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Date : 20010530

Dossier : IMM-4733-00

Référence neutre : 2001 CFPI 551

ENTRE :

LASZLO PERGER

LASZLONE (ROZALIA) PERGER

LASZLO PERGER (fils)

CSILLA PERGER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

           MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 25 août 2000, par laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]    Les demandeurs, Laszlo Perger (le demandeur principal), son épouse (la demanderesse) et leurs deux enfants, sont des citoyens de Hongrie. Ils fondent leur revendication sur le fait qu'ils craignent avec raison d'être persécutés, ainsi que sur leur origine ethnique et leur appartenance à un groupe social, les Roms.

[3]    Le demandeur principal a été confié aux Services d'aide à l'enfance parce que ses parents avaient trop de bouches à nourrir. Il a déclaré avoir été victime de discrimination, mais dit avoir survécu parce qu'il était jeune et fort. Il a été victime de discrimination à l'école et au travail, de même qu'à diverses occasions au cours de sa vie.

[4]    Après leur mariage, les demandeurs adultes ont commencé à travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Ils ont eu de la difficulté à trouver une garderie et ils n'y sont parvenus qu'au bout de deux ans. Peu de temps après, les enfants ont été renvoyés à la maison au motif qu'ils étaient indisciplinés et qu'ils constituaient un problème.


[5]                 La famille a été humiliée et victime de violence verbale. Le 29 juillet 1993, la demanderesse a été attaquée par trois hommes chauves alors qu'elle revenait de faire ses courses. Elle a été blessée et elle était couverte de sang. Le demandeur principal a soigné ses blessures à la maison, mais elle avait subi un choc émotionnel et les médicaments qui lui ont été prescrits par le médecin n'ont pas eu l'effet escompté. Suite à l'agression, elle a sombré dans une dépression et elle s'est mise à avoir des sautes d'humeur et à pleurer tout le temps. Incapable de retourner au travail à ce moment-là, elle a demandé et obtenu des prestations d'invalidité.

[6]                 Le demandeur principal a occupé un emploi dans le domaine de la construction entre février et septembre 1980, puis il y a travaillé entre septembre 1980 et 1993 en tant qu'entrepreneur autonome. De 1993 à août 1999, il a accompli de menus travaux. Il a aussi déclaré à la Commission que durant certaines périodes il était très occupé, alors qu'à d'autres périodes il ne travaillait pas.

ANALYSE

[7]                 La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en énonçant le critère qui permet de décider si le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration s'applique?

[8]                 Voici la définition d'un réfugié au sens de la Convention que l'on trouve à l'article 2 de la Loi sur l'immigration :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

...

(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où :

a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité;

b) elle recouvre volontairement sa nationalité;

c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors    duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.

(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

...

(2) A person ceases to be a Convention refugee when

(a) the person voluntarily reavails himself of the protection of the country of the person's nationality;

(b) the person voluntarily reacquires his nationality;

(c) the person acquires a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

(d) the person voluntarily re-establishes himself in the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution; or

(e) the reasons for the person's fear of persecution in the country that the person left, or outside of which the person remained, cease to exist.

(3) A person does not cease to be a Conventionrefugee by virtue of paragraph (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or

outside of which the person remained, by reason of fear of persecution.


[9]                 Je conviens avec les demandeurs que le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration n'exige pas qu'un demandeur craigne avec raison d'être persécuté au moment où il quitte son pays pour que ses dispositions s'appliquent.

[10]            Comme on l'a déclaré dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, pour établir qu'il craint avec raison d'être persécuté un demandeur doit démontrer qu'il éprouve une crainte subjective d'être persécuté et que cette crainte est objectivement justifiée.

[11]            La Cour suprême du Canada s'explique ainsi :

Il est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection : c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu'il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l'État dont il a la nationalité. L'affirmation de Goodwin-Gill, qui est apparemment à l'origine de la proposition de la Commission, se lit ainsi, à la p. 38 :


La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont elles-mêmes des éléments intimement liés. Les persécutés ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, alors que la preuve de l'absence de protection, que ce soit au niveau interne ou externe, peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au bien-fondé de la crainte.

...

D'une façon plus générale, que doit faire exactement le demandeur pour établir qu'il craint d'être persécuté? Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets : (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la p. 134 :

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.

[12]            Afin que le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration s'applique, il est toujours nécessaire qu'il y ait une crainte subjective, mais l'élément objectif de la crainte justifiée d'être persécuté n'est pas nécessaire puisque s'il y a un changement de contexte et, comme l'indique l'alinéa 2(2)e), si les raisons qui faisaient qu'une personne craignait d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ont cessé d'exister, la crainte subjective n'est plus justifiée objectivement.

[13]            Dans Biakona c. Canada (M.C.I.) [1999] J.C.F. no 391 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum explique comme suit le critère qui permet de décider si le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration s'applique :


La décision du juge McKeown dans l'affaire Arguello-Garcia a été citée parce qu'elle énonce un critère à trois volets qui permet de décider si le paragraphe 2(3) s'applique et qui exige que 1) le demandeur ait été victime d'actes de persécution atroces ou épouvantables; 2) qu'il ait une crainte subjective de persécution telle qu'il refuse de retourner dans son pays d'origine et de se réclamer de la protection des autorités de ce pays; et 3) que cette persécution laisse des séquelles psychologiques permanentes chez le demandeur.

