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Date : 20040909

Dossier : IMM-4505-03

Référence : 2004 CF 1224

ENTRE :

                                                             JAVARIA MASOOD

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

LE CONTEXTE ET LES FAITS


[1]                Par la présente demande de contrôle judiciaire, Javaria Masood, citoyenne du Pakistan, (la demanderesse), conteste la décision datée du 13 mai 2003 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (le tribunal ou la SPR) a rejeté sa demande en réouverture présentée à l'égard de sa demande d'asile. Sa demande d'asile avait fait l'objet d'un désistement prononcé par la SPR le 28 février 2003 parce que ni la demanderesse ni son représentant n'ont comparu lors de l'audience du 26 février 2003 prévue pour que la demanderesse ait la possibilité d'expliquer pourquoi elle n'avait pas déposé son formulaire sur les renseignements personnels (FRP) à la date d'échéance le 29 novembre 2002.

[2]                La qualité de personne à protéger invoquée par la demanderesse est fondée sur sa prétention selon laquelle elle est victime de violence conjugale grave de la part de son époux et sur celle selon laquelle sa vie sera en danger si elle retourne au Pakistan.

[3]                L'article 168 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est rédigé comme suit :


168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

(2) Chacune des sections peut refuser le retrait de l'affaire dont elle est saisie si elle constate qu'il y a abus de procédure, au sens des règles, de la part de l'intéressé. [Je souligne.]

(2) A Division may refuse to allow an applicant to withdraw from a proceeding if it is of the opinion that the withdrawal would be an abuse of process under its rules. (Emphasis mine)


[4]                Les articles 55 et 58 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles) prévoient en partie ce qui suit :


55(1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.


58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

58. (1) A claim may be declared abandoned,w ithout giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, ifa) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

Possibilité de s'expliquer

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

Opportunity to explain

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity.

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

Éléments à considérer

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

Factors to consider

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

Poursuite de l'affaire

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l'affaire sans délai.

Decision to start or continue the proceedings

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay. (Emphasis mine)


[5]                La portion importante de la décision du tribunal est rédigée comme suit :

Étant donné que la demandeure a présenté un avis de changement d'adresse et un avis désignant M. Gabriel Bazin comme son conseil le 7 mars 2003;

Étant donné que la demandeure, par l'intermédiaire de son conseil, M. Bazin, a déposé une requête en réouverture de sa demande d'asile le 19 mars 2003;

Étant donné que la SPR a informé le conseil par écrit le 25 mars 2003 que sa requête ne serait pas prise en considération car elle n'avait pas été déposée conformément à l'article 28 des Règles de la SPR;


Étant donné que, par l'intermédiaire d'un nouveau conseil, la demandeure a déposé une deuxième requête en réouverture de sa demande d'asile, alléguant l'incompétence de son ancien conseil;

Étant donné que la SPR a des pouvoirs limités en ce qui concerne la réouverture de la demande d'asile. Selon le paragraphe 55(4) des Règles : « La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle » .

Étant donné que la demandeure était au courant de ses obligations ayant trait à sa demande d'asile;

Étant donné que la demandeure savait que son conseil ne remplissait pas ses obligations en son nom. Elle a appelé la SPR pour obtenir une copie de son FRP, qui devait être présenté par son conseil, et elle a appris alors que le FRP n'avait pas été présenté.

Étant donné que la demandeure a consulté le même conseil et a retenu ses services pour déposer une requête en réouverture de sa demande d'asile, en son nom.

Selon Mathon c. MEI [(1988), 28 FTR 217 à 235)], il y a un manquement à la justice fondamentale pouvant faire l'objet d'une révision lorsque, hors de toute responsabilité de la part du demandeur, une faute de la part du conseil a pour effet de priver totalement le demandeur de la possibilité d'obtenir une audience.

Dans le cas présent, la demandeure a fait preuve de négligence en ne cherchant pas à obtenir des conseils juridiques lorsqu'elle a réalisé que M. Bazin n'avait pas déposé son FRP. Au lieu de cela, elle a retenu de nouveau ses services pour déposer une requête en réouverture après que le désistement de sa demande d'asile eut été prononcé.

