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Date : 20050131

Dossier : IMM-5018-04

Référence : 2005 CF 147

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2005

Présent :        L'honorable juge François Lemieux

ENTRE :

                                                MARTINE SUZANNE MATHURIN

                                                                                                                    partie demanderesse

                                                                            et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                      partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Cette demande de contrôle judiciaire est formulée par Martine Suzanne Mathurin (la demanderesse), citoyenne d'Haïti, à l'encontre de la décision du 6 avril 2004 rendue par la Section de la protection des réfugiés (le tribunal ou la SPR) lui refusant le droit d'asile.

[2]                Le tribunal ne croit pas son histoire parce que celle-ci « comporte des incohérences et des contradictions tellement importantes qu'elle ne peut, à mon avis, être vraie » .

[3]                Son récit tel qu'indiqué dans son FRP est celui-ci :

1)         Elle travaille comme agent de sécurité au sein d'une compagnie de services de lignes aériennes; elle a été formée en détection de documents de voyages frauduleux, et a une bonne connaissance des rayons X et de la détection des drogues illicites.

2)         Ses problèmes auraient commencés en septembre 2002 lorsqu'elle travaillait pour la compagnie HAT. Très tôt, elle réalise que plusieurs personnes de la compagnie « fermaient les yeux sur certaines irrégularités » ; elle en avise son supérieur qui ne fait aucun suivi.

3)         Le 16 septembre 2002, elle aurait été attaquée et violée dans le stationnement du HAT; peu de temps après, sa mère aurait reçu un appel la prévenant que cette attaque n'était qu'un avertissement.

4)         Le 26 octobre 2002, elle a été congédiée sous faux prétexte par la HAT.

5)         Suite à son congédiement, elle reprend ses activités de bénévolat au sein de Jeune Pouvoir Populaire mais aurait constaté que « leurs vues étaient plus politiques, tendances violentes » , ce qu'elle reproche aux membres qui, suite à ces commentaires, l'auraient menacée.


6)         Le 4 janvier 2003, sa maison a été incendiée et sa grand-mère a péri des suites de brûlures.

7)         La demanderesse quitte Haïti le 23 mars 2003 en possession d'un visa canadien.

[4]                J'énumère les incohérences et les contradictions soulevées par le tribunal. Sur chacun des points, le tribunal a confronté la demanderesse et se dit insatisfait de ses explications.

[5]                Premièrement, le tribunal relève une incohérence entre le FRP de la demanderesse rempli le 1er juillet 2003 et son entrevue avec un agent d'immigration effectuée le 3 juin 2003.

[6]                À cet égard, le tribunal note que la demanderesse n'a pas fait mention, lors de son entrevue avec l'agent d'immigration, de deux éléments importants dont elle dit avoir été victime dans son FRP (soit le viol et l'incendie).

[7]                Deuxièmement, le tribunal trouve que son histoire de viol est incohérente, la version du FRP n'étant pas la même que la version donnée en témoignage.

[8]                Troisièmement, le tribunal souligne aussi une incohérence relativement à son congédiement. Alors que la demanderesse soutient qu'elle a été congédiée à cause de sa rigueur au travail, son FRP démontre que c'est précisément pour cette raison qu'elle avait été embauchée par HAT en premier lieu.

[9]                Quatrièmement, le tribunal met en doute l'appartenance de la demanderesse à l'organisation populaire Jeune Pouvoir Populaire compte tenu du fait qu'elle n'a fourni aucune preuve de son adhésion à ce mouvement.

[10]            À cet égard, le tribunal note aussi que la demanderesse s'est contredite relativement à la nature des activités de cette organisation. En entrevue avec l'agent d'immigration, elle aurait déclaré avoir été membre d'un parti; dans son FRP, elle a soutenu être simplement membre d'une association populaire; en témoignant devant le tribunal, elle a prétendu que cette organisation regroupait des jeunes non politisés.

[11]            Cinquièmement, le tribunal note des inconsistances dans les lieux de résidence de la demanderesse.


[12]            Alors qu'elle soutient dans son FRP avoir dû « prendre le marquis [sic] et se réfugier ailleurs que chez elle » après l'incendie du 4 janvier 2003, elle a soumis dans le Schedule 1 avoir habité le même endroit entre octobre 1999 et mars 2003, moment où elle a quitté son pays natal pour venir au Canada. Dans un document intitulé « Renseignements généraux » , elle indique que la dernière adresse qu'elle avait en Haïti était celle de la maison incendiée.

[13]            Le tribunal conclut donc six choses :

1)         le demanderesse n'a jamais été attaquée

2)         son domicile n'a jamais été incendié

3)         elle n'a jamais changé d'adresse après l'incendie pour entrer dans la clandestinité

4)         elle n'a pas prouvé une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour en Haïti

5)          il n'y a pas lieu d'appliquer les Directives de la Présidence relatives aux femmes craignant la persécution en raison de leur sexe

6)         elle n'a pas prouvé qu'elle était exposée à des risques de torture, de menace à sa vie ou de traitements et peines cruels ou inusités.

[14]            La norme de contrôle d'une décision fondée sur la crédibilité est celle énoncée à l'article 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales. Le tribunal doit avoir fondé sa conclusion d'une façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il dispose, ce qui est l'équivalent de la norme de contrôle manifestement déraisonnable.

[15]            Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, la juge l'Heureux-Dubé qui rendait le jugement de la Cour, lance un avertissement au paragraphe 85 de ses motifs:

¶ 85       Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue: Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également: Conseil de l'éducation de Toronto, précité, au par. 48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la p. 669. La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier: National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la p. 1370. [je souligne]

[16]            Au sujet de la compétence du tribunal en matière de la crédibilité d'un témoignage, le juge Décary écrit ceci au paragraphe 4 dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. 732:

¶ 4       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau. [je souligne]

[17]            La procureure de la demanderesse, faisant référence à la transcription, a tenté de me convaincre que le tribunal a accordé une trop grande importance à ces contradictions, ces omissions et ces incohérences.

[18]            Je ne peux accepter ces prétentions. À mon avis, la preuve au dossier examinée raisonnablement peut servir de fondement aux conclusions du tribunal. Effectivement, ce que la procureure de la demanderesse m'invite à faire m'est interdit, c'est-à-dire, de revoir et d'apprécier à nouveau la preuve.

[19]            Je crois que le tribunal a commis une erreur en ne commentant pas la pièce P-7, un constat de l'incendie par les autorités haïtiennes.

[20]            Après réflexion et après avoir considéré l'ensemble de la preuve, je ne peux conclure que cette erreur est déterminante.

[21]            Il n'existe aucune preuve qui lie l'incendie au prétendu agent persécuteur de la demanderesse. Qui plus est, le tribunal ne croit pas que la demanderesse a fait partie de l'organisation d'où les menaces provenaient à cette époque.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                    

                                                                                                  J u g e               


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                IMM-5018-04

INTITULÉ :               MARTINE SUZANNE MATHURIN

                                                                                    demanderesse

et

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 27 janvier 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                               le 31 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Eveline Fiset

POUR LE DEMANDERESSE

Lynne Lazaroff

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eveline Fiset

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR


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