Toutefois, dans un arrêt plus récent de la Cour fédérale, Jiminez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-1718-98, 25 janvier 1999), le juge Rouleau analyse le triple critère dont faisait état le juge McKeown dans la décision Arguello-Garcia, et cite de plus la décision du juge Noël dans Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 28 Imm. L.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.). Le juge Rouleau signale que, dans la décision Arguello-Garcia, le juge McKeown semble refuser la troisième partie du critère quand il déclare, à la page 138 qu' « à la lumière des décisions Obstoj et Hassan [...] la Commission a commis une erreur en interprétant le paragraphe 2(3) comme ne s'appliquant qu'aux personnes qui craignent toujours d'être persécutées » . Le juge Rouleau déclare ensuite que le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration n'exige pas une souffrance permanente et que « la preuve du syndrome de stress post-traumatique a simplement renforcé sa conclusion lorsqu'il a apparemment résumé la preuve » . [Je souligne.]

[14]            Dans Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 77 F.T.R. 309 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein déclare ceci :

La question qui se pose est celle de savoir si un requérant qui invoque le paragraphe 2(3) doit démontrer, à la fois subjectivement et objectivement, qu'il craint ou continue de craindre d'être persécuté. En l'espèce, le tribunal en est arrivé à la conclusion que le requérant devait démontrer l'existence d'une telle crainte.

...

En subordonnant l'application du paragraphe 2(3) à la reconnaissance préalable du statut de réfugié d'un requérant, on se trouve à en faire exclusivement une question de synchronisme. Cette perspective est rejetée par le juge Hugessen dans le passage suivant de la décision Obstoj (p. 748) :


Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de requérants actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l'avocat n'en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l'échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d'origine. En fait, une interprétation qui produirait un tel résultat me semblerait à la fois répugnante et absurde. Elle rendrait également, ainsi qu'il a été noté, l'alinéa 69.1(5)b) tout à fait incompréhensible.

Le juge a aussi déclaré ce qui suit à la page 747 :

Pour exposer la question d'une autre façon, le législateur a élargi la portée des paragraphes 2(2) et 2(3), bien que, d'emblée, ceux-ci semblent porter uniquement sur la perte du statut de réfugié qui a déjà été acquis, pour les incorporer dans la définition au moyen de l'alinéa b), de sorte que leur examen fasse partie du processus décisionnel lui-même.

En me fondant sur la décision Obstoj, je ne crois pas qu'il soit nécessaire que le statut de réfugié d'un requérant ait été reconnu pour que le paragraphe 2(3) puisse recevoir application. De fait, dans les circonstances appropriées, ce paragraphe pourra s'appliquer à la détermination du statut de réfugié elle-même.

M'appuyant toujours sur la décision Obstoj, je crois qu'en l'espèce, la Commission a commis une erreur de droit en jugeant que le paragraphe 2(3) ne s'appliquait qu'aux requérants qui continuaient de craindre d'être persécutés. À moins que l'on ne craigne que cette interprétation du paragraphe 2(3) porte atteinte à l'exigence habituelle selon laquelle les requérants doivent démontrer qu'ils craignent toujours d'être persécutés, on doit reconnaître, tel que l'a fait remarquer le juge Hugessen dans la décision Obstoj, que le paragraphe 2(3) ne s'applique qu'à une petite minorité de requérants actuels, c'est-à-dire de requérants appartenant à une catégorie spéciale et restreinte et pouvant démontrer qu'ils ont été persécutés de manière si épouvantable que cela seul constitue une raison impérieuse de ne pas les renvoyer dans le pays où ils ont subi cette persécution. Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu'à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.


[15]            Toutefois, il faut qu'un requérant ait, à un moment donné, craint avec raison d'être persécuté; ou, en d'autres mots, il faut qu'il ait, à un moment donné, satisfait au critère à deux volets de l'arrêt Ward, précité, soit avoir démontré qu'il éprouve une crainte subjective et que cette crainte est objectivement justifiée. Par conséquent, il faut qu'un requérant ait pu, à un moment donné, obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention.

[16]            En l'instance, la Commission a examiné l'agression de 1993 contre la demanderesse et noté que les demandeurs n'ont pas quitté le pays à ce moment-là, même s'ils considéraient que la situation était atroce et épouvantable. Les demandeurs n'ont quitté qu'en 1999. La Commission n'a pas retenu les motifs que le demandeur principal a avancés pour expliquer le délai.

[17]            La Commission a conclu que l'agression dont la demanderesse a été victime était un incident isolé et qu'elle ne pouvait être décrite comme atroce ou épouvantable.

[18]            Par conséquent, même si la Commission a commis une erreur en examinant la question de savoir si la demanderesse avait une crainte justifiée de persécution au moment où elle a quitté en 1999, sa conclusion au sujet du délai et du fait que l'agression était un incident isolé demeure valable.

[19]            Cette conclusion démontre que la Commission n'a pas accepté que la crainte de persécution des demandeurs était objectivement justifiée, car elle considérait que l'agression était un incident isolé.


[20]            De toute façon, la conclusion de la Commission que l'agression ne peut être décrite comme atroce ou épouvantable reste valable. Puisque le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration exige que les actes de persécution soient jugés avoir été atroces ou épouvantables, les demandeurs n'ont pas satisfait au critère énoncé dans Biakona, précité. Je ne trouve aucune erreur dans la conclusion de la Commission.

[21]            Par conséquent, l'erreur que la Commission a commise en se penchant sur la question de savoir si la demanderesse avait une crainte justifiée d'être persécutée au moment de son départ en 1999 ne porte pas sur un point essentiel et elle ne justifie pas l'intervention de la Cour.

[22]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]            Aucune question à certifier n'a été présentée.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                   IMM-4733-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  Laszlo Perger et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 22 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DE M. LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                       30 mai 2001

ONT COMPARU :

M. Peter Shen                                                                               POUR LES DEMANDEURS

Mme Lori Hendriks                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Peter Shen                                                                               POUR LES DEMANDEURS

Hamilton (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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