C'est à la demandeure qu'il incombe au dernier chef de remplir toutes ses obligations relatives à sa demande d'asile. Par la façon dont elle a agi, elle s'est privée d'une possibilité de faire entendre son cas en audience.

Il est clair que dans ce cas les principes de la justice naturelle ont été respectés.

Par conséquent, la requête en réouverture présentée par la demandeure est rejetée. [Non souligné dans l'original.]

[6]                Je reproduis ci-après, en incluant les fautes d'orthographe, des portions pertinentes de l'affidavit de la demanderesse dont le tribunal disposait :

[TRADUCTION]

1.              [...]


2.             J'ai demandé le statut de réfugié à mon arrivée au Canada et j'ai reçu, parmi d'autres documents, un formulaire sur les renseignements personnels.

3              Afin d'avoir de l'aide à l'égard des formalités juridiques, j'ai engagé M. Bazin à titre de conseiller.

4.             Je pensais qu'il était avocat et je n'ai appris que récemment qu'il n'est pas un avocat n'étant pas un membre du Barreau du Québec.

5.             Il a exigé 1 000 $US avant de commencer à s'occuper des formalités.

6.             [...]

7.             Il m'a demandé de remplir mon FRP, ce que j'ai fait, et je lui ai remis.

8.             Il m'a dit qu'il s'occuperait de remplir le FRP.

9.             J'attendais qu'on m'appelle pour mon audience.

10.           Entre-temps, j'ai pris contact avec M. Bazin et je lui ai demandé des photocopies de mes documents.

11.           Il ne voulait pas me donner des photocopies, il ne me rappelait pas et il ne se présentait pas aux rendez-vous.

12.           Je suis alors allée à la section des réfugiés où j'ai appris que mon FRP n'avait pas été déposé.

13.           Après avoir insisté à de nombreuses reprises et après avoir confronté M. Bazin, il m'a finalement fixé un rendez-vous à la section des réfugiés pour déposer mon FRP.

14.           Je ne sais pas ce qu'il est advenu de mon FRP initial.

15.           Il a rempli avec moi un autre FRP et il me l'a fait signer le même jour.

16.            Il a lui-même écrit mon récit.

17.            Le 7 mars 2003, j'ai rencontré M. Bazin à la CISR. Nous avons déposé mon FRP et j'ai donné mon adresse à la CISR. À ce moment, je ne savais pas que mon dossier était fermé.

18.            J'ai appris par la suite que j'avais été convoquée à une audience le 26 février 2003. Je n'ai pas reçu ce document d'audience.

19.            Je me rends compte maintenant que la CISR n'avait pas mon adresse étant donné que mon FRP n'avait pas été déposé.


20.            M. Bazin ne m'a jamais informée qu'une audience devait avoir lieu ce jour-là.

21.            Lorsque j'ai appris que mon dossier était fermé, j'ai de nouveau pris contact avec lui et il m'a dit qu'il s'occuperait de cela.

22.            J'ai reçu une lettre de la CISR datée du 25 mars dans laquelle la Section de la protection des réfugiés écrit que M. Bazin n'a pas accompli les formalités appropriées.

23.            Je lui ai alors téléphoné. Il m'a fixé un rendez-vous, mais il ne s'y est pas présenté.

24.            Par la suite, j'ai pris contact avec une autre avocate afin qu'elle s'occupe de mon dossier. Elle a vérifié mon dossier auprès de la CISR et ce qu'avait fait M. Bazin.

25.            Je n'ai jamais eu un autre conseiller que lui.

ANALYSE

La norme de contrôle

[7]                Les parties s'entendent sur le fait que la norme de contrôle à l'égard du fond ou de la teneur de la décision du tribunal de rouvrir une décision qui a fait l'objet d'un désistement est la décision raisonnable simpliciter par analogie à la norme applicable à une décision de la SPR qui prononce un désistement (voir la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.), et la décision Mangat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1301 (1re inst.).

