu accès à des documents qu’il n’avait pas vus, et pourtant la déclaration préliminaire n’indique pas clairement que le commissaire n’a pas pris connaissance des courriels reçus au cours de la phase I. Le commissaire n’a pas fourni de preuve claire, que ce soit par le biais de la déclaration contenue dans le rapport de la phase I ou au moyen d’un affidavit, indiquant qu’il ne connaissait pas l’existence de ces courriels ou ne les avait pas vus.

 

[76]           En fait, les éléments présentés à la Cour laissent penser que le commissaire connaissait l’existence de ces courriels. François Perreault a écrit ce qui suit dans Gomery l’enquête à la page 156 (Inside Gomery à la page 111) :

 

Plus tard, devant le nombre de courriels reçus pendant la crise sur la récusation, John Gomery me lancera avec humour pour détendre l’atmosphère [...]

 

[c’est moi qui souligne].

Later, after the commission had received a blizzard of e-mails during the recusal crisis, John Gomery wisecracked [...]

 

 

[emphasis added].

 

 

Comme je le déclare plus loin, il est vrai que la force probante qu’il convient d’accorder à ce commentaire et aux autres qui figurent dans Gomery l’enquête pourra être débattue devant le juge des demandes mais le passage ci-dessus semble démontrer que le commissaire connaissait l’existence des courriels en question.

 

[77]           La Commission soutient qu’il y a lieu de donner effet à la déclaration du commissaire dans laquelle il affirme expressément ne pas avoir tenu compte de ces courriels lorsqu’il a préparé le rapport de la phase I. La Cour reconnaît que l’affirmation selon laquelle le commissaire n’a pas tenu compte de ces courriels est une déclaration qui bénéficie d’une forte présomption de véracité. Il serait cependant préférable de laisser le juge des demandes décider si cette présomption a été réfutée. Cette présomption ne justifie pas de refuser aux demandeurs le droit de consulter les documents qui ont été présentés au décideur au cours de la phase I et qui ont été obtenus au sujet de la phase I du mandat de la Commission.

 

[78]           La question à trancher lorsqu’il s’agit d’apprécier la pertinence des documents aux fins de l’article 317 des Règles n’est pas celle de savoir si le commissaire a tenu compte des documents en question ou s’il leur a accordé une force probante quelconque, mais plutôt celle de savoir s’ils lui ont été présentés. Sur ce point, la présente affaire diffère de l’affaire Pathak, ci-dessus, dans laquelle l’enquêteur et le décideur étaient deux personnes différentes, et où le dossier ne contenait aucun élément indiquant que les documents dont disposait l’enquêteur avaient également été présentés au décideur. Dans la présente situation, le commissaire était à la fois l’enquêteur et le décideur. Il est possible qu’il ait décidé d’exclure certains documents lorsqu’il a préparé le rapport de la phase I, mais si ces documents lui avaient été présentés et n’ont pas été reçus dans le cadre de la phase II, alors les demandeurs ont le droit d’y avoir accès.

 

[79]           La façon dont la Commission a traité ces courriels pourrait également être pertinente aux allégations formulées par les demandeurs au sujet des violations de l’équité procédurale. Les demandeurs font référence à des commentaires attribués à François Perreault au sujet des courriels qu’a reçus la Commission au cours de la phase I. Dans un article daté du 13 janvier 2005, le Toronto Star rapportait que François Perreault avait confirmé que la Commission avait reçu près de deux douzaines de courriels de la part de membres du public. M. Perreault aurait déclaré : « Les gens disent dans ces courriels : ‘Que veut cacher Chrétien?’ ». Les documents écrits de Jean Pelletier contiennent des articles semblables tirés de La Presse du 19 janvier 2005.

 

[80]           Chrétien allègue dans son avis de demande de contrôle judiciaire que le commissaire a commencé à être préoccupé par la couverture accordée par les médias (avis de demande modifiée de Chrétien à la p. 23). Cette allégation pourrait soulever la question de savoir si la Commission a violé le droit à l’équité procédurale de Chrétien et s’il existe des motifs suscitant une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire.

 

[81]           La Cour ne se prononce pas, à cette étape de l’instance, sur les allégations des demandeurs. Elles seront examinées par le juge des demandes lorsqu’il aura entendu les arguments des parties. À l’heure actuelle, la Cour s’intéresse uniquement à la question de savoir si les courriels sont pertinents aux fins des articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales. L’utilisation de ces courriels par la Commission est susceptible de poser des questions d’équité procédurale et de crainte raisonnable de partialité et ils doivent donc être considérés comme étant pertinents.

