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Date : 20050803

Dossier : T-680-03

Référence : 2005 CF 1054

ENTRE :

AMERSHAM HEALTH INC.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA,

représentée par

le ministre du Revenu national

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN

INTRODUCTION

[1]         Il s'agit d'une requête demandant à la Cour de trancher une question de droit. Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits et la Cour doit décider si des intérêts sont payables, en application du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36, ou de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1, sur les droits exigibles en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. 1985, ch. 15 (la LMSI), et ensuite remboursés en partie à la demanderesse conformément à une ordonnance rendue en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes.

CONTEXTE

[2]         Ainsi qu'il est indiqué dans l'exposé conjoint des faits, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) a conclu, après une enquête menée conformément à la LMSI, que certains opacifiants pour radiographie (les marchandises en question) importés par la demanderesse avaient fait l'objet de dumping, ce qui causait un dommage à des producteurs canadiens. En conséquence, les droits antidumping prévus par la LMSI ont été perçus sur les marchandises en question au taux établi par la décision définitive du commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) (devenue depuis l'Agence des services frontaliers du Canada ou l'ASFC).

[3]         Suivant les recommandations du TCCE selon lesquelles il ne serait pas dans l'intérêt public de percevoir la totalité de ces droits antidumping suivant l'article 45 de la LMSI, le gouverneur général en conseil a pris un décret de remise en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes, le 2 mai 2001. Ce décret prévoyait la remise d'une partie des droits antidumping payés ou payables sur les marchandises en question importées le 31 décembre 1999, ou après cette date, le montant étant calculé selon la formule décrite dans l'annexe du décret.

[4]         Le 7 septembre 2001, l'ADRC a avisé la demanderesse que le remboursement d'une partie des droits antidumping avait été approuvé, conformément au décret de remise. La demanderesse a reçu le remboursement d'une somme de 2 131 348,51 $, y compris les intérêts courus jusqu'à la date du remboursement totalisant 89 826,93 $, relativement aux droits antidumping payés sur les importations des marchandises en question effectuées en mars et en avril 2000.

[5]         Le 3 octobre 2001, l'ADRC a avisé la demanderesse que les intérêts faisant partie du remboursement du 7 septembre 2001 avaient été versés par erreur, l'article 115 du Tarif des douanes ne prévoyant pas le paiement d'intérêts sur les droits remis.

[6]         Bien que la défenderesse ait finalement remboursé à la demanderesse une somme de 5 620 819,80 $ au titre des droits antidumping en vertu du décret de remise, aucun intérêt n'a été payé sur cette somme et la défenderesse a retenu le montant des intérêts de 89 826,93 $ versés à la demanderesse sur des versements ultérieurs. La demanderesse a demandé que le ministre reconsidère cette décision, mais sa demande a été rejetée. Elle a ensuite demandé que le TCCE statue sur son droit à des intérêts dans le cadre du processus de révision prévu par la Loi sur les douanes. Dans sa décision no AP-2001-093 rendue le 10 mars 2003, le TCCE a conclu qu'il n'avait pas compétence pour entendre l'affaire. C'est à la suite de cette décision que la demanderesse a intenté la présente action.

[7]         Le remboursement des droits a été accordé à la demanderesse en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes, dont voici le libellé :

Exonération facultative

115. (1) Sur recommandation du ministre ou du ministre du Revenu national, le gouverneur en conseil peut, par décret, remettre des droits.

Portée de l'exonération

(2) Les remises peuvent être conditionnelles ou absolues, s'appliquer à la totalité ou à une fraction des droits et être accordées peu importe que les droits soient devenus exigibles ou non.

Remise par remboursement

(3) Dans le cas où les droits ont déjà été payés, la remise est effectuée par remboursement des droits à remettre.

[8]         La protonotaire Milczynski a formulé comme suit la question que la Cour doit trancher en l'espèce dans l'ordonnance qu'elle a rendue en date du 2 mars 2005 :

[traduction]

La demanderesse a-t-elle droit à des intérêts sur les droits anti-dumping qui lui sont remis par l'État en vertu des dispositions applicables de la Loi sur les douanes, du Tarif des douanes ou d'une autre loi du Canada?

[9]         Il est bien établi en droit que des intérêts ne peuvent être réclamés contre l'État que si une loi ou un contrat le prévoit expressément (voir Gladstone c. Canada (Procureur général), [2005] 20 A.C.S. 21 (C.S.C.), au paragraphe 20).

