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Date : 20040123

Dossier : IMM-5766-02

Référence : 2004 CF 112

Toronto (Ontario), le 23 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX                           

ENTRE :

                                    MARICELA LOS ANGELES ALFARO ARGUEDAS

(alias Maricela Alfaro Arguedas) et

MEGAN ELENA CARVAJAL ALFARO, représentée par sa tutrice à l'instance

MARICELA LOS ANGELES ALFARO ARGUEDAS

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                                                                                                                           

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Les demanderesses, la mère et la fille, sont des citoyennes du Costa Rica. Elles demandent par les présentes le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 23 octobre 2002, qui a conclu qu'elles n'étaient pas des réfugiées, ni des personnes à protéger. Mme Arguedas a prétendu être une victime de violence familiale, aux mains de son ancien conjoint de fait, depuis 1995.

[2]                La Commission n'a pas contesté le témoignage de Mme Arguedas, sauf pour un élément. Elle a rejeté leurs demandes de statut de réfugié parce qu'elle a conclu que la protection de l'État était disponible au Costa Rica. La Commission a dit que Mme Arguedas n'avait demandé l'aide de la police qu'une seule fois, soit en mai 1999, alors que la police avait été appelée parce que son conjoint, en état d'ivresse, lançait et brisait des objets. La police a promis de venir, mais ne s'est pas présentée; Mme Arguedas a rappelé les policiers qui l'ont avisée qu'ils ne viendraient pas parce qu'il s'agissait d'une simple affaire domestique.

[3]                La preuve documentaire soumise à la Commission démontre qu'en 1996, l'assemblée législative du Costa Rica a adopté une loi contre la violence familiale. Essentiellement, la preuve documentaire, la preuve testimoniale, la preuve par affidavit, et les arguments qui m'ont été présentés concernaient l'efficacité de cette loi et les efforts du gouvernement et de la police pour qu'elle soit appliquée.


[4]                En particulier, je mentionne l'affidavit (Pièce C-4) de Montserrat Sagot, doyenne associée aux études supérieures et aux études des femmes à San Jose, dans lequel elle commente la loi de 1996, et dit que les femmes ne savent pas comment l'utiliser; elle affirme que les policiers n'aident pas à remédier au manque de connaissance concernant la loi parce qu'ils ne sont pas formés, surtout dans les régions rurales. Madame la doyenne Sagot dit que la loi n'a qu'une application limitée puisqu'elle ne relève pas du droit criminel, mais qu'il s'agit plutôt d'une loi qui permet aux juges de délivrer, entre autres, des ordonnances de non-communication avec la conjointe à l'encontre de conjoints abusifs. Mme Sagot conclut que la loi de 1996 n'est pas efficace parce qu'il ne s'agit pas d'une loi d'ordre criminel.

[5]                La Commission a discuté de l'argument mis de l'avant par madame la doyenne Sagot, lequel est également repris dans d'autres documents auxquels m'a renvoyé l'avocat de la demanderesse. La Commission dit ceci :

Le tribunal ne nie pas que la loi du Costa Rica soit imparfaite, ni que la violence familiale existe toujours dans ce pays. Toutefois, l'ensemble de la preuve démontre que ce pays démocratique est en train de faire de « sérieux efforts » pour protéger ses ressortissants contre les problèmes de violence familiale et qu'il est en train de faire des progrès. L'accusateur public, la police et l'ombudsman ont tous des bureaux consacrés à ce problème. Le bureau de l'ombudsman a établi une commission regroupant des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux en 1998, pour promouvoir une meilleure application de la Loi sur la violence familiale et assurer une meilleure interprétation de ses dispositions.

En outre, le conseiller en communications du ministre de la Condition féminine à San Jose a déclaré que l'accord du conseil d'État relatif à la demande spéciale à présenter à la police pour faire appliquer efficacement la Loi sur la violence familiale est coordonné au plus haut niveau du gouvernement, c'est-à-dire au sein du ministère de la Sécurité. Le ministère a pris en charge le dossier de la violence familiale et mis en oeuvre un programme de services de police communautaires, qui consiste notamment à donner une formation aux hommes et femmes agents de police pour que ceux-ci aient une meilleure connaissance de la loi et de ses dispositions qui s'appliquent àla protection des victimes.

[6]                La Commission a mentionné l'incident de mai 1999, lorsque Mme Arguedas a appelé la police mais qu'elle n'est pas venue. La Commission a dit qu'un tel comportement de la part de la police était contraire à la loi de 1996.


[7]                La Commission a ensuite dit que, à part cette exception, Mme Arguedas n'a fait aucune tentative pour obtenir de l'aide malgré qu'elle ait été conseillée par la directrice du Bureau municipal de la condition féminine de Brava, à Heredia. Sur cette question, un élément de preuve existe sous forme d'une lettre déposée par la demanderesse dans laquelle la directrice dit : [traduction] « Mme Arguedas a été conseillée concernant les démarches à poursuivre pour obtenir une protection pour elle-même et pour sa fille. » Sur ce point, Mme Arguedas a été interrogée et contre-interrogée devant la Commission. Elle a soutenu qu'elle n'avait pas reçu de conseils. La Commission a préféré le texte écrit de la lettre. La Commission a de plus noté qu'il existe au Costa Rica d'autres organisations qui se consacrent à l'avancement de la cause des femmes et à l'égalité des sexes.