 

[82]           La Cour note cependant que tous les courriels demandés ne sont pas pertinents à cette étape-ci. Gagliano et Chrétien ont demandé les courriels reçus entre septembre 2004 et octobre 2005, alors que Pelletier n’a pas précisé les dates qui lui paraissaient pertinentes. Le problème que posent ces dates est que le 25 août 2005, la Commission a lancé son appel aux Canadiens pour qu’ils l’aident à exécuter le mandat de la phase II. Il est probable que les courriels qui ont été reçus après le 25 août 2005 en réponse à la demande de commentaires du public faite par le commissaire concernent la phase II. La Cour a noté ci-dessus que les documents de la phase II n’étaient pas pertinents à la présente demande de contrôle judiciaire. Il en résulte que seuls les courriels de la phase I sollicités par les demandeurs et reçus par la Commission entre le 7 septembre 2004 et le 25 août 2005 sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Des copies de ces courriels devront être communiquées aux parties et le juge des demandes appréciera la force probante de la teneur de ces courriels.

 

[83]           Pour résumer, en l’absence de preuve claire et convaincante indiquant le contraire, lorsqu’un commissaire déclare ne pas avoir utilisé un certain document, il faut présumer que cette déclaration est véridique. Cette opinion est confortée par la jurisprudence récente de la Cour suprême : Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion & d’élimination des déchets (SIGED) Inc., ci-dessus. Cependant, pour apprécier la pertinence d’un document aux fins de l’article 317 des Règles, il ne s’agit pas de savoir si le décideur n’a pas pris en compte certaines preuves, mais plutôt si ces preuves ont été présentées au décideur ou auraient dû l’être. À cette étape de l’instance, les demandeurs ont établi que les courriels de la phase I reçus entre le 7 septembre 2004 et le 25 août 2005 qu’ils ont demandés sont pertinents aux motifs de contrôle judiciaire. La Cour ne se prononce pas sur la question de savoir si ces demandes seront accueillies. C’est là une tâche qui incombera au juge des demandes.

 

D. Gomery l’enquête et les documents concernant François Perreault

[84]           La Cour est convaincue que les demandes présentées par Gagliano et Pelletier en vue d’obtenir des copies des documents concernant le mandat de l’attaché de presse de la Commission, François Perreault, devraient être acceptées. La Cour conclut que ces demandes sont visées par les exceptions à la règle générale selon laquelle seuls les documents présentés au décideur doivent être communiqués aux demandeurs.

 

[85]           Aucune des parties ne soutient que Gomery l’enquête, le livre publié par l’attaché de presse de la Commission, François Perreault, ne devrait pas être admissible dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. La Cour estime que ce livre est admissible, puisque la préface a été rédigée par le commissaire. Le commissaire a écrit à la page 13 de Gomery l’enquête ce qui suit (page 3 de Inside Gomery).

 

Lorsqu’il m’a parlé de son projet d’écrire un livre sur les expériences qu’il a vécues au cours des travaux de la Commission, je l’ai encouragé à le réaliser, parce que j’étais convaincu qu’il relaterait de manière honnête ses observations et expériences, dans la perspective de quelqu’un qui connaît les choses de l’intérieur.

When he told me of his intention to write a book about his experiences in connection with the commission, I encouraged him to go ahead with the project, because I was sure that he would give an honest account of his observations and experiences from the perspective of an insider.

 

 

Et plus loin sur la même page, le commissaire écrit :

 

Dans son livre, François relate de manière captivante et exacte le fonctionnement interne de la Commission.

In his book François has produced a chronicle of the inner workings of the commission that is as fascinating as it is accurate.

 

 

L’importance qu’il convient d’accorder à Gomery l’enquête sera déterminée au cours de l’instruction des demandes de contrôle judiciaire, une fois que les parties auront présenté leurs arguments sur cette question.

