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                                                                                                                                 Date : 20050118

                                                                                                                             Dossier : T-213-04

                                                                                                                    Référence : 2005 CF 57

ENTRE :

                                                        ZAMBON GROUP S.P.A.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                    TEVA PHARMACEUTICAL INDUSTRIES LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

ET ENTRE :

                                    TEVA PHARMACEUTICAL INDUSTRIES LTD.

                                                                                                      demanderesse reconventionnelle

                                                                             et

                              ZAMBON GROUP S.P.A., ZAMBON CORPORATION,

                                               APOTEX INC. et TORPHARM INC.

                                                                                                    défenderesses reconventionnelles

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

VUE D'ENSEMBLE


[1]                Zambon S.P.A. (Zambon Group) et Zambon Corporation (Zambon Corp.) (les compagnies Zambon) cherchent à faire radier en totalité ou en partie la demande reconventionnelle déposée par Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (Teva), laquelle demande reconventionnelle aurait pour effet de constituer Zambon Corp. codéfenderesse dans une action en contrefaçon de brevet intentée par Zambon Group contre Teva. À titre subsidiaire, les compagnies Zambon réclament des éclaircissements au sujet de certaines des allégations contenues dans la demande reconventionnelle.

[2]                La protonotaire Milczynski a débouté les compagnies Zambon de leur requête en radiation et/ou en précisions. Voici sa conclusion :

[TRADUCTION] Je ne suis pas convaincue que la demande reconventionnelle devrait être radiée en tout ou en partie. Il n'est ni clair ni évident ni indubitable que le fait que Teva se fonde sur la simple vente effectuée par les compagnies Zambon fasse en sorte que sa prétention est vouée à l'échec. Je suis d'accord avec l'avocat de Teva lorsqu'il affirme que la demande reconventionnelle articule suffisamment de faits pour fonder un droit d'action et que rien ne justifie de radier quelque partie que ce soit de la demande reconventionnelle. Comme les actes de procédure font état d'arguments défendables, il est préférable de laisser au juge de première instance le soin de statuer sur le fond de la cause.

Pour ce qui est de la demande d'éclaircissements, les défenderesses reconventionnelles Zambon n'ont pas démontré que les actes de procédure comportent à cet égard des lacunes qui les empêchent de plaider en réponse. Bon nombre des éclaircissements réclamés par les défenderesses reconventionnelles Zambon se rapportent à des questions qui relèvent davantage d'un interrogatoire préalable relatif à la preuve à présenter au procès.

[3]                Les compagnies Zambon interjettent appel de la décision de la protonotaire sur les deux aspects : la requête en radiation et la demande d'éclaircissements. Voici les réparations réclamées :

[TRADUCTION] Une ordonnance fondée sur l'article 51 des Règles de la Cour fédérale infirmant l'ordonnance de la protonotaire et accordant les réparations sollicitées par les compagnies Zambon dans l'avis de requête du 21 octobre 2004 et plus précisément les mesures suivantes :

a)              Une ordonnance fondée sur les articles 174, 181 et 221 des Règles radiant et rejetant la demande reconventionnelle contre Zambon Corporation;


b)              À titre subsidiaire, une ordonnance fondée sur les articles 174, 181 et 221 des Règles radiant les allégations formulées contre Zambon Corporation aux paragraphes 32, 43 et 47 de la demande reconventionnelle;

c)              À titre subsidiaire à l'alinéa a) et en plus de l'alinéa b), une ordonnance fondée sur les articles 174, 181 et 221 des Règles radiant la dernière phrase de chacun des paragraphes 32 et 43 de la demande reconventionnelle et radiant en entier les paragraphes 44, 45 et 46 de la demande reconventionnelle;

d)              Une ordonnance fondée sur les articles 174 et 181 des Règles, enjoignant à la défenderesse/demanderesse reconventionnelle, Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (Teva) de communiquer dans les deux semaines de la date de l'ordonnance des éclaircissements au sujet des allégations contenues aux paragraphes 32 et 43 à 46 de la demande reconventionnelle, ainsi qu'il est précisé à l'annexe A de l'avis de requête du 21 octobre 2004 et qui est également jointe au présent avis de requête, à défaut de quoi les paragraphes de la demande reconventionnelle pour lesquels des éclaircissements n'auront pas été fournis seront radiés.

Les dépens de la présente requête et de l'instance qui s'est déroulée devant la protonotaire.

Toute autre réparation que la Cour jugera bon d'accorder.