[8]                Sur cette question, la Commission a tranché comme suit :

Le tribunal conclut en outre, en s'appuyant sur les décisions rendues dans Villafranca et Kadenko, que puisque le Costa Rica est une démocratie et que les personnes qui sont victimes de violence familiale ont plusieurs moyens de recours pour obtenir une protection au Costa Rica, on pourrait s'attendre à ce que la demandeure ait fait davantage que déposer une plainte au poste de police. Le tribunal prend également note du fait que le conseil du Bureau municipal de la condition féminine a été de poursuivre les démarches pour obtenir une protection pour elle-même ainsi que pour sa fille.

[...]

Le tribunal conclut que la demandeure n'a tout simplement pas épuisé tous les moyens de recours à sa disposition pour essayer d'obtenir la protection de l'État au Costa Rica pour elle-même et pour sa fille. Étant donné que le Costa Rica est une démocratie et qu'il n'y a aucune preuve concluante qui porte à croire que la police [n']aurait [pas] offert une protection à la demandeure, le tribunal conclut que la demandeure ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve en fournissant une preuve « claire et convaincante » de l'absence de protection de l'État.

[9]                Dans la présente affaire, la question est de savoir si la Commission a bien établi les faits qui sous-tendent le concept de protection de l'État en droit des réfugiés. Une évaluation des éléments qui constituent la protection de l'État n'est pas requise. Dans un cas comme celui-ci, la demanderesse doit démontrer qu'il y a eu atteinte à l'alinéa 18.1(4)d), c'est-à-dire, que la Commission a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[10]            L'essentiel de l'argument des demanderesses est que la loi de 1996 n'est pas appliquée, n'est pas efficace et que la Commission a commis une erreur en ne tirant pas une conclusion en ce sens. L'avocat des demanderesses prétend que Mme Arguedas a cherché à obtenir de la protection et qu'on la lui a refusé. Il était raisonnable pour elle de conclure qu'à l'avenir, elle ne serait pas protégée.

[11]            Selon son avocat, la Commission a commis une erreur dans l'évaluation de sa demande en ignorant des éléments de preuve. De plus, il dit que la Commission n'a pas tenu compte du fait que la demanderesse venait d'une région rurale du Costa Rica où, comme en fait foi la preuve documentaire, la police n'a reçu aucune formation en matière de droits de la personne.

[12]            Comme l'allègue l'avocat du défendeur, le fardeau qui incombe à la demanderesse est établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689. Les demanderesses doivent fournir des preuves claires et convaincantes de l'incapacité du Costa Rica de les protéger.

[13]            Après une étude de toute la preuve documentaire examinée par la Commission, je suis convaincu que cette dernière n'a pas commis d'erreur. Il est vrai que l'application de la nouvelle loi de 1996 sur la violence familiale était inégale, mais, comme l'a exprimé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêtCanada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villaranca, [1992] A.C.F. no 1189, la perfection n'est pas requise.

[14]            Un examen de l'appareil étatique au Costa Rica en rapport avec le problème de la violence familiale remplit les exigences établies quant à la protection de l'État en matière de droits des réfugiés. Dans ses motifs, la Commission a énuméré les éléments en question.

[15]            Lorsque la Commission a examiné les imperfections de la loi actuelle et les propositions de réformes, je crois qu'elle a tenu compte des critiques de madame la doyenne Sagot; je note également que la preuve documentaire démontre que le code criminel du Costa Rica régit des manifestations sérieuses en matière de violence familiale.

[16]            Je crois également que la Commission a eu raison de conclure que Mme Arguedas n'a pas suffisamment cherché à obtenir la protection du Costa Rica, un État où le fonctionnement de la démocratie n'est pas remis en question. Le juge Décary a écrit ce qui suit dans la décision Kadenko c. Canada (Solliciteur Général) (1996), 143 D.L.R. 4th 532:

Lorsque l'État en cause est un État démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.


[17]            Il était loisible à la Commission de conclure que Mme Arguedas n'avait pas suivi les conseils qu'elle avait reçus du bureau de la condition féminine de sa municipalité.

[18]            Enfin, la preuve n'étaye pas la prétention de la demanderesse; à savoir que, les mauvais traitements qu'elle a subis se sont produits après 1999, alors qu'elle résidait avec sa mère, dans une région rurale du Costa Rica.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est soulevée pour certification.

                                                                            « François Lemieux »          

                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5766-02

                                                     

INTITULÉ :                                                    MARICELA LOS ANGELES ALFARO ARGUEDLAS (alias Maricela Alfaro Arguedas) et MEGAN ELENA CARVAJAL ALFARO, représentée par sa tutrice à l'instance MARICELA LOS ANGELES ALFARO ARGUEDAS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 21 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Ricardo Aguirre                                                POUR LES DEMANDERESSES

John Loncar                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ricardo Aguirre                                               POUR LES DEMANDERESSES

Avocat

Centre for Spanish-Speaking Peoples

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

         Date : 20040123

        Dossier : IMM-5766-02

ENTRE :

MARICELA LOS ANGELES ALFARO ARGUEDAS (alias Maricela Alfaro Arguedas) et MEGAN ELENA CARVAJAL ALFARO, représentée par sa tutrice à l'instance MARICELA LOS ANGELES ALFARO ARGUEDAS

                                  demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                         défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   


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