[8]                La façon d'apprécier le caractère déraisonnable est celle que M. le juge Iacobucci a décrite dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56 :

56      Je conclus que cette troisième norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du Tribunal est déraisonnable. Ce critère doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable. [Non souligné dans l'original.]

[9]                Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci a appliqué la norme de la décision raisonnable à un appel formé en vertu de la loi contre la décision d'un comité de discipline de radier un avocat. Il a énoncé comme suit sa conclusion au paragraphe 2 de sa décision : « Considérée globalement, la décision du comité de discipline est fondée sur des motifs soutenables et étayés par la preuve; par conséquent, sa décision n'est pas déraisonnable » .


[10]            Au paragraphe 46, il a énoncé que le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative selon la norme de la décision raisonnable « fait appel à l'autodiscipline » en déclarant qu' « [u]ne cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal » . Au paragraphe 47, il a ajouté que la norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander « si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision » . Il a ajouté que « [l]a déférence requise découle de la question puisqu'elle impose à la cour de révision de déterminer si la décision est généralement étayée par le raisonnement du tribunal ou de l'instance décisionnelle, plutôt que de l'inviter à refaire sa propre analyse » et, ensuite, que « la question doit être soigneusement adaptée au contexte de la décision [...] » .

[11]            Au paragraphe 49 de ses motifs, après avoir exposé le critère qu'il a établi dans l'arrêt Southam, précité, il a déclaré que le critère de l'arrêt Southam indique « que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal » et « " se demande " si l'un ou l'autre de ces motifs étaye convenablement la décision. La déférence judiciaire demande non pas la soumission mais une attention respectueuse à ces motifs » .

[12]            Aux paragraphes 50, 51, 52 et 53 de ses motifs, il a comparé la norme de contrôle de la décision déraisonnable avec la norme de contrôle de la décision correcte ou de la décision manifestement déraisonnable. Je reproduis ces paragraphes dans leur ensemble :


50 Il est utile tout d'abord de bien différencier le processus de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et le processus fondamentalement différent du contrôle selon la norme de la décision correcte. Dans le contrôle selon la norme de la décision correcte, la cour peut faire son propre raisonnement pour arriver au résultat qu'elle juge correct. En revanche, lorsqu'elle décide si une mesure administrative est déraisonnable, la cour ne doit à aucun moment se demander ce qu'aurait été la décision correcte. La norme de la décision raisonnable donne effet à l'intention du législateur de confier à un organisme spécialisé la responsabilité principale de trancher la question selon son propre processus et ses propres raisons. La norme de la décision raisonnable n'implique pas que l'instance décisionnelle dispose simplement d'une « marge d'erreur » par rapport à ce que la cour estime être la solution correcte.

51 Il y a une autre raison pour laquelle les cours cherchant à déterminer si la décision est déraisonnable doivent éviter de se demander si elle est correcte. À la différence d'un examen selon la norme de la décision correcte, il y a souvent plus d'une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable. Par exemple, lorsqu'une décision doit être prise en fonction d'un ensemble d'objectifs divergents, il se peut qu'aucun compromis ne soit supérieur à tous les autres. Même dans l'hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, le rôle de la cour n'est pas de tenter de la découvrir lorsqu'elle doit décider si la décision est déraisonnable.

52 La norme de la décision raisonnable simpliciter est aussi très différente de la norme de la décision manifestement déraisonnable qui exige une déférence plus grande. Dans Southam, précité, par. 57, la Cour explique que la différence entre une décision déraisonnable et une décision manifestement déraisonnable réside « dans le caractère flagrant ou évident du défaut » . Autrement dit, dès qu'un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964, le juge Cory; Centre communautaire juridique de l'Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84, par. 9-12, le juge Gonthier). Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.