 

[86]           Les documents concernant François Perreault peuvent être pertinents aux allégations des demandeurs relatives à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité et à leur argument selon lequel leur droit à l’équité procédurale a été violé. Les arguments selon lesquels la Commission a violé son obligation de respecter l’équité procédurale ainsi que les principes de la justice naturelle dans la façon dont elle a interagi avec les médias constituent l’un des motifs sur lesquels sont basées les demandes de contrôle judiciaire des parties. Les demandeurs soutiennent également que le commissaire s’est lui-même trop préoccupé de l’intérêt manifesté par les médias pour les travaux de la Commission. Un autre motif soulevé est que l’attaché de presse a participé trop étroitement au travail des procureurs de la Commission. Là encore, la Cour ne se prononce pas sur le bien-fondé des motifs de contrôle judiciaire avancés par les demandeurs. La Cour estime cependant que les documents reliés au mandat attribué à l’attaché de presse de la Commission, les documents concernant les instructions que le commissaire ou le personnel de la Commission a pu lui donner, ainsi que les documents concernant les entrevues accordées par l’attaché de presse ou par le commissaire lui-même aux médias ou à d’autres personnes sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Ces documents sont reliés aux motifs invoqués dans les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs et sont susceptibles d’aider la Cour à en arriver à une conclusion raisonnable au sujet des allégations de crainte raisonnable de partialité et de violations de l’équité procédurale.

 

[87]           Pour le moment, la Cour décide simplement que ces documents devraient être communiqués à toutes les parties. Les parties auront par la suite la possibilité de débattre de l’importance à accorder à ces documents et la Cour entendra tous leurs arguments concernant leurs allégations de crainte raisonnable de partialité et de violations de l’équité procédurale.

 

IX. Conclusion

[88]           La Commission a eu raison de refuser de communiquer aux demandeurs les documents de la phase II de la Commission qu’ils voulaient obtenir. La prétendue pertinence de ces documents est en effet trop hypothétique et les demandeurs se sont engagés dans une recherche « à l’aveuglette » irrégulière en demandant ces documents pour renforcer leur cause.

 

[89]           Les demandeurs n’agissaient pas « à l’aveuglette » lorsqu’ils ont demandé les courriels que la Commission a reçus au cours de la phase I. Ces demandes étaient soigneusement précisées. La Cour estime que la plupart de ces documents sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Les demandeurs ont le droit d’obtenir une copie des courriels reçus par la Commission entre le 7 septembre 2004 et le 25 août 2005. Il est très probable que les courriels reçus après le 25 août 2005 aient été envoyés à la Commission en réponse à l’appel lancé aux Canadiens pour obtenir leur aide pour la phase II. Les courriels reçus après le 25 août 2005 ne sont donc pas pertinents au mandat de la phase I de la Commission.

 

[90]           Le livre Gomery l’enquête est admissible et divers documents concernant le mandat de l’attaché de presse de la Commission, François Perreault, devront également être communiqués aux parties. Ces documents sont visés par l’exception à la règle selon laquelle seuls les documents dont le commissaire disposait pour rendre sa décision sont pertinents. À cette étape-ci, ces documents sembles être pertinents aux arguments de crainte raisonnable de partialité et de violations de l’équité procédurale soulevés par les demandeurs. Ce sera au juge des demandes de décider si ces allégations sont fondées.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

    1. Des copies des courriels reçus par la Commission entre le 7 septembre 2004 et le 25 août 2005 et qui font référence à MM. Chrétien, Pelletier, Gagliano ou au Bureau du premier ministre, seront communiqués aux parties dans les trente (30) jours de la date de la présente ordonnance, s’ils sont encore en la possession de la Commission.
    2. Des copies de tous les documents concernant le mandat confié à M. François Perreault par la Commission, afférents aux instructions qu’il a reçues concernant les activités et les audiences de la Commission de la part du commissaire et du personnel de la Commission, ainsi que les documents reliés aux entrevues accordées aux médias par le commissaire les 16 et 17 décembre 2004 seront communiqués aux parties dans les trente (30) jours de la date de la présente ordonnance.
    3. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2086-05; T-2118-05; T-2121-05

 

INTITULÉ :                                       L’HONORABLE ALFONSO GAGLIANO ET L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                            LE TRÈS HONORABLE JEAN CHRÉTIEN ET L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                            M. JEAN PELLETIER ET L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LES 5 ET 12 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 juin 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

P.A. Fournier

P. Doody

G. Pratte

 

Pour Alfonso Gagliano

Pour Jean Chrétien

Pour Jean Pelletier

 

R. Langlois et

Marie-Geneviève Masson

B. Saunders

A. Lespérance

P. Guay

 

 

Pour John H. Gomery

 

Pour le procureur général du Canada

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fournier Associés, s.e.n.c.

Borden Ladner Gervais, LLP

Borden Ladner Gervais, s.r.l.

 

Pour Alfonso Gagliano

Pour Jean Chrétien

Pour Jean Pelletier

 

 

Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l.

John H. Sims, c.r.

Justice Canada

 

Pour John H. Gomery

 

Pour le procureur général du Canada

 

 

 

 

 

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