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Date : 20041102

Dossier : T-882-04

Référence : 2004 CF 1541

ENTRE :

                                                        DOROTHY B. MURRAY

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

et AGENCE DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                    défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                Dorothy Murray (Murray) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte dans laquelle elle alléguait que son employeur, l'Agence du revenu du Canada (ARC), avait exercé des représailles contre elle parce qu'elle avait précédemment déposé une plainte de discrimination visant les fonctionnaires de l'ARC. La demanderesse conteste principalement la façon dont l'enquête relative à sa plainte a été menée.


[2]                La plainte de discrimination précédente que Murray avait déposée a été rejetée en août 2000. Le juge Kelen a rejeté la demande de contrôle judiciaire se rapportant à cette décision et la Cour d'appel fédérale a rejeté à son tour l'appel connexe en mai 2003. Bien que la plainte de harcèlement soit fondée sur de nouveaux motifs, il existe des similitudes entre celle-ci et la plainte de discrimination, de sorte que les principes de droit que le juge Kelen et la Cour d'appel ont énoncés s'appliquent généralement à la présente demande de contrôle judiciaire. Voir : Murray c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2002] A.C.F. n ° 1002 (C.F. 1re inst.) (QL); 2003 A.C.F. n ° 763 (CA) (QL).

Question préliminaire

[3]                L'ARC a présenté une requête en vue de faire radier certaines parties de l'affidavit de Murray, parce que les assertions en question constituent du ouï-dire, qu'elles sont de nature hypothétique ou argumentative, qu'elles ne sont pas pertinentes ou qu'elles renferment des conclusions et arguments juridiques. Il est essentiel de lire la Règle 81 des Règles de la Cour à la lumière de la proposition générale selon laquelle la preuve par ouï-dire est admissible lorsqu'elle est nécessaire, pertinente et convaincante. Même si les objections de la défenderesse sont peut-être bien fondées au plan technique, l'ARC ne sera pas lésée si la Cour accorde à Murray, qui se représente elle-même, une certaine marge de manoeuvre pour présenter sa cause, notamment pour des questions au sujet desquelles elle ne peut consulter ni les documents ni le personnel de l'ARC.


[4]                En conséquence, la Cour rejette l'objection de l'ARC quant à l'admission de ces parties de l'affidavit et a accordé aux assertions en question le poids qu'il convient.

Faits à l'origine du litige

[5]                Dans sa plainte de représailles, Murray a allégué qu'étant donné qu'elle avait déposé une plainte de discrimination contre l'ARC, les fonctionnaires se sont vengés :

-            en lui donnant moins de temps pour préparer les exposés qu'elle devait présenter;

-            en lui refusant des possibilités d'avancement;

-            en lui refusant des postes ou nominations de nature intérimaire ou temporaire;

-            en lui refusant des mutations à d'autres services;

-            en retirant différentes tâches qui faisaient partie de ses responsabilités.

[6]                Après le dépôt de la plainte de la demanderesse en date du 15 novembre 2001, la Commission a désigné un enquêteur et l'a chargé de mener une enquête et de lui soumettre son rapport. Dans le cadre de l'enquête, l'ARC a présenté une première réponse à la plainte de Murray. La Commission a remis à celle-ci simplement un résumé de la réponse de l'ARC, laquelle question est soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire, et la demanderesse a répliqué à ce résumé dans un document de 74 pages.

[7]                L'enquêteur a préparé un rapport d'enquête daté du 17 décembre 2003 dans lequel il a recommandé le rejet de la plainte. Ce rapport a été communiqué aux parties pour qu'elles le commentent. Murray a fourni des observations supplémentaires, mais non l'ARC. En se fondant sur le rapport de l'enquêteur, la Commission a rejeté la plainte en avril 2004.

[8]                Murray conteste la décision de la Commission en raison de la façon dont l'enquête a été menée et soulève les principaux moyens suivants :

-            l'enquêteur n'a pas reconnu qu'elle avait été victime de représailles par suite de la plainte qu'elle avait précédemment déposée;

-            la demanderesse n'a pas vraiment eu la possibilité de réfuter les arguments de l'ARC, en partie parce qu'elle a reçu simplement un résumé de la réponse de celle-ci et non la réponse elle-même;

-            l'enquêteur n'a pas mené une enquête complète, notamment en omettant d'examiner le document de 74 pages qu'elle avait présenté et en acceptant de faux témoignages des agents de l'ARC;

-            la Commission, surtout l'enquêteur, avait un parti-pris contre elle et a fait montre de malveillance;

-            la Commission a tardé déraisonnablement à rendre sa décision;

-            la Commission et l'enquêteur étaient mal disposés à son endroit.