GENÈSE DE L'INSTANCE

[4]                Zambon Group, une société italienne, a introduit une action contre Teva, une société israélienne, dans laquelle elle réclame un jugement déclarant nuls le brevet de Teva et chacune des revendications du brevet. Le brevet est intitulé : « Stable Gabapentix Containing More Than 20 ppm of Chlorine Ion » (le produit).

[5]                Zambon Group allègue qu'elle fabrique du gabapentine en vrac en Italie qu'elle vend à un acheteur, en l'occurrence, Apotex Inc., au Canada, qui l'utilise ensuite pour fabriquer des produits pharmaceutiques destinés à la vente au Canada.


[6]                Teva a produit une défense et demande reconventionnelle, dans laquelle elle désigne comme défenderesses reconventionnelles non seulement les compagnies Zambon mais aussi Apotex Inc. et Torpharm Inc. (une entité apparentée à Apotex Inc.). Teva allègue que les compagnies Zambon et Apotex/Thorpham ont contrefait son brevet.

[7]                En ce qui concerne la contrefaçon générale de son brevet, Teva allègue que chacune des compagnies Zambon a offert en vente et a vendu du gabapentine à Apotex/Torpharm et que chacune des compagnies Zambon a fait importer à Apotex /Torpharm du gabapentine en vrac au Canada (demande reconventionnelle, paragraphe 32).

[8]                Teva reprend les mêmes allégations en ce qui concerne la contrefaçon spécifique de Zambon et ajoute que, par l'entremise de la vente du produit, les compagnies Zambon ont sciemment incité à la contrefaçon dans le cas de neuf des revendications du brevet, à l'exception de la revendication no 4.


[9]                Plus précisément, Teva allègue que la contrefaçon par Apotex/Torpharm des revendications du brevet n'auraient jamais eu lieu n'eût été l'influence exercée en toute connaissance de cause par les compagnies Zambon, qui ont sciemment vendu du gabapentine en gros destiné à la fabrication et qui l'ont offert en vente et vendu au Canada en contravention des revendications du brevet. Teva ajoute également que les défenderesses reconventionnelles ont toutes agi de concert pour importer le produit de sorte qu'une contrefaçon pouvait se produire par suite de la fabrication, de l'offre en vente et de la vente.

[10]            Les compagnies Zambon affirment qu'une « vente » ne suffit pas pour constituer une incitation et qu'une offre en vente ne suffit pas en soi pour étayer une prétention d'incitation. Elles s'opposent aussi à l'emploi des mots « ont fait importer » et « ont agi de concert » au motif qu'il n'existe aucun droit d'action consistant à faire contrefaire un brevet ou à agir de concert pour contrefaire un brevet.

ANALYSE

Norme de contrôle

[11]            Les parties semblent s'entendre sur la norme de contrôle; la question qui se pose est celle de l'application de cette norme.

[12]            Suivant la norme de contrôle applicable aux décisions des protonotaires, les décisions discrétionnaires de ceux-ci ne doivent être modifiées que si la question revêt une importance cruciale en ce qui concerne l'issue de l'affaire (Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 CPR(4th) 40 (CAF).


[13]            Une ordonnance radiant une déclaration ou les parties de celle-ci qui concernent le droit d'action ou la responsabilité d'une partie, constitue une décision qui revêt une importance cruciale en ce qui concerne l'issue de l'affaire. Par conséquent, le juge saisi de l'appel de la décision du protonotaire doit reprendre depuis le début l'examen des questions en litige.

[14]            L'ordonnance portant sur l'opportunité d'ordonner à une partie de fournir de plus amples précisions ne revêt pas une importance cruciale en ce qui concerne l'issue de l'affaire. Elle doit donc être révisée en fonction de la question de savoir si la décision du protonotaire est entachée d'une erreur manifeste, en ce sens qu'elle repose sur un principe erroné ou sur une appréciation inexacte des faits.

REQUÊTE EN RADIATION

[15]            Les compagnies Zambon ont combiné deux moyens dans leur requête en radiation de certaines parties de la demande reconventionnelle. Le premier est que les faits articulés sont insuffisants et le second est que les droits d'action invoqués ne sont pas reconnus en droit canadien. Pour ce qui est de la question de savoir si les faits articulés sont suffisamment détaillés, la question est abordée séparément de celles des droits d'action dans les présents motifs.