[10]       La demanderesse soutient que, selon l'article 12 du Tarif des douanes, certaines dispositions de la Loi sur les douanes sont pertinentes et permettent que des intérêts lui soient payés. L'article 12 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

12. Les dispositions de la Loi sur les douanes s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l'exécution et au contrôle d'application de la présente loi et de ses règlements; de ce fait, toute infraction à la présente loi ou à ses règlements ou toute inobservation des conditions d'une exonération, d'une remise, d'un drawback ou d'un remboursement prévu à la partie 3 ou encore du classement de marchandises dans un numéro tarifaire est réputée être une infraction à la Loi sur les douanes.

[11]       La demanderesse ajoute qu'en vertu de l'article 12 du Tarif des douanes l'alinéa 74(1)g) et l'article 80.1 de la Loi sur les douanes s'appliquent et font en sorte que des intérêts soient payables par la défenderesse. Ces dispositions sont libellées comme suit :

74. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, de l'article 75 et des règlements d'application de l'article 81, le demandeur qui a payé des droits sur des marchandises importées peut, conformément au paragraphe (3), faire une demande de remboursement de tout ou partie de ces droits et le ministre peut accorder à la personne qui, conformément à la présente loi, a payé des droits sur des marchandises importées le remboursement total ou partiel de ces droits dans les cas suivants :

[...]

g) les droits ont été payés en trop ou par erreur dans les autres cas prévus par règlement.

[...]

80.1 Malgré le paragraphe 80(1), quiconque reçoit, en vertu de l'alinéa 74(1)g), un remboursement de droits en raison de la réduction des droits de douane en application d'un décret ou d'un règlement rétroactif pris par le gouverneur en conseil en application du Tarif des douanes reçoit, en plus du remboursement, des intérêts au taux réglementaire, calculés sur le remboursement pour la période commençant le lendemain du versement des droits et se terminant le jour de l'octroi du remboursement.

[12]       La partie 9 du Règlement sur le remboursement des droits, DORS/98-48, traite d' « Autres cas de droits payés en trop ou par erreur » . L'article 31 de la partie 9 décrit les raisons pour lesquelles les droits doivent être remboursés et prévoit ce qui suit :

31. La présente partie s'applique à l'octroi d'un remboursement, en vertu de l'alinéa 74(1)g) de la Loi, des droits payés ou payés en trop dans les cas suivants :

a) lorsque les droits sont réduits ou supprimés par un décret ou un règlement ayant un effet rétroactif, pris en application du Tarif des douanes; [...]

ANALYSE

[13]       Le Décret de remise des droits antidumping sur les opacifiants iodés, C.P. 2001-799 du 2 mai 2001, DORS/2001-161 (le décret de remise), commence comme suit :

Sur recommandation du ministre des Finances et en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil prend le Décret de remise des droits antidumping sur les opacifiants iodés, ci-après.

[14]       Il ressort nettement de ce passage que le remboursement relevait du pouvoir discrétionnaire que l'article 115 du Tarif des douanes confère au gouverneur en conseil. Le principal obstacle que la demanderesse doit surmonter en l'espèce est de démontrer que le remboursement est visé à l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes, auquel cas des intérêts sont payables en vertu de l'article 80.1 de cette loi. Si le remboursement n'est pas visé à l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes, des intérêts ne sont pas payables puisque ni l'article 115 du Tarif des douanes ni le décret de remise ne le prévoient.

[15]       La demanderesse soutient que le décret de remise est un décret rétroactif pris en vertu du Tarif des douanes, aux fins de l'article 80.1 de la Loi sur les douanes. Bien que le décret de remise n'emploie pas expressément le mot « rétroactif » , son article 2 accorde la remise partielle des droits « payés ou à payer, à compter du 31 décembre 1999 » . Il ne fait donc aucun doute que le décret de remise s'applique rétroactivement, c'est-à-dire qu'il s'applique à une période antérieure à la date à laquelle il a été pris (le 2 mai 2001).

[16]       L'article 141 du Tarif des douanes indique ce qui suit au sujet de la rétroactivité :

141. (1) Les arrêtés, décrets et règlements d'application de la présente loi peuvent, s'ils comportent une disposition en ce sens, avoir un effet rétroactif et s'appliquer à une période antérieure à la date de leur prise [...]