Analyse

Norme de contrôle

[9]                Murray n'a invoqué aucun argument au sujet de la norme applicable. Cependant, l'ARC a soutenu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, compte tenu de l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113.

[10]            Cependant, plus récemment, dans Hutchinson c. Canada (Ministre de l'Environnement), [2003] 4 C.F. 580, la Cour d'appel a statué que la norme applicable à une décision de la Commission portant rejet d'une plainte est « soit celle du caractère raisonnable, soit celle du caractère manifestement déraisonnable » :

Il est clair qu'il faut faire preuve d'une certaine réserve à l'égard de la décision de la Commission de rejeter une plainte. La norme de contrôle est soit celle du caractère raisonnable soit celle du caractère manifestement déraisonnable. Toutefois, je n'ai pas à décider quelle est la norme à adopter car je suis convaincu qu'en l'espèce, la décision satisfait à la norme du caractère raisonnable, selon laquelle il faut faire preuve d'une moins grande réserve.


[11]            Selon l'état du droit concernant la norme de contrôle relative à ces décisions, la norme varie selon le type de décision. Lorsque la contestation est fondée sur l'absence d'équité ou la contravention aux principes de justice naturelle, aucune retenue ne doit être accordée à la décision. Lorsqu'elle concerne les décisions relatives à la façon de mener une enquête au sujet d'une plainte, aux personnes qui seront interrogées ou aux personnes dont le témoignage est crédible, lesquels aspects touchent tous la décision finale de la Commission, la plus grande retenue sera accordée aux décisions en question. Dans la présente affaire, pour des motifs semblables à ceux qui sont exposés dans l'arrêt Hutchinson, j'estime que, lorsqu'une norme de contrôle est applicable, la décision satisfait à la norme du caractère raisonnable, selon laquelle il faut faire preuve d'une moins grande réserve.

[12]            Pour faciliter la compréhension du litige, il convient de classer les différents moyens de contestation que Murray invoque à l'égard des conclusions de la Commission en deux catégories : les motifs qui concernent l'équité procédurale et ceux qui portent sur les questions de fond.

Équité procédurale

[13]            Murray a soutenu qu'elle n'avait pas eu toute la latitude voulue pour présenter sa cause. Ses soupçons ont été aggravés par le fait que la Commission ne lui a pas remis une copie des observations écrites que l'ARC a déposées au soutien de sa conduite.

[14]            La Commission a suivi une procédure inhabituelle qui n'a pas été expliquée dans la présente affaire. Elle a remis à l'employeur, l'ARC, une copie de la plainte et des observations écrites de Murray, mais a fourni à celle-ci uniquement un résumé des arguments de l'ARC. À prime abord, la procédure est inéquitable. Cependant, dans la présente affaire, le résumé reprenait presque intégralement les arguments de la défense. Bien que cette procédure ne soit pas justifiée, elle n'a pas lésé de façon importante les droits de Murray.

[15]            Dans le cas qui nous occupe, infirmer la décision de la Commission en raison du vice de procédure susmentionné aurait pour effet de permettre à la forme de l'emporter sur le fond. Dans d'autres circonstances, ce refus de fournir les documents proprement dits pourrait donner lieu à un résultat différent. Voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 22.

[16]            De plus, dans la présente demande de contrôle judiciaire, la Commission n'a pas respecté les Règles de la Cour en ce qui concerne la communication des documents se trouvant en la possession d'un office fédéral (Règles 317 à 319). Elle a divulgué uniquement les documents qu'elle avait en main lorsqu'elle a pris sa décision.

[17]            L'ARC avait demandé des documents précis qui étaient en la possession de la Commission conformément à la Règle 317 et qui auraient pu lui permettre de mieux soutenir la décision et l'enquête sous-jacente de celle-ci. La Commission a choisi d'ignorer l'obligation impérative découlant de la Règle 318. La Cour est préoccupée par le fait que la Commission n'a pas respecté une règle fondamentale pour assurer le déroulement équitable des demandes de contrôle judiciaire. Étant donné que seule l'ARC a été touchée par le refus de la Commission et compte tenu du résultat obtenu en l'espèce, la conduite de la Commission n'a pas donné lieu à une injustice.

[18]            Murray s'est plainte du retard lié au déroulement de l'enquête relative à sa plainte. Pour la période allant de septembre 2002 à décembre 2003, il n'existe aucun document indiquant qu'une activité entourant l'enquête a été poursuivie et la Commission n'a donné aucune explication à ce sujet. Même en supposant que des entrevues ont eu lieu pendant cette période, il n'y a aucune raison justifiant à première vue le retard à examiner la plainte de Murray.