[16]            Les compagnies Zambon demandent la radiation des allégations suivant lesquelles elles :

a)          ont offert en vente et ont vendu le produit à Apotex/Torpharm (paragraphes 32 et 43);

b)          fait importer le produit à Apotex/Torpharm (paragraphe 43);

c)          sciemment incité Apotex/Torpharm à contrefaire le brevet (paragraphe 44);


d)          exercé en toute connaissance de cause une influence quant à la contrefaçon du brevet par Apotex/Torpharm (paragraphe 45);

e)          agi de concert avec Apotex/Torpharm pour importer le produit (paragraphe 46).

[17]            L'élément commun de ces moyens est l'allégation de contrefaçon indirecte du brevet.

[18]            En ce qui concerne l'allégation d'offre en vente et de vente faite par Teva, elle va au delà de la simple vente du produit. L'allégation englobe l'offre en vente, la connaissance que le produit sera utilisé en violation des revendications du brevet, l'influence exercée en connaissance de cause et le fait d'agir de concert. Je souscris à la conclusion de la protonotaire Milczynski suivant laquelle, même si Teva n'invoque qu'une simple vente, sa prétention n'est pas pour autant nécessairement vouée à l'échec. D'ailleurs, elle va au delà d'une simple vente pour étayer sa prétention.

[19]            En ce qui concerne l'allégation de « faire importer » , il s'agit d'une déclaration de fait et non d'un droit d'action distinct qui serait invoqué.

[20]            Pour ce qui est du moyen d'incitation ou d'influence en connaissance de cause, la Cour d'appel fédérale a, dans l'arrêt Valmet Oy c. Beloit Canada Ltd. (1986) 20 CPR(3d) 1 (CAF) déclaré que l'incitation dépend des actes accomplis par quelqu'un en vue d'amener une autre personne à contrefaire le brevet.


[21]            Suivant l'interprétation que je fais de l'acte de procédure de Teva, les « actes accomplis » en l'espèce sont la vente en connaissance de cause, l'offre en vente (dont le sens n'a pas été précisé), l'importation que les compagnies Zambon auraient incitée et l'influence exercée sur Apotex/Torpharm. Teva soutient essentiellement que « n'eût été » les compagnies Zambon, il n'y aurait pas eu de contrefaçon. Lorsqu'on situe ces arguments dans leur contexte, on constate qu'il n'y a rien qui justifie une radiation (Warner Lambert Co. c. Wilkinson Sword Canada Inc. [1988] ACF no 70 (C.F. 1re inst.), à la page 4).

[22]            Pour ce qui est du moyen d'avoir « agi de concert » , les faits nécessaires ont été plaidés. Suivant les faits, les deux compagnies qui agissaient conjointement ont offert le produit en vente et elles étaient toutes les deux au courant de son utilisation prévue.

[23]            Ces faits sont plaidés à l'appui du droit d'action d'incitation à contrefaire un brevet. Il n'y a pas de précédent jurisprudentiel dans lequel un tribunal aurait statué que de tels faits, spécialement dans le contexte des autres faits articulés, ne peuvent justifier un moyen fondé sur l'incitation (Proctor & Gamble Co. c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978) 39 CPR(2d) 145 (C.F. 1re inst) et Hafford c. Seed Hawk Eng. (2004) 31 CPR (4th) 434, aux pages 560 et 561).


[24]            Vu la lourde charge d'établir qu'il « est clair et évident que les paragraphes contestés ne révèlent pas de cause valable d'action ou de défense » , force est de constater que les compagnies Zambon ne se sont pas déchargées du fardeau qui leur incombait.

Éclaircissements

[25]            Suivant la norme de contrôle applicable, la Cour ne peut intervenir dans l'exercice que le protonotaire a fait de son pouvoir discrétionnaire que si sa décision est entachée d'une erreur de droit ou d'une appréciation fautive des faits.

[26]            Or, il est évident que la protonotaire Milczynski a bien compris les faits. Elle s'est également penchée sur la question pertinente de savoir si les compagnies Zambon pouvaient plaider et si les éclaircissements réclamés pouvaient être obtenus par un autre moyen, en particulier dans le cadre des mesures préparatoires au procès.

[27]            Rien ne justifie d'intervenir dans la façon dont la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-213-04

INTITULÉ :                                        Zambon Group S.P.A. c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd.; Teva Pharmaceutical Industries Ltd. c. Zambon Group S.P.A., Zambon Corporation, Apotex Inc. et Torpharm Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 6 décembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       le 18 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Dan Hitchcock                                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Ruth Promislow                                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Riches, McKenzie & Herbert srl                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                                                                                 

Bennett Jones srl                                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                                                                                 

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