[17]       L'obstacle le plus important auquel la demanderesse doit faire face est de convaincre la Cour que le décret de remise, pris en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes, est un remboursement visé à l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes. La demanderesse suggère à cet égard que la Cour se tourne vers l'alinéa 31a) du Règlement sur le remboursement des droits reproduit ci-dessus.

[18]       Cette disposition ne vise toutefois expressément que les remboursements accordés « en vertu de l'alinéa 74(1)g) » de la Loi sur les douanes. Aussi, bien que le décret de remise ait un effet rétroactif en vertu du Tarif des douanes, le Règlement sur le remboursement des droits ne prévoit tout simplement pas qu'un décret pris en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes est identique à un remboursement visé à l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes.

[19]       Bien que l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes et l'article 115 du Tarif des douanes permettent l'octroi de remises ou de remboursements de droits, il existe des différences fondamentales entre eux, la plus évidente étant le fait que l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes confère un pouvoir au ministre alors que l'article 115 du Tarif des douanes confère un pouvoir au gouverneur en conseil. Par ailleurs, alors que l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes s'applique par suite d'une demande par une personne « qui a payé des droits » , l'article 115 du Tarif des douanes s'applique « [s]ur recommandation du ministre ou du ministre du Revenu national » . Par ailleurs, le pouvoir conféré au ministre à l'article 74 de la Loi sur les douanes est contrôlé et limité par le Règlement sur le remboursement des droits, alors que celui du gouverneur en conseil est pratiquement absolu et totalement discrétionnaire. L'article 115 du Tarif des douanes confère un très vaste pouvoir d'ajouter des conditions à un décret de remise, alors qu'aucun pouvoir semblable ne ressort clairement de l'article 74 de la Loi sur les douanes. Finalement, des intérêts sont expressément payables, suivant l'article 80.1, sur un remboursement visé à l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes, alors que l'article 127 du Tarif des douanes prévoyait à l'époque pertinente :

(2) Quiconque reçoit, en application de la présente partie, à l'exception de l'article 115, un drawback ou un remboursement de sommes afférentes aux droits perçus au titre de la Loi sur les mesures spéciales d'importation reçoit, en plus du drawback ou du remboursement, des intérêts au taux réglementaire pour la période commençant le quatre-vingt-onzième jour suivant la présentation -- faite en conformité avec la présente partie -- de la demande correspondante et se terminant le jour de l'octroi du drawback ou du remboursement.

[20]       Cette disposition montre, à mon avis, que le législateur avait la nette intention de ne pas accorder d'intérêts sur les remboursements faits en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes, à moins, évidemment, que des intérêts soient accordés dans l'une des conditions prévues par le décret de remise pris en vertu de cette disposition. Or, il n'existe aucune condition semblable en l'espèce, et la demanderesse n'a pas droit à des intérêts.

CONCLUSION

[21]       Il est clair en l'espèce que le décret de remise a été pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'article 115 du Tarif des douanes; il ne s'agit pas d'un remboursement accordé par le ministre en vertu de l'alinéa 74(1)g) de la Loi sur les douanes. Le décret de remise ne faisait pas suite à une demande de la demanderesse, mais plutôt à une recommandation du ministre compétent. Par ailleurs, il ne prévoit pas le paiement d'intérêts et, en l'absence d'une disposition en ce sens, le législateur avait nettement l'intention, comme en fait foi le paragraphe 127(2), de faire en sorte que des intérêts ne soient pas payés. La question de droit soulevée par la présente requête doit recevoir une réponse négative.

[22]       L'avocat de la défenderesse fait valoir qu'une réponse négative à la question permet de disposer de l'action de la demanderesse. Je suis aussi de cet avis. Une ordonnance rejetant l'action avec dépens sera donc rendue.


ORDONNANCE

Une réponse négative est donnée à la question de droit énoncée dans l'ordonnance du 2 mars 2005.

L'action de la demanderesse est rejetée avec dépens, lesquels devront être taxés.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 août 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-680-03

INTITULÉ :                                                          AMERSHAM HEALTH INC.

                                                                              c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 27 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                                         LE 3 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

Lawrence Herman                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Craig Logie                                                            

Michael Roach                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cassels Brock & Blackwell                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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