53 Une décision peut être déraisonnable sans être manifestement déraisonnable lorsque le défaut dans la décision est moins évident et qu'il ne peut être décelé qu'après « un examen ou [...] une analyse en profondeur » (Southam, précité, par. 57). L'explication du défaut peut exiger une explication détaillée pour démontrer qu'aucun des raisonnements avancés pour étayer la décision ne pouvait raisonnablement amener le tribunal à rendre la décision prononcée. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Il s'est ensuite demandé comment une cour siégeant en contrôle judiciaire sait si une décision est déraisonnable étant donné qu'elle ne peut d'abord vérifier si elle est correcte. La réponse, à son avis, est que cette cour doit examiner les motifs donnés par le tribunal et il a conclu ce qui suit aux paragraphes 55 et 56 :


55      La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

56      Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n'exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s'arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n'affectent pas la décision dans son ensemble. [Non souligné dans l'original.]

[14]            Il a ensuite appliqué la norme de la décision raisonnable à la décision du comité de discipline. Il a d'abord demandé quels étaient les motifs donnés par le comité à l'appui de sa décision et a ensuite analysé la question de savoir si les motifs donnés étayaient la décision et résistaient à un examen. Il a conclu, en soumettant le raisonnement et la décision du comité de discipline à un examen assez poussé, que les motifs exposés par le comité, pris globalement, « sont soutenables et étayés par la preuve et qu'ils appuient la radiation comme choix de sanction » ajoutant qu' « [i]l n'y a rien de déraisonnable à ce que le comité de discipline ait choisi de radier un avocat dont la conduite constituait une dérogation inacceptable aux règles de déontologie et avait pour effet de saper la confiance du public dans les institutions juridiques fondamentales » .

[15]            Récemment, la Cour suprême du Canada a réexaminé la teneur de la norme de la décision raisonnable dans l'arrêt Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, et dans l'arrêt Voice Construction Ltd. v. Construction & General Workers' Union, Local 92, 2004 CSC 23. Ces arrêts renforcent l'arrêt Ryan, précité.


CONCLUSION

[16]            Suivant les Règles de la Section de la protection des réfugiés, la réouverture d'une décision rendue antérieurement par la SPR ne peut avoir lieu que s'il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle lorsque la décision a été rendue.

[17]            En l'espèce, la décision pertinente est la décision par laquelle la SPR a prononcé le désistement de la demande présentée par la demanderesse parce que ni elle ni M. Bazin n'ont comparu le 26 février lors de l'audience prévue pour se renseigner quant aux raisons de l'omission de la demanderesse d'avoir déposé son FRP.

[18]            L'article 57 des Règles codifie, en l'absence d'autorisation du législateur, l'exception au principe selon lequel un tribunal administratif ne peut pas réexaminer une décision définitive précédemment rendue à moins que cette décision soit nulle; (voir l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, qui serait le cas d'un manquement aux règles de justice naturelle; voir l'arrêt Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (C.A.), et l'arrêt Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 581 (C.A.)).

[19]            À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie parce que la décision par laquelle le tribunal a refusé la réouverture de la décision rendue à l'égard du désistement était déraisonnable.

[20]            Le tribunal a appliqué correctement le droit lorsqu'il a extrait les principes appropriés de la décision Mathon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 38 Admin. L.R. 193 (1re inst.).

[21]            L'affaire Mathon, précitée, a été tranchée par M. le juge Pinard. Il s'agissait d'une revendication du statut de réfugié dans laquelle un avocat, par erreur ou négligence, n'avait pas déposé, comme il avait reçu le mandat de le faire, une requête afin qu'il soit statué à nouveau sur la décision du ministre.

[22]            Le juge Pinard a souscrit au principe selon lequel une partie au litige qui a agi avec diligence ne devrait pas subir les conséquences d'une décision qui résultait seulement de l'erreur ou de la négligence d'un avocat.

[23]            Selon le principe établi dans la décision Mathon, le tribunal pouvait examiner la question de savoir si la demanderesse avait agi avec diligence et n'avait pas contribué à la décision rendue à l'égard du désistement.

[24]            J'ajoute que dans la décision Taher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. 1327 (1re inst.), le juge Pinard a conclu qu'il y avait eu un manquement à la justice naturelle dans une affaire dans laquelle un tribunal avait omis de rouvrir une décision rendue à l'égard d'un désistement sur le fondement de l'omission d'avoir déposé un FRP, omission résultant seulement de l'avocat. Il a conclu que le demandeur n'avait pas bénéficié des règles de justice naturelle et qu'il avait été privé, sans qu'il ait commis aucune faute, de la possibilité de se faire entendre avant que le désistement de sa demande soit prononcé.