[19]            Cependant, un retard important n'est pas un motif justifiant en soi l'annulation de la décision de la Commission. Pour avoir gain de cause pour ce motif, Murray doit prouver qu'un réel préjudice a été causé par un délai inacceptable. Voir Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307.

[20]            La Cour ne peut conclure à l'existence d'un lien suffisant entre le retard et les préjudices allégués. De plus, le retard n'a pas porté atteinte aux droits de Murray, au processus décisionnel ou à la décision elle-même.

Questions de fond


[21]            Le principal argument de Murray est le fait que l'enquête a été menée de façon sommaire et inéquitable. La demanderesse reproche à l'enquêteur de ne pas l'avoir crue lorsqu'elle a dit qu'elle avait été harcelée et de ne pas avoir poussé assez loin ses investigations au sujet des moyens de défense invoqués par l'ARC. En plus des questions de procédure qu'elle a soulevées, la demanderesse allègue essentiellement que l'enquêteur et la Commission avaient un parti-pris contre elle.

[22]            Pour prouver l'existence d'un parti-pris, il est nécessaire d'établir une preuve directe de partialité, comme une déclaration claire qui confirme celle-ci. Il n'existe aucune preuve semblable de partialité ou d'une autre forme de malveillance à l'endroit de Murray.

[23]            Le critère pertinent au sujet de la crainte raisonnable de partialité dans le contexte des droits de la personne est identique à celui qui s'applique à toutes les instances décisionnelles. Plus précisément, le critère a été formulé comme suit en ce qui concerne la Commission :

Le critère fondamental à satisfaire pour assurer l'équité et éviter de faire naître une crainte raisonnable de partialité a été énoncé en termes clairs dans la jurisprudence. Il s'agit de la question de savoir si une personne raisonnable et sensée qui étudierait la question en profondeur et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet percevrait une forme de partialité de la part d'un arbitre. Les motifs de la crainte doivent être importants. De simples doutes ne suffisent pas.

Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] A.C.F. n ° 735 (C.F. 1re inst.) (QL).

[24]            Ce critère s'applique non seulement à la Commission, mais également à l'enquêteur de celle-ci. Cependant, le critère de la crainte raisonnable de partialité n'est pas établi par le fait que ni l'une ni l'autre n'étaient d'accord avec les allégations de harcèlement de la demanderesse ou que l'enquête n'a pas été aussi approfondie qu'elle aurait dû l'être, si tel est vraiment le cas.

[25]            Aucun élément de preuve n'indique l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. L'enquêteur semble avoir été neutre au cours de l'enquête. Dans la même veine, aucun aspect de la conduite de la Commission ne fait naître une crainte raisonnable de partialité.

[26]            Les arguments de la demanderesse (notamment le document de 74 pages) ont été examinés et l'enquêteur a communiqué avec elle. Dans son rapport, il commente chacune des principales allégations qu'elle a formulées, notamment les allégations concernant les postes temporaires, les mutations et les possibilités d'avancement qui lui ont été refusés et l'insuffisance du délai qui lui a été accordé pour préparer les exposés qu'elle devait présenter.

[27]            L'enquêteur a également interrogé des personnes clés de l'ARC afin d'examiner les allégations, conformément aux principes d'équité. Murray soutient que ces personnes ont menti à l'enquêteur ou qu'elles l'ont dupé et que celui-ci a accepté ces mensonges et déformations. La preuve n'indique nullement que tel est le cas.

[28]            À mon avis, aucun élément de la preuve n'indique que l'enquête n'a pas été menée de façon approfondie et équilibrée; le désaccord de Murray avec les conclusions de l'enquêteur ne suffit pas pour annuler l'acceptation du rapport de l'enquêteur par la Commission et le rejet de la plainte. L'enquête s'est déroulée de manière approfondie, équitable, équilibrée et raisonnable et il est permis d'en dire autant des conclusions qui ont subséquemment été tirées.

[29]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée sans frais.

                  « Michael Phelan »                 

Juge                            

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     T-882-04

INTITULÉ :                                                    DOROTHY B. MURRAY c. COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET AGENCE DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 19 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Phelan

DATE DES MOTIFS :                                   Le 2 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Dorothy B. Murray                                            POUR SON PROPRE COMPTE

Caroline Engmann

Joseph Cheng                                                    POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dorothy B. Murray                                           POUR SON PROPRE COMPTE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LES DÉFENDERESSES

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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