[25]            L'avocate du défendeur a présenté de nombreuses décisions que j'ai examinées; certaines de ces décisions n'étaient pas pertinentes et de nombreuses autres, comme nous le verrons, n'ont pas d'application compte tenu de la conclusion du tribunal selon laquelle dans ces décisions le demandeur d'asile avait été accessoirement négligent ou l'unique cause de son malheur.

[26]            Dans la présente affaire, le tribunal a examiné la question de savoir si la demanderesse pouvait être blâmée. Le tribunal a tiré une conclusion qu'elle pouvait l'être. Il n'a énoncé qu'un seul motif à l'égard de sa conclusion selon laquelle la demanderesse avait été négligente, soit le fait qu'elle n'ait pas tenté d'obtenir un avis ailleurs après qu'elle eut constaté que M. Bazin n'avait pas déposé son FRP. Mais, le tribunal a ensuite critiqué la demanderesse pour avoir tenté d'obtenir une fois de plus les services de M. Bazin pour déposer une demande en réouverture après que le désistement de sa demande eut été prononcé.

[27]            Le tribunal n'a tiré à l'endroit de la demanderesse aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité et il n'a pas trouvé d'autres motifs pour critiquer son comportement.

[28]            Le seul motif qu'avait le tribunal pour critiquer la demanderesse n'est pas soutenable et ne peut pas appuyer une décision selon laquelle il n'y a pas eu un déni de justice naturelle lorsque M. Bazin a omis de déposer le FRP qu'elle a signé puisque c'est cette omission qui avait entraîné la présomption selon laquelle sa demande avait fait l'objet d'un désistement.

[29]            La preuve démontre clairement que le fait que la demanderesse ait de nouveau pris contact avec M. Bazin après qu'elle eut appris que son FRP n'avait pas été déposé n'a pas eu de conséquences sur la décision à l'égard du désistement; ce fait n'était pas pertinent à cet égard.

[30]            La demanderesse n'a appris que le 27 février 2003 que son FRP n'avait pas été déposé. L'audience à l'égard du désistement avait eu lieu le 26 février 2003, la veille. Elle n'était pas présente lors de l'audience à l'égard du désistement parce qu'elle n'avait pas reçu d'avis l'en informant étant donné que son FRP n'avait pas été déposé par la seule faute de M. Bazin, faute qu'il a admise, quoique indirectement, dans ses observations présentées au tribunal à l'égard du rejet de sa requête en réouverture.

[31]            En d'autres mots, lorsqu'elle a appris que son FRP n'avait pas été déposé, il était déjà trop tard; le désistement de sa demande avait été prononcé.


[32]            J'ajoute que lorsqu'elle a effectivement appris que son FRP n'avait pas été déposé, elle a agi rapidement et elle a poussé M. Bazin à le déposer le 7 mars 2003. Elle a témoigné que le 7 mars 2003, elle ne savait pas qu'un désistement de sa demande avait été prononcé.

[33]            Pour tous les motifs précédemment énoncés, je conclus que la requête en réouverture présentée par la demanderesse aurait dû être accueillie par le tribunal. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué avec qu'il statue à nouveau sur l'affaire d'une façon compatible avec les présents motifs.

[34]            L'avocat de la demanderesse a proposé une question aux fins de la certification. Compte tenu de mes motifs, la question formulée n'est pas appropriée et je n'ai pas l'intention de la certifier.

                                                                           _ François Lemieux _           

                                                                                                     Juge                        

OTTAWA (ONTARIO)

LE 9 SEPTEMBRE 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4505-03

INTITULÉ :                                                    JAVARIA MASOOD

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 20 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                POUR LA DEMANDERESSE

Gretchen Timmins                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

1070, rue Bleury                                                POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Ministère de la Justice                                        POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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